Accueil > Altermondialisme > Contre la marchandisation ? > Aliénation, Réification, Domination / Reconnaissance, Emancipation, Libération > Lipovetsky tend à naturaliser le gout du luxe. C Delarue

Lipovetsky tend à naturaliser le gout du luxe. C Delarue

dimanche 18 décembre 2011, par Amitié entre les peuples

Lipovetsky tend à naturaliser le gout du luxe.

Dans un entretien (1) avec Gilles Lipovetsky sur le luxe P-H Tavoillot annonce d’emblée pour lancer le débat que le luxe est passible d’une double critique . « La critique morale voit dans le luxe l’expression orgueilleuse d’un désir insatiable vouant l’homme à la vie malheureuse ; et la critique sociale, pour qui le luxe est le signe ostentatoire de la lutte des classes. »

On remarquera que les deux critiques s’en tiennent aux apparences. Le sens d’une critique véritable est d’aller derrière l’apparence des phénomènes. Mais l’apparence peut aussi avoir du sens et c’est ce qui est ici rappelé. La première critique montre ses limites puisqu’elle signale simplement que même les riches sont malheureux car ils ne savent pas s’auto-limiter. ce discours adressé aux pauvres par les religions a un contenu hypocrite car les pauvres ne veulent le luxe avant d’avoir déjà le nécessaire pour vivre. Cette critique peut venir de courants décroissants austères - ce qu’ils ne sont pas tous - qui trouvent matière dans la critique du luxe pour tordre le bâton dans l’autre sens, dans une sorte de pauvreté assumée. Contre ces doubles excès on plaidera pour l’équilibration, ni luxe ni austérité mais confort moyen. Quand à la seconde critique, elle confirme le principe « la preuve du pudding c’est qu’il se voit » : l’opulence affichée est bien celle des riches et elle est indécente car tous ne sont pas riches. Si nous étions tous riches cette violence symbolique n’existerait pas.

Le luxe, l’humain et le néolibéralisme.

Face à cette double critique, Gilles Lipovetsky répond que le luxe n’est ni immoral au plan humain, ni un phénomène de classe au plan social. Pour lui, le luxe est humain . Il est éternel mais il a néanmoins une histoire. De ce fait, il note que le luxe est, malgré les évolutions en cours, toujours plus attaché à la femme qu’à l’homme.

Le luxe serait lié au rêve de tout un chacun, pauvre ou riche. Vous vous souvenez de l’opprobre de certains gauchistes : la mentalité « petite-bourgeoise ». Eh bien elle est ici naturalisée, décrite comme un fait humain naturel. On peut sans doute rétorquer avec Bourdieu qu’elle traduit une volonté de distinction de la bourgeoisie ou plus prosaïquement que le rêve n’est pas le réel et que le rêve de luxe s’il n’est pas totalement étranger au pauvre se traduit chez lui (et chez les moins pauvres) par une simple aspiration au confort qui ne saurait être confondu avec le luxe. Rêver d’une maison confortable avec un jardin ce n’est pas rêver d’un palace avec plateforme pour hélicoptère ! Mais la perception du luxe est variable car fonction des situations sociales.

Les critiques de C Rogers, E Fromm, E Lévinas, C Darwin , P Bourdieu et K Marx.

Gilles Lipovetsky argumente : « L’humain n’est pas fait que d’aspirations profondes et sérieuses ! Et l’homme moderne ne se réduit pas à l’obsession de l’efficacité. Il y a aussi le superflu, le rêve, l’excès, la frivolité, la beauté. » Tout est ici mis bout à bout et finalement mélangé. « Les aspirations profondes et sérieuses » ne se heurtent-elles pas souvent à « l’obsession de l’efficacité » qui est source de domination sociale dans les structures de production privées ou publiques. Les humains tentent souvent de combiner l’un et l’autre ce qui les empêche de construire une congruence interne. C’est là la critique d’Erich Fromm et de Carl Rogers . Mais les humains font comme ils peuvent. L’alternativisme de Fromm se résume alors à poser que les humains sont pour partie socialement contraints, conditionnés et empêchés mais aussi pour une autre partie en capacité d’agir et de se libérer. Il prend ici la relève de Spinoza, Freud et Marx (cf Le cœur de l’homme). Autre contradiction signalée par G Lipovetsky, ils veulent du « rêve fait d’excès, de frivolité et de beauté » mais aussi des rêves validant des « aspirations profondes et sérieuses ». Avec Lévinas - en mettant ici de côté la question du genre posée par les féministes (2) - on dira que seul l’érotisme et l’amour permettent de construire une congruence « élévatrice » des éléments charnels et spirituels, des éléments d’une part du désir concupiscent, objectalisant et réducteur du regard masculin sur la femme et d’autre part de la vive admiration amoureuse qui produit un sentiment d’élévation transcendantale à deux et même un sentiment d’attachement éternel à l’autre.

S’agit-il de valider à travers cette réponse une anthropologie néolibérale très spencérienne qui voit l’humain comme naturellement prédateur , captateur ? Peut-être pas au regard de la conclusion de l’entretien (3) mais la question mérite quand même d’être posée. Rappelons avec Erich Fromm (4) que l’humain est fondamentalement ambivalent . Autrement dit, tout n’est pas bon chez lui . Rappelons aussi sur un plan différent qui n’est pas contradictoire que Darwin a défendu que l’humain disposait naturellement d’instinct sociaux qui le distinguait de l’animal . C’est à mon sens un point d’appui dans la lutte idéologique contre les adeptes de Spencer au sein du néolibéralisme qui voit l’humain comme un être engagé dans la lutte pour la vie. Avec Spencer c’est l’image « animale » d’un matérialisme de Hobbes qui est validée au travers d’un darwinisme perverti : Naturellement « l’homme est un loup pour l’homme ». Anthropologiquement l’humain serait foncièrement prédateur . Les pauvres le sont comme les pauvres. D’ou la nécessité d’un Etat répressif pour maintenir l’ordre et la paix sociale.

A mon sens, la thèse de Darwin est aussi un point d’appui existentiel : il est sans doute bon de savoir que chacun de nous dispose de cet « instinct social » qui permet plus de fraternité et d’inscrire cette fraternité dans l’égalité de classe, de genre . A l’évidence, en fonction de la vie sociale cet « instinct social » est plus ou moins écrasé, enseveli . Ce « nous » (de chacun de nous dispose) mérite d’être précisé. L’anthropologie humaniste de Fromm et Darwin a le défaut de ne rien dire de l’inscription de tout humain dans des rapports sociaux - rapports sociaux capital-travail, rapports sociaux sexistes ou de genre, rapports sociaux de discriminations racistes, rapports plus abstrait des générations présentes avec les générations futures - qui permet de réintroduire notamment la lutte de classe et l’appartenance de classe trop absente chez Fromm et Darwin. C’est pourquoi l’idée de la « sobriété » est surtout et avant tout à adresser à la bourgeoisie et secondairement à la petite-bourgeoisie (5) .

Christian DELARUE

1) luxelipo.pdf (Objet application/pdf)

http://www.ac-nice.fr/btscom/resource/luxelipo.pdf

2) Écrire en tant qu’homme. Lévinas et la phénoménologie de l’Éros - Sens Public

http://www.sens-public.org/spip.php?article712

3) "Cela étant, le règne de la société hypermarchande est loin de signifier élimination totale des valeurs et des sentiments. Le goût de la sociabilité, le bénévolat, l’indignation morale, la valorisation de l’amour, tout cela se perpétue, voire se renforce. Les menaces qui pèsent sur la société d’hyperconsommation, ce n’est pas le nihilisme achevé, la dévalorisation de tous les idéaux, c’est surtout le recul de la légèreté d’exister, la fragilité des personnalités, les psychopathologies, la spirale de la peine à vivre. On consomme toujours plus, mais la joie de vivre ne semble guère être au
rendez-vous"

4) La conception de l’être humain selon Erich Fromm

http://www.dazibaoueb.com/article.php?art=9920

5) Sobriété pour les très riches de tous les pays. C Delarue -

http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article717