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Un professeur témoigne : l’école a trahi !

mardi 27 octobre 2020, par Amitié entre les peuples

Un professeur témoigne : l’école a trahi !

L’école française a trahi ses enseignants, ses élèves et l’esprit même de la République en soutenant systématiquement la médiocrité et le communautarisme contre la transmission des savoirs rationnels.

Elle s’efforce même, avec toutes les armes qui sont les siennes, d’empêcher que nous construisions des esprits sains, rationnels et éclairés : en témoignent par exemple la sortie récente des mathématiques hors du tronc commun (Un scandale !), mais aussi l’abaissement de toutes les exigences au point qu’un élève qui écrit aujourd’hui 2 + 2 = 5 aura quand même des points. Les passages ne sont plus décidés par les enseignants mais par les parents d’élèves. Nos notes sont systématiquement relevées (quand nous ne les relevons pas nous-mêmes pour ne plus avoir d’histoires – tout comme les journalistes s’auto-censurent), nous sommes convoqués par les chefs d’établissements quand les parents contestent notre pédagogie, nos cours ou les notes mises à leurs enfants… Nous n’avons plus le droit de dire quoi que ce soit sur le niveau affligeant des élèves qui passent d’une année à l’autre, recevant même parfois les encouragements alors qu’ils perturbent leur classe, puisque les proviseurs et les recteurs sont récompensés en fonction des résultats scolaires (primes)… Heureusement que les études PISA (enfin un bon point à l’Europe !) viennent ébranler un peu cette forteresse du mensonge, du silence et de la manipulation. Comment s’enorgueillir d’avoir autant de bacheliers quand une bonne partie d’entre eux ne maîtrise aucun des savoirs fondamentaux…

Depuis plus de trente ans, en prétendant mettre l’élève au centre (cf. Loi d’orientation de l’école de Jospin en 1989), l’école française a mis l’ignorance et l’obscurantisme à l’honneur et a empêché – aidée en cela par une dangereuse armée de « pédagogistes » – que les élèves accèdent à l’autonomie du savoir. Comment ? En mettant systématiquement et sciemment des bâtons dans les roues des enseignants considérés aujourd’hui davantage comme des animateurs que des « transmetteurs » de savoir (ayant été mis au même niveau que leurs élèves). On les a ainsi sacrifiés sur l’autel des compromissions faits avec les représentants de l’ignorance. En tant qu’enseignante, j’ai de nombreux exemples à vous donner (prises dans mon histoire personnelle ou dans celle de collègues) dans lesquels l’administration a systématiquement donné raison à des élèves refusant l’enseignement républicain au nom de leur soi-disant appartenance religieuse.

EXEMPLES

« On » (l’administration) m’a, par exemple, déjà conseillé d’aller consulter l’imam du quartier pour être en mesure de faire mes cours (pour me « faciliter la tâche », ai-je entendu) ; « on » m’a déjà dit que c’était normal que des élèves garçons ne veuillent pas que je leur fasse cours parce que je suis une femme : c’est là « un phénomène culturel « normal » » (aucune sanction à l’appui). Lors d’un cours sur la religion dans un établissement qui n’est même pas reconnu comme difficile (je suis prof de philo), et alors que j’exposais la théorie freudienne sur la religion (considérée comme une « illusion consolatrice »), une vingtaine d’élèves se sont levés pour dire que ce que je racontais était un blasphème, que « j’allais voir ce que j’allais voir », qu’ils allaient en parler à leur imam… Devant leurs menaces, j’ai quitté ma classe et suis allée voir la proviseure pour lui signifier mon impossibilité de faire cours (considérant que ma vie était en danger.) Celle-ci m’a répondu sans vergogne : « Madame, vous êtes une lavette comparée aux hussards noirs de la République. Vous retournez dans votre classe et vous récupérerez les cinq minutes que vous venez de louper ». Je peux nommer cette personne incarnant l’ordre institutionnel. Elle a, parmi tant d’autres, contribué à affaiblir les enseignants face à la menace islamiste, soutenue en cela par une administration totalement conciliante.

« j’ai décidé de ne plus aborder la question de la religion ou de la laïcité dans mes cours »

Je suis professeur de philosophie et, pour survivre, j’ai décidé de ne plus aborder la question de la religion ou de la laïcité dans mes cours. Samuel Paty, en cela, a été très courageux et mérite toute notre admiration. Je connais bon nombre de profs d’histoire qui ne peuvent plus aborder leurs cours sur la Turquie de Erdogan ou sur le conflit israélo-palestinien sans courir de risques. Les profs de SVT ont aussi des problèmes quand il s’agit d’aborder le thème de la sexualité. La bible ne peut plus être analysée comme un texte littéraire à part entière. Récemment, une collègue de français est venue me demander mon opinion sur un texte littéraire totalement laïque qu’elle comptait faire étudier à ses élèves mais dans lequel apparaissait l’expression « nul n’est prophète en son pays ». Elle avait peur que ses élèves « le prennent mal » (peur de représailles…)

« La terreur l’a emporté »

Nous ne savons plus que faire, que dire et comment le dire. La terreur l’a emporté.

Cela fait DES ANNÉES que nous dénonçons cela sans obtenir aucune attention de la part du public, des journalistes, des politiques ou de la société civile. Les enseignants ont été jetés en pâture à la vindicte publique qui se régale de cibles faciles, tout en ne comprenant pas que l’enseignant est par nature AU SERVICE de la société (tout comme le policier, le juge ou l’infirmière) et de son élévation intellectuelle pour le plus grand bien de tous. Tous les enseignants, surtout ceux qui travaillent dans les milieux populaires, ont comme ambition majeure de faire fonctionner l’ascenseur social – aujourd’hui TOTALEMENT au point mort (au point d’emporter dans sa chute également les classes moyennes…).

Ma théorie est la suivante  :

1) Ni l’islamisme radical ni le néolibéralisme n’ont intérêt à ce que la raison se développe… L’obscurantisme (qui a d’ailleurs en grande partie gagné si je m’en tiens aux copies que je corrige) sert la grande entreprise de manipulation et de lavage de cerveau qu’est le néolibéralisme. Les revendications communautaristes sont une bénédiction dans une telle entreprise de destruction du savoir : au nom de la lutte contre le racisme ou de je ne sais quelle discrimination, on laisse des minorités obscurantistes dicter leur loi. Les censeurs (journalistes et autres) lancent autrement des cris d’orfraie et crient à l’islamophobie. C’est d’ailleurs ce qu’ont compris certains élèves, arguant de manière systématique que nous sommes racistes lorsqu’ils reçoivent de mauvaises notes

2) Les gouvernements néolibéraux qui se sont succédé ces trente dernières années (gouvernements de gauche Y COMPRIS) travaillent à la destruction de l’école publique pour en faire un grand marché privé. Ce sont là des directives européennes que nous connaissons bien. S’attaquer dès lors à l’enseignement républicain et éclairé a été la meilleure façon de faire fuir les classes moyennes supérieures et aisées vers les lycées privés. C’est là un mouvement qui va ne faire que s’amplifier dans les prochaines années. Tout cela est aidé par la propagande anti-profs abondamment relayée en boucle par les médias publics et privés depuis tant d’années. Je pense personnellement que l’éducation nationale est un nouveau cas « France Télécom ».

3) Je soutiens ici que le gauchisme communautariste qui en appelle constamment à l’islamophobie dès qu’un acte barbare est dénoncé est anti-républicain et aussi dangereux pour le pays que la droite néolibérale qui vend nos services publics aux puissances privées et qui a comme objectif principal d’abrutir les masses (pour en faire des « cerveaux disponibles » à Coca-Cola et autres). Et qu’il nous faut dès lors, de façon urgente, construire un républicanisme de gauche social et écologique (inexistant dans notre pays) !

« Parler encore de « Lumières » pour définir la République française d’aujourd’hui relève de la novlangue »

Voilà où nous en sommes aujourd’hui après des décennies de lâcheté et de collaboration active avec les forces obscures qui minent notre société (islamisme et hyper-capitalisme) : à l’aube d’une terrible et immense barbarie dont nous ne sommes pas près de sortir, tant le courage politique fait défaut tout comme l’intelligence de soi-disant « élites ». Parler encore de « Lumières » pour définir la République française d’aujourd’hui relève de la novlangue. Nous sommes, depuis longtemps, entrés dans l’apologie de l’irrationnel, du relativisme et du particularisme contre l’esprit universaliste des Lumières. Voltaire s’est déjà retourné dans sa tombe.

« La « grande muette » n’aime pas les fuites »

Je signe, malheureusement, de façon anonyme. Car la hiérarchie va nous mettre sous pression et rappeler son petit monde à l’ordre. La « grande muette » n’aime pas les fuites et va nous punir à sa manière (par les blâmes, les emplois du temps pourris, les classes surchargées… qu’on a déjà d’ailleurs, l’appel au devoir de réserve qui n’existe même pas dans le code de la fonction publique.)

Oui merci de diffuser largement, amplement. Merci de le faire savoir.

Nous n’en pouvons plus.

À la mémoire de Samuel Paty… mort pour une institution odieuse et scélérate