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Une maladie universelle : le « campisme » H Goldman

lundi 31 octobre 2011, par Amitié entre les peuples

Une maladie universelle : le « campisme »

Ne cherchez pas dans le dictionnaire, c’est un barbarisme. Pour les plus nombreux, le « campisme » évoque le camping et le scoutisme. Pour d’autres dont je suis, il renvoie à cette idée que la société serait irréductiblement divisée en deux camps, un « bon » – le nôtre par pétition de principe – et un « mauvais ». Une lecture du monde particulièrement confortable. Pour apprécier tel ou tel comportement, tel ou tel événement, il suffira de répondre à la question : est-il « bon » pour notre camp ou sert-il en dernier ressort le camp adverse ? Adieu la complexité du monde. Les adeptes du « campisme » ont rarement de douloureux problèmes de conscience et ils s’endorment sans difficulté.

Les adeptes du campisme adorent la guerre. La ligne de front délimite clairement les camps en présence. Et les nuances et autres subtilités d’intellectuels n’ont plus lieu d’être sous les balles de l’ennemi. C’est l’heure des unions sacrées : que pèsent nos petites différences, nos ridicules conflits internes quand c’est la survie de tout le groupe qui est en jeu ?

Alors, quand la guerre, chaude ou froide, s’estompe, le fond de commerce des campistes disparaît. Pour eux, la chute du mur de Berlin il y a vingt ans fut une véritable catastrophe. Comment encore penser le monde quand l’ennemi s’est désintégré tout seul ? Cet ennemi tellement commode qu’il permet à tout instant d’occulter ou de justifier ses propres turpitudes qui ne sont rien face aux crimes monstrueux de ceux d’en face…

Les héros du campisme…

Encore faut-il constituer les camps en présence. En contradiction avec la prophétie marxiste, ces camps ne se délimitent pas fondamentalement sur base des groupes sociaux. Les lignes de front principales restent superposées aux frontières étatiques, sous-étatiques (comme en Belgique) ou, de plus en plus, supranationales. Pour qu’un camp fonctionne, il faut qu’il puisse s’appuyer sur une opinion publique largement homogène et donc aisément mobilisable, où les points de vue qui font consensus ne risquent pas d’être contredits. Quand il s’agit de faire bloc contre les Flamands, Di Rupo et Reynders oublient leurs querelles et se retrouvent dans la défense intransigeante des francophones. Dans l’esprit du campisme, une prime est toujours accordée à celui qui paraît le plus ferme dans la défense des « siens ». Pour dénoncer celui qui ne se sentirait pas à l’aise dans cette coupure manichéenne, l’insulte est toute trouvée : Munichois [1]. Sous-entendu : face à l’ennemi, c’est la fermeté qui paie et l’esprit de compromis n’est que le masque de la trahison [2].

Évidemment, pour conduire le juste combat de son propre camp, on n’évoque jamais la défense mesquine de ses intérêts économiques ou de ses positions dominantes. Il n’y en a que pour des nobles idéaux. La Démocratie contre le totalitarisme. La Laïcité contre l’obscurantisme. Le Monde libre contre l’Empire du mal. Vive donc Ben Laden, qui a permis de nous reconstruire un super-ennemi comme au bon vieux temps. Désormais, ce n’est plus le spectre du communisme qui hante l’Europe (et le monde) mais l’islamisme, cette hydre protéiforme qui dispose même, au sein de notre propre « camp », d’une inquiétante cinquième colonne qui mine notre société de l’intérieur et qu’il importe de mettre au pas avant qu’il ne soit trop tard.
Pourtant, ces « camps » ne sont que des constructions rhétoriques que la lucidité exige de déconstruire. Chaque camp en présence recèle toujours des éléments contradictoires à prendre en compte, éléments dont les campistes ne s’embarrassent pas. Ceci vaut aussi pour ceux qui ont choisi de prendre le contre-pied systématique du campisme selon Georges W. Bush. Pour ceux-là, le camp anti-impérialiste doit amalgamer tout ce qui s’oppose à la domination de l’Empire sans s’appesantir sur les « détails ». Poutine fait mine de s’opposer à l’hégémonie américaine ? On fera l’impasse sur la boucherie tchétchène. L’Iran dénonce vigoureusement l’écrasement de la Palestine ? On taira le sort fait aux femmes, aux syndicalistes et à l’opposition démocratique sous Ahmadinejad [3]. Cuba résiste envers et contre tout à la domination yankee ? Pas un mot sur le naufrage de la société cubaine sous la férule des frères Castro. Dieudonné dénonce le racisme de la société française ? On passera au bleu son insupportable complaisance à l’égard des antisémites et des fascistes. Évidemment, tous ces raisonnements existent aussi en version réversible.

Et pourtant, face aux injustices les plus criantes, il faut prendre parti. Et, quelquefois, se choisir ponctuellement des alliés auxquels on devra inévitablement s’opposer plus tard dans d’autres contextes [4]. Je sais, c’est un exercice difficile. Est-ce possible sans tomber dans l’aveuglement « campiste », sans sacrifier de justes causes au nom de la « contradiction principale » chère aux maoïstes de naguère ? Je veux croire que oui.

La suite sur le blog d’Henri Goldman

http://blogs.politique.eu.org/Une-maladie-universelle-le