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Habermas et la dialectique de la sécularisation - JC Monod

dimanche 19 décembre 2010, par Amitié entre les peuples

Habermas et la dialectique de la sécularisation

par Jean-Claude Monod [08-12-2008]

Et si la raison, comme le montre aujourd’hui la logique marchande, était finalement bien plus capable de calculer des moyens que de poser des fins ? Le dernier recueil de Jürgen Habermas, le chantre de la raison communicationnelle, témoigne d’un surprenant revirement vers la religion et le registre compassionnel.
Recensé : Jürgen Habermas, Entre naturalisme et religion. Les défis de la démocratie, traduit de l’allemand par Christian Bouchindhomme et Alexandre Dupeyrix, Paris, Gallimard, 2008, 380 p. 22, 50€.

« Qui veut éviter une guerre des cultures doit se remettre en mémoire la dialectique inachevée du propre processus de sécularisation de l’Occident » [1], notait Jürgen Habermas dans un récent discours sur les rapports entre foi et savoir. L’idée d’une dialectique de sécularisation visait à mettre en lumière un processus biface : l’instance politique-étatique et les instances religieuses-ecclésiales se sont transformées les unes et les autres à l’épreuve du pluralisme, de la tolérance et de la sécularisation, dont les effets se sont exercés à la fois sur les formes de vie religieuses (qui ont gagné la sphère privée et « sociale » et abandonné leur position hégémonique-coercitive appuyée par l’État) et sur les formes de vie politiques (qui ont dû renoncer au monopole de la religion et/ou de l’interprétation du « sens » dernier de l’existence collective). Elle invitait à concevoir les intégrismes et les « retours du religieux » comme des réactions au processus de sécularisation, qui sont aussi « modernes » dans leurs moyens, leurs formes d’action et leur inscription dans l’économie capitaliste, qu’elles sont « anti-modernes » dans leurs valeurs et leur opposition radicale à la sécularisation « occidentale ». Ce thème d’une dialectique de sécularisation constituait une voie pour favoriser les conditions d’un pluralisme permettant aux courants anti-sécularistes de s’exprimer pacifiquement sans mettre en péril la structure des sociétés sécularisées.

Le propos d’un certain nombre des essais rassemblés dans ce dernier recueil reprend, approfondit et déplace quelque peu cette perspective. Notons cependant que ce volume est composé un peu de bric et de broc : on n’a pas affaire ici à un ouvrage fortement charpenté, mais à un ensemble d’articles sur des sujets variés, de la vieille querelle de la liberté et du déterminisme ranimée par le réductionnisme neurologique jusqu’à l’idée d’une constitution politique mondiale en passant par un hommage à Adorno, le fil rouge est assez ténu. Nous privilégierons ce qui concerne cette thématique des rapports entre philosophie et religion, que Habermas creuse depuis plusieurs années.
« Une conscience de ce qui manque »
Sous le patronage de la philosophie kantienne de la religion, et des exigences réciproques adressées par Kant en direction d’un raison consciente de ses limites et d’une foi « dans les limites de la simple raison », Habermas plaide toujours pour un dialogue critique et autocritique entre la philosophie et ce qu’il nomme tantôt « la religion », tantôt « l’héritage religieux », tantôt les « traditions religieuses », tantôt les ressources normatives des religions. Mais l’accent se porte d’avantage aujourd’hui, dans le propos de Habermas, sur cette part d’autocritique attendue de la rationalité philosophique — et c’est sur ce point que ce livre peut faire débat. L’un des principaux défis contemporains de la démocratie semble être en effet, pour Habermas, d’éveiller chez ses citoyens « laïcs » ou « séculiers », à l’égard des traditions religieuses, une « disposition à apprendre » (p. 165-166). Habermas marque ainsi clairement l’infléchissement qui sépare, à ses yeux, l’ancienne tâche philosophique de Religionskritik, nécessaire en son temps, et la tâche actuelle : « dans l’Occident européen, le temps des oppositions entre des compréhensions anthropocentrique et théocentrique est révolu. Nous avons plus intérêt désormais à tenter de récupérer les contenus bibliques dans une foi de raison qu’à combattre la soutane et l’obscurantisme » (p. 13-14). Le diagnostic a de quoi surprendre, même s’il a été amorcé par Habermas depuis plusieurs années : le penseur de la raison communicationnelle ne croit plus dans les seules ressources de la rationalité pratique et communicationnelle pour fournir une base motivationnelle suffisante face à des périls caractérisés de diverses façons : « une modernité qui tend à sortir de ses rails » (p. 14), « une conscience normative qui s’étiole de tous côtés » (p. 14), « la progression du naturalisme et de sa foi aveugle dans la science » (p. 150), etc.

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