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Une crise de régime rampante. C Piquet (GU)

dimanche 13 mars 2011, par Amitié entre les peuples

Une crise de régime rampante

par Christian Picquet

lundi 7 mars 2011

http://blog.christian-picquet.fr/

Christian Picquet entre Jean-Luc Mélenchon et Marie-George Buffet

Peut-être retiendra-t-on la date du 27 février 2011 comme celle où sera visiblement mort le sarkozysme. Attention ! Je ne dis pas que le tenant du titre élyséen est d’ores et déjà battu et que 2012 est joué… Si son discrédit se révèle à son comble dans les enquêtes d’opinion, son inspirateur conserve pour principale carte la vacuité de la posture d’une gauche qui en est toujours à chercher le chemin du peuple. Cela dit, au départ, le vainqueur de 2007 affichait un projet aussi ambitieux que déterminé… donc, redoutable. Dont il ne reste plus grand chose !

Ayant réunifié les droites sous sa houlette, à partir d’une volonté de plonger la France dans le bain glacé d’un grand retour en arrière réactionnaire et libéral - avec l’espoir, à peine dissimulé, de libérer définitivement les classes possédantes de leur hantise de toujours, à savoir l’héritage égalitaire de la Révolution française -, il avait su disputer au Front national le terrain de la démagogie identitaire et, surtout, gagner les suffrages d’une fraction des classes populaires, séduite par son discours sur le « travail ». En face, la candidate du Parti socialiste s’était montrée parfaitement impuissante à stopper ce rouleau compresseur, obnubilée par la perspective d’une alliance avec le Modem et par son souci de disputer au camp conservateur ses thèmes de prédilection, à partir d’une rhétorique tournant à vide sur « l’ordre juste ».

La force de Nicolas Sarkozy résidait, au fond, dans le personnage qu’il s’était construit, évocation constante de la tradition bonapartiste française - « cette religion de la bourgeoisie » hexagonale, disait Marx -, mâtinée de ce modernisme auquel prétend le nouvel âge d’un capitalisme rapace comme il ne l’aura jamais été depuis le XIX° siècle. Ce qui devait déboucher, la victoire acquise, sur l’hyperprésidentialisme. C’était aussi le talon d’Achille du nouveau régime. L’impeccable machine conçue pour s’emparer du pouvoir se dérégla dès la fameuse « nuit du Fouquet’s » et avec la mise en scène des vacances dorées de la famille présidentielle sur le yacht de Bolloré : l’homme censé réhabiliter « la valeur travail » commença alors à se métamorphoser en élu « des riches ». L’instauration du « bouclier fiscal », couplée aux premières mesures de libéralisation de l’économie et de destruction des conquêtes sociales au profit de ces oligarques aux côtés desquels le nouveau monarque avait tant tenu à s’afficher, le séparèrent quasi-instantanément de ces travailleurs qu’il avait conquis au moyen de l’immense bobard du « travailler plus pour gagner plus ». Bien avant que la crise ne vînt dissiper les illusions sur un modèle néolibéral censé représenter la fin de l’histoire, le scrutin des municipales de 2008 marqua le début du déclin.

Sarkozy se retrouva, dès cet instant, pris à son propre piège. Symbole de la « rupture » qu’il annonçait à cors et à cris et qui se révélait comme le triomphe insolent des puissances d’argent les plus cyniques, il devint, pour l’opinion, le premier responsable des turpitudes de ses éminences prises la main dans le sac de leurs petits arrangements avec le monde des affaires. Les ingrédients de la crise de régime rampante, à laquelle nous assistons présentement, furent donc réunis dès le début du quinquennat. L’Élysée put bien, au fil de scandales frappant jusqu’à ses principaux ministres, remanier son équipe et débarquer successivement les plus compromis, il peut bien à présent renvoyer Michelle Alliot-Marie à sa chère mairie de Saint-Jean-de-Luz, toutes les dérives lui auront été personnellement imputées. Son autorité, point d’équilibre essentiel à la gestion des affaires dans les mécanismes instaurés par la V° République, s’en sera trouvée à ce point affaiblie qu’il aura progressivement perdu la main dans pratiquement toutes les dimensions de son action. Pire, toutes les manœuvres destinées à redresser sa courbe de popularité se seront retournées contre lui…

UNE POLITIQUE EN LAMBEAUX

Résumons. Inauguré sous les auspices de l’offensive néoconservatrice venue d’outre-Atlantique avec l’accession de George W. Bush à la Maison Blanche, le mandat du nouveau président se sera très rapidement vu privé de ce cadre idéologique de référence, lorsque le capitalisme financier et mondialisé aura révélé l’étendue dévastatrice de sa cupidité : la victoire de Barack Obama sera alors apparue comme un facteur de déstabilisation du sarkozysme. Du « paquet fiscal » de l’été 2007 à la mise en pièces de la retraite à 60 ans, en passant par l’étranglement sournois des services publics et le passage en force que constitua l’adoption du traité de Lisbonne par le Congrès, l’hôte du « Château » aura vu s’atrophier sa base sociale : même Jacques Chirac n’avait jamais atteint un tel niveau de détestation. Les révélations discontinues de l’intimité entretenue par une droite « décomplexée » avec les élites du CAC 40 auront débouché sur une crise morale telle que peu de pouvoirs en avaient connue depuis 1958 : de ce fait, le fossé s’est élargi comme jamais entre les citoyens et ceux qui prétendent les représenter.

Les domaines de compétence exclusive de la présidence se seront ainsi tous trouvés atteints, à commencer par la diplomatie : les compromissions des sommets de l’État avec les dictatures du Maghreb et du Machreck lui auront explosé au visage à la faveur des crises révolutionnaires au sud de la Méditerranée, jusqu’à ruiner ce qu’il demeurait de la « politique arabe de la France » et à provoquer un malaise désintégrateur au plus haut niveau du Quai-d’Orsay. Alors qu’il croyait avoir trouvé, dans sa démarche ultrasécuritaire, la martingale gagnante de sa réélection future, la traduction du délitement social en comportements violents dans certains quartiers populaires, conjuguée aux retombées de la révision générale des politiques publiques sur l’appareil coercitif lui-même, auront abouti à une authentique fracture : entre le régime, ses magistrats et ses policiers, ces derniers s’étant retrouvés dans la rue avec autant de colère que n’en avaient auparavant manifestée les millions de salariés dressés contre la loi Woerth.

Conçu pour relancer la machine gouvernementale, en novembre, le précédent remaniement s’était déjà soldé par un fiasco, lorsque « l’hyper-président » s’était vu contraint de conserver son Premier ministre, de se défaire d’un personnage clé de son dispositif politico-financier en la personne d’Éric Woerth, de consentir au départ de la figure de proue de la mouvance centriste, Jean-Louis Borloo, et de confier les rênes de son propre parti à un rival potentiel, Jean-François Copé. La redistribution en catastrophe des postes, le 27 février, enregistre la poursuite de la descente aux enfers du Prince : il aura dû sacrifier Hortefeux, son homme-lige place Beauvau et, plus encore, consentir au départ de l’Élysée d’un Claude Guéant qui contrôlait la réalité de la politique étrangère de la France, condition mise par Alain Juppé à son arrivée au Quai-d’Orsay. Ce qui, remarquons-le bien, fait de ce personnage à l’image de seul « homme d’État » du gouvernement, non seulement une bouée de sauvetage pour un équipage en perdition, mais une possible solution de rechange si, d’aventure, le résident de l’Élysée n’était plus en mesure de postuler à sa succession dans un an.

LA TENTATION DU LIBÉRAL-VICHYSME

Du sarkozysme originel, il ne reste, autrement dit, que l’obstination à conserver coûte que coûte le pouvoir. Au prix, s’il le faut, des opérations les plus nauséabondes… À juste titre effrayés par le rétrécissement de leurs marges de manœuvre, directement menacés par la remontée en puissance du Front national (dont leurs initiatives hasardeuses sont largement responsables, de débat dérapant sur l’« identité nationale » en diatribes odieuses contre les Roms et en annonces tonitruantes sur la révision du droit de la nationalité), soucieux de se lancer à la reconquête de l’électorat à partir du noyau dur de leurs partisans, les gouvernants s’emploient à conserver l’initiative sur le terrain idéologique. Les voilà donc qui se livrent hâtivement à un bricolage qui relève, sans forcer le trait, malheureusement, d’un libéral-vichysme.

D’un côté, on se lance dans cette fuite en avant consistant, de concert avec Angela Merkel, à imposer brutalement à l’Europe un « pacte de compétitivité » visant à la refonte calamiteuse de ses systèmes sociaux ; on se prépare à abolir, très symboliquement, l’impôt sur la fortune ; l’UMP multiplie, dans le même temps, les assauts contre la durée légale du travail et « l’excès de réglementations » (dont on devine sans peine que cela désigne, en particulier, le code du travail), dans un pays sans doute trop marqué à ses yeux par sa tradition républicaine. De l’autre, on initie un nouveau débat explosif sur l’Islam, pudiquement assorti de considérants sur la laïcité. Son objet est, d’évidence, de fustiger la fraction concernée de la population, dans sa grande majorité issue de l’immigration arabe ou africaine. Comme pour enfoncer le clou, le monarque se rend très pieusement au Puy-en-Velay pour en remettre une couche sur les « racines chrétiennes » de la France. Pas étonnant qu’un haut hiérarque de la majorité, Christian Jacob en l’occurrence, emporté par son élan, se soit cru autorisé à disserter sur les bienfaits de la ruralité (en des termes qui n’étaient pas sans rappeler les heures les plus noires de notre histoire, lorsqu’il était de bon ton d’exalter « la terre qui ne ment pas »). Et, pour faire bonne mesure, on fait appel, pour animer les colloques du parti présidentiel, à cette nouvelle coqueluche de la droite qu’est devenu le glauque polémiste Éric Zemmour, lequel va maintenant au bout de ses divagations en répondant à la commande de « revisiter un certain nombre de lois dites mémorielles ». Même le très sarkozyste Arno Klarsfeld s’en sent obligé d’avouer à quel point il est déconcerté, dans Le Monde du 1er mars : « Assiste-t-on aujourd’hui à une dérive idéologique au seon de l’UMP ? Est-ce à un grand parti de vouloir revenir sur les lois mémorielles votées par le Parlement, offensant ainsi un grand nombre de nos compatriotes pour ne flatter que la frange la plus extrême de la droite ? »

Cette tentative de contre-offensive a t-elle quelque chance d’atteindre son but ? Il permis d’en douter, tant elle apparaît désordonnée, mal maîtrisée, à contretemps… Jouer sur la peur du monde musulman s’avère, par exemple, quelque peu étrange, au moment précis où les révolutions arabes révèlent l’inanité de la funeste théorie du « choc des civilisations ». Dynamiter le débat public, dans l’espoir de placer très à droite le curseur des clivages en s’appropriant les thèmes de prédilection de l’extrême droite risque, non seulement, d’élargir le camp des adversaires les plus acharnés du premier personnage de l’État, mais encore d’accroître la place de Marine Le Pen dans la course présidentielle. Ce qui n’est pas sans expliquer la levée de boucliers que cette brillante entreprise provoque présentement au cœur même de la droite.

Le constat peut dès lors, sans crainte, être formulé : ce régime ne tient plus guère qu’à un fil. Ébranlé par le soulèvement social de l’automne, pourrait-il résister à une autre explosion de colère de semblable ampleur ? Peu probable ! À trois ans de distance, voilà qui donne raison à François Léotard, lorsqu’il écrivait : « Il n’y a pas, heureusement, de peuple plus sceptique que le nôtre quant aux vertus de ses dirigeants » (in Ca va mal finir, Grasset, 2008). En fin de compte, l’échec de Nicolas Sarkozy renvoie à son impuissance à convaincre le pays de se détourner de ses fondations républicaines pour s’abandonner aux promesses illusoires du nouvel ordre libéral du monde. Un gauche conquérante n’aurait guère de difficultés à le faire chuter. Pourvu qu’elle se montrât à la hauteur… Ce qui n’est pas vraiment le cas, aujourd’hui, de sa composante encore dominante !