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Une tendance générale du néolibéralisme : l’accaparement oligarchique de l’Etat

lundi 31 octobre 2011, par Amitié entre les peuples

Une tendance générale du néolibéralisme : l’accaparement oligarchique de l’Etat

Thierry Brugvin, Martine Boudet et Christian Delarue.

Correspond au III de
http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article1795

I - De quelques affaires politico-financières symbolisant les dérives démocratiques

II - Les dévoiements du système public républicain et démocratique français.

III - Une tendance générale du néolibéralisme : l’accaparement oligarchique de l’Etat

IV - Pour une reconquête démocratique de la gestion des affaires publiques

Une tendance générale du néolibéralisme : l’accaparement oligarchique de l’Etat.

La République libérale et la démocratie libérale ne sont que des avortons de République et de démocratie. Il est plus vrai de dire que la gouvernance financière, ou l’oligarchie financière sont les noms plus explicites de ce système néolibéral. Ce dernier est profondément marqué par la forte emprise du capitalisme financier non seulement sur les structures de productions mais aussi sur les institutions publiques démocratiques et sociales. C’est au peuple (entendu tout à la fois comme le peuple démocratique et le peuple-classe) de reprendre ce que l’oligarchie lui a volé démocratiquement et socialement au profit de la classe dominante.

1) L’extension de « l’économique » à tous les champs sociaux nécessite un Etat autoritaire et prédateur au profit de la classe dominante.

Leur Etat  : « Il faut prendre la mesure de la nouveauté que constitue le néolibéralisme dans l’histoire du capitalisme. L’Etat disposait auparavant d’une relative autonomie par rapport au capital et pouvait, en cas de crise sociale majeure, lui imposer des compromis (…). Avec le néolibéralisme, tout se passe comme si l’Etat, colonisé par la finance, avait cessé d’être un recours possible contre l’emprise du capital. Ces pouvoirs exercent désormais conjointement leur domination sur la société. La logique coercitive de l’Etat et la logique d’accumulation illimitée du capital, loin de se contrebalancer, se renforcent mutuellement. Alors que les élites politiques étaient sociologiquement distinctes des élites économiques, elles tendent désormais à fusionner en une seule classe dominante, au caractère d’ailleurs de plus en plus transnational. On peut qualifier ce phénomène « d’hyper pouvoir étatico-financier ». 15

Ce néo-libéralisme autoritaire favorise la montée en puissance de réseaux et de lobbies d’affaires qui investissent les instances de décision. La richesse ne repose pas seulement sur l’argent mais aussi sur des réseaux sociaux et un capital de privilèges socioculturels transmis par des dynasties familiales16.

Par exemple, Valérie Pécresse17, qui fit voter la LRU et un dispositif de privatisation de l’Université et de la recherche au compte du patronat de l’industrie et du commerce, est liée à l’empire Bolloré. Parallèlement aux réseaux politiques, on trouve des réseaux économiques : dans les relations entre la France et l’Afrique, les réseaux les plus influents sont ceux d’Elf-Total, Bolloré-Rivaud, Bouygues, Castel…

Les mêmes personnages se retrouvent dans les différents conseils d’administration des entreprises du CAC 40 et dans des groupes de pression européens et internationaux tel le groupe de Bilbderberg, issu de l’école de Chicago. Le néo-libéralisme a généré des castes ou des clans politico-financiers, qui sévissent aux côtés des G7 et des G20, au FMI ou à travers de plus ou moins subtils jeux d’influence, et cela à l’encontre de la démocratisation des institutions internationales : ONU, Union européenne…etc. "

FMI : Christine LAGARDE vient d’être élue Directrice Générale du Fonds monétaire international (FMI), en remplacement de Dominique STRAUSS-KAHN. À l’heure où le Parlement grec vote un nouveau plan d’austérité, injuste et inutile, sous la pression de l’Union Européenne et du FMI, cette décision élude tout débat sur une réorientation radicale du Fonds. Mais l’actualité judiciaire française (affaire TAPIE) ou l’aggravation prévisible de la crise financière pourraient fort bien poser à nouveau ce débat dans les mois qui viennent. (...) C’est la cinquième fois que ce poste, traditionnellement réservé à un État européen, échoit à la France, et il n’y a hélas pas lieu de s’en réjouir. Depuis les années 1980, la politique du FMI est toujours la même, quel qu’en soit le Directeur Général. Ainsi, c’est sous la direction de Jacques de LAROSIERE (1978-1987), puis de Michel CAMDESSUS (1987-2000) qu’ont été élaborés les plans d’ajustement structurel ayant conduit à la ruine tant de pays d’Amérique latine, d’Afrique ou d’Asie. Si bien que par la suite, la plupart des pays émergents ou en développement, ont refusé de recourir à l’aide du FMI ou de la Banque mondiale (c’est d’ailleurs ce que vient de faire l’Égypte tout récemment).
Les choses allaient-elles changer avec DSK ? Il fallait être bien naïf pour le croire. À l’exception d’un léger toilettage, le fonctionnement de l’institution est resté le même : c’est toujours “un dollar = une voix”, si bien que les États-Unis, avec plus de 17% des voix, disposent d’un droit de veto qui leur permet de contrôler le FMI, où les grands pays de l’Union Européenne jouent aussi un rôle majeur.

Il y a quand même une chose qui a changé : avec la crise financière, que le FMI a été d’ailleurs incapable de voir venir, ce sont maintenant des pays européens qu’on force à solliciter des plans d’austérité tout aussi draconiens que les précédents. Hongrie, Ukraine, Lettonie, Irlande, Grèce, Portugal sont les plus récentes victimes de programmes d’une rare violence sociale." (communiqué d’Attac France du 29 juin 2011)

2) Affairisme généralisé : Corruptions et « délinquance en col blanc » remontent à la surface.

En France, la collusion des équipes politico-financières (Sarkozy/Bolloré ; Woerth/Bettencourt/Eric de Sérigny, l’un des fondateurs du premier cercle des donateurs de l’UMP ; Breton/Lagardère ; Chirac/Dassault ; Mitterrand/Tapie ; Dumas/Le Floch-Prigent/Elf…) tout comme l’autoritarisme présidentiel et républicain ont conduit à une pléthore de cas de délinquance financière, peut-être inégalée à l‘échelle des pays occidentaux. Selon certains observateurs (Mediapart…), leur degré de parasitisme est en telle expansion que ce serait désormais l’une des causes principales du déficit des budgets publics. De leur côté, les réseaux maffieux françafricains, encore en activité cinquante ans après les indépendances, sévissent toujours plus à l’encontre des intérêts vitaux des peuples du Sud. Ainsi, le Niger et le Tchad, généreux pourvoyeurs de matières premières pour les entreprises françaises (l’uranium pour Areva, le pétrole pour l’entreprise Total..) sont condamnés à la famine.

Au-delà des individus mis en cause pour corruption, c’est donc tout un système politico-financier qui implose du fait de l’abus d’une politique unilatérale et sans contrôle suffisant, au service des intérêts des plus riches. Depuis 2007, afin de préserver les privilèges de cette caste d’affairistes protégée par une législation complaisante (dépénalisation du droit des affaires, mise en place du bouclier fiscal, privatisation des services publics... ), il faut rappeler que le régime Sarkozy a accumulé les atteintes aux libertés publiques, aux acquis sociaux ainsi qu’aux droits des minorités et des catégories discriminées. Le cadre de l’Union européenne n’a en rien permis d’endiguer un tel phénomène, bien au contraire :
« Les scandales qui ont secoué le sommet de l’État français peuvent donner lieu à deux lectures. La première, proposée par la plupart des médias et des acteurs politiques, fait de la corruption et du conflit d’intérêts la cause des affaires Bettencourt-Woerth, Blanc, Joyandet, Boutin et autres. Sans être fausse, cette vision est partielle car elle ne dit rien sur les racines véritables de ces affaires, et donne à penser qu’il suffira de moraliser le personnel politique pour que de telles affaires ne se reproduisent plus. Il faut aller plus loin dans l’analyse : les scandales récents sont la conséquence directe du fonctionnement de l’État néolibéral, que le sarkozysme a porté à son paroxysme en France.

3) Les dimensions de l’État néolibéral apparaissent clairement aujourd’hui.

Tout d’abord, l’État néolibéral est « prédateur », selon l’expression de James Galbraith18.Des relations étroites de collusion ont été tissées entre les gouvernants et les élites économiques et financières, comme l’illustrent les liens privilégiés de Sarkozy avec les sociétés du CAC40. Les administrations et les régulateurs publics ont été capturés par les milieux économiques. Les décisions de l’État, notamment dans les domaines de la fiscalité et de la réglementation, sont influencées par l’action souterraine des groupes d’influence et autres lobbyistes économiques, très puissants à Washington, à Londres ou à Bruxelles. (…)

En second lieu, l’État néolibéral est un État fort, autoritaire et interventionniste, et non un « État minimal » selon l’idée souvent véhiculée par les libéraux, et par certains milieux « progressistes » et altermondialistes. Les promoteurs du néolibéralisme –Thatcher, Bush, Berlusconi, Sarkozy– ont tout mis en œuvre pour renforcer le pouvoir de l’État en cherchant à affaiblir et à asservir tous les contre-pouvoirs : les syndicats, les médias, la justice, l’université – où les sciences sociales sont une source d’analyse critique du système – sont asphyxiés par les réformes. »19

Quels sont les effets d’une telle politique dans le pays ? L’on assiste à la multiplication des phénomènes de violence urbaine dans les banlieues, lieux de relégation sociale : émeutes de 2005, celles de Villiers le Bel en 2007, de Grenoble et Saint-Aignan en 2010… Parallèlement et par un effet d’engrenage savamment alimenté, s’intensifie la répression par des forces de police de plus en plus militarisées : multiplication des interpellations et poursuites, fichage généralisé, armes « non létales », stigmatisation de certaines communautés immigrées ou migrantes.

De même, s’intensifient les dysfonctionnements de la vie en collectivité liés à la casse des services publics de proximité et à la destruction correspondante du lien social : violences récurrentes dans les établissements scolaires - l’Education nationale étant par ailleurs l’objet d’un dispositif de contre-réformes volontairement et sciemment anti-pédagogiques pour casser l’outil public, épidémies de suicide dans les entreprises et les services publics soumis à une réorganisation managériale concurrentielle impitoyable…

De fait, il existe un lien ainsi qu’une forme de mimétisme de l’anti-exemplarité entre tous ces phénomènes, provoqués par la crise morale et symbolique du néolibéralisme, idéologie qui promeut une société individualiste entièrement vouée au profit immédiat via une compétition généralisée :
« L’emprise de l’État néolibéral ne s’arrête pas à l’économie ; elle va bien au-delà et agit également sur les personnes et sur la société. Il s’agit là d’un interventionnisme d’État beaucoup plus insidieux, nommé « gouvernementalité » par Michel Foucaul »t20. « Toutes les formes de pression sont mises en œuvre pour amener les individus à se comporter comme s’ils étaient engagés dans des relations de transactions et de concurrence sur un marché »21. « Les institutions (hôpitaux, universités, etc.) sont contraintes d’agir comme des entreprises et d’être rentables. Les salariés du secteur public (infirmières, postiers, enseignants, policiers, etc.) sont sommés d’épouser cette rationalité néolibérale, ce qui vide de sens leurs métiers, et contribue à un nombre croissant de suicides et de maladies professionnelles. Là réside l’un des plus grands scandales de l’État néolibéral ! »22

Ces changements portent donc sur tous les champs sociaux de l’économique au politique en passant par l’administratif et le médiatique et « descendent » au cœur de la société civile et imprègnent et perturbent le mode de vie des membres du peuple-classe nonobstant leur diversité.

Derrière l’Etat de droit on constate une omnipotence du gouvernement au service de l’oligarchie financière et des réseaux lobbyistes ou maffieux, en particulier françafricains, destruction des solidarités sociales acquises par les combats populaires, atomisation des individus : telle est la culture néolibérale à la française23. L’auto-hypnose télévisuelle, médiatique et publicitaire ne vantait-t-elle pas jusqu’à il y a peu de temps encore un modèle de réussite égoïste par l’argent facile et le succès médiatique, star-système dont notre président ancien ministre de l’Intérieur est le modèle identificatoire affiché ? L’affaire DSK, jusqu’alors plébiscité par les médias comme le nouvel homme providentiel, manifeste l’overdose des ingrédients de la toute-puissance.

Dans toutes les sphères de la société, de la tête de l’Etat aux établissements scolaires en passant par le monde du travail, la légitimité de tels modes de gouvernance est de plus en plus contestée, dans un contexte d’accroissement flagrant des inégalités socio-économiques, des souffrances psychosociales qui s’ensuivent, et de prise de conscience progressive que le monde –et spécialement la société française- marche sur la tête, qu’on ne peut continuer comme cela. La paralysie progressive du système national procède du fait qu’« en bas on ne veut plus et en haut on ne peut plus ».