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Stratégie de la tension au Venezuela - M Lemoine (Medelu)

dimanche 23 février 2014, par Amitié entre les peuples

Stratégie de la tension au Venezuela

Par Maurice Lemoine | 20 février 2014

Tout commence, en apparence, dans l’Etat de Táchira. Le 6 février, au terme d’une manifestation théoriquement convoquée pour protester « contre l’insécurité », un groupe de quelque 80 étudiants cagoulés incendie la guérite de la résidence du gouverneur, brise le portail et s’en prend violemment au bâtiment, avec un solde de onze blessés, dont neuf policiers. Dans les jours qui suivent, réclamant la libération des personnes arrêtées lors de ces désordres, d’autres manifestations se déroulent dans l’Etat de Mérida, débouchant à leur tour sur des actes de violence et de nouvelles détentions. Le 12 février, les événements s’emballent et prennent une tournure dramatique : à Caracas, une nouvelle démonstration se termine, devant l’immeuble du Ministère public (le siège du pouvoir judiciaire), par de violentes échauffourées qui font trois morts par armes à feu et plus de 60 blessés.

Les chocs entre « étudiants » et forces de l’ordre reprennent de plus belle le 15 février, près du Parque del Este, dans la capitale, où la journée de « protestation civique » se termine par de multiples dégradations et la mise à sac, par des groupes de choc, de stations de métro [1]. Le lendemain, c’est sur la place Altamira – bastion emblématique de l’opposition depuis la tentative de coup d’Etat d’avril 2002 contre Hugo Chávez – et devant les locaux de la chaîne nationale Venezolana de Televisión que les contestataires établissent leurs quartiers, avec, en corollaire, pour leur répondre, un classique déluge d’armes non létales – gaz lacrymogènes et balles en caoutchouc.

Ce qui, quelques jours auparavant, avait débuté comme une banale fronde étudiante a, entre temps, changé de nature. Avec pour chefs de file Leopoldo López, coordinateur national du parti Volonté populaire et ex-maire de Chacao (un quartier chic de Caracas), la députée María Corina Machado, très appréciée dans les secteurs les plus radicaux, ainsi que le maire « social-démocrate » du grand Caracas, Antonio Ledezma, les dirigeants de l’opposition appellent au soulèvement contre le régime « autoritaire », « corrompu » et « incompétent » du président Nicolas Maduro. Ce que d’aucuns nomment déjà avec gourmandise « le printemps vénézuélien » vient-il de commencer ?

Le pays traverse une période délicate, nul n’en disconvient. Insécurité, pénuries (dont la très médiatisée absence de papier toilette dans les rayons des supermarchés), marché noir et surtout inflation galopante (56 % en 2013) y ont, ces derniers temps, semé, selon le camp où le citoyen se situe, l’inquiétude ou l’exaspération.

Un contrôle des changes ayant été instauré en 2003 par Chávez pour empêcher la fuite des capitaux, les Vénézuéliens qui ont besoin de dollars pour importer ou voyager à l’extérieur doivent passer par un organisme d’Etat et les acheter à un prix imposé, nommé « préférentiel ». La quantité de dollars disponibles à ce taux étant restreinte, alors que la demande demeure importante, un marché noir a surgi, sur lequel la monnaie américaine se négocie à des prix faramineux – jusqu’à douze fois le taux officiel de 6,3 bolivars par dollar. « Ce qui a réellement poussé l’inflation, il y a près d’un an, explique l’économiste Marc Weisbrot, co-directeur du Center for Economic and Policy Research, à Washington,fut la réduction de l’octroi de dollars pour le marché extérieur. Ceux-ci ont été réduits de moitié en octobre 2012 et pratiquement éliminés en février 2013. De sorte que beaucoup d’importateurs ont dû acheter davantage de dollars au marché noir. C’est de là qu’est venu le pic d’inflation [2]. »

Dans l’analyse du phénomène, beaucoup en sont restés là, pointant du doigt la responsabilité ou l’incompétence des cercles dirigeants au sein desquels, de fait, se déroule un débat – ouverture, poursuite de la même politique, radicalisation ? – sur les mesures à prendre pour mettre un terme à ces distorsions [3]. Mais bien peu ont mis l’accent sur la partie immergée de l’iceberg : comme au Chili, au cours des mois qui ont précédé le renversement et la mort de Salvador Allende, c’est bel et bien une entreprise de déstabilisation économique qui fait tanguer le Venezuela.

En novembre 2013, l’affluence populaire pour acheter « à des prix justes » les produits électroménagers de la chaîne Daka, après que, occupée par le gouvernement, elle ait vu ses biens confisqués à Caracas, Punto Fijo, Barquisimeto et Valencia, a mis un coup de projecteur sur les méthodes utilisées pour spéculer, saboter l’économie, ou les deux à la fois : après avoir obtenu plus de 400 millions de dollars publics, de 2004 à 2012, pour importer ces biens à bas prix, Daka pratiquait une surfacturation pouvant aller jusqu’à 1 000 % en les revendant. Au même moment, une inspection du magasin d’électronique et d’audio-visuel Pablo Electronica détectait une augmentation injustifiée des tarifs (de 400 à 2000 %). On pourrait remplir des pages entières d’exemples, tant ils sont légion. Dès lors, dans son offensive contre « la guerre économique », le pouvoir a mis en place un plan ambitieux de régulation des prix des biens et des services, et en a incontestablement récolté les fruits : le 8 décembre, alors qu’on les disait (ou croyait, ou souhaitait) moribondes, les forces chavistes remportaient les élections municipales, prenant ou conservant 76,42 % des mairies du pays (256municipios) et devançant la Plateforme d’unité démocratique (MUD : 22,69 %, 76 municipios) de plus d’un million de voix. Depuis, la « Loi organique des prix justes », entrée en vigueur le 11 janvier 2014, limite les marges bénéficiaires sur les biens et les services à 30 %.

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