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Pour en finir avec le travail, la société industrielle et les illusions de la gauche. M Peyret.

vendredi 11 février 2011, par Amitié entre les peuples

POUR EN FINIR AVEC LE TRAVAIL, LA SOCIETE INDUSTRIELLE ET LES ILLUSIONS DE LA GAUCHE.

Michel Peyret

« Pour en finir avec le travail, la société industrielle et les illusions de la gauche » (Tract de manif contre la réforme des retraites)

Ce tract, est un remaniement sauvage du tract du groupe Libeludd (Libertaires et luddistes) de Grenoble paru le 12 octobre, tract très intéressant mais qui était très limité dans sa critique du travail et du capitalisme.

En voici une autre version diffusée manifestations contre la réforme des retraites à Bourges et Orléans (merci à patrice, sébastien et julien pour les précisions apportées).

Le tract est suivi ci-dessous (bas de page) d’une courte justification sur la nécessité de ne pas en rester au tract partiellement pertinent de Libeludd, qui montre par plusieurs aspects les limites de la partiellement pertinente critique anti-industrielle.

POUR EN FINIR AVEC LE TRAVAIL, LA SOCIETE INDUSTRIELLE ET LES ILLUSIONS DE LA GAUCHE.

Des millions de personnes dans la rue. Des appels à la grève illimitée. Des ports bloqués depuis deux semaines. Des raffineries en grève annonçant une prochaine pénurie de carburant. Des milliers de lycéens qui bloquent leurs lycées. Le ras-le-bol se généralise et le mouvement contre la réforme des retraites prend de l’importance. Partout se diffuse le sentiment que quelque chose est en train de se jouer. Ce mouvement, nous en faisons partie, et nous sommes solidaires des personnes en lutte, contre la réforme des retraites et l’exploitation. Il est légitime que des personnes qui ont travaillé toute leur vie refusent de rempiler pour deux années supplémentaires.

Pour autant, une grande partie du discours tenu aujourd’hui par la gauche et par les opposants à la réforme des retraites, nous semble au mieux une impasse, au pire clairement dangereuse.

En effet il n’y a pas de lutte possible contre la réforme des retraites, sans refuser la robotisation de nos vies, sans refuser le travail tel que nous le connaissons (travail créateur de valeur) et sans sortir du dogme de la croissance et de l’emploi à tout prix.

Il n’y a pas non plus de lutte possible sans dénaturaliser la société capitaliste dans laquelle nous vivons et qui nous impose sa richesse économique (l’argent, la valeur, le capital, les marchandises, l’investissement) comme étant normale, naturelle, évidente et ayant soi-disant existé dans toutes les sociétés humaines complexes.

De plus la gauche et les syndicats croient à une redistribution moins injuste (moins pour les riches, plus pour les pauvres) de l’argent produit par le sacro-saint travail, défense du travail qu’ils partagent avec Nicolas Sarkozy.

Mais cela ne nous fait en rien sortir du capitalisme, puisque la redistribution alternative présupposera une bonne croissance de la valeur capitaliste (donc des profits) en nous pressurant au travail comme des citrons pour faire sortir de nous le jus de la valeur économique.

Il faut sortir clairement de cette réalité insupportable que nous vivons qui réduit tout à l’économie. Ce n’est qu’en prenant ces critiques en compte qu’un mouvement peut émerger avec de vraies perspectives.

La crise du capitalisme : Quand les robots rendent l’humain inutile...

TF1 ne nous le dit pas, mais ce que nous appelons le « travail » n’a pas toujours existé. Car le travail ne crée pas naturellement de la valeur comme le prétend la science économique. Le travail tel que nous le connaissons (le travail créateur de valeur) n’existe que dans la société capitaliste présente comme principe d’organisation et de structuration créant une richesse sociale spécifique à cette seule société : la valeur se valorisant infiniment (le capital comme médiation sociale reproduisant l’ensemble de cette société).

Dans un cadre de concurrence avec la guerre économique que se livrent les capitaux des entreprises de part le monde pour gagner des parts de marché et faire des profits, la production de valeur incorporée aux marchandises dépendant du travail fourni consiste à augmenter la productivité dans l’appareil de production.

Depuis plusieurs dizaines d’années, les machines et les ordinateurs suppriment massivement le travail humain pour tenter d’augmenter au moins provisoirement les profits.

Après les ouvriers et les employés (de la Poste, de la SNCF, des magasins ou des banques), c’est aux enseignants de devenir obsolètes. L’école elle aussi devient numérique.

Grâce aux progrès de la science et de la technologie, l’accumulation de profit exige moins d’humains à exploiter qu’avant. Pour autant en substituant le travail des humains par le travail des machines, le capitalisme scie la branche (le travail créateur de valeur) sur laquelle il est assis, car en pressurant les salaires et en augmentant le chômage, des millions de gens ne sont plus solvables, et perdent leur pouvoir d’achat.

Les marchandises produites incorporent de moins en moins de valeur, phénomène que les capitalistes doivent tenter de compenser en augmentant les volumes de marchandises produites, en nous faisant acheter le plus possible (rôle de la publicité) et en ouvrant de nouveaux marchés.

Mais comme de plus en plus d’humains sont ainsi rendus « superflus » pour le capitalisme, la demande s’effondre et c’est la course à l’endettement. Ce mécanisme contradictoire implacable du capitalisme, n’est pas réformable car c’est sa logique même. Le capitalisme ne peut donc plus créer assez d’emplois pour tous. Le capitalisme est donc depuis 40 ans dans une crise généralisée dans les centres capitalistes, il s’effondre et nous pousse avec lui dans la tombe qu’il se creuse tout seul.

...se faire exploiter devient un « privilège »

Les robots nous remplacent donc.

Le problème, c’est que nous restons tous plus ou moins contraints de travailler, car le travail créateur de valeur est le lien structurant dans la société capitaliste.

Sans travail, pas de salaires, et le frigo reste vide.

Tous les humains mis au rebut par les machines n’auront pas assez cotisé pour prétendre à la retraite.

Nous en sommes arrivés au stade où pouvoir vendre sa force de travail à une entreprise est devenu un privilège.

Mais quel privilège ?

Les emplois que créent encore péniblement le capitalisme sont de plus en plus vides, et déconnectés de nos besoins fondamentaux, les travailleurs réduits à n’être que les auxiliaires des ordinateurs, des rouages au sein de la machinerie industrielle.

Les gains de productivité devant sans cesse augmenter, les personnes qui travaillent doivent travailler toujours plus, toujours plus vite, de manière toujours plus efficace.

Exclus et inutiles, ou exploités et pressurés.

Voilà à quoi nous en sommes réduits.

Il n’y a pas de solution au problème des retraites ou du chômage sans sortie du capitalisme et de la société industrielle. Combien de temps pensez-vous que ce système s’encombrera d’une main d’œuvre inutile ?

La solidarité ne repose pas sur la croissance !

Pour justifier la réforme des retraites, la droite nous explique : « il y a aujourd’hui moins de travailleurs actifs, et plus de personnes inactives. Il est donc normal de travailler plus longtemps pour payer les retraites »

Ce à quoi les économistes de la gauche et de l’extrême-gauche rétorquent : « Même avec une croissance inférieure à 2%, le produit intérieur brut aura doublé d’ici 40 ans, on pourra donc en consacrer une part plus importante au financement des retraites, sans effort financier supplémentaire de la part des salariés. »

Pour la gauche, le problème est donc uniquement un problème de répartition des fruits (pourris) de la croissance de la valeur, forme de richesse intrinsèquement capitaliste.

Comme si les retraites, et donc la solidarité humaine, reposaient sur la croissance économique.

Il faut en finir avec l’idéologie de la croissance.

Compter sur un doublement de la production d’ici 40 ans est une aberration.

Non seulement le capitalisme est à bout de souffle en venant au terme de sa logique folle et contradictoire, mais notre environnement ne survivrait pas à un tel désastre écologique.

Sans compter la dégradation de la vie en société.

Car produire plus, c’est produire toujours plus de marchandises, d’ordinateurs, de télévisions à écrans plats, de téléphones portables, et autres gadgets high-tech qui abrutissent, individualisent et finissent par détruire toute relation véritable entre nous. (Et vous, combien d’amis virtuels avez-vous sur facebook ?)

Lycéens et étudiants refusez d’intégrer la machine-travail planétaire !

Le second argument de la gauche contre la réforme des retraites, consiste à refuser l’allongement de la durée de cotisation parce qu’il serait un frein à l’emploi des jeunes.

Quels emplois ?

Des emplois qui répondent à quels besoins quand le but final est la production de valeur ?

Seul compte combien de valeur et d’argent ces emplois auront produit pour la formidable machine à fric dans laquelle les lycéens et étudiant devront trouver leur place.

Il faut sortir de cette logique de l’emploi à tout prix.

D’abord parce qu’il n’y a plus de travail pour tous. (voir plus haut)

Ensuite parce que non seulement cela revient à défendre des emplois qui nuisent au reste de la société, mais que finalement tout travail créateur de valeur fait partie intégrante de la société capitaliste en tant que son noyau et fondement.

Il n’y a pas de honte à ne pas avoir de « travail » au sens où l’entend cette société, c’est à dire un travail que l’on ne fait que pour l’argent, sans aucune considération pour son contenu.

Il est plus digne de ne pas travailler, plutôt que d’être d’aller dans n’importe quel « taf » pour participer à l’augmentation perpétuelle de la sainte-croissance capitaliste.

Remettons en cause notre société sur sa base, le travail créateur de valeur.

Pour autant, nous ne voulons pas passer notre vie à ne rien faire. Nous préférons alors parler d’activité en tentant collectivement de sortir de l’économie.

Par où commencer ? Battre en retraite… un débat permanent !

Dans ce monde « à l’envers » qu’est le capitalisme, les choses que le travail fabrique (sous forme de marchandises et de services donc sous forme d’argent et de capital) commandent aux humains et dressent en face de nous comme des divinités barbares qui exigent de nouveaux sacrifices humains.

Nous ne sommes que des créatures, des rouages, des supports de ce travail de valorisation économique qui nous dépasse et sur lequel il ne peut plus y avoir aucune maîtrise autre que celle de sortir de cette forme sociale de vie qu’est la vie capitaliste, qu’en dépassant le travail, l’argent, la valeur et la production de marchandises comme formes structurantes de « notre » société.

Pour cela dans un premier temps, s’organiser à la base pour obtenir le retrait de la réforme et lutter contre l’administration du désastre capitaliste.

Se défier des centrales syndicales qui adorent le Dieu du travail et des partis politiques.

Prendre le temps de réfléchir et de construire des solidarités pour repenser une théorie critique du capitalisme.

Cesser les journées d’action ponctuelles, pour construire un mouvement solide et continu pour nous rencontrer, discuter, échanger afin d’engager à gauche un débat sur la remise en cause du travail, de l’argent et de la valeur comme formes structurantes de « notre » société.

Pour sortir de l’économie !

Nous organiser enfin pour empêcher tout retour à la normale.

Paralyser les centres économiques, scientifiques et politiques.

Refuser le travail c’est bien, mais le dépasser comme forme structurante de la vie en société c’est mieux !

Produire collectivement ce dont nous avons besoin pour vivre, sans le concours de la machine-travail planétaire et sa production industrielle.

Rendre inutile ce système qui nous rend inutiles.


D’autres textes sur la critique de la valeur (wertkritik) sur ce site :

 Anselm Jappe, Pourquoi critiquer radicalement le travail ?

 Anselm Jappe, Avec Marx, contre le travail.

 Christian Honer, Qu’est-ce que la valeur ? De l’essence du capitalisme. Une présentation.

 Johannes Vogele, Essai d’une (auto)critique de la gaucle politique, économique et alternative.

 Repenser la théorie critique du capitalisme (conférence-débat de Moishe Postone)

 Norbert Trenkle, De la critique du travail à l’abolition de la société marchande.

 Gérard Briche, Domination de la marchandise dans la société contemporaine.

 Critique et crise de la société du travail, par Robert Kurz.

 Groupe Krisis, Manifeste contre le travail (en intégralité sous forme de brochure)

 Le principe de l’économie est-il de donner du travail ?

 La légende du travail, par Jean-Marie Vincent.

 Non-rentables, unissez-vous ! par Robert Kurz.

 La société sans qualités. Présentation de la wertkritik, par Corentin Oiseau.

 Le capitalisme a échoué ! Mais quelle sera l’issue ? De ce système on ne sortira que consciemment ! (Groupe Critica Radical - Brésil)

A propos du tract initial du groupe Libeludd

Il y a quelques jours ce tract des plus sympathiques est paru sur Indymedia Grenoble : Pour en finir avec la société industrielle et les illusions de la gauche.

Pour autant ce tract comporte des limites importantes, qui sont d’ailleurs celles de la partiellement pertinente mouvance « anti-industrielle » qui reste très vague et très traditionnelle sur la critique du capitalisme.

Limite car le texte critique l’industrialisation carrément en prenant la défense du travail qu’ils naturalisent en parlant de « travail humain » rendu inhumain seulement par les machines et les ordinateurs.

Ainsi une phrase comme « Depuis plusieurs dizaines d’années, les machines et les ordinateurs suppriment massivement le travail humain », pose question tellement ce « travail humain » semble posé naturellement, de manière évidente et transhistorique.

Cette réflexion trop superficielle sur le « travail » qui n’arrive pas à saisir la véritable nature de tout travail dans la formation sociale capitaliste, car tout travail est une invention relativement récente qui a quelques siècles (tout travail c’est-à-dire un travail avec ordinateurs et machines, comme un travail sans ordinateurs et machines, cf. les livres de Postone et Jappe) était aussi celle du texte de Matthieu Amiech et Julien Mattern sur le « Travail mort-vivant » dans la revue n°6 de Notes et Morceaux Choisis.

C’est aussi la limite du groupe « Les Amigos de Ludd », la limite des rares réflexions sur le travail du « groupe Oblomoff », ou encore du numéro récent du magazine « Offensive » sur le sens du travail.

Critiquant le travail technologisé au nom du « gentil » travail qui serait soit disant pas du « travail abstrait », du travail non socialement auto-médiatisant, comme le gentil travail de l’artisan, du paysan, de l’ouvrier au temps relaté par Gérard Noiriel, etc.

Tout cela en prenant appui sur la pensée complètement inaboutie de Hannah Arendt sur le travail.

Dans cette perspective les auteurs de ce tract ne peuvent que dire « Nous voulons un travail choisi, épanouissant, que nous jugeons utile.

Nous préférons alors parler d’activité », sans aller plus loin pour comprendre la réalité capitaliste irrationnelle dans laquelle nous vivons, et saisir la nécessité de développer une critique radicale du travail, du fétichisme du travail, de la valeur et de l’argent.

Comprenant très imparfaitement la société capitaliste (que l’on réduit à la seule exploitation du surtravail), et renvoyant la nature de la croissance à une simplette « idéologie » (comme les décroissants), idéologie artificielle par rapport à la saine société qui en serait le simple théâtre neutre, les auteurs du tract avouent eux-mêmes que leur critique est inaboutie quand finalement ils se solidarisent des grévistes qui croient encore qu’il existe comme une sorte de « trésor caché » par les capitalistes et qui pourrait être versé au peuple. On peut ainsi être très déçu quand les auteurs écrivent :

« Ce refus est d’autant plus justifié qu’un partage des richesses détenus par quelques uns pourraient permettre à tous d’avoir une vie et une retraite décentes. »

Ces « richesses » qui sont ici naturalisées et ininterrogées, posent évidemment question, car elles sont des marchandises, de l’argent, du capital, bref de la valeur, sous la forme de catégories supposément éternelles (quand on parle des « richesses » de manière aussi générale) saisissant le monde à l’envers des formes sociales capitalistes, que l’on ne saurait radicalement mettre en cause.

Ces auteurs veulent redistribuer finalement (selon un mode de distribution autre) ces mêmes catégories pourtant intrinsèquement capitalistes.

Comment critiquer alors la croissance économique en soi, si finalement on veut simplement plus de justice et d’équité par un nouveau partage du gâteau de la richesse capitaliste ?

Tout mode alternatif de redistribution de la richesse socialement historiquement spécifique à la seule société capitaliste, présuppose la croissance capitaliste.

Il paraissait ainsi évident qu’il fallait poursuivre la critique partiellement très pertinente qu’il y avait dans ce tract et saisir qu’il faut maintenant ne plus se contenter de la critique anti-industrielle, mais renouveler plus amplement une théorie critique radicale du capitalisme (la mention positive à l’éducation actuelle critiquée seulement en cela qu’elle serait envahie par les ordinateurs, poserait aussi question).

Allier-rattacher la critique anti-industrielle à la critique de la valeur (wertkritik) en élaboration permanente. Pour autant ce tract est très intéressant. Mais la critique anti-industrielle ne suffit pas.

Clément.