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3 questions à... Jean Baubérot

dimanche 18 mai 2008, par Amitié entre les peuples

Jean Bauberot, titulaire de la chaire « Histoire et sociologie de la laïcité » à l’Ecole pratique des hautes études et membre de la Commission Stasi répond à la revue Regards sur l’actualité,dans son n° 298 « Etat, laïcité, religions » (extraits).

Entretien réalisé en février 2004.

Qu’est-ce que la laïcité ?

Fruit d’une longue histoire conflictuelle opposant tout au long du XIXe siècle deux visions de la France - celle de ceux qui veulent que la France redevienne « la fille aînée de l’Église (catholique) » et celle de ceux qui pensent que la France moderne doit être la fille de la Révolution de 1789 - jusqu’à la loi de séparation qui permet une pacification progressive de ce « conflit des deux France » et la construction de ce que j’appelle « le pacte laïque, la laïcité c’est, à la fois, un règlement juridique et un art de vivre ensemble.

Si l’on s’en tient au règlement juridique, la laïcité m’apparaît constituée de trois principes essentiels : le respect de la liberté de conscience et de culte ; la lutte contre toute domination de la religion sur l’État et sur la société civile ; l’égalité des religions et des convictions les « convictions » incluant le droit de ne pas croire. Il faut arriver à tenir ensemble ces trois préceptes si l’on veut éviter toute position arrogante et péremptoire. Mais évidemment, dans la pratique, les acteurs ont tendance à privilégier l’un ou l’autre de ces trois principes : les croyants se réfèrent surtout à la liberté de culte ; les agnostiques (et les anticléricaux) s’appuient plutôt sur la lutte contre la domination des religions ; quant aux minoritaires, ils insistent sur l’égalité des religions et des convictions.

Comment est née la laïcité en France ?

Pour ma part, je pense qu’il y a des laïcités au pluriel et des seuils de laïcisation. En France, le premier seuil s’est construit approximativement entre 1789 (Déclaration des droits de l’homme et du citoyen) et 1806 (création de l’Université). Sous la Révolution, la laïcisation progresse avec la proclamation explicite de la liberté de culte par la Constitution de 1791, la laïcisation de l’état civil, la création du mariage civil… Mais, en même temps, des mesures affirment l’émergence d’une religion civile avec son calendrier républicain, ses martyrs, sa déesse Liberté, sa déesse Raison. Après douze ans d’effervescence, le Consulat et l’Empire stabilisent la situation. Ils permettent à certains changements effectués depuis 1789 de perdurer et règlent durablement les rapports de l’État et des Églises grâce à ce que l’on nomme le « régime concordataire, » qui est un système de « cultes reconnus », protégés et contrôlés par l’État (qui salarie les évêques, les curés et les pasteurs). Le processus de laïcisation aboutit ainsi à une distanciation des liens Églises -État.

Le second seuil de laïcisation aboutira, lui, à une égalité formelle de cultes séparés de l’État. Il s’est construit entre 1882 (loi Jules Ferry sur l’instruction publique obligatoire) et 1905 (loi de séparation des Églises et de l’État). Signée le 9, promulguée le 11 décembre 1905, la loi de séparation met fin au système des « cultes reconnus ». « La République assure la liberté de conscience. Elle garantit le libre exercice des cultes » (mais) « ne reconnaît, ne salarie ni ne subventionne aucun culte », sauf pour des dépenses relatives à des exercices d’aumônerie. Les Églises ne sont plus de droit public, elles peuvent avoir une existence de droit privé, comme corps constitués. Elles doivent subvenir financièrement à leurs besoins, mais le parc immobilier cultuel qui appartient à l’État, aux départements et aux communes est mis gratuitement à leur disposition. Il est aussi possible d’effectuer sur fonds publics les réparations d’entretien des édifices

Quelles frontières tracer pour la laïcité ?

Celles-ci ne sont pas évidentes et varient selon les pays. Ainsi, je reviens du Canada, qui se veut une société multiculturelle ; mais l’un de nos interlocuteurs a souligné que ce multiculturalisme n’était pas un relativisme culturel, qu’il fonctionnait sous l’hégémonie d’une anthropologie des droits de l’homme. C’est à partir de cette anthropologie des droits de l’homme que l’on peut définir le « non négociable ». De ce point de vue, la polygamie, l’excision, le mariage forcé font partie du « non négociable ». En revanche, la question du port du foulard apparaît, sous cet angle, relativement anodine, en tout cas gérable. L’important, c’est de déterminer où l’on met le curseur. On a intérêt à le mettre à un endroit qui permette aux gens de faire une démarche sans avoir l’impression de devoir renier leur culture. En sachant aussi faire la distinction entre ce qui est réversible et ce qui ne l’est pas : sur ce qui est irréversible, il y a urgence, et il faut être ferme ; alors que sur ce qui est réversible, il peut y avoir négociation, dialogue, compromis, processus. L’excision, c’est tout un destin, on ne peut tergiverser. Le foulard, on peut discuter.

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