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Quelle formation des groupes sociaux ? C Delarue

lundi 28 août 2017, par Amitié entre les peuples

Quelle formation des groupes sociaux ?

Introduction à débat.

https://blogs.attac.org/groupe-societe-cultures/articles-cultures-anthropologie/article/quelle-formation-des-groupes-sociaux-christian-delarue

D’aucuns ne (re)connaissent ni groupes sociaux ni société mais que des individus, dont certains seraient citoyens (et pas d’autres). A l’opposé de nombreux chercheurs économistes, statisticiens, sociologues ou chercheurs en science politique, travaillent eux à repérer des groupes sociaux au sein du réel social , à les différentier au sein d’une population donnée dans l’espace et le temps : quelle segmentation ? (sur quels critères professionnels ou de richesses ou de culture ou autres encore ?), quelle opposition (ou pas) ? quelle hiérarchie (ou pas) ? Quand parle-t-on de couches sociales (analyse stratificationniste surtout ici) ? Quand parle-t-on de classes sociales (marxisme surtout ici) ?

Peut-on combiner analyse de stratificationniste et analyses de classes sociales ? Comment ? Cette dernière question de la combinaison des deux regards s’est posée pour les travailleurs riches. Ce qui renvoie à une périodisation (le néolibéralisme) ou l’on peut remarquer la montée de certains individus très qualifiés vendant leur force de travail pour vivre à un prix très élevé. Leur très haut niveau de salaire vient modifier leur appartenance au monde du travail salarié. Ce n’est pas qu’il ne subsiste plus la division principale entre salaires et profits (avec son évolution) et donc entre salariat et propriétaire du capital sous le capitalisme c’est qu’il y a eu complexification du travail et donc des revenus pour certains postes de travail. Pensez aux pilotes d’avion par exemple.

1) Ceux qui refusent la division en groupes sociaux

Pour eux il n’y a que des individus et point de classes sociales. Et la société n’existe pas.

Ce sont les individus qui sont soit en lutte (« lutte des places », lutte méritocratique ou lutte de concurrence économique via le marché) soit en solidarité inter-humaine mais librement selon les affinités ou selon les conceptions de justice. Une justice conçue souvent de façon plus caritative que justice sociale appliquée et réelle car la justice sociale efficace et organisée s’emploie réellement à donner moins pour ceux d’en-haut et à donner plus pour ceux d’en-bas mais les libéraux ne développent guère cet argument préférant l’argument du travail (le « chacun doit participer à la production de l’existence sociale ») couplé à celui de la méritocratie (participer "en fonction de ses capacités »). Ce qui fait que les pauvres restent pauvres et les riches plus riches. Les libéraux sont véritablement conservateurs d’un ordre social inégalitaire et très hiérarchisé. Ils sont donc de droite ;

Ils peuvent reconnaitre des catégories socioprofessionnelles quand elles sont clairement définies et qu’il n’y a pas d’enjeux politiques dès lors qu’il y a mobilité d’une CSP à l’autre.

Concernant la richesse ils distinguent bien revenus en général mensuels et patrimoine immobilier et mobilier . Ils savent reconnaitre - si banquier par exemple - des gens fragiles aisément insolvables en fin de mois (dites couches modestes) voire avant la fin de mois (couches sociales pauvres) de ceux en capacité d’épargner mensuellement mais ils n’accordent aucune valeur aux efforts de stratifier une population en couches sociales car pour eux c’est arbitraire. Pour eux il y a juste un continuum. Les richesses individuelles peuvent juste « monter" haut (gros écarts de revenus) ou non (peu d’accumulation possible) selon le type d’économie du pays !

Continuum, on ne peux que dire que X est plus riche que Z. On peut aussi établir un revenu médian et moyen car c’est un usage acceptable, sans arbitraire . Médian signifie salaire tel que la moitié des salariés de la population considérée gagne moins et l’autre moitié gagne plus. Il se différencie du salaire moyen qui est la moyenne de l’ensemble des salaires de la population considérée.

2) L’effort stratificationniste.

On trouve des divisions en parties égales et d’autres en parties inégales fondée sur d’autres critères. Pour les divisions en parties égales on peut observer une division en 3 blocs égaux (ce qui montre un groupe social intermédiaire), une autre en 5 strates égales (par tranche de 20) et une autre, plus précise encore, par décile (tranche de 10 ), avec subdivision du dernier décile d’en-haut depuis quelques années, pas avant, pour isoler le 1% d’en-haut du fait de la montée des hauts revenus sous le néolibéralisme .

Dans un pays donné on aurait en divisant en trois, le tiers d’en-haut plus riche que des 66% d’en-bas . Politiquement pour la droite il s’agira déjà de bien valider comme « riches » le tiers du haut (ce qui n’est pas évident rapporté au réel) et, en termes d’analyse de bloc social (et non plus de classe sociale), de « conquérir » idéologiquement la couche moyenne ou intermédiaire conçue comme stabilisant social (DSK). Le problème est que le groupe des riches est trop vaste et que visiblement on aura des « riches" qu’ils ne le sont pas vraiment. A peine peut-on dire d’eux qu’ils sont aisés. Le terme de « couche aisée » est de plus en plus usitée pour montrer des individus solvables face aux marchés et donc sans aucun problème de fin de mois et avec une bonne capacité d’épargne mais pour autant on ne saurait les dire riche comme le sont le 1% d’en-haut . C’est à partir de là que les analyses plus précises sont apparues. Même le 1% fut subdivisé pour isoler l’oligarchie financière.

Au découpage en trois zones on va donc passer à un découpage en 5 tranches ou on aura encore une très forte diversité de riches dans les 20% d’en-haut. De même pour les 20% d’en-bas ou les pauvres sont avec les modestes. Les trois couches centrales forment les couches sociales moyennes. C’est déjà plus proche du réel que la division en trois. Pour autant c’est bien l’analyse en déciles qui va émerger car plus précise. Elle va même s’imposer pour sa capacité à représenter le réel. Pour autant elle reste encore critiquée. On va y ajouter la subdivision du dernier décile (10% d’en-haut) et la focalisation sur le 1% d’en-haut (avec encore des recherches plus fines au sein de ce 1%).

3 ) L’acceptation d’une formation des groupes sociaux.

On trouve un sens plein (disons Marx) et un sens étroit (disons Weber).

 Le sens plein se rapporte aux classes sociales : Un ouvrage récent porte ce titre : Le retour des classes sociales. On pourra en parler . Les membres d’un même groupe social partagent des conditions sociales d’existence proches, similaires voire identiques. En plus il y a culture commune en termes de modes de vie. Enfin à cette « classe en-soi » va s’ajouter la « classe pour soi » . Autrement dit au plan de la dynamique sociale subjective et non plus seulement objective il y aura tendance à l’action commune pour défendre les intérêts économiques et ou professionnel du groupe social considéré.

 Le sens étroit isole lui l’aspect strictement économique comme déterminant fondamental et fait de la culture commune un vecteur non obligatoire pour déterminer un groupe social objectif. Le sens étroit permettrait (débat ici) plus difficilement le passage de la « classe pour soi » à la « classe en soi ». (cf note bas de page)

4) Les changements récents et l’agir militant.

 De AC ! (1993 et après) ...

On ne s’instruit pas généralement de ce type de science pour rester inactif mais pour agir. En conséquence, avant de terminer cet exposé il faut noter que ce « retour des classes sociales » (Ed La dispute) vient relativiser un autre découpage massif observé il y a quelques décennies ou l’on divisait les inclus et les exclus.

Dans ce regard social l’under-class rassemblait les précaires et les chômeurs qui faisaient problème face aux insiders qui n’avaient eux pas à se plaindre car tous ces travailleurs (du public ou du privé) bénéficiaient du système de la carrière soit dans l’entreprise soit dans la fonction publique. La notion marxiste d’exploitation de la force de travail (salarié) disparaissait face à ce système de la carrière et de la progression systématique des revenus avec l’âge puisque chacun en fonction de sa qualification acquise partait jeune d’un bas salaire relatif pour arriver à 55 ou 60 ans à un salaire doublé ou même triplé selon la progression.

...à l’altermondialisme .

Cette période étant révolue (car il y a eu marchandisation de la force de travail donc casse des règles collectives et individualisation des parcours et que de plus il n’y aurait « plus de grain à moudre ») les classes et les luttes de classes sont de retour pour une nouvelle RTT et un meilleur partage du « gâteau économique ».

Et comme il a été dit on sait qui l’a gagné cette guerre économique : les très riches. Désormais, au lieu de regarder (seulement) les pauvres (et les diverses politiques d’inclusion à leur égard) on regarde (aussi) les riches, le 1% d’en-haut. Et c’est un mouvement social dit « Occupy Wall Street » avec le « Nous sommes les 99% » (d’en-bas) qui a initié ce regard critique et contestataire en vue de la justice sociale (et fiscale). Car les très riches doivent assurément avoir moins.

Pour ce faire, il importe alors de forger politiquement un vaste bloc populaire d’en-bas (notion de peuple-classe ) contre le bloc élitaire d’en-haut qui « part » lui de l’oligarchie et du 1% d’en-haut pour le « cimenter idéologiquement » vers le bas au sein des couches sociales moyennes avec intégration des auto-entrepreneurs, les cadres les plus proches du travail opérationnel, etc.

A suivre. A débattre.

Christian Delarue

nb : le niveau de vie médian s’élevait à 20.150 euros annuels (1.679 euros par mois) en 2014 contre 20.000 euros en 2013, soit une très légère progression de 0,2%.

nb Une classe en soi est une classe sociale qui existe objectivement, factuellement : les individus faisant partie de cette classe ont des interactions entre eux. Cependant, subjectivement, ils n’ont pas forcément conscience d’une appartenance commune. Les classes en soi correspondent à des groupes ayant des conditions et un style de vie très proches. Au contraire, une classe pour soi est une classe dont les individus la composant ont conscience d’une appartenance commune. C’est la classe pour soi qui va par la suite permettre, dans la théorie marxiste une mobilisation de type lutte de classe en réponse, défensive et offensive, sachant que la classe qui lutte c’est la bourgeoisie qui est en soi et pour soi.