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« Race, nation, classe. Les identités ambigües » : une lecture de Silvia Guido

mercredi 24 septembre 2008, par Amitié entre les peuples

RACE, NATION, CLASSE

Les identités ambigües

Etienne Balibar, Immanuel Wallerstein

Editions la Découverte, Paris, 1998

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Guido Silvia

Master1 Ethnologie et Anthropologie sociale 2007/2008

J’ai choisi l’ouvrage intitulé : Race, nation, classe. Les identités ambigües, parce que j’ai trouvé intéressant réfléchir sur la thématique de la racialisation suivant un approche différente par rapport aux positions des intervenants au séminaire : Eric et Didier FASSIN

L’ouvrage est la matérialisation d’un séminaire organisé par Balibar et Wallerstein, pendant 3 années (‘85-‘86-‘87) à la Maison de sciences de l’homme de Paris. La première édition du livre est parue en 1988, la deuxième dix ans après, en 1998.

L’ouvrage c’est un dialogue entre le philosophe Français Etienne Balibar, et l’historien et sociologue Americain Immanuel Wallerstein. Les thématiques qu’ils développent sont relatives au phénomène du racisme et de la xénophobie. Ils analysent, à partir dès sociétés du passé, les continuités du racisme dans le monde contemporain et les contradictions au sein de l’Etat-nation.

Il y a trois thématiques principales traités par Balibar et Wallerstein.

* Les auteurs mettent l’accent sur la modernité du phénomène raciste et ses implications avec le capitalisme contemporain, dans une période où le conflit social est profondément lié à la montée en puissance du nationalisme. Ils cherchent de réfléchir dans une perspective de longue durée et de saisir les causes des conflits actuels, ils songent en suite à des alternatives.

* Deuxièmement les auteurs ne se limitent pas à considérer la situation actuelle comme homogénéisée par le processus de la mondialisation. Par contre ils analysent les nouvelles tendances politiques, les contradictions qui engendrent et la « guerre de civilisation » qui concerne en particulier les immigrés. Ils continuent d’être investis de préjugés, si d’un coté viennent érigés des frontières de défense, elles sont en train de perdre leur fonction sociale. Les auteurs soutiennent que le racisme ne se réduit pas à une attitude, mais il est le produit historique de la division du travail, de la division du monde en centre et périphérie, de la structure de l’Etat-Nation, et de la création de l’ethnicité fictive.

* Les deux positions sont parfois en opposition, mais ils accordent l’idée que la seule façon d’analyser la situation actuelle c’est d’étudier historiquement cas par cas et de saisir les contradictions de la structure globalisé du monde.

Dans la première partie de l’ouvrage : Le racisme universel, les auteurs nous montrent que le racisme n’est pas en train de perdre sa force, par contre c’est un phénomène en expansion dans le monde contemporain. Wallerstein soutient que les causes remontent à l’accumulation capitaliste, à la division du travail en un centre et une périphérie et la distinction entre l’homme qui travaille et la femme qui reste dans le foyer domestique. Par contre Balibar trace un parallélisme entre le racisme et le nationalisme et il analyse s’est produit sa transposition dans le présent.

Balibar s’interroge si on est en présence d’un « néo racisme ». Il affirme qu’il s’agit d’un phénomène transnational. En France on est en présence de politiques d’exclusion. Il décrit le racisme comme un « phénomène social total » qui s’inscrit dans des pratiques (formes de violence, de mépris, d’intolérance, d’humiliation, d’exploitation), dans de discours de ségrégation et des représentations qui s’articulent autour des caractéristiques de l’altérité (nom, couleur de la peau, pratiques religieuses). L’ensemble de ces pratiques, de discours, de représentations permet de comprendre la formation d’une communauté raciste, et aussi de la façon dont les individus et les groupes se trouvent eux-mêmes obligés de se percevoir comme communauté. (Balibar, 1998, p. 28).

Le racisme c’est le produit d’une théorie « rationalisé » par des intellectuels, elle est fondée en particulier sur les traits corporels. La catégorie d’immigration, qui a substitué la notion de race, est agent de décomposition de la « conscience de classe ». Depuis longtemps les travailleurs immigrés ont subi des discriminations et des violences xénophobes traversées de stéréotypes racistes. Le nouveau racisme est un racisme de l’époque de la « décolonisation », de déplacements de populations entre les anciennes colonies et les anciennes métropoles, et de la division des hommes à l’intérieur d’un seul espace politique (Balibar, p. 32).

Idéologiquement le racisme actuel, centré sur le phénomène de l’immigration, s’inscrit dans le cadre d’un « racisme sans race » : un racisme qui n’est pas biologique, mais qui est fondé sur l’irréductibilité des différences culturelles ; un racisme qui présuppose le danger de l’effacement des frontières, l’incompatibilité des styles de vie et des traditions : ce que a été appelé un racisme différentialiste (Balibar, p. 33).

Dans l’histoire il y a eu un changement de la problématique : de la théorie de la lutte des races on est passé à une théorie des « relations ethniques » dans la société, qui naturalise le comportement raciste. Je suis d’accord avec Balibar quand il affirme que « c’est l’anti-racisme qui crée le racisme » par sa façon de « provoquer » le sentiment d’appartenance nationale de la masse des citoyens (ib, p.35).

La France, « pays des droits de l’homme », est dans l’idée d’une mission universelle d’éducation du gendre humain, à la quelle correspond la pratique de l’assimilation des populations qui avait dominées, mais aussi la nécessité de différencier et de hiérarchiser les individus et les groupes selon leur disposition ou résistance à l’intégration (Balibar, p. 37).

La différence des cultures marquerait les inégalités dans une société industrialisée, scolarisée, de plus en plus internationalisée et mondialisée. Les cultures « différentes » empêcheraient l’acquisition de la culture, par contre les cultures implicitement supérieures seraient celles qui valorisent l’individualisme social et politique, par opposition à celles qui s’opposent. Selon Balibar, la mondialisation et les transformations technologiques jouent un rôle de plus en plus important dans la lutte des classes, orienté vers la sélection techno-politique généralisée des individus (ib, p.41).

Par ailleurs selon Wallerstein, le racisme n’est pas limité à l’affront ou à la peur envers les groupes « autres », définis ainsi par des critères sociaux (appartenance religieuse, pratiques culturelles, langue, etc.). Le mépris et la crainte ne seront que des adjuvants secondaires de ce que représente la pratique du racisme dans l’économie-monde capitaliste (Wallerstein, 1998, p. 47).

Lorsque l’ « autre » vient repoussé physiquement, l’environnement se rende « pur » mais, inévitablement il y aura une perte de la force de travail de la personne expulsée et, par conséquent, la perte du surplus qu’il aurait pu produire. Cette perte est particulièrement importante lorsque un système capitaliste en expansion à besoin de toute la force de travail disponible, puisque c’est ce travail qui produit les biens dont le capital est produit pour être accumulé (Wallerstein, p. 48).

Selon Wallerstein, le racisme a pris la forme de ce qu’on pourrait appeler l’ « ethnicisation » de la force de travail, parce que en tout temps il a existé une hiérarchie de professions et de rétribution correspondants à de critères dits sociaux. Cette condition rende possibles des salaires très bas. Le paradoxe du racisme c’est qu’il suit la logique de l’exploitation : il vise à garder les gens à l’intérieur du système de travail et non pas à les expulser.

La revendication d’un lien avec les frontières du passé combinée à la continuelle révision de ces frontières dans le présent contribue à la création et à la continue élaboration de communautés et de groupes raciaux et/ou ethniques, nationaux et religieux (Wallerstein, p. 49).

Balibar soutient que le discours de la race et de la nation ne sont jamais séparés. Le nationalisme déterminerait la production du racisme. En outre le racisme est loin d’avoir des liens avec l’existence de « races » biologiques, parce qu’il est un produit historique, ou culturel (ib, p. 55).

Aux Etats-Unis, la ségrégation coïncide avec l’entrée des Américains dans la concurrence impérialiste mondiale et avec leur projet hégémonique des races nordiques. En France, l’élaboration de l’idéologie de la « race française », corresponde au début de l’immigration massive, l’élaboration de la revanche contre l’Allemagne et la fondation de l’empire coloniale (Balibar, p. 77). Le « biologisme » des théories raciales ne corresponde pas à une application de la biologie, mais c’est une métaphore vitaliste de certaines valeurs sociales sexualisées, associée à une interprétation qui érige les traits somatiques les symptômes des « caractères » psychologiques ou culturels (Balibar, p. 85).

Le racisme se veut un nationalisme « intégral » qui se fonde sur l’intégrité de la nation, vers l’extérieur et vers l’intérieur. Ce que le racisme théorique appelle « race » ou « culture » et donc un ensemble des caractéristiques qui appartiennent « en propre » aux nationaux. La nation isole dans son intérieur certains groupes sociaux à cause de leurs styles de vie, de leurs croyances ou leurs origines ethniques, parce qu’ils seraient synonyme d’impureté, avant d’éliminer les éléments « faux », « exogènes », « métissés » (Balibar, p. 86).

En cherchant à circonscrire l’essence commune des nationaux, le racisme s’engage donc dans la quête obsessionnelle d’un « noyau » d’introuvable authenticité. Tel est le sens de l’eugénique nazie (p.88). Les nations européennes, ou euro-américaines, en concurrence pour le partage colonial du monde, se sont reconnues en tant qu’une communauté, qu’elles ont baptisée « blanche ». C’est seulement à travers le « racisme » que l’impérialisme a pu se transformer de simple entreprise de conquête en entreprise de domination universelle et en fondement d’une « civilisation » (Balibar, p. 90).

La première thèse avancée par Balibar c’est que « la lutte des classes est censée dissoudre les nationalités et les nationalismes, alors que la lutte des races est censée fonder la pérennité des nations et instituer leur hiérarchie ».

La deuxième thèse c’est que le racisme théorique n’est pas l’antithèse absolue de l’humanisme. Par contre il y a une confusion permanente entre l’humanisme théorique et l’humanisme pratique. Si nous identifions ce dernier à une politique et à une éthique de la défense des droits civiques, nous voyons bien qu’il y a incompatibilité entre racisme et humanisme, et nous comprenons sans difficulté pourquoi l’antiracisme effectif a dû se constituer comme un humanitarisme « conséquent ». Inversement, le lien nécessaire de l’antiracisme avec un humanitarisme pratique n’empêche nullement que le racisme théorique soit aussi un humanisme théorique. Ce qui signifie que le conflit se déroule ici dans l’univers idéologique de l’humanisme, où la décision se fait d’après d’autres critères politiques que la simple distinction entre l’humanisme de l’identité et celui des différences (Balibar, p. 91).

Dans la deuxième partie : La nation historique, viennent analysées les concepts de « peuple » et de « nation ». Les auteurs abordent de façon différente la thématique de la lutte de classe et la formation nationale. Balibar inscrit les luttes de classes historiques dans la forme nationale, Wellerstein inscrit la nation dans le champ des luttes de classes. Selon le dernier, la race, la nation et l’ethnicité, sont les éléments historiques constitutifs du « peuple ». Balibar, par contre, met l’accent sur la pluralité des formes politiques dans le cadre de la formation de l’économie-monde et sur les marqueurs identitaires tels que la langue et la race comme éléments constitutifs des communautés à l’intérieur de la nation.

Wallerstein analyse la terminologie employée dans les sciences sociales et historiques pour nous montrer la signification de ces catégories. La « race » est censée être une catégorie génétique, correspondant à une forme physique apparente (ib, p. 104). Le concept est aussi lié à la division axiale du travail dans l’économie-monde, c’est-à-dire à l’opposition entre centre et périphérie. La division axiale du travail au sein de l’économie-monde a provoqué une division spatiale du travail. On parle d’une opposition entre le centre et la périphérie pour indiquer des structures de production et de coûts différentiels.

La « nation est une catégorie socio-politique, lié aux frontières réelles ou virtuelles d’un Etat ; le concept est lié à la superstructure politique du système historique, aux Etats souverains qui forment le système interétatique est sont définis par lui, pour résumer la nation c’est le résultat de l’organisation politique du système-monde. Le » groupe ethnique « , qui remplace l’expression » minorité « , est une catégorie culturelle, se transmet de génération en génération et, à la différence de la nation, ne sera pas limité aux frontières d’un Etat. Le concept de » groupe ethnique " est lié à la création de structures de foyers domestiques, qui permettent qu’une partie importante de la force de travail reste non salariée au cours de l’accumulation capitaliste.

Ces catégories utilisent le passé contre le présent. La dimension temporelle du passé est au cœur du concept de peuple – elle en est partie intégrante (Wallerstein, p. 106). Le sens du passé est d’abord un phénomène moral, et donc politique. Il agit dans le présent et c’est un instrument utilisé contre des adversaires.

Au début le l’expansion politique de l’économie-monde capitaliste était connu sous le nom d’« expansion européenne ». Au fur et à mesure que l’économie-monde capitaliste dépassait les frontières de l’Europe et que les concentrations de processus de production centraux et périphériques devenaient de plus en plus éparpillés du point de vue géographique, des catégories « raciales » commencèrent à se fossiliser autour de certaines dénominations. La race, et donc le racisme, est l’expression, le moteur et la conséquence de concentrations géographiques associées à la différentiation axiale du travail (Wallerstein, p. 109). La race n’est toutefois pas la seule catégorie que l’on utilise pour définir l’identité sociale, elle ne suffit pas, puisqu’on utilise aussi celle de nation.

Les Etats se trouvent fréquemment menacés à la fois de désintégration interne et d’agression externe. La création d’un sentiment d’appartenance à la nation réduit ces menaces. Tout groupe qui veut affirmer ses propres intérêts face à des groupes extérieurs à l’Etat, ou qui veut défendre des intérêts régionaux à l’intérieur de l’Etat encourage le nationalisme pour légitimer ses propres revendications. En outre les Etats ont intérêt à la concordance administrative qui augmente l’efficacité de leurs politiques. Le nationalisme est l’expression, le moteur et la conséquence d’une telle uniformité au niveau de l’Etat (Wallerstein, p. 111).

La catégorie de race est d’abord apparue comme un moyen d’exprimer et de consolider l’opposition entre le centre et la périphérie, et la catégorie de nation été, à l’origine, un moyen d’exprimer la rivalité entre les Etats, par opposition à la classification fondée sur les races (Wallerstein, p. 112).

La race et le racisme unifient les régions du centre et les régions de la périphérie dans les luttes qui les opposent, alors que la nation et le nationalisme divisent géographiquement les régions du centre et celles de la périphérie dans la rivalité intrarégionale et interrégionale qui les oppose pour atteindre le plus haute position dans l’ordre hiérarchique. La hiérarchie des emplois entraîne l’« ethnicisation » de la force de travail à l’intérieur des frontières d’un Etat. La naissance, la révision et la disparition continuelle de groupes ethniques sont un précieux élément dans le fonctionnement du système économique (Wallerstein, p. 113).

Balibar affirme que l’« économie-monde » a toujours été composé d’un « centre » et d’une « périphérie » autour lesquels s’établissent des relations d’échange inégal et de domination à cause des méthodes différentes d’accumulation et d’exploitation de la force de travail (ib, p. 121).

En France ce que a permis de résoudre les contradictions apportées par le capitalisme c’est l’institution d’un Etat national-social. Un Etat qui intervient dans la reproduction de l’économie et dans la formation des individus, dans les structures de la famille, de la santé publique et dans tous les domaines de la « vie privée ». C’est une tendance qui est émergée au cours du XIX et du XX siècle, et abouti à la subordination de la vie des individus de toutes classes en tant que appartenant à la nation (Balibar, p. 126).

Balibar appelle ethnicité fictive la communauté instituée par l’Etat national. Il utilise le terme fictif parce qu’il s’agit d’un produit institutionnel, aucune nation moderne possède une base « ethnique » donnée (ib, p. 130). Les populations sont « ethnicisées » et les marqueurs identitaires utilisés comme symboles d’identité et d’altérité sont la langue et la race.

La langue rattache les individus à une origine qui peut être à chaque instant actualisée. La scolarisation est la principale institution qui produit l’ethnicité comme communauté linguistique, mais aussi l’Etat, les échanges économiques, la vie familiale sont des organes de la nation idéale reconnaissable à une langue « commune » que lui appartient en « propre » (Balibar, p.132).

Toutes sortes de traits somatiques ou psychologiques, sont susceptibles d’être utilisé pour la constitution d’une fictive identité raciale, soit à l’intérieur d’une nation, soit à l’extérieur de ses frontières. La communauté linguistique est ouverte, tandis que la communauté de race apparaît par principe fermé, parce qu’elle marginalise ceux qui ne sont pas des vrais nationaux (Balibar, p. 140). Le véritable obstacle au mélange des populations est plutôt constitué par des différences de classes, qui tendent à reconstituer des phénomènes de caste. Plus les sociétés bourgeoises sont scolarisées, plus les différences de compétence linguistique fonctionnent comme différences de classe.

Balibar conclut en disant que « La production de l’ethnicité, c’est aussi la racisation de la langue et la verbalisation de la race » (ib, p. 142).

Dans la troisième partie de l’ouvrage : Les classes : polarisation et surdétermination, les auteurs proposent une lecture différente du schéma interprétatif de Marx et les modifications qu’il faudra apporter face à la situation actuelle. Ils reprennent les questions économiques et politiques de la lutte des classes. Wellerstein se concentre sur la thématique des luttes ouvriers et la surexploitation « périphérique ». De l’autre coté Balibar envisage trois points centraux :

1. La lutte des classes est au centre de la théorie de Marx, mais il ne faut pas simplifier les rapports de classe au développement du capitalisme. La position de Balibar se différencie de celle de Braudel et de Wallerstein. Les grandes entreprises en devenant multinationales, intensifient les migrations de main-d’œuvre : ce n’est plus seulement le capital qui se mondialise, mais le capital productif lui-même. Au même temps la circulation financière et la reproduction monétaire s’effectuent à l’échelle mondiale. Or il ne peut y avoir ni Etat mondial, ni monnaie internationale unique. L’internationalisation du capital n’amène à aucune « hégémonie » sociale et politique unifiée.

2. L’économie capitaliste c’est le résultat des luttes politiques dans le scenario national et transnational. L’internationalisation du capital coexiste depuis le début avec une pluralité de stratégies d’exploitation et de domination. Toute stratégie d’exploitation représente l’articulation d’une politique économique, liée à une certaine combinaison productive de techniques, de financements, de contraintes au surtravail, et d’une politique sociale de gestion et de contrôle institutionnel de la population. Mais le développement du capitalisme n’efface pas la diversité originelle des modes d’exploitation : au contraire, il l’accroît.

3. La bourgeoisie ne peut pas être considéré seulement comme un parasite de la société qui s’approprie du surplus produit par la classe ouvrière. Il y a d’autres éléments qui amènent à la différence entre les classes sociales, par exemple la scolarisation. Elle entraine à une sélection des individus et à sa division du travail, elle est lié étroitement avec le racisme (Balibar, p.236).

Wallerstein soutient que historiquement les Etats du centre ont fait en sorte que l’argent et les biens circulent plus « librement » que les travailleurs. Ainsi faisant les Etats du centre s’approprient du surplus à l’échelle mondiale à travers le contrôle des flux aux frontières. Il affirme aussi que le capitalisme est un système ou la survaleur produite par le prolétaire est appropriée par le bourgeois. Il en résulte des modèles de « développement inégal », qui sont résumés dans les concepts de centre, de semi-périphérie et de périphérie (Wallerstein, p. 168).

Par contre, Balibar nous dit que historiquement les rapports sociaux ne s’établissent pas entre des classes fermées sur elles-mêmes, mais traversent les classes, ou que la lutte des classes se déroule dans les classes elles-mêmes. L’Etat, par ses institutions, ses fonctions de médiation et d’administration, ses idéaux et ses discours est toujours déjà présent dans la constitution des classes.

C’est pour cette raison que le centre et la périphérie (mouvantes) de l’économie-monde corresponde aussi à une distribution géographique et politico-culturelle des stratégies d’exploitations et au même temps à une grande division mondiale entre deux modes de reproduction de la force de travail. L’un est intégré au mode de production capitaliste, l’autre il est lié avec les phénomènes de « surpopulation absolue », d’exploitation massive de la force de travail et de discrimination raciale (Balibar, p.238).

Balibar affirme que l’Etat-national et nationaliste est devenu le principal « réducteur de complexité » de l’histoire moderne. Le critère de classe a été substitué par le critère d’Etat dans la synthèse ses multiples pratiques sociales. La lutte des classes peut et doit être pensée comme une structure recouvrant toutes les pratiques sociales, sans être pour autant la seule, il faudrait qu’elle reconstitue son autonomie tout en se dégageant du mimétisme. Balibar analyse à fond l’œuvre de Marx, et à la question « Où va le marxisme ? », il répond : nulle part (ib, p. 243).

La dernière section de l’ouvrage est intitulé : Déplacement du conflit social ?

Selon Balibar le racisme est le résultat de l’aliénation politique lié aux luttes des classes dans le contexte du nationalisme, il se réfère à la situation française, dont ils sont en train de se reproduire de pratiques et des idéologies internationalistes.

Les termes « race » et « groupement ethnique » désigneraient deux phénomènes différents, mais il y a toujours une confusion terminologique, c’est pour cette raison que Wallerstein nous décrit d’abord une réalité empirique pour arriver à établir après un cadre théorique. L’Afrique pré-coloniale comprenait de nombreuses sociétés complexes et hiérarchiques. Les sociétés non hiérarchisées étaient divisées en groupes de descendance fictive, appelés « clan » par les anthropologues. La domination coloniale imposa une nouvelle catégorie, celle de la nationalité coloniale. Partout naquirent de nouveaux « groupes ethniques ». Enfin la « race » fut une catégorie du monde colonial dont dépendait l’octroi des droits politiques, l’accès à certaines fonctions et à certaines catégories de revenus. L’identification territoriale s’accompagna d’une redécouverte de l’identité ethnique, souvent appelé « tribalisme ». Enfin, le nationalisme impliqua la construction d’une catégorie d’« Africains » opposé à la catégorie d’« Européens ». Au début cette dichotomie sembla coïncider avec la couleur de la peau (Wellerstein, p. 254).

Dès 1958 l’indépendance imposa une variable importante : une définition juridique assez rigide de l’appartenance à une communauté morale plus vaste, celle de la citoyenneté. Avec l’indépendance les entités fédérales d’Afrique-Occidentale française ou d’Afrique-Orientale anglaise eurent tendance à disparaître (Wallerstein, p. 255). A nos jours l’Afrique noire indépendante se compose d’une série d’Etats-nations qui sont membres des Nations unies.

Comme les emplois à l’échelon national ne sont pas suffisants, l’élite locale est contrainte de trouver des critères qui leur permettent de primer certains entre eux et d’en rejeter d’autres. En certains endroits la division se fait selon les ethnies, dans d’autres selon les religions, ou selon les « races » et, dans la plupart, selon une combinaison implicite des trois. Néanmoins derrière la « réalité » ethnique affleura un conflit de classes (Wallerstein, p. 267).

En Afrique noire, on parle de conflit « ethnique ». Aux Etats-Unis ou en Afrique du Sud, on parle de conflit « racial ». Lorsque nous employons le mot « race », nous voulons essentiellement désigner un « status-group » qui dépasse les frontières nationales. C’est le rang plutôt que la couleur de la peau qui détermine l’appartenance au « status-group ». La race est une représentation collective d’une catégorie de classe internationale, celles des nations prolétaires (Wallerstein, p. 270).

Le racisme n’est, dès lors, qu’un moyen permettant de maintenir la structure sociale internationale existante et non un néologisme désignant la discrimination raciale. Le racisme utilise manifestement la discrimination raciale en tant qu’arme. Mais ils existent de nombreux cas où il peut y avoir racisme sans discrimination explicite. Le racisme se réfère à des actes perpétrés au sein de l’arène mondiale, par contre la discrimination se réfère à des actes perpétrés au sein d’organisations sociales à plus petite échelle.

Plusieurs historiens du racisme (Poliakov, Michèle Duchet et Madeleine Rebérioux, Colette Guillaumin, E. Williams, etc.) ont souligné que la notion moderne de race, investie dans un discours de mépris et de discrimination, sert à diviser l’humanité en « sur-humanité » et « sous-humanité », initialement n’avait pas une signification nationale (ou ethnique), mais une signification de classe (Wallerstein, p. 277). Elle a une double origine : la noblesse héréditaire comme une « race » supérieure, et d’autre part la représentation esclavagiste des populations soumises à la traite comme « races » inferieures, prédestinées à la servitude et incapables de civilisation autonome. D’où les discours de sang, de la couleur de peau, du métissage. Wallerstein nous démontre que, dès le début, les représentations racistes de l’histoire sont en rapport avec la lutte des classes.

La révolution industrielle fait surgir le nouveau racisme de l’époque bourgeoise : celui qui considère le prolétariat comme la partie de la population à exploiter mais qui est aussi politiquement menaçante. A partir de là se construit l’équation fantasmatique des « classes laborieuses » et des « classes dangereuses ». Il se produit une fusion de la catégorie socio-économique et de la catégorie anthropologique et morale, qui sera le support de tous les réseaux d’institutions de police er de contrôle social (Wallerstein, p. 279).

Deux anthropologies s’affrontent alors : celle de l’égalité de naissance et celle de l’inégalité héréditaire, qui permet de ré-naturaliser les antagonismes sociaux. Cette opération est surdéterminée par l’idéologie nationale.

Wallerstein avance l’hypothèse que le néo-racisme est lié à la parcellisation du travail intellectuel.

La logique de l’accumulation capitaliste comporte deux aspects contradictoires : d’un coté déstabiliser en permanence les conditions de vie et de travail, et de l’autre coté « éduquer » les collectivités ouvrières au travail et les « attacher » à l’entreprise (correspondance entre « paternalisme » et « familialisme » ouvrier). Il faut aussi qu’une partie des ouvrières soient des fils d’ouvriers, que s’institue une hérédité sociale, par contre ainsi faisant accroissent les formes de résistance (Balibar, p. 284).

De même qu’il y a constante détermination réciproque du nationalisme et du racisme, il y a détermination réciproque du « racisme de classe » et du « racisme ethnique », et ces deux déterminations ne sont pas indépendantes. Balibar observe que dans la France d’aujourd’hui le développement du racisme est généralement présenté comme un phénomène de crise, l’effet plus ou moins inévitable d’une crise économique, mais aussi politique, morale ou culturelle (ib, p. 289).

En France, depuis le début des années quatre-vingt, on assiste au début d’une politique de la peur alimenté par les questions de chômage, d’urbanisme, de scolarisation, mais aussi le fonctionnement des institutions politiques, et le complexe formé par la phobie des immigrés. L’« identité française » se sente menacé et l’antagonisme constitue son arme de défense. Le racisme est ancré dans des structures matérielles de longue durée, qui font corps avec ce qu’on appelle l’identité nationale (Balibar, p. 291).

Le racisme de crise n’est pas quelque chose de nouveau, mais c’est le franchissement de certains seuils d’intolérance et c’est l’entré en scène, de couches et classes sociales nouvelles, adoptant une posture de « racisation » dans des situations de plus en plus variées : en matière de voisinage urbain mais aussi de travail, en matière de relations sexuelles et politiques mais aussi de politique. Le racisme de crise se caractérise par un « consensus » social fondé sur l’exclusion et sur la complicité tacite dans l’hostilité. La formation du complexe de l’immigration est à la fois cause et effet de cette incertitude. Il y a crise raciste, et racisme de crise, lorsqu’ils deviennent politiquement inextricables. Balibar nous montre le paradoxe sur lequel se fonde le racisme de crise : moins les problèmes sociaux des « immigrés » sont spécifiques, plus leur existence en est rendue responsable. Cela induit à un effet meurtrier : c’est la responsabilité présumé des immigrés dans toute une série de problèmes qui permet de les imaginer comme autant d’aspects d’une seule et même « crise ». Les catégories mêmes d’immigré et d’immigration sont à la fois unifiantes et différenciantes. Elles assimilent à une situation ou à un type unique des « populations » dont la provenance géographique, les histoires propres, les conditions d’entrée dans l’espace national et le statuts juridiques sont complètement hétérogènes. « Immigré » est une catégorie qui combine des critères ethniques et des critères de classe. (Balibar, p. 293).

Souvent l’antiracisme se charge de l’illusion que le racisme serait une absence de pensée, et qu’il suffirait de faire penser, ou réfléchir, pour le faire reculer. Alors que selon Balibar il s’agit de changer de mode de penser.

Dans la France actuelle le terme « immigration » est devenu par excellence le nom de la race, de même qu’« immigrés » est la principale caractéristique permettant de classer des individus dans une typologie raciste. Le colonialisme avait déjà crée une catégorie générale de l’indigène et multipliait les subdivisions « ethniques ».

Le deuxième paradoxe est le suivant : moins la population désignée par la catégorie d’immigration est étrangère de statut et de fonction sociale, mais aussi des mœurs et de culture, plus elle est dénoncée comme un corps étranger (Balibar, p. 297).

Selon Balibar parler du racisme d’une classe n’a pas de sens. Ce qui a un sens c’est de s’interroger sur la fréquence des attitudes et des comportements racistes dans des situations données qui sont des caractéristiques d’une condition ou d’une position de classe : travail, loisirs, voisinage, établissement de lien de parenté, militantisme. Et surtout, c’est d’analyser dans le temps la régression et la progression de pratiques organisées qui présupposent, soit une résistance, soit un abandon à la tendance raciste (ib, p. 298).

En outre Balibar affirme que parler de l’extension du racisme dans la classe ouvrière ne doit pas nous inciter à sous-estimer les antécédents du phénomène et la profondeur de leurs racines. Le racisme des ouvriers français était-il organiquement lié aux privilèges relatifs de la qualification, à la différence entre exploitation et surexploitation. Il n’y a pas ici de causalité univoque : la démonstration c’est le rôle essentiel joué par l’internationalisme de militants immigrés dans l’histoire du mouvement ouvrier français. La défense de ces privilèges est allée de pair avec la force du nationalisme dans les organisations de la classe ouvrière. Les historiens de la classe ouvrière ont montré que celle-ci s’autonomise en construisant un réseau serré d’idéaux et de formes d’organisation autour d’un groupe social hégémonique. En même temps cette autonomie reste toujours ambivalente, puisque le groupe hégémonique est aussi celui qui peut se faire reconnaître comme une composante légitime de la « collectivité nationale », conquérir des avantages sociaux et des droits civiques. Des privilèges ne peuvent être assurés que par la défense d’une exclusivité aussi restrictive que possible. La conjoncture de crise combine dans les classes populaires une incertitude quant à la « sécurité » de l’existence et une incertitude quant à l’« identité » collective (Balibar, p. 301).

Conclusions

Dans cet ouvrage les auteurs ont voulu souligner deux arguments.

Premièrement, les multiples « communautés » auxquelles nous appartenons tous, qui définissent notre « identité sociale », nos « valeurs », sont toutes des constructions historiques qui sont perpétuellement en reconstruction.

Deuxièmement, le racisme, le sexisme, le nationalisme sortent de structures historiques données et seront donc modifiables. Les auteurs ils nous montrent les ambigüités internes des concepts mêmes de race, de nation et de classe, ambigüités difficiles à dépasser.

Il y a des divergences entre les positions de Balibar et de Wallerstein, souvent défini comme économiste. Balibar, à différence de Wellerstein, il ne conçoit pas l’existence d’une bourgeoisie mondiale, sauf comme tendance. La nation, la race et la classe elle-même restent des refuges pour les opprimés dans cette économie-monde capitaliste (Wallerstein, p. 305).

Selon Wallerstein la division du travail, au sein de l’économie-monde capitaliste, constitue une sorte de contrainte externe créant les limites de possibilité de survivance.

En conclusion, il soutient que l’universalisme et le racisme/sexisme ne forment pas une thèse et une antithèse dont il faut attendre une synthèse, mais plutôt un réseau conjoint de reflexes de domination et de libération que l’histoire nous appelle à dépasser (Wallerstein, p. 308).

Cet ouvrage m’a donné la possibilité d’envisager une autre façon d’aborder la thématique du racisme à nos jours. Quand Balibar nous parle de la politique française je pense tout de suite à la réaction face à la mondialisation des mouvements migratoires, celle qui simplifie la problématique en assumant un comportement de méfiance à l’égard des étrangers et qui accroit le pouvoir discrétionnaire de l’Etat. Nicolas Sarkozy le 13 mars 2007 a prononcé à Besançon un discours qui met l’accent sur le thématique que les auteurs on traité. Voilà un extrait : « Je continuerai de parler de l’identité nationale parce que je crois que l’identité nationale pour un peuple, c’est quelque chose d’essentiel, parce que je crois que la France traverse une crise d’identité, que cette crise est grave, que cette crise est profonde, que cette crise est dangereuse » (http://www.u-m-p.org/site/index.php/s_informer/discours/nicolas_sarkozy_a_besancon).

Reprenant les positions de Balibar concernant le racisme de la peur, on retrouve ici la même problématique. Sarkozy joue sur « les peurs » en faisant de l’immigration une menace pour le pays.