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Souverainisme, souveraineté par en-bas et pour en-bas. Christian DELARUE

jeudi 22 mars 2018, par Amitié entre les peuples

Du côté du FREXIT :

Souverainisme, souveraineté par en-bas et pour en-bas.

Puisqu’il a pu être demandé de débattre sur la souveraineté populaire sans invective venue d’un « politiquement correct » présentons une contribution évidemment passible elle-même de critiques. Mais ce n’est pas tant la critique qui fait peur et qui peut être destructive que les procédés de dénigrements répétés ou de quasi-diffamation ou stigmatisation par des PPP (entendez ici « petit prof persécuteur » et non « partenariat public privé »)

I - Une conception générale.

Nous ne présenterons pas une critique frontale contre l’option « souverainiste » mais plutôt une modalité critique de type nettement « non communautaire », en refusant toute référence à un « peuple totalité » (type peuple nation ou peuple démocratico-citoyen). Nous préférons une modalité de combat social et de combat laïque maintenu tout au long d’un processus de sortie de l’Union européenne . Le tout, en plus, sans rien lâcher jamais d’une nécessaire perspective de solidarité pluri-émancipatrice entre les peuples d’Europe . D’abord entre les peuples (les peuples-classe), éventuellement et avec beaucoup de vigilance entre les Etats ! Car il y a besoin d’une autre Europe après la sortie de l’Union européenne et de son carcan oligarchique.

Il existe une tendance dans l’altermondialisme à vouloir partout, à chaque niveau territorial (local, régional, national, continental, mondial), construire des mouvements sociaux et populaires de mobilisation et démocratisation par en-bas. Cette mise à plat des niveaux - que j’ai moi-même défendu - est critiquée par les partisans de « l’émancipation nationale », émancipation au moyen de la constitution politique d’un « bloc social » (Gramsci) transclassiste, bloc comprenant une « élite de Frexit » et diverses fractions des classes populaires.

II - La rupture avec l’UE

Cette critique porte contre le refus de voir d’une part la spécificité du cadre national au plan démocratique et d’autre part que l’Etat peut être dirigé par « sa main gauche » comme disait Bourdieu. La main droite est celle de l’Etat d’exception, de l’Etat policier et des droits amoindris. Elle profite aux classes dominantes.

Cette double critique a des arguments forts qui ne sont pas nécessairement redevable d’un nationalisme xénophobe. Donc point d’invective inutile. Néanmoins, il convient d’être prudent.

Cette double critique vient à l’appui d’une série de ruptures franches : « Il faut rompre avec l’union européenne, avec l’euro, sortir de l’OTAN, refuser la ratification du CETA  » (Jacques Cotta)

III - La politique ne consiste pas à constater le peuple, elle consiste à “produire” le peuple dit Pierre MANENT (après d’autres) partisan d’un « souverainisme modéré » (2).

Il écrit : Même quand, à un certain moment de l’histoire, tout le monde faisait référence au peuple français, il s’agissait d’une référence divisée en deux peuples, le peuple de droite et le peuple de gauche. Tendanciellement, la gauche représentait le peuple social, celui des masses populaires et des exploités comme disait le Parti communiste, et la droite, tendanciellement, le peuple national.

IV - Quel peuple produire et comment ? On ne peut plus faire comme si le peuple-classe n’avait aucune fonction de contestation même s’il n’est nullement « sujet révolutionnaire » . Simplement s’adresser à lui, ce n’est pas s’adresser à une entité qui englobe les classes dominantes. Perspective de sortie par la gauche !

Revenons donc au "par en-bas ou pour en-bas », qui me semble la marque d’une praxis de gauche ou d’émancipation sociale, politique opposée à celle « front national » par en-haut et pour en-haut le peuple n’ayant que les miettes du « ruissellement » . Ici, avec un tel « front national », le FN de Le Pen (renommé Rassemblement il y a peu) n’a plus qu’à ajouter sans les migrants surtout ceux du Sud et l’on se retrouve bien à droite dans l’échiquier politique.

On évoque la notion d’empowerment pour signifier qu’il s’agit pour les acteurs intermédiaires (syndicats, partis, associations, leader d’opinions alter, etc) de fortifier la capacité et puissance d’agir de ceux et celles d’en-bas qui à l’ordinaire subissent la domination classiste voir les dominations en cas de cumul avec le racisme, le sexisme et autres...

V - Quel peuple décide quoi dans quelle démocratie ?

Il y aurait à avoir ici un débat sur la « démocratie réellement existante » qui est rabougrie et pourvoyeuse de pouvoir aux élites. Passons sur la critique d’une démocratie oligarchique. Vive l’alter-démocratie.

« Les peuples veulent pouvoir décider eux-mêmes de ce qui les concerne ». Certes M Jacques Cotta, mais voilà une aspiration démocratique constamment instrumentalisée par les élites, celles politiques devant les diverses élites économiques à l’arrière. Il ne s’agit pas là des classes dirigeantes externes, mais de celles internes à la Nation, de chez nous.

La bourgeoise bancaire est prédatrice et ce n’est pas pour rien que l’on défend à gauche la socialisation des grandes banques. Si une alliance de classes est à construire c’est bien avec des élites annonçant nettement être favorables à une telle appropriation sociale. Et il revient aux acteurs du peuple-classe, dont les syndicats de travailleurs et travailleuses d’agir en ce sens.

En appeler au « peuple nation » c’est faire usage d’une notion trop englobante pour être de gauche. Elle englobe en-haut les dominants mais pas en-bas les migrants en résidence sur notre sol. C’est là se couler dans une conception communautaire du peuple (peuple tout), qu’il s’agisse du peuple démocratico-citoyen (à gauche) ou du peuple ethno-culturel français de souche (à l’extrême-droite) . Il importe de retrouver l’usage d’un « peuple fraction », d’un « peuple partie ». Ce faisant il ne s’agit pas d’invoquer alors, comme jadis, une peuple réduit aux couches populaires pauvres ou très modestes qui vivent avec un smic ou moins.

C’est à un point de vue populaire large qu’il convient de se référer : le peuple-classe (people 99%) . Car on doit se méfier tout autant de la classe dominante nationale que des classes dominantes de l’Union européenne, de l’oligarchie.

VI - Ceux d’en-bas, largement compris, veulent un Etat social mais beaucoup moins le 1% d’en-haut !

Non seulement le 1 % peut se passer de Sécurité sociale mais il fait tout pour la marchandiser.

« Nous avons dans le temps acquis notre système de solidarité, la sécurité sociale, nos services publics. Nous avons bâti notre industrie, créé et occupé nos emplois, mis en place notre système de retraite, de santé, d’éducation. » (J Cotta même texte) . Il faut défendre effectivement ce modèle social - « main gauche » de l’Etat - et même le reconstruire pour ce qui a déjà été détruit depuis 30 ans. Mais il revient plus au peuple-classe 99%, par delà ses contradictions internes (division public-privé, division stables-précaires, division modestes-moyen face aux marchés (question du rapport de solvabilité), de revendiquer ce qui relève du bien commun, de la République non calée sur les besoins du 1% et de la finale et donc de la satisfaction des besoins sociaux (en incluant l’écologie) et de l’intérêt général que de s’en remettre à un « peuple nation » dirigé par une classe dirigeante en collusion avec la classe dominante.

Qu’il y ait des cadres supérieurs dans les 5 ou 10% d’en-haut en appui de ce 1% d’en-haut n’est pas nouveau. Mais c’est surtout le 1% qui veut privatiser, financiariser, marchandiser afin de faire des profits toujours plus élevés. Nous sommes loin de l’intérêt général mais plus proche de la France-Entreprise. Une France-Entreprise bien loin de la République sociale que souhaite Jacques Cotta et les membres de la revue Militant (1 bis)

Christian DELARUE

1) Souverainisme, Souveraineté et France Insoumise... par Jacques Cotta - INITIATIVE COMMUNISTE
https://www.initiative-communiste.fr/articles/europe-capital/souverainisme-souverainete-france-insoumise-jacques-cotta/

1 bis J’ai lu d’abord le texte de M Cotta dans la revue Militant n° 154 (1er semestre 2018) - Bulletin marxiste pour la France insoumise.

2) Pierre Manent, EHESS, sur la souveraineté : « On entend les peuples crier, c’est ce qu’on appelle les populismes »
https://www.lenouveleconomiste.fr/pierre-manent-ehess-sur-le-souverainisme-que-le-peuple-puisse-retrouver-le-sentiment-a-la-base-de-la-confiance-que-le-gouvernement-qui-le-gouverne-est-son-gouvernement-32108/