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TUNISIE et EGYPTE : DEUX PEUPLES-CLASSE AGRESSES par les nouvelles élites !

mercredi 6 décembre 2017, par Amitié entre les peuples

TUNISIE et EGYPTE : DEUX PEUPLES-CLASSE AGRESSES par les nouvelles élites islamistes !

Site NPA

https://npa2009.org/idees/international/les-islamistes-lepreuve-du-pouvoir

En 2012 et 2013, les Frères musulmans égyptiens et leurs cousins tunisiens d’Ennahdha ont pour la première fois exercé le pouvoir. A la mi-2013, leur bilan était catastrophique et de gigantesques manifestations ont exigé leur départ. Dans les deux cas, les forces des anciens régimes, qui avaient conservé l’essentiel de leurs position dans l’appareil d’Etat et l’économie, se sont saisies de l’occasion pour récupérer le pouvoir. En Egypte, une dictature militaire pire que celle de Moubarak est en place depuis l’été 2013. En Tunisie, le gouvernement Ennahdha a fini par démissionner en janvier 2014, en partie pour éviter le type de répression implacable subie par les islamistes égyptiens. Puis il est revenu un an plus tard au gouvernement, pour y jouer les seconds rôles.

Tunisie : une mise en retrait pour mieux s’enraciner et revenir

Depuis janvier 2011, Ennahdha (le « Mouvement de la renaissance ») est parvenu par deux fois au pouvoir, en 2012-2013 en position hégémonique, depuis février 2015 dans le cadre de gouvernements de coalition dirigés par des notables de l’ancien régime. Dans les deux cas, sa politique économique et sociale s’est située dans la continuité de celle de l’ancien régime, et donc à l’antipode des objectifs de la révolution.1

A la tête du gouvernement à compter du 24 décembre 2011, les dirigeants d’Ennahdha ont notamment cherché à mettre en œuvre deux de leurs objectifs fondateurs : l’inscription de la chari’a dans la Constitution, la remise en cause de l’égalité juridique partielle dont les femmes bénéficiaient depuis les lendemains de l’indépendance. Ils ont été contraints d’y renoncer face aux mobilisations. En cherchant à se consolider dans la durée, ils ont développé leur mainmise sur l’administration en y recrutant massivement leurs partisans.

Ennahdha a voulu assurer son leadership sur l’ensemble de l’islam politique existant en Tunisie. A la base, une symbiose s’est réalisée entre militants d’Ennahdha et salafistes. Des prédicateurs islamistes du Moyen-Orient parmi les plus réactionnaires parcouraient librement le pays, et certains ont même été invités par l’allié d’Ennahdha, Moncef Marzouki au palais présidentiel. Quant aux jihadistes qui commençaient à constituer des maquis dans l’intérieur du pays, le président d’Ennahdha affirmait qu’il s’agissait de jeunes sportifs aimant la vie au grand air. Tenant en public des propos modérés, il expliquait en privé à des salafistes que l’heure du 6e Califat allait bientôt sonner.

Sur le terrain, les milices islamistes ont multiplié les menaces et attaques contre les libertés individuelles, en particulier celles des femmes, la liberté d’expression et notamment celle des artistes, ainsi que contre des militants de gauche et des locaux syndicaux. Le pouvoir fermait les yeux sur ces exactions, tout en réprimant les mobilisations, faisant par exemple tirer à la chevrotine sur la population de Siliana en novembre 2012.

En 2013, suite aux assassinats successifs de deux dirigeants du Front populaire, des mobilisations massives ont exigé le départ du gouvernement Ennahdha, accusé d’être impliqué directement ou indirectement dans ces deux meurtres. Face au risque de subir le même sort que les Frères musulmans égyptiens, l’idée qu’il est temps de se retirer momentanément du pouvoir a fini par l’emporter dans Ennahdha. Le 14 août 2013, un accord a été conclu entre les présidents du mouvement islamiste et de Nidaa Tounes (« Appel de la Tunisie »), un parti constitué autour de notables de l’ancien régime. Pendant des mois, ces deux partis n’avaient pourtant cessé de se diaboliser mutuellement, mais leurs intérêts communs l’emportaient désormais. Le 9 janvier 2014, le gouvernement Ennahdha a démissionné, tout en conservant les positions acquises par ses partisans dans les rouages de l’Etat afin de pouvoir repartir plus tard d’un bon pied. Aux élections législatives d’octobre 2014, Ennahdha n’a finalement reculé que de façon limitée, retrouvant ainsi sa capacité à redevenir un parti de gouvernement.

Dans la logique de l’accord réalisé en août 2013, Nidaa a accordé quelques places au parti islamiste dans les gouvernements constitués depuis février 2015. Ceux-ci poursuivent la politique économique et sociale néolibérale à l’œuvre depuis l’époque de Ben Ali. Ce retour prudent au pouvoir permet à Ennahdha de se consolider. Il contribue par contre à accélérer la décomposition de Nidaa Tounes, dont l’objectif affiché lors de sa création avait été la lutte frontale contre Ennahdha. Suite aux démissions et aux scissions successives de Nidaa, Ennahdha est progressivement redevenu le premier groupe présent au parlement.

N’ayant qu’un rôle secondaire au sein de la coalition gouvernementale, Ennahdha est moins exposé que Nidaa au mécontentement grandissant de la population. Le mouvement se retrouve ainsi dans de bonnes conditions pour accentuer son ancrage local lors des prochaines élections municipales, et pour qu’un jour ou l’autre le pouvoir finisse par lui tomber entre les mains comme un fruit mûr.... à condition que les luttes de clans qui l’agitent finissent par se calmer. En attendant, Ennahdha ne cesse d’afficher son admiration pour l’AKP au pouvoir en Turquie, qui combine islamisme sociétalement conservateur, néolibéralisme économique et social, et autoritarisme implacable.

Dominique Lerouge

Egypte : d’une tentative de règne sans partage à une impitoyable répression

En janvier 2011, l’Egypte semblait marcher dans les pas de la Tunisie : même rejet massif d’un dictateur obsédé par l’organisation de sa succession en faveur de son fils, même rejet de la mise en coupe réglée de l’économie par des hommes d’affaires corrompus, mêmes mots d’ordre : « Le peuple veut la chute du régime » et « Dégage ! » Mais contrairement à la Tunisie, le dictateur n’a pas pris la fuite. La seule force capable de le chasser était malheureusement l’armée, qui structure l’appareil d’Etat et une grande partie de l’économie depuis des dizaines d’années. Le 11 février 2011, elle a destitué Moubarak et s’est emparé du pouvoir exécutif.

Mise à part l’armée, la seule force réellement organisée à l’échelle du pays était la confrérie des Frères musulmans. Créée en 1928, son histoire a été jalonnée par la répression, les arrestations, la torture. Mais elle quadrillait la société grâce à ses activités caritatives. Son mot d’ordre principal était simple : « l’islam est la solution ». A chaque fois que l’occasion s’est présentée, les Frères musulmans ont remporté d’importants succès électoraux, comme dans les législatives de 2005 ou pour des élections aux structures représentatives de certaines professions (ingénieurs, médecins, avocats...). Par ailleurs, la politique d’Infitah (ouverture économique) initiée par le président Sadate dans les années 1970 a provoqué des changements importants au sein de la confrérie : elle a soutenu cette politique libérale, y compris la remise en cause en 1997 de la réforme agraire datant de l’époque de Nasser, et a en retour progressivement recruté dans la moyenne bourgeoisie et parmi les hommes d’affaires.

Alors qu’ils avaient pris en marche le train de la révolution de janvier 2011, leur parti a remporté les élections législatives de janvier 2012 avec 37,5 % des voix, devant les salafistes du parti El Nour (27,8 %). Et cela, avec un taux de participation sans précédent : trente millions de votants. Le 17 juin 2012, le candidat des Frères, Mohamed Morsi, a remporté le second tour des élections présidentielles avec 51,7 % des suffrages, contre 48,2 % pour le candidat affiché de l’ancien régime. La participation a été bien moins importante que pour les législatives, particulièrement chez les jeunes.

A partir de novembre-décembre 2012, Morsi a élargi ses pouvoirs avec la possibilité de légiférer par décret et d’annuler les décisions de justice ; il a limogé le procureur général du pays. Des manifestations de protestation se sont organisées et de très nombreuses grèves ouvrières ont éclaté. Morsi a par ailleurs mis en place une commission constituante dans laquelle des Frères et des salafistes étaient hégémoniques. Elle a été boycottée par la quasi totalité des partis non islamistes. Le règne de Morsi a été marqué par un recul de la situation des femmes, sans aucune avancée des droits des travailleurs ou des coptes. Organisation conservatrice, la confrérie n’a pas été capable de s’adapter à la nouvelle donne politique pluraliste. Elle a voulu imposer son hégémonie sur tout l’appareil d’Etat, ce que ni le peuple ni surtout l’armée ne pouvaient tolérer.

Le 30 juin 2013, les jeunes du mouvement Tamarrod (Rébellion) réussissent à initier une gigantesque mobilisation : on parle de 14 ou même 20 millions de manifestants à travers tout le pays. Cependant, ils ne disposent pas des leviers organisationnels pour renverser Morsi, appuyé sur l’appareil des Frères. Pour la plupart de tradition nassérienne, les dirigeants de Tamarrod s’en remettent alors à l’armée. Et c’est celle-ci qui, comme en 2011, renverse le président ; un président élu démocratiquement bien entendu, mais dans des circonstances particulières, avec un mandat du peuple qu’il s’est empressé de trahir, d’où sa perte de popularité et le droit légitime aux yeux des manifestants de le révoquer.

Le 3 juillet 2013, le maréchal Sissi prend le pouvoir. Il reçoit le soutien des libéraux et des sociaux-démocrates, mais aussi des nassériens et de dirigeants des syndicats indépendants qui s’étaient construits après janvier 2011. Sissi et l’armée vont réussir, par une propagande effrénée, à faire passer l’idée qu’ils représentent la continuité de la révolution et qu’ils vont réaliser ses aspirations à la condition d’un retour à la « normalité » et à la « stabilité ».

En août 2013, l’armée réprime dans le sang les sit-in organisés au Caire par les pro-Morsi. On dénombre des milliers de morts, de blessés et d’arrestations. Prétextant d’un attentat, le 24 décembre 2013, revendiqué par Ansar Beit el Maqdis (devenu depuis « Province du Sinaï de Daech »), le gouvernement décide de l’attribuer aux Frères, de les criminaliser et de classer la confrérie comme « groupe terroriste ».

Un coup très dur a été porté aux Frères par la fermeture de leurs dispensaires, écoles, centres d’apprentissage ainsi que par le gel de leurs avoirs. Les dirigeants qui ont pu échapper à la prison sont partis en exil au Qatar ou en Turquie. Les divisions entre les tenants d’un compromis avec le pouvoir et ceux qui font du retour de Morsi une condition non négociable s’exacerbent et la scission semble inévitable, avec un affaiblissement que la confrérie n’a jamais connu depuis sa création. Ce sont les groupes islamistes les plus radicaux, comme la « Province du Sinaï » de Daech ou Hasm, qui tiennent le devant de la scène avec des attaques terroristes qui ne cessent pas, que ce soit dans le Sinaï ou dans les grandes villes.

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