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Psychosociologie de l’aliénation avec Joseph Gabel : Marx en entier. C Delarue

dimanche 27 avril 2014, par Amitié entre les peuples

Psychosociologie de l’aliénation avec Joseph Gabel : Marx en entier.

La notion d’aliénation pouvant fonctionner au stigmate il y est important d’en faire usage avec prudence. Il n’en demeure pas moins qu’elle est une catégorie critique active chez Marx, chez Freud et chez les freudo-marxistes comme Marcuse et d’autres. Ici c’est ce qu’en dit Joseph Gabel qui va attirer notre attention.

Après que Etienne Balibar ait écrit dans Clarté (janvier 1965) « Les idéologies pseudo-marxistes de l’aliénation » Joseph Gabel s’est employé en contrepoint à construire contre l’althussérisme en général (un marxisme structuraliste atteint de spatialisme et d’antihistoricisme) et à la suite du Georges Lukàcs d’Histoire et conscience de classe (penseur de la réification, de la totalité et de la dialectique), une « sociologie de l’aliénation » (dans plusieurs livres dont un qui porte ce nom au PUF en 1970).

Pour J Gabel la pensée dialectique est le contraire de la pensée réifiante , elle est donc « déréïfiante » (p 204) et partant désaliénante. J Gabel critique la méthode idéal-typique de Max Weber comme étant réïfiante. Mais il faut surtout distinguer dit-il réification individuelle et réification collective. Et s’intéresser aux pratiques.

Sa conception de l’aliénation écarte une pseudo-critique fondée sur une nature humaine. Il écrit : « Nous avouons humblement tout ignorer de l’ »essence« de l’homme, n’ayant reçu aucun message divin à ce sujet ». Il va s’appuyer sur des notions de réification de « fausse conscience » et de « pensée non dialectique » pour établir sa sociologie de l’aliénation. Il rattache le stalinisme comme l’ethnocentrisme à la « fausse conscience » mais c’est surtout au thème de la réification - qui a connu un avenir important - que s’ajoute chez lui « une mention spéciale » réservée à l’identification.

L’abus de l’identification (il y a un usage normal du mécanisme) en matière politique est une conséquence de la structuration égocentrique de la pensée« écrit-il en ciblant une vision manichéenne de l’Histoire qui divise les humains en deux camps opposés. On sait que l’ancien campisme Est-Ouest s’est métamorphosé en néo-campisme Orient-Occident avec les mêmes rigidités simplificatrices de pensées : Les bons d’un côté et les méchants de l’autre ou vice-versa. On retrouve aussi comme fausse identification politique source d’aliénation le raisonnement suivant : »l’extrême-gauche est contre le parlementarisme, l’extrême-droite est contre le parlementarisme donc l’extrême-gauche et l’extrême-droite sont identiques", (les différences étant considérées comme très secondaires voire non perçues). C’est aussi le mécanisme d’identification négatif qui est en jeu lorsqu’on rapproche de façon plus ou moins franche une caractérisation d’un fait ou d’une série de faits qui déplait à un autre fait ou série de faits déjà connu(s) mais aussi socialement détesté(s).

Il reste vrai qu’un certain usage de l’aliénation au travail a visé à écarté le concept marxiste d’exploitation de la force de travail. C’est Etienne Balibar, dans l’article cité, qui remarquait que l’on passait ainsi subrepticement de l’analyse proprement explicative des causes (l’exploitation) à l’analyse simplement descriptive des effets (l’aliénation). On quitterait alors la théorie à base scientifique pour l’idéologie .

Il y a eu par la suite d’une part des lecteurs et lectrices du Capital et d’autre part des lecteurs et lectrices des livres antérieurs comme Mannheim ou Fromm . Un auteur comme Erich Fromm a eu une telle lecture marxienne fondée sur les premiers ouvrages de Marx dits humanistes. Or il est possible de considérer l’oeuvre entière de Marx. Et en ce cas, reconnaitre la pertinence du concept d’exploitation n’empêche nullement de repérer les dégâts de l’aliénation des travailleurs. Les deux lectures sont complémentaires et non pas exclusives.

En ce cas l’évocation de l’aliénation du travailleur ne se rattache alors pas à une conception essentialiste de l’humain mais à un contexte social fondé sur le productivisme capitaliste et ce que j’ai appelé « le travaillisme », un néologisme signifiant une exploitation généralisée du travail public ou privé bien au-delà de l’exploitation de la force de travail des seuls ouvriers ou des seuls travailleurs du privé.

Joseph Gabel étudie aussi brièvement (trop) l’aliénation religieuse mais non pas tant pour son anti-humanisme de principe façon Feuerbach qui dépossèderait l’humain de son humanité mais plus par le souci obsessionnel d’observer des dogmes obsolètes empêchant de s’intégrer à la vie moderne. Seul l’excès serait ici aliénant. A l’inverse l’adaptation au monde ne semblerait pas être pour lui une adaptation à l’aliénation, à une « société aliénée » comme le dirait Fromm. Le thème du refus de « l’adaptation à l’aliénation » peut aussi produire des personnalités « rebelles » problématiques. Cercle vicieux !

La société aliénée est notamment celle qui fait prévaloir le quantitatif sur le qualitatif, soit le produire pour le profit au lieu du produire pour les besoins humains essentiels (cf Haber ci-dessous) via les services publics et les biens communs ce que l’on peut nommer le productivisme capitaliste et son corolaire le travaillisme de quelques uns et le chômage des autres. La rationalisation croissante du monde et sa technicisation participent aussi d’un univers réifié et aliénant. Ce sont, explique Jean-Marie Vincent dans Fétichisme et société, des dispositifs abstraits surplombants qui s’élèvent au-dessus des humains réifiés, rabaissés. Pour vivre néanmoins dans cette société aliénée l’humain s’engage, en fonction de sa place dans les rapports sociaux et de ses capacités d’organisation collectives de résistance, à une sorte d’adaptation à l’aliénation qui se traduit en général par une acceptation partielle et un refus partiel.

Autre débat mené par J Gabel : celui contre Nicos Poulantzas. Le racisme est plus qu’un « regard détourné » (du monde socio-économique vers des questions secondaires) il est aussi une « perception dégradée » . La biologisation raciste favorise la réification et la dépersonnalisation de l’autre, sa réduction en être inférieur ou sa néantification complète, bref sa sortie de la commune humanité.

Joseph Gabel s’appuie aussi sur George Lapassade pour construire une anthropologie dialectique fondée sur l’inachèvement de l’humain, humain jeté dans le monde et contraint de par son inachèvement à se réaliser par l’effort et le dépassement dialectique. Cet effort pour « entrer dans la vie » (entrisme de Lapassade) est continuel, y compris pour les adultes âgés et ne concerne donc pas que les jeunes !

On n’a pas trouvé chez J Gabel - un oubli ? - une expression montrant une aliénation dans la prostitution ou le corps est offert, non pour une jouissance réciproque - ce qui relève du partage et de l’humain -, mais pour une rétribution monétaire - ce qui renvoie à de la déshumanisation.

Christian Delarue

Joseph Gabel — Wikipédia
http://fr.wikipedia.org/wiki/Joseph_Gabel

L’aliénation comme dépossession des besoins vitaux - Cairn.info
Entretien avec Stéphane Haber
http://www.cairn.info/revue-mouvements-2008-2-page-41.htm

Addendum

L’identification au manager (ou au leader)

L’identification est le processus par lequel une personne se transforme, de façon provisoire ou permanente, en assimilant un trait ou un attribut, partiel ou total, d’une autre personne. C’est le processus par excellence de la formation de la personnalité. Ce n’est pas seulement un processus de l’enfance et de l’adolescence. Il « fonctionne » notamment dans les lieux de production (entreprise ou administration).

Qualité I Pour une accroche d’identification Il faut qu’il y ait « objet d’admiration ». Pour que l’admiration identifiante surgisse il faut une absence de trait autoritaire et au contraire une sorte d’estime du supérieur hiérarchique. Du moins pour les identifications saines. Il peut y avoir identification pathologique à l’agresseur, ici à un supérieur blessant, sadique. L’identification positive fonctionne plus à l’amour, un amour invisible, juste ressenti, subliminal.

Qualité II : L’identification à base d’admiration fonctionne à l’amour masqué et cela crée de la « dépendance à l’objet ». L’individu apprivoisé attend des signes de reconnaissance du supérieur survalorisé, signes qui ne sont pas nécessairement des éléments matériels mais plus des signes subtils d’estime, de reconnaissance, d’amour euphémisé, disons d’amitié teintée de tendresse. Notons qu’il y a alors souvent réciprocité puisque le supérieur dépend lui aussi, quoique moindrement en général, du retour narcissique d’admiration. Tout cela n’est pas pathologique. Ces liens ne sont pas que narcissiques dans la mesure ou des sentiments d’amitié (ou d’amour authentique) peuvent s’établir de façon durable.

Axiologie. Se passer d’estime, de reconnaissance de l’autre, aussi bien l’égal que le supérieur est signe d’autonomie, d’indépendance, de liberté mais cette situation est rare car la non-dépendance absolue n’existe pas même à l’âge adulte, surtout en entreprise (Michel Vallée). Par exemple, se mettre dans le retrait, pratique courante, constitue une illusion de non-dépendance. La personne se leurre sur son indépendance. La fuite n’empêche notamment aucune adaptation à l’aliénation.

CD

Identification (psychanalyse) — Wikipédia
http://fr.wikipedia.org/wiki/Identification_(psychanalyse)