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Rwanda : vers un « Singapour » africain | Amnesty International France

dimanche 30 mars 2014, par Amitié entre les peuples

Rwanda : vers un « Singapour » africain | Amnesty International France

[07/03/2014]

Après le génocide, tout était à reconstruire. Si le Rwanda a accompli des progrès rapides et importants en termes de développement économique, éducatif ou encore dans le domaine de la santé, la situation des droits humains demeure alarmante.

Paul Kagame rêve de faire du Rwanda le Singapour du continent africain. Pour y parvenir, le président de la République a engagé des réformes et élaboré en 2000 un projet ambitieux, baptisé « Vision 2020 ». Son objectif ? Transformer le Rwanda en un pays émergent en l’espace de deux décennies. Cet élan confère au pays des Mille collines le statut de bon élève aux yeux des institutions financières internationales. Le dernier rapport Doing Business de la Banque mondiale souligne à nouveau les performances économiques du pays, le considérant cette année comme la seconde destination africaine pour les affaires.

L’étranger de passage à Kigali est généralement surpris, voire séduit, par l’ordre qui règne dans la capitale, l’impressionnant boom immobilier et la propreté des rues. Sur les collines, cependant, les recettes néolibérales ne suscitent pas le même enthousiasme auprès des petits paysans qui représentent plus de 80 % de la population. Une étude indépendante souligne en effet un défi majeur : « une forte croissance économique, concentrée dans les mains d’une élite restreinte, implique un parcours de développement très inégal avec peu de chances d’un effet de retombées. Ceci explique pourquoi l’inégalité augmente à un rythme rapide et aussi pourquoi la réduction de la pauvreté reste limitée malgré la croissance économique prononcée ».

Extrait de La Chronique de mars 2014

Dans le domaine des droits humains, à l’instar de son modèle asiatique, les autorités exercent un contrôle strict sur la vie sociale et politique. Amnesty International, Human Rights Watch (HRW) ou la Fédération internationale des droits de l’homme (FIDH) ont publié de nombreux rapports détaillant les dérives autoritaires du régime, notamment au moment de la dernière élection présidentielle en 2010.

À l’époque, plusieurs militants de l’opposition ainsi que des journalistes avaient été arrêtés, notamment pour avoir critiqué la politique gouvernementale. Un dirigeant de l’opposition a été décapité, à la mi-juillet 2010, sans que personne ne soit traduit en justice. Quant à Victoire Ingabire, candidate à la présidentielle, elle a été condamnée à quinze ans de prison (une sentence en attente de confirmation).

Des journalistes qui avaient rendu compte d’événements sensibles ont vu leurs journaux fermés. Jean-Leonard Rugambage, rédacteur en chef adjoint d’Umuvugizi, a été assassiné. Aujourd’hui, la plupart des journalistes et des représentants de la société civile se résolvent à l’autocensure par peur d’être harcelé, voire arrêté, plusieurs ont choisi la route de l’exil. Si, officiellement, il existe une dizaine de partis, dans la réalité, les grandes figures de l’opposition sont à l’étranger, en prison ou leurs partis interdits.

Des dissensions croissantes sont par ailleurs apparues au sein du Front patriotique rwandais (FPR) au pouvoir depuis 1994. L’un des épisodes les plus notables, fut la défection, en 2010, du général Faustin Kayumba Nyamwasa, ancien chef d’état-major. Sa fuite amène les autorités militaires à arrêter et placer en détention des militaires soupçonnés de lui être fidèles. Exilé en Afrique du Sud, Nyamwasa a survécu à deux tentatives de meurtre quelques mois plus tard. L’assassinat récent d’un autre dissident, le colonel Patrick Karegeya, le 1er janvier 2014 dans un hôtel à Johannesburg, soulève à présent des réactions sans précédent au niveau international. D’autant plus que le président Paul Kagame a approuvé publiquement cet acte une dizaine de jours après.

À la veille de l’enterrement de l’ancien chef des renseignements extérieurs du Rwanda, le porte-parole du Département d’État américain condamne ce meurtre en indiquant que Washington est « troublé par une succession de meurtres d’exilés rwandais qui semblent avoir une motivation politique ». Les autorités américaines haussent le ton dans la continuité des sanctions prises par plusieurs États à l’encontre du Rwanda en raison de son soutien à la rébellion du M.23 dans l’est de la République démocratique du Congo (groupe armé responsable d’exactions massives).

Une société réduite au silence

À l’issue d’une visite d’une semaine au Rwanda, en janvier dernier, le rapporteur spécial des Nations unies sur le droit de réunion et d’association pacifiques, Maina Kiai, a dressé un bilan sans concession, soulignant l’« absence d’une véritable société pluraliste » au Rwanda. Il mentionne notamment l’ingérence des autorités dans les affaires de la Ligue rwandaise pour la promotion et la défense des droits de l’homme (Liprodhor). L’été dernier, des individus favorables au gouvernement ont évincé la direction et pris le contrôle de ce qu’Amnesty International qualifiait jusqu’alors d’« une des seules organisations indépendantes à avoir conservé sa crédibilité ». Des organisations internationales rencontrent elles aussi des obstacles majeurs lorsqu’elles s’aventurent à aborder les crimes commis par le FPR au Rwanda en 1994 et en RDC en 1996-1997. Dans ce contexte, de nombreux Rwandais vivent dans la peur et se résignent au silence. Parmi les « gens du peuple », majoritairement des paysans qui ne détiennent pas un pouvoir politique formel, la politologue américaine Susan Thomson distingue trois formes de résistance au quotidien : la marginalisation choisie, l’obéissance irrévérencieuse et le mutisme marqué.

L’auteur précise : « L’acte de résistance au quotidien étant défini comme toute action subtile, indirecte et non conflictuelle qui rend la vie quotidienne moins insoutenable face à un pouvoir d’État fort et centralisé ». André Guichaoua, sociologue français et spécialiste de la région des Grands Lacs, analyse une violence structurelle : « Sur le plan formel, qu’il s’agisse de la mise aux normes de l’appareil judiciaire, de la réforme l’été dernier de la loi sur l’idéologie du génocide ou plus récemment de l’adoption d’un texte de loi sur la presse, un travail réel est réalisé et un certain nombre de garde-fous ont été introduits pour répondre aux pressions internationales. Maintenant, dans la pratique, il faut rester très prudent : il y a le droit et l’usage du droit… Les mœurs politiques des autorités relèvent d’enjeux et de pratiques qui n’ont rien à voir avec ceux d’un État de droit. Le mode de gouvernance de l’élite au pouvoir relève en fait d’une violence structurelle, ne tolérant aucune opposition politique et fonctionnant dans des logiques de règlements de comptes voire de pure haine, ce qui risque à terme de compromettre l’équilibre général du système ».

Benoît Guillou

CHRONOLOGIE

Juillet 1994 : le FPR, dirigé par Paul Kagame, met fin au génocide et prend le pouvoir.

Avril 2000 : Paul Kagame, élu chef de l’État par l’Assemblée nationale de transition, est le premier président appartenant à la minorité tutsie depuis l’indépendance.

Août 2003 : Kagame remporte l’élection présidentielle avec 95 % des voix.

Août 2010 : Kagame remporte l’élection présidentielle avec 93 % des suffrages.

2017 : élection présidentielle. Kagame ne peut s’y présenter, la Constitution limitant la fonction à deux mandats de sept ans.

http://www.amnesty.fr/AI-en-action/Violences/Justice-internationale/Dossiers/Rwanda-vers-un-Singapour-africain-10931