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Raccorder les luttes de reconnaissance à celles pour la justice sociale. C Delarue

dimanche 22 décembre 2013, par Amitié entre les peuples

Raccorder les luttes de reconnaissance à celles pour la justice sociale.

Un parcours pratique militant vers une lecture théorique, celle de Nancy Fraser.

Racisme, sexisme, et autres formes de mépris et de violence font l’objet de luttes menées par des mouvements autonomes à objet spécialisé : mouvement antiraciste, mouvement féministe, etc... Pourtant, ces formes d’oppression et de domination ne se déconnectent pas durablement et massivement (socialement) des questions de justice sociale (de « classisme ») et de démocratie. Massivement ou socialement, cela ne signifie pas un déterminisme absolu.
Il y a des déconnexions relativement nombreuses, des cas individuels atypiques qui diffèrent des tendances lourdes de la société.

Être de gauche.

Il faudrait pouvoir distinguer quand les formes d’oppression sont extrêmement récurrentes et fortes - comme en Afrique du Sud du temps de l’Apartheid pour le racisme par exemple - et les formes d’oppression plus occasionnelles et d’intensité plus modeste. Car cela semble avoir une influence sur l’option prise par les syndicats et les partis de gauche.

Être de gauche (avec tout le flou de la formule) c’est peu ou prou refuser les dominations, oppressions et exploitations mais historiquement la préférence des luttes du « mouvement ouvrier » (la gauche historique)- tant pour sa branche politique (les partis de gauche) que pour sa branche syndicale (défense et promotion des travailleurs salariés) - a toujours été principalement contre l’exploitation économique dans ou hors l’entreprise. Ce qui se ramène peu ou prou a une volonté de se battre pour la justice sociale.

Mais si la justice sociale a toujours massivement été abordée sous l’angle de la redistribution économique et plus rarement de l’appropriation sociale il n’a jamais été, pour autant, question de négliger ce qu’aujourd’hui on appelle les politiques de reconnaissance et ses luttes (1). Mais elles ont été longtemps conçues comme largement séparées avec des exceptions certes. Un syndicaliste défend souvent d’abord les intérêts matériels des syndiqués et en même temps - souvent, pas toujours - dans le même geste ses intérêts moraux. Et parfois, il s’agit de commencer par la défense des intérêts moraux, de sa dignité humaine avant d’aborder d’autres aspects plus matériels. Il n’y a pas nécessairement - bien que l’on trouve nettement des positions exclusivistes refoulant comme très secondaire une des deux façons différentes d’appréhender le réel - d’un côté un économisme vulgaire obsédé de la seule redistribution matérielle (option plutôt ancienne) et de l’autre un culturalisme vulgaire obsédé de la seule recherche de signes de reconnaissance (option plutôt récente).

Les dénis de reconnaissance mieux pris en compte sans lâcher la lutte pour la justice sociale.

Il faudrait cependant faire des distinctions tous les dénis ne sont pas pareillement objet d’effort de reconnaissance. La reconnaissance de soi ou d’autrui comme être digne et respectable se dédouble de façon problématique tantôt en une demande de reconnaissance d’une différence, d’une identité différente, d’une communauté différente ou tantôt, autre aspect, en demande de reconnaissance de soi comme égal d’autrui dans sa dignité . La reconnaissance est en tout état de cause une lutte contre : reconnaissance contre la domination culturelle ou reconnaissance de soi (individu ou groupe humain) contre le mépris d’autrui. C’est une lutte difficile et, en général mené avec une position de vulnérabilité, source de grandes souffrances, bien que la misère économique soit elle aussi source de souffrance.

Il revient à Nancy Fraser d’avoir intégré intellectuellement la question de la reconnaissance à la question de la justice sociale. Et ce faisant, pour elle, il ne s’agit pas de choisir et encore moins d’abandonner la redistribution pour la reconnaissance . Comme le sous-titre de « Qu’est-ce que la justice sociale ? » (2) l’indique l’orientation est : « Reconnaissance et redistribution ». La politique se veut dualiste, non exclusiviste. Mais il n’y a pas de théorie qui unifie les deux aspects.

Christian Delarue

1) Lire par exemple sur cette question A Honneth, E Renault, P Ricoeur

2) Sur « Qu’est-ce que la justice sociale ? »

lire : http://lectures.revues.org/5207

Lire aussi :

Opposer lutte des classes et revendication de la différence ?

Egalité, identités et justice sociale

http://www.monde-diplomatique.fr/2012/06/FRASER/47885

Politique, revue de débats - Nancy Fraser, luttes culturelles et luttes de redistribution
http://politique.eu.org/spip.php?article720

Un paradigme important de Nancy Fraser est que la justice est un concept complexe, qui doit être compris comme le point de départ de trois dimensions séparées bien qu’entremêlées :

 la question de la distribution (des ressources).

 celle de la reconnaissance (des contributions variées des différents groupes sociaux),

 celle de la représentation (dans le langage et tout le symbolique).