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QUE RECOUVRE LE VOILE POLITICO-RELIGIEUX DE FAIZA M. ?

jeudi 17 juillet 2008, par Amitié entre les peuples

Reprise modifiée d’un premier et provisoire commentaire sur Bellaciao - Faiza M. : Nouvelle affaire de voile. par JJ Lakrival

Ce « voile-prison-du-corps » cache-t-il une femme ? Plaisanterie certes puisqu’on sait qu’il cache un être humain, que cet être humain est toujours de sexe féminin ! C’est bien ce qui est insupportable à beaucoup de femmes libres mais aussi et c’est heureux à beaucoup d’hommes libres . Cache-t-il simplement un corps de femme libre ou plud radicalement un corps de règles politico religieuses très contraignantes d’essence patriarcale ?

Disons d’emblée que comme d’autres au MRAP, je me félicite de cette décision « FAIZA M » du Conseil d’Etat. Pour autant elle pose sans doute autant de questions qu’elle ne semble en résoudre, notamment en matière de non discrimination raciste. Disons que le point d’étape semble être : « Pas d’islamophobie mais pour autant toutes les pratiques de l’islam ne sont pas recevables ».

1 -Faiza M n’est pas fan de Ben Laden mais salafiste !

L’arrêt du Conseil d’Etat, rendu le 27 juin dernier a refusé d’accorder la nationalité française à l’épouse marocaine d’un Français, âgée de 32 ans, vivant en France et mère de trois enfants nés en France, parlant bien la langue française, au motif qu’elle « a adopté, au nom d’une pratique radicale de sa religion, un comportement en société incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française, et notamment le principe d’égalité des sexes ». (Voir en annexe l’article du Monde )

Invoquant le principe de liberté religieuse garanti par la Constitution et le fait qu’elle n’a, depuis son arrivée en France en 2000, « jamais cherché à remettre en cause les valeurs fondamentales de la République », Mme M. avait demandé au Conseil d’Etat d’annuler le décret de 2005 refusant sa demande pour « défaut d’assimilation ».

Pour le Conseil d’Etat le radicalisme ne provient pas de l’adhésion explicite ou implicite à un mouvement politico-religieux radical (qui n’est pas nécessairement un groupement terroriste de type Al Quaïda) ou estimé tel, il peut aussi se déduire d’une pratique radicale de la religion. C’est là une interprétation nouvelle .

Pour expliciter cette pratique radicale les juges invoquent l’entretien entre les services sociaux et la requérante ainsi que la famille. Cette dernière reconnaît appartenir au courant rigoriste salafiste de l’Islam. Questions : Les autres branches de l’islam, les chiites par exemple, n’ont-il pas eux aussi des pratiques rigoristes de la religion ? Ou commence une pratique rigoriste tant pour l’islam que pour les autres religions ? En somme cette confidence de Faiza M est une bonne aubaine pour le Conseil d’Etat . Pour autant la pratique radicale de la religion ne saurait se réduire à la seule appartenance au salafisme . Au cas d’espèce le salafisme déclaré n’est qu’un des indices d’une pratique radicale de la religion . La question ne porte-t-elle pas alors sur ce qui distingue un islam acceptable d’un islam intolérable ou pour le dire autrement d’un ISLAM LAIC discret et pacifique mais aussi respectueux du droit des femmes d’un ISLAM RADICAL professant l’affichage religieux ostensible et la « pudeur » obsessionnelle et obligée pour les femmes à l’encontre des hommes irresponsables de leur concupiscence congénitale ?

2 - La critique reconduite des voiles politico-religieux couvrants ou non.

Faiza M portait un voile religieux islamique couvrant . En parlant de voile et non de burka ou de niqab je met l’accent sur ce qui est commun quand d’autres, comme Jean Bauberot par exemple, soulignent les différences. Il y a bien des différences subjectives - inconfort et enfermement - et sociales - décliner son identité - entre les différents voiles mais je tiens ces différences pour négligeables . Les burka et niqab ne font qu’accentuer la symbolique patriarcale et religieuse et le non respect des principes défendus par l’altermondialisme pas seulement de laïcité mais aussi la liberté (de travailler ensemble aisément) la fraternité (la tolérance est unilatérale), et d’égalité (l’hommes ne se couvre pas). N’est-ce pas plus fondamental que le parler correctement la langue française ? Il est dit que Madame Faiza M. disposait d’une bonne maîtrise du français et ses trois enfants ont été suivie pendant ses grossesses par un gynécologue homme. A ce jour, la maîtrise de la langue française avait été considérée par les juges comme déterminante pour l’acquisition de la nationalité.

Il est dit qu’il s’agit d’une burka et non d’un niqab. Et d’aucuns de faire une exégèse des textes religieux et des courants géopolitiques qui ont utilisé un certain type de voile à des fins de renforcement de l’oppression patriarcale. Ces recherches ne sont pas inutiles mais un laïc a-t-il à se faire l’interprète des textes religieux et de leurs usages politiques et religieux très variables dans le temps et dans l’espace ? En tout cas, ce n’est pas, me semblet-il, aux juges d’interpréter la religion et ses liens avec les régimes politiques. De façon plus générale n’est-il pas préférable d’adopter une position qui prend acte que la religion musulmane donne lieu, comme d’autres religions quoiqu’avec des spécificités, à de multiples pratiques sociales et à diverses normes concernant la relation au corps et notamment au corps des femmes. Il existe donc des comportement divers se réclamant de l’islam. Certains sont compatibles avec la laïcité et l’égalité des femmes d’autres pas. On sait qu’il existe un islam radical qui pousse au port du voile mais il ne s’agit pas nécessairement des voiles hyper couvrants.

3 - Quelle spécificité des voiles très couvrants de type burka ou niqab par rapport aux voiles islamiques ordinaires ?

 La burka ou le niqab relève de la symbolique générale des voiles islamiques tout en ayant une spécificité particulière, surtout en terme d’égalité des sexes.

- Moindre spécificité : espace laïc, pacifique et de libertés réciproques. N’importe quel voile, légèrement couvrant ou très couvrant, relève de l’ostensibilité des signes de la religion et témoigne d’une forme exhibitionniste et non discrète du religieux. La burka n’a donc aucune spécificité par rapport aux autres voiles en terme d’affichage excessif de sa religion. Le doit positif français depuis la loi de mars 2004 ( ) tire de l’ostensibilité des signes religieux des règles différentes suivant que l’on est à l’école ou hors de l’école. D’aucuns souhaitent une extension de la loi pour la sphère publique d’autres pour les milieux fermés ou la présence est obligatoire autrement dit les lieux de production. D’autres enfin souhaitent l’abrogation de cette loi de 2004 qui a pourtant le mérite de distinguer les signes religieux discrets qui sont autorisés des signes religieux ostensibles interdits et ce faisant de dégager une philosophie et un régime juridique de compromis, d’équilibre des tolérances.

- Spécificité particulière : rapport de genre . La conception qui préside au port de voiles couvrants met l’accent, comme pour le voile islamique ordinaire, sur le facteur sexué et séducteur du corps de la femme mais il va jusqu’au bout : le visage aussi est dangereux. Il faut donc aussi le cacher . En ce sens ce voile intégral est radical . A suivre Emmanuel LEVINAS c’est l’humanité de la personne que l’on cache. Rapporté à la phobie des intégristes religieux, c’est aussi de par la simple expression d’un visage que l’Autre (homme ou femme) peut tomber amoureux ! Il faut donc aussi le cacher tout comme le reste du corps qui potentiellement suscite le désir. Dans cette conception l’homme est totalement irresponsable de son désir et de son regard et c’est la femme qui porte sur elle la totalité de la responsabilité de ce qu’elle a généré : elle est automatiquement fautive. Car la séduction est une faute. Loin d’être compatible avec l’amitié, elle pousserait immanquablement aux rapports sexuels hors mariage voire contre les mariages . Ce qui est une horreur pour cette religion comme pour d’autres d’ailleurs. Le voile islamique classique est fondamentalement une construction patriarcale - des hommes et non de Dieu - à l’égard des femmes mais aussi à l’encontre les hommes qui ne se conçoivent pas comme concupiscents, du moins pas uniquement, pas au point de ne pouvoir se maîtriser. Ce n’est pas ici que question de symbole mais aussi une question d’oppression matérialisée. La burka et le niqab y ajoute de façon plus accentuée la réalité du voile-enfermement, conçu comme le prolongement de la réclusion dans la sphère familiale (dans l’habitation).

 A quelle dynamique sociale se rapporte le voile islamique ?

Outre la question « De quoi le voile est-il le symbole ? » il faut aussi poser la question : A quelle dynamique sociale se rapporte le voile ? A lire les spécialistes de la question il y a tout lieu de penser d’une façon plus générale que le voile est le symbole d’une forte religiosité issue de la réislamisation qui à son tour génère une « mondanisation » problématique.
« On observe un certain niveau d’individualisation à travers les pratiques religieuses, surtout dans les communautés musulmanes d’Europe, mais aussi dans certains pays musulmans. La foi s’individualise, et le conformisme communautaire perd de son influence face au libre choix de pratiquer ou non. Même la constitution des réseaux néo-fondamentalistes tend à se faire sur une base d’adhésion individuelle. Néanmoins, la religiosité demeure forte » cf A. Kazancýgil (document du CEMOTI en lien). Le divin est l’affaire de chacun sans cesser d’être aussi l’affaire de l’Etat. Mais sous la poussée de la réislamisation ce religieux s’est mondanisé au point d’envahir la sphère publique. Cet envahissement est parfois si fort et par ailleurs si clivé en terme de genre qu’il en devient étouffant, oppressant dans certains lieux.

http://cemoti.revues.org/document772.html

4 - Et l’antiracisme ? Et l’islamophobie ?

Jusqu’alors, on pouvait faire quasiment toutes les critiques à tous les voiles islamiques pour peu que cela ne dégénère pas en stigmatisation de tous les musulmans (cf Redeker, clip Fitna) mais pour autant on ne pouvait exclure les femmes voilées. Ainsi quoiqu’on pense ou quoiqu’on dise on ne saurait, sauf à l’école, exclure une femme voilée. C’est ce qu’il faut retenir du jugement de discrimination religieuse issu de l’affaire Truchelut (dite du voile vosgien de Julienrupt). La décision du Conseil d’Etat va-t-elle opérer un bougé sur cette jurisprudence ? Il y a là une affaire à suivre.

Aujourd’hui, une femme voilée devrait pouvoir entrer dans un gîte sans avoir à ôter son accoutrement religieux couvrant et ostensible mais la même femme ne saurait obtenir la nationalité française alors que par ailleurs elle remplit tous les critères formels à l’exception d’une certaine conformité aux principes républicains qui ne font pas pleinement consensus ! L’antiracisme est pertinent dans un cas ne l’est plus dès lors qu’il s’agit d’invoquer la nationalité. Certes les faits jugés sont différents ainsi que la demande (entrer dans un gîte - obtenir la nationalité française) mais cette décision du Conseil d’Etat qui se prononce contre le port du voile, contre l’islam radical et semble bien ce faisant soutenir les partisans de la laïcité, de l’antisexisme. Il convient sans doute de ne pas s’en tenir à ces premiers traits pour comprendre la portée de cette décision.

5 -Pas d’islamophobie en France mais pour autant tout l’islam n’est pas recevable !

S’il faut retenir le point d’étape actuel sur la question, la formule qui suit, à préciser à l’avenir, semble pertinente : « Pas d’islamophobie mais pour autant toutes les pratiques de l’islam ne sont pas recevables ». On en revient à l’idée que l’islam est normalement accepté dans un pays censé refuser les discriminations religieuses, et cela comme d’autres religions ni plus ni moins, dès lors qu’il respecte certaines valeurs fondamentale . En conséquence il peut être rejeté dès qu’il prend des aspects inacceptables. On ne saurait dès lors se prévaloir de l’islamophobie ou d’un racisme antimusulman. Quels sont ces aspects inacceptables ? La lecture de la décision laisse entendre qu’il s’agit de pratiques jugées telles dans toutes les sociétés les plus libérales au plan politique ; des sociétés civiles et des Etats qui ne confondent pas tolérance et acceptation de tous les excès issus du retour intempestif du religieux partout dans le monde. Que recouvre ces excès ? Sont-ils tous assimilables à de l’intégrisme ? Sans doute pas. Ce sera au juge de le préciser.

Reste que cette décision du Conseil d’Etat pose bien des jalons, des points de repères sur lesquels s’appuyer pour faire barrage aux excès du religieux mais sans certitude dans l’interprétation. Elle fournit juste une indication de sens sur le port de la burka et sur tout voile assimilé mais elle ne règle rien sur la cohérence des règles et principe de la République française. Le juge administratif conserve les moyens de juger autrement. On voit qu’il reste en France à mieux articuler laicité, droit des femmes et antiracisme du moins tel que ce dernier est aujourd’hui interprêté. C’est sans doute toute une interprétation des principes républicains qui est à développer.

Christian DELARUE
Responsable national du MRAP s’exprimant à titre personnel.

*ANNEXE*

Une Marocaine en burqa se voit refuser la nationalité française
La burqa est-elle incompatible avec la nationalité française ? Une Marocaine de 32 ans, mariée à un Français et mère de trois enfants nés en France, vient de se voir refuser la nationalité au motif qu’elle « a adopté, au nom d’une pratique radicale de sa religion, un comportement en société incompatible avec les valeurs essentielles de la communauté française, et notamment le principe d’égalité des sexes ».
Pour la première fois en France, le Conseil d’Etat, dans un arrêt du 27 juin, a pris en compte le niveau de pratique religieuse pour se prononcer sur la capacité d’assimilation d’une personne étrangère. Jusqu’à présent, dans la communauté musulmane, seules des personnes jugées proches de mouvements fondamentalistes ou ayant publiquement tenu des propos relevant de l’islam radical se sont vu refuser la nationalité française. Et aucune n’est allée au bout de la procédure.
Dans le cas de Faiza M., ce sont sa tenue vestimentaire et sa vie privée qui sont mises en avant pour confirmer le refus de la nationalité française. Invoquant le principe de liberté religieuse garanti par la Constitution et le fait qu’elle n’a, depuis son arrivée en France en 2000, « jamais cherché à remettre en cause les valeurs fondamentales de la République », Mme M. avait demandé au Conseil d’Etat d’annuler le décret de 2005 refusant sa demande pour « défaut d’assimilation ».
La commissaire du gouvernement (chargée de donner un avis juridique), Emmanuelle Prada-Bordenave, a insisté sur les entretiens qu’a eus le couple avec les services sociaux et la police. A trois reprises, Faiza M. se serait présentée « recouverte du vêtement des femmes de la péninsule arabique, longue robe tombant jusqu’aux pieds, voile masquant les cheveux, le front et le menton et une pièce de tissu masquant le visage et ne laissant voir les yeux que par une fente ».
Le couple reconnaît « spontanément » son appartenance au salafisme. Ce courant de l’islam, qui prône une lecture littérale et rigoriste du Coran, s’inspire du mode de vie des premiers fidèles du prophète Mahomet. Faiza M. a affirmé qu’elle n’était pas voilée quand elle vivait au Maroc et a indiqué « qu’elle n’a adopté ce costume qu’après son arrivée en France à la demande de son mari et qu’elle le porte plus par habitude que par conviction ».
« D’après ses propres déclarations, a souligné la commissaire du gouvernement, elle mène une vie presque recluse et retranchée de la société française. Elle n’a aucune idée sur la laïcité ou le droit de vote. Elle vit dans la soumission totale aux hommes de sa famille. » Faiza M. semble « trouver cela normal et l’idée même de contester cette soumission ne l’effleure même pas », a ajouté Mme Prada-Bordenave, estimant que ces déclarations sont « révélatrices de l’absence d’adhésion à certaines valeurs fondamentales de la société française ».
Parallèlement, il est apparu que Mme M. « parle bien français », un critère habituellement retenu dans l’attribution de la nationalité et que, durant ses grossesses, elle a été suivie par un gynécologue homme.
Cette décision, qui est prise quelques semaines après l’annulation d’un mariage entre deux époux musulmans, au motif que la femme avait menti sur sa virginité, traduit l’émergence dans la société française de questions liées aux particularismes religieux et culturels. « Cette affaire montre que le droit est de plus en plus amené à se prononcer sur les conflits de valeurs que pose l’islam à la société », constate Didier Leschi, ancien chef du bureau des cultes au ministère de l’intérieur, spécialiste de la laïcité. Sans possibilité de recours, Faiza M. pourra, selon les juristes, renouveler sa demande quand elle aura prouvé qu’elle « a fait siennes les valeurs de la République ».
Stéphanie Le Bars

Source : www.lemonde.fr – 11 juillet 2008