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Un cheval de Troie dans l’écologie de Marx - Daniel TANURO

lundi 18 août 2008, par Amitié entre les peuples

Energie de flux ou énergies de stock ?

Un cheval de Troie dans l’écologie de Marx

http://netx.u-paris10.fr/actuelmarx/cm5/m5ecolo.htm#1

Daniel Tanuro

Résumé

Marx appréhende la longue transition du féodalisme au capitalisme essentiellement comme un procès d’appropriation des ressources naturelles par la classe dominante. Cette analyse l’a conduit à produire une théorie de la rente foncière et minière capitaliste dont l’importance du point de vue de l’écologie est très sous-estimée, quand elle n’est pas ignorée. Bâtie sur le constat de la finitude des ressources, cette théorie contredit l’idée malencontreusement répandue que la notion de limite naturelle serait complètement absente de la pensée marxienne. Cependant, la conscience des limites chez Marx est prise en défaut dans un domaine clé : l’énergie. En effet, ni lui ni Engels ne semblent avoir compris que le passage du bois à la houille constituait un changement qualitatif majeur : l’abandon d’une énergie de flux (renouvelable) au profit d’une énergie de stock (épuisable). Alors qu’il avait saisi le mécanisme de la rupture capitaliste du cycle des nutriments et la menace qui en découlait d’un épuisement des sols - ce qui fait de lui un pionnier du développement durable dans le vrai sens du terme - Marx est passé à coté de la perturbation capitaliste du cycle du carbone et du risque que l’exploitation des sources fossiles engage l’humanité dans un cul-de-sac énergétique.

A la différence de certaines citations sur la croissance illimitée des forces productives, qui sont sujettes à interprétations et contredites à d’autres endroits de l’oeuvre, l’incompréhension de la différence qualitative entre énergie de flux et énergie de stock est implicite d’un bout à l’autre des écrits de Marx. Vu le rôle fondamental des énergies fossiles en tant que forces productives dans le capitalisme, on est amené à considérer que Marx commet ici une erreur sérieuse dans sa modélisation de ce mode de production. Cette erreur déstabilise de l’intérieur sa propre thèse écologique prémonitoire relative à la nécessaire régulation rationnelle des échanges de matière entre l’Humanité et la nature, car une telle régulation est incompatible à long terme avec la combustion des combustibles fossiles. Mais le plus grave est que l’amalgame entre énergies de flux et énergies de stock prend à revers la critique marxienne du caractère de classe de la technique et débouche ainsi, potentiellement, sur des positions incompatibles avec le matérialisme historique. Il ne s’agit donc pas d’une simple contradiction - au sens dialectique de la polarisation au sein d’un couple d’éléments qui interagissent - mais d’un antagonisme entre deux thèses incompatibles qui coexistent à la faveur d’un angle mort, d’une zone d’ombre dans la compréhension du capitalisme. De ce fait, la question énergétique constitue un véritable cheval de Troie contribuant à expliquer que le potentiel écologique du marxisme ne se soit jamais vraiment déployé.

L’erreur de Marx n’a pas été corrigée par ses successeurs. En premier lieu, ceux-ci ont négligé de questionner la manière dont le système capitaliste avait solutionné le problème des sols (par la production industrielle d’engrais). En deuxième lieu et surtout, ils se sont montrés incapables d’utiliser le concept de ‘métabolisme social’ pour appréhender d’autres problèmes de rupture des cycles et de pression sur les ressources, notamment dans le domaine clé de l’énergie. Faute d’être utilisé pour relever de nouveaux défis, le concept marxien de « métabolisme Humanité-nature » est tombé dans l’oubli, y compris pour les marxistes eux-mêmes, et ce alors que le développement capitaliste et la montée des préoccupations écologiques en rendaient la pertinence de plus en plus manifeste. Non seulement le stalinisme, mais l’ensemble des courants qui se réclament du marxisme portent peu ou prou la responsabilité de cette situation. Tous en subissent aussi les conséquences. Ce fait contribue notamment à expliquer qu’ils aient tous raté le rendez-vous avec la question environnementale, dans le dernier tiers du 20e siècle.

L’analyse qui est développée ici se distingue de celles d’autres auteurs qui se sont penchés sur les rapports entre Marx, le marxisme et l’écologie. D’une part, elle reconnaît la cohérence, la consistance et l’importance de l’apport marxiste au combat environnemental, mais ne se satisfait pas de la thèse d’un Marx écologiste que ses émules auraient mal compris parce qu’ils avaient tourné le dos aux sciences naturelles. D’autre part, elle juge insuffisant de considérer que des prises de position antagoniques - tantôt productivistes, tantôt écologistes avant la lettre - pourraient n’être rien d’autre que l’expression d’une pensée en recherche, ouverte sur différentes pistes. En identifiant chez Marx une erreur majeure, circonscrite mais aux implications globales, présente systématiquement dans toute l’oeuvre, on fournit une clé pour comprendre comment un certain nombre de formulations irréconciliables ont pu se développer de l’intérieur même de sa théorie, chez lui et plus encore chez ses successeurs, et ce en dépit du fait que cette théorie est essentiellement aux antipodes du productivisme. La critique écologique de Marx s’en trouve à la fois approfondie et resserrée.

En conclusion, l’importance du concept de »système énergétique » est soulignée. Il en ressort que la mise en évidence du caractère de classe du système énergétique capitaliste constitue une condition sine qua non pour que les marxistes s’insèrent de plain pied dans la lutte environnementale en général, et climatique en particulier, en y apportant leur capacité de formuler des propositions globales, ouvrant la voie vers une alternative de société.

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I

La tragédie de l’appropriation des communs

La lente décomposition du féodalisme est appréhendée par Marx et Engels comme un processus d’appropriation par la classe dominante des ressources naturelles utilisées collectivement par les populations rurales. Dans ce mouvement général d’accaparement, une place particulière mérite d’être réservée à l’appropriation du bois-énergie, car elle balise le chemin vers l’appropriation capitaliste de la houille lors de la Révolution industrielle, et des autres énergies fossiles par la suite. On ne s’étendra pas ici sur l’important problème social posé par la privatisation des forêts : au cours de la ’Guerre des Demoiselles’ dans l’Ariège, jusqu’à 1500 insurgés menèrent pendant vingt ans une guérilla contre les charbonniers et contre le Code forestier de 1827 – qui interdisait le glanage du bois mort, les coupes, le pâturage, la chasse, la pêche et la cueillette ; en Prusse, vers 1840, les condamnations pour vol de bois représentaient plus de 80% des affaires criminelles jugées par les tribunaux. L’intérêt du jeune Marx pour ces questions est bien connu de ses partisans et vient opportunément d’être remis en perspective par Daniel Bensaïd[1].

Moins connu est le fait que les expropriateurs ont toujours prétendu agir pour protéger la ressource. Cette prétention écologique est magistralement mise en scène par Balzac dans son roman ’Les Paysans’, où de pauvres brutes incultes vont jusqu’au crime pour pouvoir continuer à piller la forêt. Dans la même veine, Jared Diamond, dans Collapse, son nouveau best-seller, juge bon de rendre hommage aux hobereaux allemands du 16e siècle qui s’enorgueillissaient d’avoir sauvé les bois en imposant leur droit de propriété par la force, lors de la ’Guerre des paysans’[2]. Toute une littérature propage le mythe que le bien commun serait synonyme de pillage écologique, tandis que le ’despotisme environnemental éclairé’ des propriétaires garantirait une gestion soutenable des ressources. Cette thèse a-historique a même été hissée au rang de vérité scientifique par Garrett Hardin dans une publication qui a rencontré tant d’écho que son titre – ’La tragédie des communs’ - fait désormais office d’expression consacrée dans le jargon de nombreux environnementalistes[3]. Et les enjeux sont loin d’être purement académiques. La soi-disant ’tragédie’ de Hardin sous-tend par exemple les tentatives idéologiques d’imputer la destruction de la forêt tropicale aux communautés indigènes pratiquant la culture collective sur abattis-brûlis, et ce en dépit des évidences de terrain, qui accusent en premier lieu la course au profit des multinationales et la corruption[4]. Par ailleurs, le dogme de la supériorité de la propriété privée capitaliste du point de vue de la durabilité imprime sa marque dans toute une série de domaines environnementaux qui vont de l’appropriation de l’eau à celle de l’air, en passant par le brevetage du vivant.

C’est un fait que le pâturage des troupeaux en forêt, au Moyen-Age, a pu causer de sérieux dégâts environnementaux (formation de landes à podzol, notamment). La prétention écologique des propriétaires et de leurs thuriféraires s’appuie sur des éléments de ce genre. Pourtant, l’appropriation des forêts eut des conséquences au moins aussi sévères, et à bien plus large échelle : recul du taillis sous futaie, monocultures exploitées par coupe à blanc, déforestation galopante puis plantation massive de résineux contribuèrent à la dégradation des sols, à l’ensablement des voies navigables, à l’acidification des eaux et au déclin de la biodiversité. Les plus grandes causes de destruction furent le prélèvement de grumes pour la construction navale, puis la production de charbon de bois pour l’industrie naissante. Le pillage populaire aveugle des forêts et de leurs produits eut un impact également, mais ce phénomène ne peut pas être appréhendé indépendamment de la pauvreté, de la généralisation des relations marchandes et de la dissolution des liens communautaires traditionnels (qui englobent les rapports avec l’environnement). L’un dans l’autre, l’ampleur des destructions fut telle que le pouvoir politique dut prendre des mesures, mais la sauvegarde de la ressource servit alors de prétexte pour accentuer l’appropriation et réduire encore plus les droits communaux.

La perte des communs, pour paraphraser Hardin, fut à coup sûr une ‘tragédie’ pour les masses populaires, et c’est la raison pourquoi cette longue histoire est jalonnée de nombreuses luttes sociales. Les fondateurs du marxisme se sont penchés plus particulièrement sur une des plus fameuses d’entre elles : la ’Guerre des Paysans’, en Allemagne, à laquelle Engels consacra un ouvrage devenu classique. Or, il est à noter que les insurgés de 1525, dans leur cahier de revendications, reconnaissaient la nécessité d’empêcher le pillage des forêts par les populations, démasquaient les prétentions écologiques de la noblesse et proposaient une alternative qui garde un petit parfum d’écologie populaire : l’élection d’une commission chargée de protéger la ressource. Le cinquième point de leur charte dit en effet ceci : ’Nos seigneurs se sont appropriés tous les bois, et si l’homme pauvre a besoin de quelque chose, il faut qu’il l’achète pour un prix double. Notre avis est que tous les bois que des ecclésiastiques ou des laïques possèdent sans les avoir achetés doivent redevenir la propriété de la commune entière, et qu’il doit être à peu près libre à quiconque de la commune (…) d’y prendre du bois sans le payer. Il doit seulement en instruire une commission élue à cette fin par la commune : par là sera empêchée l’exploitation’[5]

Il est probable que Marx et Engels connaissaient ce texte remarquable, mais ils ne le citent pas. D’une manière générale, ils ne semblent pas avoir mis particulièrement en évidence la dimension ’protection des ressources’ qui est présente dans les conflits sociaux autour des produits de la forêt. Ils ne paraissent pas davantage avoir répondu explicitement à l’argument écologique des expropriateurs. Toutefois, leur dénonciation des destructions causées par la gestion forestière bourgeoise peut être considérée comme une réponse indirecte. Il faut notamment relever que, pour Marx, le rapport capitaliste d’exploitation est totalement inapproprié à un secteur tel que la forêt, où le ’travail de la nature’ représente la plus grande partie d’un processus productif dont la longueur s’accommode mal de la course au profit à court terme. Nous ne nous attarderons pas davantage sur ce point : ce qui a été dit suffit à conclure que la critique marxiste de l’appropriation des ressources est « écologiquement très correcte ». Les choses changent avec l’analyse de la Révolution industrielle. En cette matière, la relecture de Marx d’un point de vue environnemental débouche sur une appréciation beaucoup plus contrastée.

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II.

La théorie marxiste de la rente : une richesse écologique méconnue

Chacun sait que la Révolution industrielle, sur le plan énergétique, se caractérise essentiellement par le passage aux combustibles fossiles, sans lesquels elle n’aurait tout simplement pas été possible. Or, si l’on considère ce passage sous l’angle de son impact environnemental, on constate que l’analyse marxienne présente à la fois un point fort gravement sous-estimé, voire ignoré (y compris par des marxistes) – la théorie de la rente - et une erreur qui, parce qu’elle n’a pas été corrigée, a pesé et pèse encore très lourdement sur la relation entre marxisme et écologie : la non prise en compte de la différence qualitative entre flux et stock énergétiques. On traitera successivement les deux aspects.

Du point de vue social, l’appropriation des gisements de houille était dans le droit fil de celui des forêts. Par conséquent, Marx et Engels étendirent sans difficulté la théorie de la rente foncière au cas particulier de la rente minière. L’idée que les auteurs du Manifeste Communiste n’avaient aucune conscience des limites naturelles étant fort répandue, il convient d’insister sur le fait que leur théorie de la rente et leur explication de la formation du capitalisme sont bâties en réalité sur le constat de la finitude des ressources terrestres. Marx l’écrit très clairement dans Le Capital : le caractère limité du sol (et des richesses du sous-sol) est la condition sine qua non de son appropriation, donc aussi de son ’enclosure’, de l’expulsion des habitants et de la formation d’une classe de gens sans feu ni lieu, séparés de leurs moyens de production, obligés de vendre leur force de travail : le prolétariat. De plus, c’est parce qu’elle contrôle la totalité d’une ressource finie (la terre cultivable) que la classe des propriétaires fonciers peut imposer ses conditions au reste de la classe dominante et à la société en général : prélever un surprofit en vendant ses produits à la valeur déterminée par leur production sur les plus mauvaises terres (ou par leur extraction dans les mines les moins productives)[6] – autrement dit les soustraire à la péréquation générale du taux de profit - et pérenniser ce surprofit sous forme de rente.

Certains ont décrit cette théorie comme une curiosité un peu obsolète : ’La question de la rente foncière occupe une grande place dans l’oeuvre de Marx parce qu’elle est importante dans les sociétés de son temps’, écrit par exemple Claude Gindin[7]. D’autres, comme JP Deléage, ont déploré que Marx, en se focalisant sur cette question, ait envisagé ’le rapport société/nature dans le cadre d’une théorie purement économique’.[8] Ces deux affirmations passent à côté de l’essentiel. D’une part, on constate aisément que la rente foncière capitaliste n’a pas disparu[9]. D’autre part, loin d’être purement économique, la théorie marxiste de la rente fournit la clé pour appréhender le mode particulier d’intensification capitaliste de la production agricole et minière, qui est une des manifestations majeure de la dynamique écodestructrice de ce mode de production[10]. Le mécanisme est simple et parfaitement décrit par Marx : puisque tout investissement en capital sur une surface de sol donnée (machines, engrais, pesticides,... OGM, etc.) grossit le surprofit transformé en rente, l’agrobusiness pousse la mécanisation et accroît la quantité d’intrants à l’hectare. La même chose vaut, mutatis mutandis, pour l’industrie extractive : c’est la course à la rente qui presse le capital minier d’accroître le gigantisme des installations, la productivité des technologies extractives, la profondeur des puits et des forages, etc.

La théorie de la rente n’est pas tombée complètement dans l’oubli. Certains marxistes parmi les plus créatifs de la seconde moitié du 20e siècle se sont ainsi concentrés sur la rente technologique dans l’industrie, en liaison notamment avec l’analyse des ondes longues du capitalisme.[11] Mais l’intérêt pour la rente foncière ou minière s’est émoussé. Cette tendance s’est prolongée, à tel point qu’aujourd’hui bien des personnes se réclamant du marxisme ignorent quasiment tout des travaux de Marx sur ces questions, ou pensent comme Claude Gindin qu’ils n’ont plus guère d’actualité. Il semble donc utile d’ouvrir une parenthèse pour montrer concrètement que le chantier entamé par Marx reste fécond, notamment dans des domaines relevant de la politique environnementale, ou du débat théorique sur les relations humanité/nature. On prendra deux exemples : le poids de la rente pétrolière dans la riposte aux changements climatiques, d’une part, et la controverse sur la mise en formule de l’impact environnemental du genre humain, d’autre part.

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III.

Deux exemples d’application : la rente pétrolière et la controverse sur « IPAT »

De nos jours, une des manifestations les plus frappantes de l’actualité de la théorie de la rente est probablement la lenteur inquiétante avec laquelle le libéralisme mondial réagit à la menace du changement climatique. Selon des spécialistes du marché de l’énergie, en effet, la rente pétrolière serait comprise actuellement entre 1000 et 1500 milliards d’Euros par an[12]. Il est évident que ce surprofit vertigineux est une des raisons pour lesquelles le capitalisme contemporain montre tant de réticences à commencer d’envisager de renoncer un jour, peut-être, aux combustibles fossiles. Face à cette situation, c’est peu dire que réinvestir la théorie de la rente aiderait les marxistes à formuler des propositions anticapitalistes enracinées dans la problématique écologique elle-même, au lieu, comme certains le font trop souvent, de plaquer sur celle-ci une propagande anticapitaliste abstraite... Nous y reviendrons en conclusion de cet essai.

La rente, en effet, est une poule aux oeufs d’or. Pour la sauver, le très puissant secteur du capital investi dans l’industrie énergétique préfère se lancer dans l’exploitation coûteuse, polluante et énergivore des schistes bitumineux, ou dans les technologies du ’charbon propre’ (avec stockage géologique du CO2), plutôt que dans le développement prioritaire du solaire photovoltaïque. S’il est absurde du point de vue de la gestion durable des ressources, ce choix est par contre tout à fait rationnel du point de vue du ‘développement durable’ des profits. En effet, il est impossible de percevoir une rente sur le rayonnement solaire en tant que tel. Flux énergétique diffus, difficilement appropriable et quasiment illimité à l’échelle humaine, l’énergie solaire peut certes générer des profits mais elle ne peut devenir source de surprofit dans le secteur énergétique que par sa conversion en produits monopolisables, générés sur des surfaces terrestres - donc finies - accaparées par le capital. La ruée absurde sur les agrocarburants et sur la biomasse en général comme source d’énergie alternative s’explique notamment par le fait que les plantes vertes ont la propriété de transformer l’insaisissable énergie lumineuse en énergie chimique appropriable et stockable sur des sols générateurs de rente.

On objectera peut-être que des groupes pétroliers comme BP, Shell, etc, ne restent pas inactifs sur le front des énergies renouvelables. Le contraire serait étonnant : s’ils veulent maintenir leur puissance, ces groupes doivent forcément se diversifier, ne fût-ce que pour parer aux tensions croissantes sur le front de l’approvisionnement en hydrocarbures. Mais la manière dont ils testent les possibilités de mettre en oeuvre les dispositifs alternatifs conforte notre argumentation plutôt que la déforcer. En effet, leurs réalisations dans ce secteur se font dans le cadre d’installations de production centralisées (centrales photovoltaïques sur plusieurs hectares ou tours de concentration du solaire thermique). Pour la consommation domestique, la décentralisation (installation de panneaux sur toutes les constructions) serait infiniment plus rationnelle du point de vue thermodynamique... mais elle abolirait le monopole énergétique, donc la rente, et mettrait pour ainsi dire le moyen de production ’électricité’ aux mains des producteurs, ce qui est contraire à la logique du capital...

L’intérêt des travaux de Marx sur la rente est manifeste aussi du point de vue de l’intervention dans certains débats théoriques de l’écologie. On prendra ici l’exemple des controverses relatives au mode de calcul de l’impact environnemental des sociétés humaines. En préalable, il faut savoir qu’existe en la matière une formule de référence, dite ’formule IPAT’. Bien connue des écologistes, elle s’écrit comme suit[13] :

I = P x A x T

où I = impact environnemental, P = population, A = richesse et T = technologie

Il faut savoir aussi qu’IPAT ne fait pas l’unanimité. Exemple : les auteurs de la méta-analyse de la déforestation tropicale évoquée plus haut, constatent empiriquement qu’IPAT ne rend pas compte des facteurs sous-jacents décisifs que sont la corruption et la recherche de profit[14]. Une autre critique, encore plus intéressante, est avancée par JP van Ypersele et F. Bartiaux : étudiant le rôle présumé du facteur démographique dans le changement climatique, ces auteurs ont démontré que l’agrégation des données biaise complètement l’analyse lorsqu’IPAT est utilisée globalement pour estimer l’impact d’un ensemble hétérogène de pays[15].

Cette remarque méthodologique est particulièrement importante, car on ’sent’ bien qu’IPAT, tout en se présentant comme une formule équilibrée, donne de facto une importance prépondérante au facteur population (notamment parce qu’il est plus facile à chiffrer que les autres) et détourne ainsi l’attention de la façon dont le mode social de production/consommation ainsi que la structure de classe de la société déterminent l’impact environnemental.

Le cadre d’analyse tracé par Marx aide à étayer cette intuition. On constate en effet deux choses :

1. IPAT ne permet absolument pas de rendre compte de la dynamique écodestructrice de la course à la rente, telle qu’évoquée plus haut ;

2. Ce défaut ne peut pas être corrigé dans le cadre de la formule : en effet, puisque la rente ’R’ est une portion de la richesse sociale ’A’ accaparée par une fraction de la population ’P’, il ne suffit pas d’ajouter un facteur ’R’ à l’équation pour que celle-ci soit correcte (en d’autres termes il ne suffit pas d’écrire I = P x A x T x R) .

La théorie de la rente permet ainsi de systématiser un certain nombre de critiques d’IPAT au sein de la communauté scientifique et de les faire converger vers une conclusion générale : cette formule est inadéquate à la discussion des problèmes environnementaux de notre époque. Elle ne peut mesurer que l’impact d’une communauté humaine homogène (telle que les sociétés dites ’primitives’), soustraite à toute autre influence. Elle est fausse dans tous les autres cas :

* soit parce qu’elle n’établit aucune différence historique entre les modes de production ;

* soit parce que, au sein d’un même mode, elle agrège des données relatives à des classes sociales ou à des groupes de pays dont le rôle dans l’impact environnemental global est complètement différent ;

* soit encore parce que, appliquée à un groupe social particulier au sein d’une société de classe, elle fait abstraction du fait que la relation de ce groupe avec l’environnement est déterminée socialement.[16]

Cette conclusion est d’une importance non négligeable dans la lutte idéologique contre les courants néo-malthusiens dont l’influence gagne du terrain, au sein de l’écologie en tant que science comme parmi les associations environnementalistes.

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IV.

Du bois à la houille : ce que Marx et Engels n’ont pas vu

Refermons cette parenthèse sur la rente et venons-en au deuxième volet de notre discussion : l’erreur commise par Marx et Engels dans l’analyse de la Révolution industrielle en tant que révolution énergétique. Cette erreur consiste en ceci que l’auteur du Capital et son ami n’ont tout simplement pas saisi l’énorme portée historique et écologique du passage d’un combustible renouvelable, produit de la conversion photosynthétique immédiate du flux solaire – le bois, à un combustible de stock, produit de la fossilisation du flux solaire et par conséquent épuisable à l’échelle historique des temps - le charbon. Il en résulte en premier lieu un défaut dans le bouclage de l’analyse du capitalisme et en deuxième lieu une incohérence de Marx par rapport à l’outil conceptuel -le ’métabolisme social’- qu’il a lui-même élaboré pour appréhender les rapports entre l’humanité et la nature. Nous examinerons d’abord ces deux aspects après quoi, à la section suivante, nous aborderons d’autres implications sur le plan du programme et de la vision marxiste du développement.

Marx est, par excellence, un penseur de la globalité et de la contradiction. Or, dans ce cas précis, un aspect déterminant lui échappe : il distingue dans la Révolution industrielle la continuité du processus social d’appropriation des ressources (entamé quelques siècles plus tôt avec le bois) mais passe à côté d’un facteur de discontinuité majeur : la transition du bois à la houille comme ressource énergétique. Son analyse, du coup, omet de prendre en compte certaines modifications sociales structurelles. En effet, même approprié par les landlords, le bois restait malgré tout assez largement accessible (fût-ce par le vol) parce que très répandu sur tout le territoire. Il n’en va pas de même du charbon, raison pour laquelle le recours à ce combustible a favorisé en soi la concentration de la propriété des sources énergétiques ainsi qu’une centralisation croissante de la conversion énergétique (en tant que formes particulières de la concentration et de la centralisation du capital) et une séparation spécifique du producteur d’avec ses moyens de production énergétiques. Ce point échappe à Marx. Mais le plus important est ceci : alors qu’il a parfaitement saisi que la tendance du capital à croître sans limite épuise en général ’les deux seules sources de toute richesse -la terre et le travailleur’, Marx n’aperçoit pas la contradiction particulière entre la dynamique du système et la base énergétique sur laquelle il se développe - le stock limité de combustibles fossiles. Il y a ici un véritable ’défaut de globalité’. Marx, à juste titre, introduit la section du Capital sur la rente foncière en écrivant que ’sans elle l’analyse du capital ne serait pas complète’. Or, faute de saisir la différence qualitative entre une énergie de flux et une énergie de stock, l’analyse n’est pas complète non plus.

Ceci nous amène au deuxième aspect : l’incohérence de Marx en cette matière par rapport à l’outil conceptuel avec lequel il appréhende les relations Humanité-nature. Grâce aux travaux de Liebig, Marx a compris que l’urbanisation capitaliste implique la rupture du cycle des nutriments (le fumier humain et les déchets végétaux ne retournent pas à la terre), donc la menace d’une perte de fertilité des sols, irréparable à l’échelle humaine des temps. Fidèle à sa méthode scientifique - aller du fait au concept pour ensuite appréhender le fait dans ses déterminations conceptuelles - Marx généralise la problématique au plus haut niveau, pose la question des ’échanges de matières’ entre le genre humain et son environnement et parvient ainsi à cette conclusion, tout à fait géniale pour son époque : ’la seule liberté possible’ réside dans ’la gestion rationnelle’ des échanges de matière, autrement dit du ’métabolisme social’ entre Homo sapiens et son milieu. Revenant ensuite au problème particulier des sols, il débouche sur une conclusion programmatique très audacieuse, mais d’une logique imparable : il faut abolir la séparation entre ville et campagne. Quelque peu délaissée par ses successeurs (on verra plus loin pourquoi), cette perspective est pour lui aussi importante que l’abolition de la séparation entre travail intellectuel et manuel, à laquelle elle est d’ailleurs liée. Mais ce n’est pas tout : dans la mesure où Marx identifie non seulement l’urbanisation mais aussi le commerce mondial (des fibres, notamment) comme une cause de rupture des échanges de matières, on peut considérer que son analyse est potentiellement porteuse d’une perspective de relocalisation des marchés agricoles. Cette conclusion programmatique n’est pas explicitée dans son oeuvre, mais elle semble devoir accompagner assez logiquement la remise en cause de la séparation entre villes et campagnes.

On reste confondu d’admiration en voyant avec quelle puissance Marx, à partir d’une simple question de fumier, et grâce au concept de métabolisme social, déplie une série de conclusions plus ou moins élaborées, plus ou moins abouties, qui confèrent une ampleur et une profondeur insoupçonnée à la transformation révolutionnaire de la société et donc de son rapport avec l’environnement. En même temps, on ne peut s’empêcher de songer qu’il est passé ici ‘à côté de la montre en or’ écologique. En effet, du point de vue de l’échange de matières, la question des sols et celle des ressources énergétiques sont tout à fait analogues. Dans les deux cas le problème posé relève de la différence entre le rythme d’exploitation de la ressource et la vitesse de reconstitution naturelle de celle-ci, donc de la gestion rationnelle des cycles, donc de la place de l’humanité dans ceux-ci, c’est-à-dire du fameux ’métabolisme social’. On peut ainsi imaginer que, s’il avait eu conscience de la différence qualitative entre une énergie de flux et une énergie de stock, le même mouvement de la pensée à l’aide du même concept aurait amené Marx :

1° à entrevoir l’impasse énergétique dans laquelle le capitalisme risquait d’entraîner l’humanité ;

2° à en tirer une autre conclusion programmatique audacieuse : la nécessité à terme d’un arrêt quasi-complet de l’exploitation des énergies de stock (la vitesse de reconstitution est tellement lente que l’exploitation ne peut se faire qu’au compte-gouttes).

Mais il ne l’a pas fait et, sur ce point clé, son système est vraiment en défaut.

Pour que cette critique demeure raisonnable, il convient évidemment de tenir compte du contexte de l’époque. Ainsi, il ne saurait être question de reprocher à Marx et Engels de n’avoir pas anticipé sur le réchauffement planétaire dû à la combustion des combustibles fossiles. Le rôle du CO2 comme gaz à effet de serre naturel était certes connu depuis 1861 (grâce aux travaux de John Tyndall), mais personne n’imaginait à l’époque que les infimes modifications de la composition atmosphérique dues à la combustion du charbon suffiraient à réduire significativement le rayonnement thermique de la Terre vers l’espace [17]. Ce qu’on peut déplorer, par contre, c’est l’absence de réflexion prospective sur les limites physiques du stock de houille, et les conséquences qui en découleraient tôt ou tard (Le Capital évoque brièvement le problème de l’épuisement des mines mais n’accorde pas d’attention particulière à l’épuisement des gisements de houille). Surtout, le fait que Marx et Engels n’aient pas acté le saut qualitatif du bois au charbon de terre les a empêchés de voir que la nécessaire ’gestion rationnelle des échanges de matières’ ne constitue pas une solution tous-terrains : elle trace une perspective de gestion durable dans le cas d’une ressource énergétique limitée mais renouvelable (la biomasse, énergie solaire convertie en énergie chimique par la photosynthèse, est renouvelable mais forcément limitée par la surface terrestre), mais pas dans le cas de ressources énergétiques de stock, non seulement limitées mais épuisables, non recyclables et irremplaçables à l’échelle du temps historique.

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V.

Un cheval de Troie dans le marxisme

La mise en évidence de cette erreur de Marx conduit à nuancer certains jugements trop catégoriques sur le statut de la technologie dans sa pensée. Pour éclaircir ce point, on partira du philosophe Hans Jonas, qui impute à Marx l’opinion que les technologies sont neutres. Dans son célèbre « Principe responsabilité », Jonas explique que l’utopie marxiste consiste essentiellement à libérer la croissance des forces productives, sans remettre en cause ces forces elles-mêmes, de sorte que le socialisme ne serait rien d’autre qu’une idolâtrie de la technique, un productivisme débarrassé de ses complexes, un productivisme sans tabou.[18]

D’une manière générale, il est évident que cette thèse est à l’opposé de la démarche intellectuelle de Marx, pour qui aucune activité ou réalisation humaine n’est neutre, puisqu’elles sont toutes historiquement et socialement déterminées. La technologie n’échappe pas à la règle : parlant du sort de la classe salariée embryonnaire avant la Révolution industrielle, aux 15e-16e siècles, Marx note par exemple que « le mode de production technique ne possédant encore aucun caractère spécifiquement capitaliste, la subordination du travail au capital n’était que dans la forme ».[19] Cette phrase ne laisse absolument aucun doute sur le fait que la technologie de la Révolution industrielle, pour Marx, est propre au capitalisme et a été taillée sur mesure pour ses objectifs. Cette conception sous-tend d’ailleurs sa violente dénonciation du machinisme, des ’capitalistes ingénieurs’, de la science capitaliste, etc[20].

A première vue, il semble donc inutile de s’attarder plus longuement sur la thèse de Jonas, sinon pour noter qu’elle bénéficie d’un effet de mode : le progrès capitaliste étant discrédité (à juste titre !), il est commode aujourd’hui de dépeindre les marxistes comme des partisans aveugles du progrès à tout prix… On oublie simplement, ou feint d’oublier que, quand le progrès était en vogue, Marx et Engels étaient au contraire accusés d’embellir la société féodale afin de mieux noircir le capitalisme ![21] On trouve toujours un bâton pour frapper un chien…

Pourtant, notre analyse suggère qu’il pourrait y avoir malgré tout, dans la thèse de Jonas, une certaine part de vérité, mais une part qu’il ne discerne pas lui-même. Et c’est ici que l’affaire devient intéressante. En effet, la non prise en compte de la différence qualitative entre énergies de flux et de stock débouche assez spontanément sur la conclusion que les filières énergétiques sont neutres, même si les technologies ne le sont pas. Or, cette conclusion n’est pas sans implications sociales. En effet, même basées sur des technologies identiques, des filières énergétiques différentes impliquent en général des systèmes énergétiques différents, donc une organisation socio-économique sensiblement différente. C’est ainsi qu’une filière énergétique basée sur la combustion de biomasse sera forcément moins centralisée qu’une autre basée sur la combustion du charbon, de sorte qu’elle impliquera des installations de taille plus modeste. Pourtant, techniquement, une chaudière à bois ne diffère pas qualitativement d’une chaudière à charbon et la machine à vapeur qu’elle met en mouvement est la même. Autrement dit : les deux systèmes énergétiques diffèrent alors que leurs technologies sont fondamentalement identiques. Ce fait a pu accréditer l’idée de neutralité des sources énergétiques au début du développement capitaliste, ou du moins, plus probablement, faire en sorte qu’on ne se posât pas de question à ce sujet[22]. Mais le brouillard se lève – et le piège se referme - lorsqu’on compare une filière thermique classique (à bois ou à combustible fossile) à la filière nucléaire, par exemple : dans ce cas, en effet, non seulement les systèmes mais aussi les technologies diffèrent et l’incompatibilité avec le point de départ de l’analyse – le caractère historiquement et socialement déterminé de la technologie - se révèle d’un seul coup. A ce moment-là, le marxiste qui aura accepté l’hypothèse de la neutralité des sources énergétiques, ou qui l’aura considérée comme allant de soi, se trouvera inévitablement confronté à un gros problème.

A partir de l’erreur de Marx, on peut donc pointer trois niveaux de dérapages successifs possibles des marxistes dans le domaine énergétique :

1 la non prise en compte de la différence qualitative entre énergie de flux et énergie de stock peut faire germer l’idée de la neutralité des sources et des filières énergétiques ;

2 la neutralité des filières énergétiques peut suggérer l’idée que le choix entre systèmes énergétiques centralisés et systèmes énergétiques décentralisés serait neutre également, donc aussi que la taille des équipements ne présenterait aucun enjeu social spécifique. Or, au-delà d’une phase initiale de développement, et sans tomber dans les aberration du « Grand Bond en Avant » maoïste, il semble évident qu’une société gérée démocratiquement par les producteurs associés implique la plus grande décentralisation technique rationnellement possible dans le cadre de la planification politique et sociale la plus globale possible ;

3 dans la mesure où des systèmes énergétiques différents impliquent des technologies différentes, l’idée de neutralité des sources et des filières peut conduire à faire rentrer par la fenêtre du marxisme la ’neutralité technologique’ que Marx a fait sortir par la porte... parce qu’elle est incompatible avec la conception matérialiste historique du développement humain.

Ces dérapages ont évidemment des implications majeures du point de vue écologique. Marx lui-même n’a pas eu l’occasion de les commettre explicitement, mais le premier, et en partie au moins le second, sont implicites dans son oeuvre. Selon nous, ces dérapages sont favorisés dans une certaine mesure par le côté quelque peu fourre-tout de la notion de « forces productives ». En effet, la force de travail humaine mise à part, Marx, à partir des points de vue qu’il adopte, notamment du point de vue de la formation de valeur, n’est pas amené à différencier systématiquement les ressources énergétiques consommées dans le procès de production des autres forces productives matérielles[23]. Il est donc par trop facile d’affirmer catégoriquement que les hésitations et les aveuglements de certains courants marxistes face à la technologie de l’atome, par exemple, ou face au gigantisme industriel, sont complètement déconnectés de l’analyse de leur maître éponyme : ils peuvent plonger leurs racines dans la zone d’ombre de cette analyse et découler de l’erreur qui s’y cache, de sorte qu’il sera plus productif intellectuellement de les considérer comme des témoins dérangeants, donc stimulants, de sa nature inachevée, plutôt que comme des hérésies.[24]

Sur le plan théorique ou philosophique, ces dérapages, dans la mesure où ils se concrétisent, aboutissent en fin de compte à mettre le marxisme en opposition avec certaines de ses prémisses fondamentales, notamment la conception matérialiste historique de la technique et du développement. En termes dialectiques, une telle configuration ne peut pas être considérée comme une contradiction, c’est-à-dire comme une situation de conflit entre deux éléments polarisés et interagissant. Alors que la solution d’une contradiction réside dans le dépassement/la synthèse/l’abolition (aufhebung) des deux termes polarisés, il n’y a pas de dépassement/synthèse/abolition possible des deux thèses que sont « la croissance illimitée des forces productives », d’une part, et « la régulation sociale rationnelle des échanges de matières avec la nature », d’autre part. L’un des deux termes doit être supprimé au profit de l’autre. Nous sommes dans le cas d’une incohérence, voire d’un antagonisme.

L’erreur initiale susceptible de déboucher sur cet antagonisme peut paraître peu importante, surtout si on la replace dans le contexte de l’époque. Mais elle porte sur la question énergétique, c’est-à-dire sur un domaine absolument décisif qui contribue de façon prépondérante à structurer les activités humaines, dans tout mode de production particulier. Petites causes, grandes conséquences : la centralité de la question explique l’ampleur des possibles implications en cascade jusqu’à un niveau de plus en plus global, où le système de départ peut, in fine, devenir méconnaissable.

Ce système, il convient de le rappeler, est basé sur l’opposition irréductible à la production de marchandises, à la loi de la valeur, donc à la logique de l’accumulation. Ses concepts sont incontournables pour appréhender la double crise environnementale et sociale. L’alternative qu’il implique - la production démocratiquement organisée de valeurs d’usage et la reconquête du temps libre - est fondamentalement aux antipodes du productivisme, du technocratisme et du gigantisme industriel (Marx lui-même dénonce le « produire pour produire » et le « consommer pour consommer » capitaliste)[25]. Pourtant, dans un coin sombre du dispositif, un cheval de Troie oublié porte dans ses flancs le danger de la contamination, et ce cheval de Troie – l’amalgame entre sources épuisables et sources renouvelables à l’échelle historique des temps - a été laissé là par Marx lui-même, qui n’en avait pas soupçonné l’ existence.

***

VI.

Un nouvel éclairage sur le débat « Marx, marxisme et écologie »

La mise en évidence de la ’faute énergétique’ de Marx jette un nouvel éclairage sur le débat relatif aux rapports entre Marx, le marxisme et l’écologie. Notre but dans cette section n’est certes pas de commenter les nombreuses contributions que l’étude de ces rapports a suscitées, mais de montrer comment l’analyse ébauchée ici peut questionner celles d’autres marxistes, redistribuer les cartes, voire ouvrir la voie à de nouvelles recherches. Pour ce faire, nous discuterons brièvement les opinions de deux auteurs qui contribuent de façon déterminante à « l’écologisation du marxisme » : John Bellamy Foster et Michaël Löwy. Ce choix est motivé par la qualité et l’intégrité de leurs travaux, mais aussi par le fait que leurs appréciations de Marx sous le rapport de l’écologie sont extrêmement différentes et, jusqu’à un certain point, opposées : pour Foster il y a une ‘écologie de Marx’, tandis que, pour Löwy, l’auteur du Capital a eu des intuitions, sans vision écologique d’ensemble.

Dans son excellent ouvrage, Marx’s Ecology, John B. Foster considère que la conception matérialiste de la nature, le rejet de la loi de la valeur et la notion de ’régulation rationnelle’ du ’métabolisme social’, notamment, autorisent à parler d’une ’écologie de Marx’[26]. Cette réhabilitation est opportune face aux inepties débitées par ceux qui croient pouvoir imputer à Marx la catastrophe de Tchernobyl ou l’assèchement de la Mer d’Aral (ce qui est aussi stupide, notons-le en passant, que d’imputer les crimes de l’Inquisition à Jésus-Christ). Par ailleurs, face aux marxistes, à l’interne pourrait-on dire, la démonstration de Foster a le mérite d’inviter chacun à s’interroger sur ses propres lacunes et à ne pas se défausser sur Marx du rendez-vous raté avec l’écologie dans le dernier tiers du 20e siècle.

En dépit de l’analyse critique développée ci-avant, il nous semble qu’on peut effectivement suivre Foster jusqu’à un certain point et parler d’une ‘écologie de Marx’. Pas au sens d’une vision globale sur la dimension écologique de la transformation socialiste – cette vision n’apparaît que de façon fugitive, notamment dans le célèbre passage sur la « régulation rationnelle des échanges de matières » en tant que « seule liberté humaine possible » - mais au sens où l’œuvre de Marx met en place une série de concepts indispensables pour appréhender la crise environnementale dans sa détermination historique, en tant que crise du lien entre l’humanité et son environnement, donc en tant que crise sociale (en ce sens, Serfaty et Chesnais ont raison de considérer que l’expression « crise écologique » est erronée)[27]. Cependant, il est absolument impératif de préciser dans la foulée que cette ’écologie’ présente un défaut majeur : elle ne saisit pas la différence entre énergie renouvelable et énergie épuisable à l’échelle historique. Or, ce détail, qui n’en est décidément pas un, contribue à expliquer que cette écologie, paradoxalement, ne se soit nulle part déployée comme telle, ni dans la pratique, ni dans la théorie[28]. On peut certes considérer que Marx bénéficie de circonstances atténuantes, mais taire le problème c’est risquer de verser dans l’apologie, s’interdire d’identifier les vraies responsabilités dans l’affaire du « rendez-vous raté » et tomber trop court dans la définition de ce qui doit changer pour que le marxisme ‘s’écologise’[29].

En ce qui concerne les responsabilités pour le ‘rendez-vous raté’, le côté problèmatique de la thèse développée dans Marx’s Ecology apparaît clairement lorsque Foster évoque les continuateurs de Marx et Engels. Les préoccupations de Kautsky et de Lénine pour le retour du fumier humain à la terre attestent de leur continuité de pensée avec l’écologie de l’auteur du Capital, selon Foster. Cette continuité, selon lui, aurait été rompue non seulement par le stalinisme mais aussi par le ’marxisme occidental’, car celui-ci aurait perdu le contact avec les sciences naturelles. Or, la première partie de cette thèse nous semble contestable, pour deux raisons :

1 Foster ne tient pas compte du fait que l’invention des engrais de synthèse, à la fin du 19e siècle, avait complètement changé en pratique les termes du débat sur la rupture du cycle des nutriments. Au temps de Lénine, grâce à la production industrielle de nitrates, le capitalisme avait ’solutionné’ à sa manière le problème discuté par Liebig et Marx, en le repoussant devant lui. Face à cette nouvelle donne, une démarche inspirée de ’l’écologie de Marx’ ne pouvait se contenter de répéter comme une antienne la nécessité de boucler le cycle des nutriments. Il aurait fallu poser en plus de nouvelles questions, telles que : ’Quel sera le prix du bouclage du cycle par les engrais de synthèse ? Quelles seront ses répercussions sur l’échange de matières Humanité-nature ? Quelles nouvelles contradictions en découleront entre la croissance capitaliste et les limites naturelles, entre ville et campagne ?’[30] Or ces questions, Lénine, Kautsky, et aucun autre penseur marxiste du 20e siècle ne les ont posées. Ils se sont contentés d’acter pragmatiquement qu’un problème avait été résolu par le progrès, et ils ont tourné la page, ce qui marque un recul par rapport à la conception dialectique du progrès chez Marx.

2 La seconde raison, liée à la première, est qu’aucun de ces auteurs n’a actualisé, complété ou approfondi le travail entrepris par Marx avec le concept de ’métabolisme social’. En particulier, aucun d’eux n’a corrigé l’erreur de Marx relative aux énergies de flux et de stock. La critique par Foster de la prise de distance du ’marxisme occidental’ par rapport aux sciences de la nature n’est pas sans fondement. Mais Luxembourg, Lénine, Kautsky et Boukharine, en qui Foster voit les continuateurs de ’l’écologie de Marx’, ont-ils davantage fait vivre la notion de ‘métabolisme social’ que Trotsky, Gramsci ou Lukacs ? Pas plus que ceux-ci ils ne se sont intéressés au problème décisif que l’usage massif des énergies fossiles soulèverait du point de vue de ’l’échange rationnel de matière’ entre l’Humanité et la nature. Or, on sait qu’un concept scientifique s’use quand on ne s’en sert pas. C’est ce qui s’est passé ici : la question de la rupture du cycle des nutriments étant temporairement résolue par le capital, d’une part, et aucune question nouvelle n’étant examinée par les marxistes sous le rapport du ’métabolisme social’, d’autre part, le concept lui-même ne pouvait que se transformer en objet de curiosité pour marxologues avertis. La désactivation de la pensée sur le métabolisme a en outre eu pour conséquence l’abandon en pratique de la perspective d’abolition de la séparation ville-campagne, car les deux questions sont intimement liées. De la sorte, c’est l’ensemble du corpus conceptuel écologique de Marx qui a basculé dans l’oubli. Kautsky, Luxembourg, Lénine et Boukharine ont dans cette évolution une part de responsabilité qui ne peut absolument pas être escamotée. Encore une fois, on peut invoquer ici des « circonstances atténuantes » – c’est peu dire, s’agissant des problèmes posés par la conduite d’une révolution dans un pays arriéré ! Mais on ne peut se taire.

Passons au deuxième auteur dont nous avons choisi de commenter l’analyse. A l’inverse de JB Foster, Michaël Löwy ne peut être soupçonné de faire l’apologie de Marx comme écologiste avant la lettre. Pour lui, en effet, « il semble manquer à Marx et Engels une notion générale des limites naturelles au développement des forces productives »[31]. De plus, non seulement les limites mais aussi la qualité de ces forces serait en cause : ’le talon d’Achille du raisonnement de Marx et d’Engels était, dans certains textes ’canoniques’, écrit-il, une conception a-critique des forces productives capitalistes – c’est-à-dire de l’appareil technique/productif capitaliste/industriel moderne - comme si elles étaient ’neutres’ et comme s’il suffisait aux révolutionnaires de les socialiser, de remplacer leur appropriation privée par une appropriation collective, en les faisant tourner au profit des travailleurs et en les développant de façon illimitée.’[32]

On ne peut nier que certains textes de Marx et Engels véhiculent cette conception a-critique des forces productives et de leur développement illimité. Mais d’autres textes, que Löwy cite et dont Foster - ou Paul Burkett[33] - ont fait un relevé assez exhaustif, expriment au contraire une compréhension remarquable du fait que le progrès peut être destructif, que les ressources sont finies et – c’est moins banal - que les avancées de la productivité du travail humain le sont tout autant. Il n’est pas du tout évident qu’il ne s’agisse que d’intuitions passagères, d’éclairs de lucidité écologique[34]. S’agissant de la question des limites, par exemple, Marx affirme catégoriquement que tout développement humain est inévitablement encadré par deux limites : « la fécondité de la nature, (qui) constitue ici une limite, un point de départ, une base (et) par ailleurs, le développement de la force productive du travail (qui) constitue l’autre limite »[35]. Ne trouve-t-on pas là, très clairement, une ‘vision générale des limites naturelles au développement des forces productives’ ? Le côté prométhéen de Marx n’implique pas que, pour lui, tout serait possible à l’infini. Löwy tend selon nous à sous-estimer la cohérence et la consistance de ‘l’écologie de Marx’.

On pourrait, en matière environnementale, multiplier les exemples de petites phrases de Marx dont le haut niveau de généralisation témoigne d’un travail de la pensée qui dépasse largement le stade de l’intuition initiale. Mais l’intérêt est limité. Il en est des citations comme des ressources naturelles : elles ont des limites. Le stock tendant à s’épuiser, il nous semble que le débat devrait porter davantage sur deux énigmes :

 La première est heuristique : comment concevoir qu’un esprit aussi soucieux de cohérence et de globalité que Marx apparaisse tantôt sous les traits d’un « ange vert », tantôt sous ceux d’un « démon productiviste », selon une expression de Daniel Bensaïd [36] ? On conçoit aisément que l’auteur du Capital ait tâtonné, ouvert des portes différentes, testé différentes hypothèses. Cependant, on l’a vu, on trouve dans ses écrits des prises de position non seulement contradictoires mais aussi antagoniques, entre lesquelles il semble difficile de retracer le va-et-vient de la pensée. A moins d’accepter l’hypothèse schizophrène, la question se pose par conséquent : quelle zone d’ombre sépare les deux figures de l’ange et du démon, quel écran a empêché qu’elles se reconnaissent comme telles et s’affrontent, plutôt que de coexister ?

 La seconde est politique : puisqu’une partie au moins de l’oeuvre de Marx aurait pu permettre aux marxistes de ne pas rater le rendez-vous avec la question environnementale, comment se fait-il que tous l’aient raté, même les plus créatifs et les moins dogmatiques d’entre eux ?

La démarche de JB Foster tend à éluder cette double interrogation en surinvestissant l’écologie de Marx et en pointant du doigt les mauvais élèves du maître. L’approche de Michaël Löwy est plus critique, donc plus féconde, mais ses réponses sont-elles satisfaisantes ? Sur la question précise des forces productives, son opinion, quoique non généralisée à l’ensemble de l’oeuvre de Marx, n’est pas sans évoquer celle de Hans Jonas. Comme celle-ci et pour la même raison, elle soulève un problème réel. Mais la critique, à notre sens, manque sa cible parce qu’elle est, paradoxalement, à la fois trop sévère et trop indulgente :

 trop sévère car on ne peut raisonnablement imputer à Marx le fait que ses successeurs aient préféré prendre en compte l’ivraie productiviste de son oeuvre plutôt que le bon grain écologique (que beaucoup d’entre eux n’y ont même pas discerné) ;

 et trop indulgente car l’erreur relative aux sources d’énergie de flux et de stock n’est nullement cantonnée à quelques textes ’canoniques’ comme ’l’Introduction à la critique’. Elle traverse aussi le ’Capital’, les ’Théories sur la plus-value’ et la ’Dialectique de la Nature’, c’est-à-dire les pages qui attestent avec le plus de force de l’existence d’une ‘écologie de Marx’.

Dans une certaine mesure, le débat entre marxistes tourne autour de la fameuse question du verre à moitié plein ou à moitié vide. Or, posée de la sorte, la problématique de l’écologie chez Marx est insoluble car le problème, en définitive, ne réside pas fondamentalement dans ce que Marx et Engels ont dit, mais dans ce qu’ils n’ont pas dit... pour la simple raison qu’ils n’en étaient pas conscients. Or, on l’a vu, cette erreur a le potentiel de provoquer des dérapages successifs affectant jusqu’au programme et aux bases philosophiques du marxisme. Ce n’est peut-être pas l’unique défaut de ’l’écologie de Marx’. On se gardera surtout de prétendre qu’une faute dans l’œuvre du maître suffise à expliquer les déboires de ses disciples avec l’écologie : Le Capital n’est pas le Talmud et les facteurs liés à l’activité militante jouent un rôle clé dans la sélection par les marxistes des problèmes qu’ils se posent, ainsi que du point de vue d’où ils les considèrent. Reste que le problème soulevé ici constitue à coup sûr une question clé, dont on ne se débarrassera pas en faisant la balance des « bonnes » et des « mauvaises » citations, ou des « bons » et des « mauvais » textes. S’ils veulent prendre place et s’orienter dans les gigantesques luttes sociales qu’engendreront les défis environnementaux, notamment climatiques, il ne suffira aux marxistes ni de redécouvrir ’l’écologie de Marx’, ni de se prémunir contre le caractère productiviste de certains écrits. Il devront sortir au grand jour ce cheval de Troie qui est caché jusqu’au coeur de l’oeuvre : l’amalgame entre énergie de flux et énergie de stock, entre ressource renouvelable et ressource épuisable à l’échelle humaine des temps.

***

VII.

La critique du système énergétique capitaliste,

point de départ d’une ‘écologisation’ du marxisme

Sortir le cheval de Troie nécessite d’éliminer la zone d’ombre qui en dissimulait l’existence. L’analyse du capitalisme doit donc être complétée. Cette entreprise, en fait, est relativement simple et, pour l’essentiel, le travail a déjà été réalisé. En effet, il ne s’agit pas de découvrir de nouvelles lois mais d’enrichir la vision du capitalisme en intégrant la notion de « système énergétique » proposée par JP. Deléage, JC Debeir et D. Hemery et développée par ailleurs par Barry Commoner.[37]

Le système énergétique d’une société donnée se définit simplement comme son mode de production examiné du point de vue énergétique. La notion peut sembler triviale mais Bertell Ollman a bien montré l’importance méthodologique du « point de vue », et à quel point Marx changeait de points de vue pour découvrir de nouveaux aspects d’une même réalité[38]. Considérons donc le capitalisme du point de vue de l’énergie, ce que Marx n’a pas fait.

Sous cet angle, on constate que ce mode de production présente les caractéristiques suivantes :

1. l’appropriation quasi-totale des sources, des convertisseurs ainsi que des vecteurs, et leur transformation en marchandises (y compris la marchandisation de la force de travail mise à disposition de l’employeur par le convertisseur humain) ;

2. l’utilisation prépondérante des combustibles fossiles générateurs de rente ;

3. la centralisation/concentration de la propriété des sources ainsi que des convertisseurs ;

4. la mondialisation de l’approvisionnement ;

5. la formation de réseaux de distribution de plus en plus interconnectés ;

6. la constitution autour des sources fossiles, principalement du pétrole, d’un puissant complexe énergético-industriel regroupant l’automobile, l’aéronautique, la construction navale ainsi que la pétrochimie ; l’intégration croissante de l’agrobusiness à ce complexe ;

7. la tendance, inhérente à la logique d’accumulation du capital, à augmenter sans cesse l’offre et la demande, ce qui se traduit dans le domaine énergétique notamment par le recours à la technologie nucléaire.

L’utilité méthodologique de ce ‘point de vue’ apparaît en ceci qu’il permet de critiquer le système énergétique capitaliste non seulement parce qu’il implique la séparation des producteurs d’avec leurs moyens de production et l’exploitation de la force de travail (à l’instar de toute activité régie par la concurrence sur le marché) mais aussi, plus spécifiquement, pour ses conséquences écologiques et son manque d’efficience structurel. Passons brièvement en revue ces deux dimensions.

L’impact écologique ne demande pas de longs développements. En un temps record, le capitalisme aura vraisemblablement détruit à tout jamais l’énorme stock de combustibles fossiles que la nature a mis plus de 200 millions d’années à constituer. N’en déplaise à Garrett Hardin et à sa soi-disant « tragédie des communs », aucune société dans l’Histoire n’aura jamais anéanti une telle masse de richesses et ce triste record est le résultat de la propriété privée sur les ressources. L’exploitation effrénée de celles-ci a d’ores et déjà défiguré un grand nombre de biotopes (régions charbonnières à jamais mutilées, marées noires à répétition), mais ce bilan sinistre ne l’empêche pas de poursuivre son ‘œuvre au noir’ (forages pétroliers dans des écosystèmes fragiles tels que l’Alaska, exploitation des sables bitumineux, etc). D’autre part et surtout, la combustion des combustibles fossiles est la cause majeure du réchauffement qui menace l’humanité et l’environnement de catastrophes sans précédent.

Ce changement climatique serait principalement « anthropique » (dû à l’activité humaine), affirment les climatologues. Le point de vue énergétique montre qu’il devrait plutôt être caractérisé de « capitaliste ». D’abord, d’une façon générale, parce que le point d’inflexion de la courbe des concentrations atmosphériques en CO2 coïncide avec la Révolution industrielle et le début de la dynamique d’accumulation capitaliste. Mais aussi, de façon plus précise, parce que le rôle central des combustibles fossiles comme source énergétique n’est pas le résultat inévitable de l’activité humaine en général, ou du progrès des sciences et des techniques en général. Il est le résultat de l’activité capitaliste et de la manière dont sciences et techniques sont soumises au capital. Au-delà de la phase initiale de décollage économique, qui n’aurait pu se faire sans le charbon comme combustible, il y eut très rapidement des carrefours et des choix. L’effet photovoltaïque, par exemple, fut découvert par Edmond Becquerel en 1839 mais il fallut attendre les expéditions spatiales de la NASA pour qu’on se penchât sur ses possibles applications pratiques. Dans le domaine du solaire thermique, des dispositifs parfaitement opérationnels existaient à la fin du 19e et au début du 20e siècles (en Egypte, en Inde et aux Etats-Unis, notamment), mais ils furent abandonnés au profit du charbon ou du pétrole[39].

La course au profit a façonné le système énergétique capitaliste en même temps et de la même manière qu’elle a taillé le machinisme à la mesure du capital. Cependant, dans un cas comme dans l’autre, les médiations ne sont pas toujours directes. On veut dire par là que les différences de coûts de production ne suffisent pas à expliquer les orientations prises : les panneaux photovoltaïques au silicium coûtent chers, mais leur prix baisserait très vite en cas de production à grande échelle ; les cellules photovoltaïques organiques compensent leur faible taux de conversion énergétique par des coûts de production si bas qu’elles permettraient de produire rapidement de l’électricité à un prix compétitif par rapport aux combustibles fossiles. Le cas du solaire thermique est encore plus frappant, car les technologies sont ici extrêmement simples et peu coûteuses. Le non-développement historique de cette filière dans les régions où les conditions naturelles la rendent particulièrement adéquate ne s’explique pas principalement par les coûts, mais par d’autres facteurs qui font intervenir la structure globale du capitalisme : la concentration du capital dans le secteur des énergies fossiles, l’orientation prise sous la pression des grands groupes en faveur de la production de courant pour un réseau centralisé, voire la volonté d’imposer aux colonies les technologies développées dans les métropoles.

La comparaison entre les renouvelables et le nucléaire est extrêmement éclairante à cet égard. En effet, c’est peu dire que la filière nucléaire n’est pas non plus compétitive par rapport aux combustibles fossiles. Pourtant, elle a d’emblée bénéficié d’énormes crédits publics de recherche ainsi que d’investissements publics. Cette différence s’explique évidemment par l’importance militaire de l’atome, mais aussi parce que le nucléaire, à la différence du solaire, garantit le maintien d’un système énergétique centralisé générateur de rente et apparaît, en dépit de sa piètre efficience énergétique, comme la technologie par excellence permettant d’assurer la croissance continuelle de l’offre et de la consommation de marchandises[40]. C’est ce qui explique que, 35 ans après le premier choc pétrolier, les budgets alloués à la R&D dans le domaine de l’énergie par les pays membres de l’AIE continuent d’arroser essentiellement des laboratoires travaillant sur la fusion, la fission et la meilleure exploitation des combustibles fossiles[41].

Non seulement la combustion des combustibles fossiles détraque l’échange de matières entre l’humanité et la nature, mais en plus cet impact écologique est accru du fait que le système énergétique capitaliste se caractérise par sa grande inefficience. Ce point n’est pratiquement jamais mis en lumière par les médias et les gouvernements, qui préfèrent culpabiliser les citoyens pour leurs comportements individuels plutôt que d’attirer l’attention sur les problèmes structurels. Or le gaspillage des ressources est inscrit dans la matrice même du système énergétique. L’industrie des transports offre à cet égard un exemple tellement évident qu’il ne nécessite pas ici de commentaires particuliers. Un autre exemple est fourni par le secteur électrique, basé sur le transport à longue distance des combustibles, la production centralisée d’une énergie de haute qualité thermodynamique, le transport à moyenne distance du courant et son utilisation finale dans des fonctions où il serait souvent plus rationnel de recourir à une énergie de moindre qualité, produite sur place.

Ecrite il y a plus de vingt-cinq ans par l’écologiste américain Barry Commoner, il est significatif que la dénonciation de l’irrationalité du système énergétique capitaliste n’ait jamais été intégrée par les marxistes : l’absence de point de vue énergétique sur le capitalisme les empêchait tout simplement de reconnaître la pertinence du propos[42]. Commomer plaidait pour qu’on apprécie l’efficacité énergétique au niveau des filières, pas seulement au niveau des équipements : il suffit de reprendre son point de vue, qui cadre parfaitement avec l’analyse marxiste de la contradiction croissante entre la rationalité partielle et l’irrationalité globale dans le capitalisme. Il est en effet absurde que du pétrole et du charbon soient transportés sur des milliers de kilomètres pour produire du courant dont les deux tiers, après transport, servent à chauffer de l’eau chaude sanitaire à 50° ou 60° [43]… Que le chauffe-eau ait un label « Energy plus » est évidemment mieux que rien (rationalité partielle) mais, pour un tel usage, la rationalité globale recommande de recourir à l’énergie solaire, convertie localement par une combinaison de panneaux thermiques, d’installations de combustion de biomasse, de pompes à chaleur, d’éoliennes et de dispositifs photovoltaïques en réseaux locaux, dont la production et la maintenance assureraient de plus l’ancrage d’un emploi socialement et écologiquement utile.

Le comble de l’absurdité de la production de courant est que, dans l’immense majorité des cas, la chaleur dégagée dans les centrales thermiques (et nucléaires) n’est pas récupérée. La technique de la cogénération, ou production combinée de chaleur et d’électricité, est parfaitement connue et son principe est simplissime : au lieu d’être dissipée dans l’atmosphère, la chaleur dégagée est employée pour le chauffage urbain ou pour des industries consommatrices de chaleur modérée. Le système permet une économie de combustible de 30 à 40% par rapport à la production séparée, donc une réduction correspondante des émissions de CO2. Il implique la décentralisation de la production électrique, ce qui entraîne de nombreux autres avantages tels que la diminution des pertes par transmission, ou la réduction des émissions de substances appauvrissant la couche d’ozone (causées par les fuites des dispositifs de refroidissement aux CFC). Le hic est que ces avantages du point de vue de la raison n’en sont pas du point de vue du profit des groupes dominants. Dans l’Union Européenne, 11% à peine de la production d’électricité se fait avec récupération de chaleur[44]. Les raisons principales de cette situation sont directement liées à la nature capitaliste du système énergétique, à savoir : 1°) l’hostilité des compagnies productrices d’électricité par rapport à la décentralisation, 2°) le manque de vision intégrée sur l’aménagement urbain (il faut construire des réseaux de chaleur) et 3°) dans le cas de la grande cogénération, l’absence de coordination et de planification économique à long terme entre le secteur de l’énergie et les industries de transformation utilisatrices de chaleur. [45]

Restabiliser le climat n’est possible qu’au prix d’une ‘révolution énergétique’, ou d’un ‘changement de paradigme énergétique’[46] : le système énergétique centralisé et gaspilleur, basé sur les sources fossiles, doit céder la place à un système décentralisé et économe, basé sur le solaire. C’est faisable : le potentiel technique des renouvelables équivaut 10 fois la consommation mondiale d’énergie, et le gaspillage d’énergie découlant d’une utilisation irrationnelle représente plus de 50% de la consommation dans les pays développés. La menace climatique l’y contraignant dans une certaine mesure, il faudra bien que le capitalisme envisage une refonte de son système énergétique. Mais dans quel délai, avec quels moyens, et donc à quel coût social et écologique ? Toute la question est là. La réponse se concrétise sous nos yeux : guerres pour le pétrole, retour du nucléaire, ruée insensée sur les agrocarburants, libéralisation absurde des marchés de l’énergie, équivalence grotesque entre l’absorption du carbone par les puits et la réduction des émissions, recherche de plantes de culture génétiquement modifiées résistant à la sécheresse, ou d’arbres génétiquement modifiés à croissance rapide pour stocker le carbone, projets pharaoniques de stockage géologique, sans compter les élucubrations technocratiques du Earth Engineering. Les conséquences sociales, politiques et idéologiques sont déjà perceptibles : hausse des prix agricoles, gestion de classe raciste des conséquences de l’ouragan Katrina à la Nouvelle-Orléans, refus par l’Australie d’accueillir le peuple de Tuvalu, nouvelles attaques contre les systèmes de protection sociale, propositions des experts du Pentagone de transformer les pays du Nord en « forteresses », en attendant que « la nature » ait ramené la population mondiale au niveau de la pseudo « capacité de charge » de la Terre[47].

L’humanité dispose de moins de dix ans pour mettre au point un plan de sauvetage du climat, et de cinquante ans pour réduire les émissions globales de 80% au moins. Il est extrêmement improbable que ces délais puissent être respectés si les formes et les rythmes de la transition énergétique continuent d’être dictés par les impératifs de la mise en valeur du capital. A cet égard, il est significatif que le rapport Stern, qui constitue pourtant à ce jour l’expression la plus avancée de la prise de conscience climatique d’une fraction de la bourgeoise mondiale, plaide pour « éviter d’en faire trop, et trop vite » (parce que « creuser jusqu’à des réductions d’émissions de 60 ou 80% ou plus requérra des progrès dans la réduction des émissions de processus industriels, de l’aviation, et d’un certain nombre de domaines où il est difficile pour le moment d’envisager des approches effectives en termes de coûts »)[48]… tout en recommandant aux gouvernement de profiter de la peur climatique pour « prendre des mesures qu’ils auraient pu autrement considérer comme trop risquées ou impopulaires »[49].

Comment s’approprier le rayonnement solaire pour en faire une source de surprofit et garder le contrôle de l’énergie : voilà sans doute la question stratégique centrale « en termes de coûts » pour les secteurs dominants du capital. Eu égard à la difficulté de décarboniser l’économie tout en préservant la rente, la réponse néolibérale ne peut que consister en une nouvelle régression sociale couplée à une nouvelle vague d’appropriation des ressources : appropriation des espaces, appropriation du cycle du carbone, donc appropriation des « puits » de carbone et des génomes, donc aussi appropriation de l’atmosphère. Ce n’est pas de la politique fiction : les droits d’émission distribués dans le cadre de Kyoto sont assimilables à des droits de propriété semi-permanents, étape vers une forme d’appropriation de l’air... On est bien dans le schéma de Marx quand il écrivait que « la propriété foncière inclut, en général, le droit pour le propriétaire d’exploiter le globe, les entrailles de la terre, l’air, partant ce qui conditionne la conservation et le développement de la vie » [50]. A cinq siècles de distance, l’enclosure de l’air pourrait bien avoir une signification sociale analogue à celle de l’enclosure des sols et constituer, pour les travailleurs et les pauvres du monde, une nouvelle et gigantesque « tragédie de l’appropriation des communs ».

Les marxistes sont confrontés à de nouvelles tâches que, jusqu’à présent, ils peinent à prendre à bras-le-corps. Cette situation pèse aussi sur la lutte environnementale, car elle la prive d’un précieux apport militant et intellectuel. Elle n’est pas sans issue. Nous espérons avoir montré que, une fois rectifiée l’erreur de Marx, ‘l’écologie de Marx ‘ révélée par Foster pourra enfin se déployer, non comme vérité révélée mais comme pensée vivante. Une fois la distinction établie entre énergie de flux renouvelable et énergie de stock épuisable, certaines phrases des ‘textes canoniques’ évoqués par Michaël Löwy retrouvent même une seconde jeunesse. Il en est ainsi de la formule célèbre affirmant que le développement des forces productives doit être « libéré des entraves capitalistes ». En matière énergétique, dès lors qu’on a compris que la régulation rationnelle des échanges de matières Humanité-nature implique un projet de société basé sur les renouvelables, sur l’abolition de la séparation entre villes et campagne et sur l’utilisation économe de l’énergie, cette affirmation s’anime d’une vigueur révolutionnaire nouvelle : il faut abolir les rapports de production capitalistes qui entravent à la fois la sobriété de la consommation énergétique et l’indispensable développement des forces productives vertes.

Mais la critique n’est que le prélude de l’action. Celle-ci requiert programme, revendications, stratégies, formes d’organisation, tactiques pour faire en sorte que la lutte sociale s’intègre à une perspective écologique globale, une perspective écosocialiste. Une foule de problèmes compliqués se posent que ce texte n’a pas l’ambition d’aborder, et encore moins de résoudre. Le vrai travail, en fait, ne fait que commencer.

Le 26 novembre 2007

daniel.tanuro hotmail.com

[1] Daniel BENSAID, « Les dépossédés. Karl Marx, les voleurs de bois et le droit des pauvres », La Fabrique, 2007.

[2] Jared DIAMOND, “Collapse. How Societies Choose to Fall or Survive”, Penguin Books 2006, notamment p. 523

[3] Garrett HARDIN, “The Tragedy of the Commons”, Science, 162 (1968) : 1243-1248.

[4] Helmut J. GEIST & Eric F. LAMBIN, “What drives tropical deforestation ? A meta-analysis of proximate and underlying causes of deforestation based on subnational case study evidence.” International Geosphere-Biosphere Programme (IGBP) VI. Title VII. Collection : LUCC Report Series, 4.

[5] Cité par Karl Kautsky in ’La Question Agraire’, Paris (1900), page 25 (nous soulignons).

[6] Karl MARX, ’Le Capital’, Livre III, section sur la rente foncière.

[7] Claude GINDIN, ’Marx et la rente foncière’ in La Pensée, 335, juillet-sept 2003.

[8] Jean-Paul DELEAGE, ’Histoire de l’écologie. Une science de l’homme et de la nature.’ La Découverte, Paris 1991, p. 265-266.

[9] Dans l’agriculture, une analyse plus fine devrait vérifier le maintien de la rente absolue qui, selon Marx, découlait de la composition organique du capital temporairement plus faible et devait par conséquent disparaître avec le développement de la productivité. Mais la rente différentielle existe indubitablement. Dans l’industrie pétrolière, il est probable que les deux types de rente sont prélevés

[10] Précisons aussi, mais nous ne développerons pas ce point, que la course à la rente constitue un élément déterminant de la loi de (sur)population propre au système capitaliste : dans les modes de production antérieurs, comme l’a montré notamment Ester Boserup, la surpopulation relative favorise l’intensification de l’agriculture tandis que, dans le capitalisme, c’est au contraire l’intensification de l’agriculture aiguillonnée par la course à la rente qui engendre la surpopulation relative. (Ester Boserup, « Evolution agraire et pression démographique », Flammarion, Nouvelle Bibliothèque scientifique, 1970)

[11] Voir notamment Ernest MANDEL, ’Long Waves of Capitalist Development. A Marxist Interpretation’,2nd edition, Verso, 1995.

[12] Le chiffre d’affaires annuel de la vente des hydrocarbures avoisine 2000 milliards d’Euros par an pour des coûts de 500 milliards environ : Jean-Marie CHEVALIER, ’Les grandes batailles de l’énergie’, Gallimard 2004

[13] IPAT est née de la polémique entre les époux EHRLICH, d’une part, et Barry COMMONER, d’autre part. Partisans notoires de Malthus, les premiers prétendaient que l’impact environnemental pouvait être représenté par l’équation (I = P x i) où I=impact, P=population et i=taux d’impact d’une société (formule bidon puisque le taux d’impact « i » ne peut se définir que par I/P, de sorte qu’on aboutit à une belle tautologie). Ils furent contrés par COMMONER qui démontra que la pollution aux USA avait augmenté de 200 à 2000% entre 1945 et 1970, selon les polluants, alors que la population n’avait augmenté que de 42% (Barry COMMONER, The Closing Circle, trad.franc. ’L’encerclement. Problèmes de survie en milieu terrestre.’ Seuil, Paris, 1972). Au terme de la polémique, les deux camps s’accordèrent sur la formule IPAT. Lire Marian R. CHERTOW, ’The IPAT Equation and its Variants. Changing Views of’ Technology and Environmental Impact’, Journal of Industrial Ecology, MIT Press 2001, Vol 4, n° 4 ; voir aussi P.E. WAGGONER et J.H. AUSUBEL , ’A Framework for Sustainability Science : a Renovated IPAT Identity’, PNAS, June 11, 2002, Vol 99, n°12

[14] op.cit. note 4.

[15] Françoise BARTIAUX et Jean-Pascal van YPERSELE, ’The Role of Population Growth in Global Warming’, in International Union for the Scientific Study of Population (IUSSP), International Population Conference, Montreal, 15 August-1September 1993, Volume 4, pp 16-38.

[16] Sur ce point JB Foster ne va pas au fond des choses lorsqu’il écrit que ’toute utile qu’elle soit pour évaluer les causes immédiates de la dégradation environnementale, la formule IPAT nous dit peu de choses des causes sous-jacentes’. Il ne s’agit pas seulement de la différence entre causes immédiates et sous-jacentes mais du fait qu’IPAT escamote aussi les causes immédiates liées a la logique capitaliste. (John Bellamy Foster, ’The Vulnerable Planet. A Short Economic History of the Environment’, Monthly Review Press, 2d ed., 1999, pp. 30-32).

[17] Cette possibilité ne fut mise en évidence qu’en 1897, par le physicien Arrhenius, et de façon purement théorique. Encore Arrhenius, homme du Nord, pensait-il que l’augmentation de cet effet de serre aurait un impact positif. Cette opinion ne sera démentie que 70 années plus tard environ.

[18] Hans Jonas, Le Principe responsabilité, Champs Flammarion, 2005.

[19] LC, I, Chap XXVIII, Garnier Flammarion 1969 p.546 (nous soulignons).

[20] Cf en particulier le chapitre « machinisme et grande industrie » du Capital, l. 1.

[21] Sur les reproches faits à Marx et Engels d’embellir la société pré-industrielle, voir E.P. Thompson, « The Making of the English Working Class », Vintage Giant 1966, p. 270

[22] Il peut contribuer à expliquer que Marx n’ait pas discerné l’importance du basculement bois/charbon

[23] Hans Jonas non plus, et c’est la raison pour laquelle nous avons pu écrire qu’il ne discernait pas lui-même la part de vérité contenue dans sa critique. Concernant la question énergétique, Jonas, quoique remarquablement et très précocement alerté sur le changement climatique, se trompe d’ailleurs lourdement en pronostiquant que le problème des ressources disponibles se concrétisera dans le domaine des minerais, pas dans celui de l’énergie. C’est l’inverse qui est en train de se passer.

[24] Ceci n’élimine pas d’autres éléments d’explication, tels que l’influence délétère de la bureaucratie stalinienne et la manière dont elle a singé les recettes capitalistes, mais les renforce au contraire.

[25] Théories sur la plus-value, Tome II, Ed. Sociales, Paris 1974, page 621

[26] John Bellamy FOSTER, Marx’s Ecology. Materialism and Nature. Monthly review Press, New York, 2000.

[27] Lire leur contribution dans Capital contre nature, sous la direction de Jean-Marie HARRIBEY et de Michaël LOWY, Presses Universitaires de France

[28] Walter Benjamin est souvent cité comme exception. A juste titre, mais son questionnement du progrès révèle peu de préoccupations écologiques ou environnementales au sens strict du terme.

[29] Cette critique vaut aussi par rapport à d’autres auteurs qui, à l’instar de Paul Burkett tendent selon nous à surinvestir a posteriori l’écologie de Marx (Paul BURKETT, Marx and Nature.A Red and Green Perspective , MacMillan Press, Houndmills, 1999)

[30] On sait aujourd’hui ce qu’il en est de ces nouvelles contradictions : le recours massif aux engrais nitrés est en effet une cause majeure d’émission d’oxyde nitreux, un des principaux gaz responsables du changement climatique.

[31] Michael LOWY, Progrès destructif. Marx , Engels et l’écologie, in Capital contre nature, sous la direction de Jean-Marie HARRIBEY et de Michaël LOWY, Presses Universitaires de France

[32] Ibid .

[33] Paul Burkett, op. cit.

[34] Bien avant l’intérêt actuel pour le débat ’marxisme et écologie ’, Alfred Schmidt avait été amené à réviser sa propre analyse du « concept de nature chez Marx ». Dans la préface à l’édition française de son livre, écrite trente ans après l’original en allemand, il reconnaît en effet ne pas avoir mis l’accent autant qu’il l’aurait fallu sur le fait qu’il y a chez Marx et Engels « non seulement les éléments d’une conscience sensible aux problèmes écologiques mais encore que leur oeuvre, vue dans sa globalité, n’est pas du tout au service d’une domination effrénée sur la nature ». (‘Le concept de nature chez Marx’, PUF, 1993)

[35] LC,livre III, chap. 37. Ed de Moscou, 1984, pp 670-671.

[36] Daniel BENSAID, L’écologie n’est pas soluble dans la marchandise, in ContreTemps, Ed. Textuel, N° 4, mai 2002.

[37] Jean-Claude DEBEIR, Jean-Paul DELEAGE et Daniel HEMERY, « Les servitudes de la puissance. Une histoire de l’énergie ». Flammarion, Paris 1986. Barry Commoner, « The Poverty of Power », trad franç : « La pauvreté du pouvoir », PUF 1980

[38] Bertell Ollman, « La dialectique mise en œuvre », Ed. Syllepse, 2005

[39] Travis BRADFORD, “Solar Revolution. The Economic Transformation of the Global Energy Industry”, MIT Press 2006, pp 94-98

[40] DELEAGE et al, op. cit

[41] Entre 1970 et 2002, la part des renouvelables (toutes technologies confondues) dans les budgets de R&D sur l’énergie n’a été que de 8% environ (2% seulement pour le photovoltaïque), tandis que celle de la fission était de 47,3%, celle des technologies de conversion des énergies fossiles de 12% et celle de la fusion de 10,5%. Source : Agence Internationale de l’Energie, 2004

[42] Barry COMMONER, The Poverty of Power, trad. franç. “La pauvreté du pouvoir”, PUF, 1980.

[43] Le pétrole et le charbon représentent 38% du transport maritime de marchandises.

[44] Pus de 30% au Luxembourg, aux Pays-Bas et au Danemark.

[45] Office of Science and Technology, Chief Scientific Adviser’s Energy Research Group, Report of the Group, 2002. Commission Européenne, http://europa.eu.int/scadplus/leg/fr/lvb/127021.htm

[46] Jean-Pascal van Ypersele : interview dans Inprecor N°525, fév-mars 2007 . Benjamin DESSUS, « Energie : changer de paradigme », http://www.france.attac.org/IMG/pdf/changer.pdf. Lire aussi B. DESSUS et Hélène GASSIN, « So Watt ? » Ed de l’Aube, 2004.

[47] Daniel TANURO « Un défi social et politique majeur », Inprecor N°525, fév-mars 2007

[48] Stern Review, p. 247

[49] Id, P. 325

[50] Karl MARX, « Le Capital », éd. de Moscou, Livre III, p. 810.