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Problématique genre et mondialisation

dimanche 18 mai 2008, par Amitié entre les peuples

Christiane Marty, Piganiol-Jacquet Claude, Rochedereux Evelyne

publié le 18/10/2002 ATTAC France

Ce texte souhaiterait convaincre de la nécessité d’intégrer le genre dans toutes les analyses de la mondialisation. L’analyse de genre y est une dimension transversale, et non une approche à part. Des données chiffrées sur ces aspects sexués existent. Même si elles sont encore insuffisantes, cela n’a pas empêché les institutions internationales de reconnaître aujourd’hui une détérioration de la condition des femmes dans le monde et d’en situer la cause dans la libéralisation du commerce et la mise en place des Plans d’Ajustement Structurels. La mondialisation actuelle s’appuie sur un double système d’exploitation, le capitalisme et le patriarcat. Le système de production capitaliste organise le marché à la seule fin d’en tirer le maximum de profit et ceci au détriment de la plus grande majorité. Le néo-libéralisme est un discours politique qui légitime le capitalisme. Il se concrétise dans des politiques qui accentuent les inégalités économiques entre les différents pays, et à l’intérieur des pays : entre les hommes et les femmes, et entre les différentes catégories sociales.

Problématique genre et mondialisation
Cette problématique souligne l’importance structurelle du genre* dans les mécanismes de la mondialisation libérale (1), et montre qu’il s’agit d’un levier d’action incontournable dans la recherche d’alternatives (2). Un bilan des avancées déjà réalisées sous la pression des mouvements de femmes permet de proposer un programme d’action (3) adapté aux préoccupations d’ATTAC.

* Les notions de sexe et de genre ne sont pas équivalentes : le sexe se réfère à la différenciation biologique alors que le genre se réfère à la différenciation sociale.

1. Analyse sexuée des mécanismes de la mondialisation néo-libérale
La contestation de la mondialisation financière doit intégrer le genre, en tant que vecteur économique d’exploitation de la moitié féminine de l’humanité. Élucider les multiples causes politico-économiques de cette oppression, c’est offrir un cadre de référence à la contestation de la pensée unique dominante, vision réductrice d’une économie inhumaine, peuplée d’agents asexués, sans appartenance sociale ni histoire. Il convient donc de revoir les théories formalisées depuis 50 ans pour éviter la soumission à des préjugés fatalistes.

1-1Le genre, une dimension structurelle de la domination marchande
La mondialisation actuelle s’appuie sur un double système d’exploitation, le capitalisme et le patriarcat. Le système de production capitaliste organise le marché à la seule fin d’en tirer le maximum de profit et ceci au détriment de la plus grande majorité. Le néo-libéralisme est un discours politique qui légitime le capitalisme. Il se concrétise dans des politiques qui accentuent les inégalités économiques entre les différents pays, et à l’intérieur des pays : entre les hommes et les femmes, et entre les différentes catégories sociales. Le néo-libéralisme tire un grand profit de l’existence du patriarcat qui lui permet de surexploiter la main d’œuvre féminine, de maintenir la très grande majorité des femmes dans une infériorité économique et une dévalorisation sociale, et de marchandiser leur corps. Le patriarcat a façonné les rapports entre les hommes et les femmes, c’est un système de domination politique, économique, culturel et social qui s’applique à tous les échelons de toutes les sociétés et que toutes les femmes subissent. Les femmes ne sont pas un groupe social, ni une minorité ethnique, ni une catégorie socio-professionnelle : les femmes comme les hommes définissent tout simplement l’humanité. Elles sont certainement le plus important « groupe d’intérêts » du monde, dans le sens où elles ont toutes intérêt à abolir le patriarcat et elles ont pour la plus grande partie d’entre elles, intérêt à abolir la domination libérale.

La division sexuelle du travail est une représentation sociale qui assigne prioritairement les hommes à la sphère productive et les femmes à la sphère reproductive. Cette division repose sur deux principes : le principe de séparation selon lequel il y a des travaux d’hommes et des travaux de femmes, et le principe de hiérarchie selon lequel un travail d’homme vaut plus qu’un travail de femme. Il est maintenant reconnu que les situations des hommes et des femmes ne sont pas le produit d’un destin biologique, mais sont d’abord une construction sociale et culturelle. Dès son apparition en Europe, le capitalisme s’est appuyé sur la division sexuelle du travail et l’a accentuée, même si l’assise théorique de ce concept n’est venue que bien plus tard. Le marché du travail repose sur une segmentation par catégories d’emploi et de secteurs, où existent de fortes discriminations de salaires, de promotions et de conditions de travail en fonction du sexe. Pour les entreprises engagées dans la course au profit, le modèle idéal du salariat repose sur une soumission totale de l’employé-e, un salaire de misère, l’absence de protection sociale, l’inexistence de législations du travail (et de l’environnement) et enfin la répression de toute organisation syndicale. La main d’œuvre féminine est idéale car bon marché, disponible en grand nombre, docile et résistante.

La contribution des femmes à la satisfaction des besoins collectifs est méconnue des théories économiques néo-libérales dominantes, alors qu’elle est exploitée en pratique de manière invisible. La Comptabilité Nationale ne saisit qu’une partie de la production du bien-être national, celle qui fait l’objet d’une transaction monétaire visible. Outre les mouvements monétaires liés à l’économie illégale, c’est toute l’activité domestique basée sur du travail gratuit qui est ignorée : tâches ménagères, éducation des enfants, soins aux malades et aux personnes agées, transports, bricolage, auto-production alimentaire des jardins familiaux (très importante dans les pays pauvres). Or le travail domestique est dévolu aux femmes, et dans certains pays aussi aux enfants. L’économie marchande tend à externaliser les coûts de « reproduction » et d’entretien de la force de travail sur la sphère domestique (note 1) (et les coûts de la pollution sur l’environnement). En cas de récession économique dans les pays industrialisés, de plans d’ajustement structurel et de privatisation du secteur social dans les pays pauvres, il est implicitement admis que les femmes compensent le déficit de services, fournissent les produits vivriers, survivent dans le secteur informel ou retournent dans leur foyer. Le travail gratuit des femmes joue alors le rôle d’amortisseur social.

La prostitution qui est la marchandisation du corps humain, devient une gigantesque organisation criminelle internationale. Les réseaux se développent en raison d’intérêts économiques très puissants. Les flux financiers sont considérables, ils sont liés au marché des armes et de la drogue, avec des ramifications dans l’industrie du sexe et de la pornographie. La prostitution alimente les réseaux de blanchiment de l’argent sale. Les causes de ces trafics d’êtres humains sont bien sûr le déséquilibre économique qui s’accroît entre Etats riches et pauvres, mais aussi les violences sociales et politiques dans les pays d’origine (guerres et conflits ethniques, dictatures, violation des droits des personnes,…). L’accroissement récent de ces trafics ne doit pas masquer l’existence de deux traits permanents : les clients, dont on ne parle jamais, sont toujours des hommes et la prostitution est toujours le résultat d’une souffrance. Actuellement, une tentative de démantèlement des principes déterminants posés en 1949, qui faisaient de la lutte contre le proxénétisme une priorité, a été entreprise par certains pays. En demandant qu’apparaisse une distinction entre « prostitution forcée » et prostitution libre », ces pays libéraux espèrent faire reconnaître la prostitution comme un travail ordinaire et en retirer les bénéfices.

1-2 Les effets différenciés des politiques économiques sur le genre
La mondialisation libérale se caractérise entre autres par la réduction des barrières commerciales, la libération des mouvements de capitaux, ou l’élimination des restrictions sur les investissements à l’étranger. Ces politiques sur le commerce, les investissements, la concurrence, la fiscalité ne sont pas neutres par rapport au genre. Elles ont des effets importants sur l’emploi des femmes, leur pauvreté, leur fardeau social et sur leur bien-être en général. La recherche sur les relations entre le genre et le commerce a été menée entre autres par le réseau WIDE, et nous en avons fait un axe de travail au sein de notre Groupe.

Les politiques de libéralisation commerciale affectent la capacité des gouvernements de financer les dépenses dans le secteur social. Et le déficit de services sociaux est « naturellement » compensé par une augmentation de la charge de travail des femmes. Les efforts accrus pour fournir l’alimentation et l’eau nécessaire à la famille, pour s’occuper des enfants qui n’ont plus de crèches ou des malades qui ne trouvent plus de soins abordables, ont des conséquences évidentes : les femmes ne peuvent plus poursuivre leurs études, ni améliorer leurs compétences ni s’impliquer dans des carrières productives. De plus, pour aider à faire face à cette surcharge de travail, les fillettes sont plus sollicitées que les garçons (note 2). Ainsi, entre 1985 et 1997, le taux d’inscription des filles à l’école a chuté dans 42 pays , et 2/3 des enfants non scolarisés sont des filles. Des liens ont été mis en évidence par l’Unifem (Fond des Nations Unies pour les femmes) entre l’endettement accru des pays et la baisse de l’inscription des filles dans les écoles. En plus de leur activité au foyer parental, les fillettes travaillent plus que les garçons : entre 5 et 11 ans, le BIT compte 3 filles pour 2 garçons qui travaillent. En outre, les réductions de dépenses sociales concernent en premier lieu les personnes les plus dépendantes qui sont les pauvres (et 70% des pauvres sont des femmes). Enfin, les licenciements massifs dans le secteur social touchent essentiellement les femmes qui y sont majoritaires.

La libéralisation du commerce augmente la segmentation du marché du travail et ses disparités de genre, et amoindrit les capacités des salarié-es à négocier salaires et conditions de travail. Les entreprises s’installent en toute liberté là où les gouvernements n’imposent pas le respect de droits élémentaires ou syndicaux. Les zones franches sont la caricature du nouveau modèle de salariat. Elles sont environ 850 dans le monde, les législations sur le travail y sont suspendues ou inexistantes, les conditions s’apparentent à du semi-esclavage, le travail est très pénible, et souvent très dangereux. Selon les pays, jusqu’à 90% des employés des zones franches sont des femmes. Fréquemment ces femmes sont victimes de violences physiques, harcèlement sexuel ou viols, qui ne sont jamais condamnés par les Etats concernés. La sous-traitance qui s’est énormément développée permet aux transnationales d’éviter la responsabilité directe envers les salarié-es. Les salaires y sont très souvent en dessous du seuil légal. Le travail à domicile concerne presque exclusivement les femmes et est considéré comme relevant du privé : la norme y est l’absence d’assurance maladie, d’assurance chômage et de système de retraite. La sous-traitance, le travail à domicile, le travail occasionnel ou à temps partiel rendent la syndicalisation des femmes très difficile.

L’inégalité de dotation en ressources économiques (capital, terre, technologie) prive les femmes d’un accès aux investissements, subventions, formations ou programmes d’assistance technique liés à la libéralisation. Il faut rappeler que les femmes ne détiennent que 1% des terres de tous les pays ! Et pourtant, en Afrique par exemple, 75 % des travaux agricoles sont accomplis par les femmes. Mais pour des raisons juridiques, elle ne peuvent ni acheter la terre, ni la vendre ni en hériter. Aux hommes la terre, aux femmes le travail. Les institutions financières renforcent les discriminations sur l’accès au crédit : on accorde aux femmes moins de 1/10e des crédits accordés aux petits paysans sur le continent africain et juste 1/100e de l’ensemble des crédits agricoles [3] L’inégalité d’accès des femmes au crédit et aux technologies les défavorise au niveau de l’efficacité de leur production locale alimentaire et textile : les biens qu’elles produisent ne peuvent pas être concurrentiels face aux importations meilleur marché. Des subventions à l’exportation peuvent avoir un impact différencié sur le genre. (Par exemple au Mozambique, au Kenya, ou en Ouganda, des subventions pour de nouvelles cultures destinées à l’exportation ont eu pour conséquence de chasser des meilleures terres la production vivrière des femmes. Celles-ci ont alors récupéré des terres moins fertiles, et ont vu leur production pénalisée). D’une manière générale, les investissements se font dans le secteur formel, celui du travail rémunéré. Les mesures destinées à promouvoir l’exportation (comme des subventions, les allègements fiscaux ou les programmes d’assistance technique) sont réservées aux cultures et industries où les hommes dominent. Il n’y a que très peu d’innovations ou d’améliorations technologiques dans la sphère économique traditionnellement féminine. Enfin, les femmes ont très peu accès aux technologies de l’information et la communication, le BIT parle même de « fracture numérique entre les sexes » pour caractériser cette discrimination.

La mondialisation libérale met en concurrence, à travers les relations de sous- traitance internationale, les travailleurs et travailleuses du « Nord », et ceux et celles du « Sud ». Toutefois pour les premiers, il reste une base de garanties sociales, même si elle se fragilise. Il faut remarquer que la flexibilité et la précarité, qui sont l’apanage des femmes, deviennent une norme se propageant du Sud vers le Nord, et constituent une spirale sociale descendante.

1-3 Quelques effets de la mondialisation libérale sur la situation des femmes en France
La concurrence internationale a entraîné la délocalisation vers des marchés étrangers et la restructuration des entreprises. La recherche de flexibilité au moindre coût s’est traduite par la précarisation sociale, c’est à dire par l’institutionnalisation de l’instabilité de l’emploi : le chômage, le développement accéléré du travail temporaire et les formes précaires d’emploi (comme les CDD, intérim, stages et contrats aidés)[4]en sont les manifestations les plus évidentes. La précarisation a trouvé sa légitimité sociale et culturelle dans les rapports sociaux de domination, et en particulier les rapports de domination hommes/femmes. Elle s’est épanouie en s’appuyant sur la division sexuelle du travail. C’est ainsi que le travail à temps partiel est féminin à 85% L’effritement des droits individuels et collectifs du travail lié aux restructurations est reconnu par tous les sociologues. La législation actuelle du travail temporaire ainsi que la législation de la sous-traitance remettent en cause un siècle d’interdiction du marchandage de main d’œuvre. De plus, la précarisation rend peu efficace les instruments juridiques censés lutter contre les discriminations envers les femmes. Le taux d’activité des femmes ne fait que progresser malgré la crise mais elles sont massivement affectées aux secteurs des services ou du tertiaire (80% des employé-es). Le différentiel de salaire persiste alors que les femmes sont, depuis environ 20 ans, plus diplômées que les hommes. De même, persiste le sur- chômage féminin caractéristique de -presque- tous les pays d’Europe (sur-chômage accompagné de sous-indemnisation : 33% seulement des chômeuses sont indemnisées contre 50% des chômeurs). L’évolution du travail due à la précarisation a fait apparaître un phénomène de paupérisation d’une partie du salariat féminin, phénomène qui a fortement progressé au cours de la dernière décennie. Les travailleurs pauvres, « working poors », existent en France : 3,2 millions d’actifs ont un salaire mensuel inférieur au SMIC, et 80% d’entre eux sont des femmes.

La domination marchande utilise la division des genres pour enfermer les individus dans des engrenages socio-économiques qui leur échappent. Modifier le rôle et le pouvoir du genre est incontournable pour jeter les bases d’un autre monde, égalitaire, solidaire, pacifique et démocratique, et d’un développement soutenable.

2. Le bilan des avancées réalisées en faveur de l’égalité de genre
Depuis plusieurs années déjà, un vaste mouvement de contestation a pris forme à travers le monde pour s’élever contre la mondialisation libérale. Ce mouvement réunit côte à côte l’ensemble des mouvements sociaux, mouvements de femmes, syndicats et associations de la société civile qui, malgré leur grande diversité, refusent tous de vivre dans un monde gouverné par la loi du profit. Dans tous les grands rendez-vous, Seattle, Prague, Nice, Porto Alegre, Québec, les mouvements de femmes de très nombreux pays ont été présents et se sont fait entendre pour réclamer la priorité à la justice sociale, au développement humain, et à la préservation de l’environnement. En particulier, la Marche Mondiale des femmes a fait émerger dans la sphère internationale un mouvement féministe d’une grande vitalité et d’une immense capacité de mobilisation et d’action.

2-1 Une affirmation internationale de principes favorables à l’égalité des sexes
Depuis les années 90, d’importantes conférences des Nations Unies comme la Conférence internationale sur la population et le développement du Caire en 1994, ou le Sommet mondial sur le développement social de Copenhague, ont reconnu que la réalisation de l’égalité entre les sexes était un facteur crucial, non seulement du point de vue de la justice mais aussi parce que cette égalité est un préalable pour la réduction de la pauvreté dans le monde et pour un développement social et économique durable. Les institutions des Nations Unies comme l’UNICEF, l’OMS, le BIT, le PNUD, l’UNIFEM ont depuis réaffirmé que « les politiques des Etats doivent soutenir le développement humain, l’égalité économique, et l’égalité des sexes, et doivent viser à éliminer les partis pris contre les femmes ». La Banque Mondiale elle aussi, à la suite de pressions, a créé un Groupe Consultatif Externe chargé d’examiner la problématique hommes/femmes, (même si les raisons de l’évolution de la BM et ses nouvelles conceptions sont loin des nôtres). Les Nations Unies ont adopté en 1979 la Convention pour l’Elimination des Discriminations Envers les Femmes (CEDEF). En 1990, le PNUD affirme que « le développement humain est une fin dont la croissance économique est le moyen ». Cette importante évolution fait suite à une contestation de plus en plus répandue, qui refuse de mesurer la richesse et le bien être d’un pays par la seule référence au PIB. Le PNUD met donc en place un nouvel indice de développement humain afin de mesurer d’une manière appropriée la richesse d’un pays. Mais il ne fait pas de distinction entre la situation des hommes et celle des femmes. Dans un second temps, en 1995, faisant suite à la prise de conscience des différences importantes entre la situation des hommes et des femmes, le PNUD introduit un indicateur sexo-spécifique du développement humain (ISDH) ainsi qu’un indice de participation des femmes (IPF) qui permettent l’évaluation de la situation particulière des femmes, et qui constituent un début indispensable pour mesurer l’impact des politiques sur le genre. Les données disponibles sont saisissantes. Les mouvements de femmes et les ONG continuent leur important travail pour intensifier la prise de conscience sur le genre, pour tisser un réseau entre associations et pour faire du lobbying auprès de l’OMC, de l’Union Européenne, des institutions internationales et des Etats. On connaît bien sûr les limites au pouvoir d’action de l’ONU et la faible portée des principes adoptés au cours de Conférences. Il reste un fossé immense entre les engagements et les opportunités réellement offertes aux femmes de prendre leur part dans la société. Et avant tout, ces institutions manœuvrent dans un cadre étroit qui ne remet en cause ni les accords commerciaux internationaux ni la progression du tout-marché. A la Conférence mondiale sur les femmes de Beijing, en 1995 une évolution importante s’est produite : les femmes n’ont plus seulement revendiqué d’introduire la problématique du genre dans le développement, mais elles ont abouti à la nécessité de transformer les structures même de l’inégalité et de l’oppression. Le genre en tant que concept a été reconnu comme un problème structurel et non plus seulement social.

2-2 Les initiatives des femmes visent la transformation de l’ensemble du système de relations économiques, politiques, sociales et environnementales
Le débat dans les mouvements de femmes, à la fois en Europe et dans les autres pays, a glissé de la préoccupation centrée sur des égales opportunités pour les femmes vers une discussion beaucoup plus large. Elle propose des alternatives au développement actuel, substitue aux visions courantes de l’économie une autre vision où sont étroitement reliées l’économie des marchandises et l’économie des soins (en anglais care economy). L’outil de mesure des richesses doit être revu pour prendre en compte la production de richesses (y compris le travail invisible des femmes) mais aussi leur destruction (pollution, accidents de la route,…) Les femmes sont les premières intéressées par la « relocalisation » de l’économie qui proclame le droit des citoyen-nes de tous les pays à travailler au développement et à la production locale, à la protection des ressources de la main d’œuvre et des milieux naturels locaux. Les exemples sont multiples, comme le montrent les cas suivants [5] dans des registres différents : les cuisines populaires dans la ville de Lima au Pérou, la désobéissance civile des femmes Chipko en Inde, la fondation néerlandaise Mama Cash, des syndicats d’un nouveau genre en Asie, la branche féminine de Solidarité Paysanne dans l’ex-Zaïre, la lutte contre la bio-piraterie de Vandana Shiva.

Nous voulons souligner que le mouvement des femmes est un puissant vecteur qui lutte contre la mondialisation libérale avec des moyens naturellement alternatifs en raison même de la situation des femmes dans la société patriarcale. Les modèles développés dans ces luttes devraient être une source d’inspiration pour ATTAC.

3 Quelques propositions POUR l’intervention d’ATTAC
La problématique des femmes est devenue incontournable dans la contestation à la mondialisation libérale. Les objectifs des mouvements de femmes rejoignent ceux d’ATTAC par la volonté de construire un autre monde, de se réapproprier la « gouvernance » de la société, et par le souci d’éducation populaire sur des questions jusque-là réservées aux soi-disant experts. Nos propositions concernent deux aspects complémentaires : l’énoncé de principes explicites à défendre et justifier pour animer les transformations, et un programme d’actions concrètes à plusieurs niveaux.

3-1 Principes à promouvoir
Ils relèvent des préoccupations majeures d’ATTAC, c’est-à-dire davantage de l’économie que du droit ou de l’humanitaire, ces derniers aspects étant déjà bien couverts par les mouvements féministes existants. Sous réserve d’inventaire, ces principes pourraient être les suivants : · l’intégration du genre dans toutes les politiques économiques doit être présente dans la préparation, le suivi et l’évaluation finale des décisions ; ces politiques doivent reconnaître la contribution essentielle des femmes au bien-être national, · la parité est la condition indispensable à la réalisation de l’égalité des hommes et des femmes dans le monde, elle correspond à une authentique démocratie ; elle crée les conditions pour qu’émergent d’autres aspirations, d’autres solutions que celles obtenues aujourd’hui après 2 siècles d’universalité des droits de l’homme qui ont conduit à l’exclusion des femmes des pouvoirs de décision, · la redistribution économique opérée par la fiscalité, les services publics, la protection sociale doit favoriser les femmes (à titre de rattrapage, de compensation, ou de prévention du risque d’oppression), · la solidarité envers les groupes de femmes selon l’idée que « l’union fait la force » est le seul moyen d’éradiquer la domination des hommes sur les femmes et de construire des relations harmonieuses entre les deux sexes, · la législation et la réglementation contraignant le libéralisme marchand et la criminalité financière doivent discipliner la jungle (c’est la loi qui libère et non la main invisible des marchés).

3-2 Actions concrètes à entreprendre immédiatement
Au niveau international :
les produits de la taxe Tobin et de l’annulation de la dette des PMA doivent être répartis par des commissions paritaires et redistribués à des organisations de femmes pour 70% de leur montant, puisque les femmes représentent 70% des pauvres,
les directives de l’OIT doivent être respectées par les IFI, l’OMC, les décideurs mondiaux, les multinationales, grâce à une réforme des institutions de l’ONU,
la nomination de femmes dans les institutions internationales et instances de décision est possible par un système de nomination alternée, ou une rotation des fonctions,
la communication en réseau avec les mouvements de femmes étrangers doit favoriser la participation à leurs actions et la conduite de projets communs.

Au niveau national et à celui de l’UE :
conception et promotion d’objectifs de genre, d’indicateurs d’objectifs, mise en place d’un planning de réalisation et de méthodes d’évaluation d’impact sur le genre de toutes les politiques économiques,
harmonisation fiscale, monétaire, protection sociale et retraites, droit social (contre le temps partiel imposé, pour le rattrapage du salaire féminin, pour la pénalisation des entreprises qui ne respectent pas l’égalité professionnelle et pour des primes à l’égalité professionnelle…)
loi anti-sexiste, sur le modèle de la loi anti-raciste,
contrôle des mouvements de fonds illicites pour lutter contre la prostitution,
statut de l’élu-e favorable à une plus grande participation politique des femmes.

Au niveau d’ATTAC :

la parité de ses instances (BN, CA) peut être assurée par le règlement intérieur, modifiable en AG. Le doublement (homme/femme) des postes de responsabilité pourrait servir de modèle expérimental d’une nouvelle forme de démocratie participative et représentative. L’alternance dans la prise de parole lors des réunions, colloques ou Université d’été, serait innovante,
le langage doit évoluer en formulant explicitement le féminin chaque fois qu’il est censé être fondu dans le masculin (avec l’écriture « tiret e » comme dans élu-e-s), en utilisant les noms féminins de métier (professeure), en substituant au mot « homme » le mot « personne » ou l’adjectif « humain » (« droit de la personne » terme recommandé par l’UNESCO en 1991),
la reconnaissance du groupe de réflexion spécifique « Femmes et Mondialisation » doit passer par un soutien visible à ses activités,
la place doit être accordée au thème dans la communication interne (Grain de Sable, CNCL, plaquette), et les relations extérieures auprès des médias (Monde Diplomatique…).
la formation des responsables, correspondants et membres (Université d’été, colloques scientifiques) doit intégrer l’importance de la problématique du genre dans la mondialisation marchande.

Conclusion

Un mouvement comme ATTAC dont l’objectif est la construction d’alternatives à la mondialisation actuelle ne peut pas être, sur la question du genre, en retrait par rapport aux Directives des Nations Unies, ni par rapport au mouvement de contestation dont une composante majeure est représentée par les femmes. Il est possible de contribuer plus activement à la naissance d’un monde meilleur en intégrant le genre dans les critiques économiques de la mondialisation financière, dans tous les sujets débattus par ATTAC, et de montrer l’exemple par des innovations dans son fonctionnement interne.

Groupe Femmes et Mondialisation

Texte rédigé par
Christiane Marty, Claude Piganiol-Jacquet, Evelyne Rochedereux 3/6/2001

Notes
[1] En 1993, le PNUD a évalué que les femmes avaient contribué à l’économie mondiale pour une valeur estimée à 11 000 milliards de dollars, par leur seul travail domestique non rémunéré. Ce chiffre ne comprend pas leurs activités au niveau de l’agriculture de subsistance, ni du secteur informel. C’est à dire que le travail domestique non rémunéré représente près de la moitié de la production annuelle totale qui s’élevait la même année à 23 000 milliards de dollar

[2] rapport PNUD sur le développement humain -1999

[3] La femme mondialisée. Christa Wichterich Actes Sud -1999

[4] En 1998, 1 salarié sur 11 est en CDD, intérim, contrat aidé ou stage (INSEE 1998) Et 17% des emplois sont à temps partiel

[5] Développés dans la plate forme du groupe Femmes et mondialisation.

http://www.france.attac.org/spip.php?article1180


Voir en ligne : http://www.france.attac.org/spip.ph...