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Séquestration syndicale et éthique de situation. Pascal Franchet - Christian Delarue (CGT)

vendredi 10 janvier 2014, par Amitié entre les peuples

Séquestration syndicale et éthique de situation par Pascal FRANCHET et Christian DELARUE (CGT Impôts) en 1995-96.

Christian Delarue en noir au centre, Pascal Franchet sur sa gauche, Anouk Le Cloérec en blanc sur sa droite, Jacques Stéphan au fond, après l’intervenante du national - (photo d’une AG du SNADGI-CGT 35)

XX

Les salariés de Goodyear Amiens Nord ont retenus 2 cadres de leur entreprise pendant un jour et une nuit pour obtenir l’ouverture de négociations pour connaître une éventuelle reprise de l’entreprise ou à défaut des indemnités substantielles de départ.

A de très rares expressions près, ce fut l’occasion d’un déferlement de haine médiatique dirigée contre ces salariés« irresponsables » qui entravent « la liberté de circulation ».

Nous avons participé déjà à une séquestration collective dans le privé (en 1996 à l’usine Panpharma à Fougères-Ille et vilaine) à la demande des salariés de l’entreprise. Les bâtiments avaient brulé. Le patron voulait licencier les salariés sans indemnité ni préavis en invoquant un « cas de force majeure ». En fait, l’entreprise, spécialisée dans les médicaments génériques, avait omis de payer l’assurance, malgré des bénéfices très conséquents. Les salariés risquaient de perdre leur emploi et de se retrouver sans rien du jour au lendemain.

Ce type de situation extraordinaire (retenir des employeurs) détonne avec les pratiques syndicales habituelles que nous connaissons dans la fonction publique et ne peut se comparer aux envahissements massifs de comité paritaire dans le public afin de faire pression sur un directeur public et encore moins à des blocages d’unités de services. Le sentiment de crise exceptionnelle est très intense dans le premier cas, moins dans les autres.

La décision syndicale d’une séquestration illégale d’un directeur, d’un patron, d’un responsable d’une unité de travail privée ou publique ne se prend pas à la légère. Qu’il y ait ou non « derrière » la « finance ». Ce n’est pas un jeu, ni l’initiative isolée d’une personne en détresse soudainement incapable d’assurer une ordinaire maîtrise de soi ; c’est nécessairement une décision collective, mûrement réfléchie quant à ses implications. Elle intervient toujours alors que tous les autres moyens de sortir de l’ornière ont été prises en vain. Le sentiment d’exception est vif ! Les travailleurs concernés (avec parfois leur famille) ont un vif sentiment d’injustice doublé de celui d’être les victimes de la situation.

Décision grave mais aussi décision prise très souvent dans un contexte tendu, d’affrontements et d’exaspérations. Dans les collectifs de résistance qui continuent la lutte il y a souvent de l’agressivité, de la colère qui se mêle à d’autres sentiments. Mais pour autant, il est bien rare, que ces séquestrations aux formes diverses, débouchent sur des humiliations ou des violences directes à la personne. Ici tout dépend de la « culture d’entreprise ». Ici ce qu’il importe de souligner c’est que, bien souvent, malgré l’énervement et la fatigue, une certaine dignité humaine continue d’être appliquée. Le patron a droit au café comme nous, il mange comme on mange, il dort comme on dort. Il n’est pas humilié, insulté, injurié. Pas de racisme, pas de sexisme ! Si une plaisanterie douteuse surgit (souvenir : « alors, guignol, tu fais moins le malin ») elle est immédiatement critiquée par ceux ou celles qui gèrent au plus près le conflit. En somme il y a bien une déontologie de la lutte illégale. Le philosophe Badiou dirait une éthique de situation.

C’est qu’une séquestration a des phases tendues et d’autres plus relâchées. Il faut savoir si le patron est près à lâcher sur certaine revendications. Quand un syndicaliste mène le questionnement l’autre regarde comment le patron réagit. Est-ce qu’il s’énerve un peu avec ses jambes ou avec son stylo ou sa petite cuillère. Est-ce qu’il lâche une nouvelle interprétation de l’accord ? Il y a un côté interrogatoire de police ! Pour une fois, c’est un col blanc qui est du mauvais coté. Mais ce n’est pas un film !

Aujourd’hui, les salariés sont soumis à des licenciements de la part d’entreprises qui sont viables mais dont la stratégie financière conduit à la liquidation d’unités de travail, laissant sur le carreau des familles.

A la violence patronale du licenciement (dont il n’est jamais parlé) et quand le jeu démocratique et les démarches juridiques ne donnent rien, il est parfaitement légitime que la réponse sociale sorte des « clous » de la légalité ! Le « partenariat social » (être d’accord sur les règles du jeu) a des limites que le patronat transgresse sans état d’âme.

Il n’a en retour que la réponse à sa propre violence !

Pascal Franchet et Christian Delarue, syndicalistes CGT aux Impôts

Notes :

Éthique de situation lire : L’éthique ; essai sur la conscience du mal . Badiou ed Nous 2003

Conflit social à Panpharma Fougères en 1995 lire :

A Fougères, le feu déclenche un conflit social. La direction d’un laboratoire pharmaceutique veut licencier pour « force majeure ». - Libération

https://www.liberation.fr/futurs/1995/07/31/a-fougeres-le-feu-declenche-un-conflit-social-la-direction-d-un-laboratoire-pharmaceutique-veut-lice_138901/