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Une crise du management public C Delarue

jeudi 15 septembre 2011, par Amitié entre les peuples

Une crise du management public

Contribution partielle sur un sujet complexe.

Les directions des Impôts et du Trésor ont fusionné au sein d’une même administration : les Finances publiques. Là les personnels ont pu voir deux types de management. Il s’agit d’une généralisation de traits qui peut évidemment être contredite ici ou là par ce qui semble apparaitre comme des exceptions.

 1) De la théorie managériale à sa pratique.

De façon abstraite il est possible de distinguer deux types de management et donc de dirigeant. Il y a celui qui sanctionne les hors-jeux et celui qui sanctionne les mauvais résultats. Le premier management est de type administratif, légaliste et procédural alors que le second est de type privatiste, « moderne » et néolibéral. La sanction n’est pas nécessairement « effroyable ». Il peut s’agir d’un appel au respect de la procédure (premier type) ou au respect des cadences (second type). Tout dépend des enjeux et du niveau hiérarchique de celui qui commet la faute. Peu importe ici.

En pratique, il n’existe pas deux managements séparés mais un mixte des deux. Les personnels se trouvent alors devant des injonctions contradictoires dites « double bind ». La double contrainte exprime par définition deux contraintes qui s’opposent : l’obligation de chacune contenant une interdiction de l’autre, ce qui rend la situation a priori insoluble. Le « double blind » prend concrètement ici la forme suivante : « on insiste sur la qualité mais on veut surtout des résultats ».

 2) IMPOTS - TRESOR : Deux types de management tendanciellement différents .

Avec les années, sous l’effet de la modernisation, la DGI est devenu un service public ou ce qui comptait de plus en plus était la performance et les résultats statistiques étaient examinés au jour le jour, puis de façon hebdomadaires, puis mensuels, puis annuels. Le fait était devenu patent dans nombre de services « à flux tendus ». Il a radicalement transformé cette administration en une dizaine d’années.

Ce type de management « autorise » beaucoup plus les transgressions qualitatives afin de parvenir aux résultats demandés. Par contre quand les résultats n’étaient pas atteint cela pouvait déboucher sur du harcèlement de membres du personnel. Il semble qu’au Trésor plus chargé de la bonne exécution des opérations comptables la sanction de la hiérarchie portait plus sur les écarts dans la procédure et beaucoup moins sur les résultats atteints. Au Trésor les cadres sont plus exigeants (ou moins souples) sur les protocoles et les procédures. On ne franchit pas la ligne blanche impunément sous prétexte de devoir nécessairement aller plus vite. Le mélange des directions et des managements (fusion DGI CP) à augmenté le « double blind » contre les personnels qui d’ailleurs peuvent afficher en interne des intériorisations différentes du « bon travail ».

 3) Retour sur la théorie managériale et sur le stress renforcé dans les services.

Ce « choc des cultures » perturbe les façons de travailler et la motivation au travail. A écouter Christian Lemoine (Rennes), la motivation n’est rien d’autre que le plaisir à travailler. Et le plaisir ne vient pas des résultats obtenus, c’est l’inverse. Ce n’est pas la présence de « guides opératoires précis rigoureux et intransgressibles » qui nuit fondamentalement au plaisir mais « la pression d’enjeu ». Cependant lorsque l’on a pris l’habitude d’une certaine souplesse dans l’avancement des dossiers la stricte observance des protocoles peut susciter de l’ennui. Mais pour l’auteur, fondamentalement, le manque de plaisir au travail vient de la « pression d’enjeu ».

La « pression d’enjeu » est le plus formidable destructeur de plaisir au travail . Elle génère de la tension sur les résultats à atteindre et aboutie finalement saboter l’ensemble du travail effectué tant en qualité qu’en engagement subjectif. Le travail lorsqu’il est incessamment inscrit dans une logique de performance interne (entre collègues) ou externe (par rapport à d’autres services ou entreprises) cesse d’être un plaisir sain pour devenir aliénation source de conflits cachés ou ouverts ou source d’absentéisme.

La logique de « mesure du mérite » de chacun en matière de notation favorise en plus le défaut de confiance entre collègues car il suffit d’un seul « obsédé » de l’avancement rapide dans un collectif de travail pour que le défaut de confiance apparaisse dans le groupe avec son lot d’individualisme forcené.

 4) Néolibéralisme : « Homo homini lupus »

Pour comprendre l’ensemble il importe de recontextualiser le management. Il subit l’influence de l’idéologie de l’entreprise apparue dans les années 80 et exportée dans les services publics dont on annonçait parallèlement la crise dans les université puis plus tard chez les politiques avec la nécessité de les privatiser et marchandiser. L’idéologie spencérienne de la compétition et de la performance a aussi démoralisé les jeunes aspirants à un travail qualifié mais sans travaillisme.

Aujourd’hui, le problème est que tant dans le privé que dans le public la logique de performance et de compétition est partout, dans le verbe comme dans la pratique. Cela a sans doute fait le bonheur tout relatif des « gros travailleurs » fiers de l’être mais cela a aussi démoralisé les aspirants à un travail qualifié pas prêt à sombrer dans le travaillisme. En effet, à la lutte de place en interne s’ajoute la lutte inter-entreprises de plus en plus féroce. « L’homme est un loup pour l’homme » semble être la marque d’un monde ou la solidarité est absente. Loin d’une attitude sécurisante et fraternelle les entrepreneurs privés et les managers publics, sur le modèle de Hobbes ou Spencer, ne savent pas sortir de la logique de conquêtes.

Il y a un autre problème qui surgit encore plus gravement qui est celui du sens . La compétitivité et la logique de compétition et de performance sont partout mais on ne sait à quoi elle mène si ce n’est à l’accumulation du capital, au productivisme et à l’enrichissement des top-managers donc du haut des entreprises, des services publics et des nations. Hors le fait que les dirigeants d’une entreprise comme d’une nation puissent s’enrichir au prétexte de leurs hautes compétences brise certainement et profondément tout esprit de travail collectif, tout sentiment d’appartenance à une communauté de travail. Quel fonctionnaire de base (C, B, A de base) estime aujourd’hui qu’il fait parti du même bateau que la Haute administration. Le propos vaut pour la Nation.

L’esprit républicain et sa recherche de cohésion sociale devrait y mettre un terme. Il en est de même au-delà des individus démotivés à propos de la dynamique néolibérale d’exclusion des « bras cassés ». Une nouvelle RTT en Europe contre le chômage est préconisé par la CES. Mais qui reprend la revendication ?

Christian Delarue