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Rabelais, au secours, reviens ! JM Harribey

lundi 26 novembre 2012, par Amitié entre les peuples

Rabelais, au secours, reviens !

http://alternatives-economiques.fr/blogs/harribey/2012/10/29/rabelais-au-secours-reviens/

Ces temps derniers, les autorités chargées de dire ce qu’est la science, ce qui est démontré, ce qui est admissible et digne d’intérêt, ont frappé un grand coup, et cela dans plusieurs domaines. Dans celui de la biologie, à peine le biologiste Gilles-Éric Séralini avait-il publié dans la revue Food and Cheminal Toxicology son étude sur la toxicité du maïs génétiquement modifié NK603 et de l’herbicide Roundup que toutes les sommités académiques lui sont tombées dessus : pas moins de six académies scientifiques aux voix desquelles se sont ajoutées celles du Haut Conseil des biotechnologies et de l’Agence de sécurité sanitaire française. Sans compter les jugements également négatifs des autorités européennes, allemande, néerlandaise et danoise. Presque au même moment, le jury de la Banque de Suède décerne un faux prix Nobel de fausse économie, tandis que la compétitivité est devenue le nouveau concept fétiche.

« Il doit être exécuté ! »

On lira la réaction salutaire de Christian Vélot : « OGM : Il a montré leur toxicité, il doit être exécuté »[1] qui décortique les attendus de ces jugements. Les rats, pas bons pour prouver la nocivité des OGM ? Mais bons pour prouver leur innocuité dans les études menées par les industriels et agréées par les autorités ! 200 rats testés répartis par lots de 10, ce n’est pas suffisant ? Mais par lots de 5 ou 6, oui ! Deux ans d’étude, pas convaincants ? Mais trois mois le sont ! Et trois jours pour que les autorités étudient tout le dossier, encore mieux ! Publication dans une revue à comité de lecture scientifique, pas fiable ? Mais les études de Monsanto aux données confidentielles conduisant à la mise sur le marché, crédibles ! Messieurs les « autoritaires », on a envie de vous crier : « Vendus ! » Mais à qui ?

L’économie à côté de la science

Regardons du côté de l’économie : le comité de la Banque de Suède a décerné le prix faussement nommé « Nobel » à Alvin Roth et Lionel Shapley pour leurs travaux sur la théorie des jeux appliquée à l’équilibre de l’offre et de la demande. Offre et demande de quoi ? De la tomate, des voitures ou des tablettes ? Non, trop facile. Offre et demande d’organes humains ou de sang, de chercheurs dans les universités, offre et demande en mariage et autres joyeusetés de la vie. Car l’homme, sans oublier la femme, est rationnel. Il jauge tout en calculateur de son intérêt et surtout (d’où le recours à la théorie des jeux) il décide en fonction de la réaction de l’autre, lequel fait pareil, dans un jeu de miroirs infinis.

Et alors, n’est-ce pas du bon sens, l’intérêt ? Ces économistes font comme si la réalité était faite d’individus autonomes, dont une science expérimentale rendrait compte des réactions psychologiques ne relevant en aucune façon des structures de la société : toute décision humaine s’apparente à un échange sur un marché, lequel naît par la rencontre de ceux qui y viennent. On voit immédiatement la contradiction théorique et le biais de l’orientation politique. Contradiction : comment les individus peuvent-ils aller sur un marché qui n’existe pas puisqu’il résulte de leur venue ? Projet politique biaisé : puisque la société n’est composée que d’individus autonomes, il n’y a pas besoin de régulation publique. Le Comité de la Banque de Suède ne récompense depuis trois décennies pratiquement que des économistes dont le boulot est de rendre savante l’idiotie proférée par Mme Thatcher : la société n’existe pas.

L’économie au service du pouvoir économique

Le rapport Gallois sur la compétitivité de l’économie française n’est pas encore publié mais on en connaît les grandes lignes depuis plusieurs semaines. Au passage, personne ne s’est ému quand Le Figaro l’a dévoilé. En revanche, quand Jean-Marc Ayrault a annoncé l’invalidation de la loi sur le logement par le Conseil constitutionnel quelques heures à peine avant que celui-ci ne le dise officiellement, tout le monde lui est tombé sur le poil. Personne n’a soulevé la question : si le rapport Gallois est sur la place publique, si la décision imminente du Conseil constitutionnel est un secret de polichinelle, à qui la faute ? Sinon à Galois ou à son équipe qui a vendu la mèche à la presse et aux Sages du Conseil constitutionnel qui laisse filtrer les informations ?

Revenons à notre sujet, la science. La faiblesse de la compétitivité de l’économie française, et particulièrement de son industrie, serait due à un coût du travail trop élevé. Coût du travail trop élevé, donc prix trop élevés, donc perte de parts de marché. C’est tellement simple qu’on ne voit pas ce qu’il y aurait à redire. Pourtant, il y a au moins deux choses qui clochent dans ce raisonnement trop simple pour être vrai.

Primo, est-ce que le coût du travail est le seul élément composant les prix ? Non, il y a le coût des équipements et matières premières. Or le prix de ces dernières flambe avec la dépréciation de l’euro depuis 2008 et la difficulté à exporter s’était accrue lors de l’appréciation de l’euro de 2001 à 2008. Et puis, partie intégrante des prix, il y a le « coût du capital », ce que coûte la rémunération du capital à la société. Pendant les douze dernières années connues, la part des revenus distribués par les sociétés non financières a pratiquement doublé par rapport à leur excédent brut d’exploitation (EBE), et presque doublé par rapport à leur valeur ajoutée brute (VAB), déjouant donc la coupure avant/après la crise, au point d‘absorber plus des 4/5 de leur EBE. Autrement dit, la complainte patronale faisant de la baisse du taux de marge la raison profonde des faibles investissements et du moindre effort en matière de recherche et développement, passe sous silence le fait que, crise ou pas crise, la part de plus en plus lourde que les entreprises choisissent de distribuer aux propriétaires du capital affaiblit leur capacité à faire face à tous les aspects de la compétitivité. Si l’on rapporte enfin les revenus nets distribués (emplois – ressources dans les tableaux économiques d’ensemble de l’INSEE) par les sociétés non financières à leur VAB, on voit que, hormis les années 2009 et 2010, la part dévolue aux actionnaires a crû dans des proportions considérables, passant en douze ans de 5,6 % à 9 % de la VAB des sociétés non financières.

Secundo, dans ces conditions, comment accroître les efforts de recherche et développement si en dépit de la baisse de leur taux de marge, les entreprises font galoper les dividendes versés aux actionnaires. La compétitivité-prix affaiblie débouche sur une compétitivité-hors prix elle aussi en perte de vitesse.

Et, quand on lit l’appel des grands patrons dans Le Journal du dimanche du 28 octobre 2012, on se dit que tant d’arrogance n’est que le masque d’une science sans conscience. Rabelais doit se retourner dans sa tombe.

[1] Lettre du CS d’Attac, n° 49, 2012.