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L’anticapitalisme n’est pas un radicalisme par Christophe Ramaux.

lundi 19 mai 2008, par Amitié entre les peuples

L’anticapitalisme n’est pas un radicalisme Christophe Ramaux - Chronique pour Politis, n°889, 16 février 2006

source : rennes info.org

Dans une précédente chronique, on indiquait que si l’anticapitalisme avait de bonnes raisons d’être, il restait à lui donner un contenu. Pour ce faire, on suggérait de combiner Marx, Keynes, une forme non rétrograde d’écologie et une trame démocratique, républicaine. Le courrier reçu de Patrick Braibant, auteur d’un ouvrage qu’on recommande, Lettre aux anticapitalistes (et aux autres) sur la démocratie (L’Harmattan), invite à préciser le propos.

L’anticapitalisme est-il un radicalisme ?

Pour certains l’affaire est entendue : il y aurait au sein de la gauche les anti-capitalistes, les anti-libéraux et les sociaux-libéraux, les seconds à défaut d’être aussi clairvoyants que les premiers étant suspectés d’avoir des yeux de Chimène pour les troisièmes. Cette lecture justifie, à l’occasion, des postures bien peu unitaires de la part de certains des premiers (pas tous heureusement) qui trouvent là prétexte pour labourer leur petit jardin, alors même qu’une gauche de transformation sociale peut être majoritaire dans ce pays autour d’un môle clairement anti-libéral. Sur le fond, on peut soutenir que l’anticapitalisme n’est pas un radicalisme, dans le sens où il ne prend pas les choses par la racine, pour au moins trois raisons.

En premier lieu, parce qu’il n’est que négativité, ne porte aucun projet positif. Le XXe siècle, depuis la mort de Marx, est pourtant passé par là. Un siècle marqué par le « communisme réel » et la démonstration in mortem qu’il ne suffit pas d’être anticapitaliste pour être progressiste. Le dépassement du capitalisme n’est pas envisageable s’il ne s’ancre pas dans un projet qui garantisse que cette tragédie ne se répète pas. Par construction, l’affichage anticapitaliste n’y suffit pas.

En second lieu, parce qu’il analyse nos sociétés comme « mono-capitalistes » pour reprendre l’heureuse formule de P. Braibant. Les marxistes éclairés admettent certes que certains rapports échappent pour partie au capitalisme, mais ils s’empressent d’ajouter que ce n’est que pour partie, le capital, « en dernière instance », « surdéterminant » la totalité sociale1 (1). On conçoit ainsi que le marxisme soit en peine de théoriser, de saisir, la portée de l’Etat social. Dans son optique, largement reprise par la théorie de la régulation, celui-ci n’est, au fond, qu’un dispositif fonctionnel de régulation du... capitalisme. Ce à quoi on peut rétorquer que s’il est en partie cela, il n’est pas réductible à cela. Il a simultanément une dimension non seulement anti-libérale mais proprement anti-capitaliste. Par lui, des sphères entières d’activité (services publics, protection sociale, etc.) échappent au capital. Ce qui vaut pour l’Etat social, vaut pour l’économie sociale (coopératives, associations, etc.). Le capital l’a bien compris qui s’acharne à récupérer les activités de l’un et l’autre.

En troisième lieu, l’anticapitalisme tend à relativiser la portée de la rupture démocratique. C’est une conséquence nécessaire de ce qui précède. Si le capital, « en dernière instance », impose sa marque à l’ensemble des relations sociales, la démocratie ne peut y échapper. Peu nombreux sont ceux qui continuent à parler de « démocratie bourgeoise ». Le « parfum » est cependant toujours là. On parle de démocratie « formelle ». On prend prétexte des biens réelles limites de la République instituée pour saper les principes républicains. On pare la démocratie participative de toutes les vertus (en y adjoignant parfois un surprenant éloge du consensus !) pour mieux « charger » la démocratie représentative, comme si la première, assurément utile, pouvait se passer, sans considérable régression, de la seconde (élection démocratique des dirigeants car les associations en ont, etc.).

On peut ne pas s’accorder avec P. Braibant lorsqu’il oppose de façon trop simpliste la « politique » et l’« économie », souvent confondue avec le marché ou, assimilation plus réductrice encore, le capital. On peut lui reprocher de ne pas approfondir la question du pouvoir et de l’Etat, au risque de conforter la thèse naïve selon laquelle il y aurait antinomie entre pouvoir et démocratie (alors que l’enjeu est bien toujours de soumettre celui-ci à celle-là)(2). On peut rester dubitatif sur la possibilité d’une citoyenneté mondiale, « universelle » (3), et pointer l’absence de pensée des institutions de la citoyenneté (c’est la République qui institue la citoyenneté entendue au sens fort : le pouvoir du peuple).

Reste l’essentiel : la démocratie, dans nos sociétés, comme le souligne P. Braibant, n’est ni « bourgeoise », ni « formelle » : elle est « réelle » mais « restreinte ». La nuance est d’importance. Une béance pour tout dire. L’enjeu est bien toujours d’étendre la démocratie entendue non comme « moyen », mais comme sa « propre fin ».

C’est d’ailleurs sur cette base, et la boucle se boucle, que l’on peut remettre en cause le capitalisme. Alors que celui-ci repose sur un principe de « puissance sociale illimitée » et partant d’inégalités illimitées, la démocratie repose sur un « principe de puissance un ».

La « raison démocratique » porte en elle la remise en cause du pouvoir du capital. « Un homme, une voix » : tel est bien la rupture radicale que l’on doit lui opposer.

C’est en partant de leur situation de citoyen que l’on peut libérer les prolétaires de leurs chaînes, non en les renvoyant à leur condition subordonnée. Bref, c’est la citoyenneté qui émancipe bien plus que la « lutte des classes » (qui n’en existe pas moins).

Il y a de bonnes raisons d’être anti-capitalistes. Il en est de plus importantes encore pour ne pas s’en contenter.

(1) Marque d’un certain « politiquement correct », il n’y a guère que sur le féminisme que les marxistes ont admis (il a fallu du temps mais on ne peut que s’en réjouir) que la domination sexuée n’était pas réductible à celle du capital.

(2) P. Braibant systématise ainsi la thèse de J. Rancière bien plus qu’il ne la discute (p. 83).

(3) Cette question est évoquée dans l’ouvrage, plus théorique, de P. Braibant : La raison démocratique aujourd’hui (L’Harmattan, 2004, p. 54).

http://rennes-info.org/L-anticapitalisme-n-est-pas-un.html


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