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Rapport Cotis : Une règle de trois anticapitaliste JM Harribey

mardi 19 mai 2009, par Amitié entre les peuples

l’Humanité des débats

Une règle de trois anticapitaliste

Par Jean-Marie Harribey, maître de conférences à l’université de Bordeaux-IV, coprésident d’ATTAC.

Quelles leçons tirer du rapport Cotis sur le partage de la valeur ajoutée ?

Le président Nicolas Sarkozy a entre les mains le rapport qu’il avait commandé au directeur de l’INSEE, Jean-Philippe Cotis, sur le partage de la valeur ajoutée. Tous ceux, patronat, gouvernement et tous les thuriféraires des politiques néolibérales, qui craignaient que ce rapport ne leur inflige un camouflet sont rassurés. En effet, la première conclusion de ce document est que, depuis vingt ans, la part des salaires dans la valeur ajoutée est restée stable en France. Mieux encore, elle se trouve au même niveau que celui qu’elle occupait en… 1950. À cette époque, la part de la masse salariale dans la valeur ajoutée des sociétés non financières était de 65 % ; et en 2007, elle était au même niveau.

Si l’on arrive à persuader les citoyens, et en particulier les salariés, que les choses n’ont pas bougé pendant soixante ans, c’est qu’il doit bien exister une loi immuable de la répartition des revenus. En choisissant comme point de repère la sortie de la Seconde Guerre mondiale, on laisse dans l’ombre le franchissement de deux paliers successifs. Sous l’effet du développement économique pendant les Trente Glorieuses et des luttes sociales, la part salariale avait atteint 69,5 % en 1973, c’est-à-dire avant que ne soient sensibles en France la chute de la rentabilité du capital et donc la crise structurelle du capitalisme qui s’en était suivie. Ensuite, la crise capitaliste avait provoqué la hausse de la part salariale jusqu’à 75 %, mais cette phase n’avait duré que très peu de temps, puisque le tournant de la rigueur salariale avait rapidement restauré les profits, ramenant la part salariale au niveau très bas qu’elle n’a plus quitté, et que le rapport Cotis, le MEDEF et le gouvernement considèrent comme naturel, François Fillon n’hésitant pas à nier que « les salariés auraient été lésés au profit des actionnaires » (le Figaro, 14 mai).

Autrement dit, selon que l’on prend le point le plus haut atteint par la part salariale (autour de 1982, avant que la politique de désindexation du salaire par rapport à la productivité du travail n’entre en application) ou le point le plus bas (fin des années 1980, après que cette politique eut produit ses ravages), on arrive à un résultat diamétralement opposé. Dans le premier cas, on trouve une baisse de dix points de la part salariale, dans le second, une stabilité, voire une légère hausse. Le bon point de comparaison aurait été celui qui précédait l’éclatement de la crise du capitalisme à la fin des années 1960 aux États-Unis et au début des années 1970 en Europe : alors, on constate que la baisse de la part salariale a été en France d’environ quatre points et demi sur le champ des sociétés non financières et de six points sur l’ensemble de l’économie.

Tous les commentateurs ont discouru sur la stabilité de cette part depuis le début de la décennie 1990, afin de discréditer les critiques qui, depuis de nombreuses années, dénonçaient la déformation du partage de la valeur ajoutée. Mais qu’y a-t-il d’étonnant à ce que, après une chute aussi forte, les choses n’aient pas encore empiré ?

Dans le but de déminer le débat public sur la répartition, le président Sarkozy avait proposé de partager les profits en trois tiers : un pour l’investissement, un pour les actionnaires et un pour les salariés. Mal lui en avait pris car le rapport Cotis établit que les profits sont aujourd’hui répartis de la manière suivante : 57 % pour l’investissement, 36 % pour les revenus du capital, 7 % pour l’épargne salariale ; et que, entre 1993 et 2007, les seuls dividendes sont passés de 7 à 16 % de l’excédent brut d’exploitation des entreprises. Qu’adviendrait-il si l’on répartissait les profits en trois tiers sur la base du montant global actuel des profits ? La part des profits consacrée à l’investissement serait ramenée de 57 à 33 %, c’est-à-dire connaîtrait une baisse de vingt-quatre points, inaugurant une période de catastrophes économiques assurée. La proposition du président Sarkozy est donc absurde et mystificatrice.

En revanche, on peut tirer un enseignement a contrario du rapport Cotis. Sans toucher à l’investissement et sans affecter la sacro-sainte compétitivité des entreprises, il serait possible de transférer une part importante de la valeur ajoutée des revenus du capital vers la masse salariale. Ainsi, les profits représentent environ un tiers de la valeur ajoutée. Une division par trois des revenus du capital dans le total des profits ramènerait leur part à de 36 à 12 %. Un tiers de ces vingt-quatre points de différence représenterait huit points de valeur ajoutée qui pourraient être affectés à la masse salariale. En définissant trois nouvelles priorités : augmenter l’emploi de qualité pour une production de qualité, augmenter les bas salaires et les minima sociaux, augmenter les cotisations sociales pour sauver la protection sociale. Voilà une règle des trois tiers anticapitaliste qui pourrait être inaugurée après une modification du partage primaire de la valeur ajoutée, et non pas en tenant pour acquise la conquête du capital de la décennie 1980. Ainsi, pourrait-on s’attaquer à la racine de la crise actuelle qui ruine l’économie et détruit la société (*).

(*) Voir d’ATTAC, Sortir de la crise globale (sous la dir. de J.-M. Harribey et D. Plihon), Éditions La Découverte, 2009.