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Précariat et luttes de précaires E Perrin - ATTAC Arles 2009

samedi 29 août 2009, par Amitié entre les peuples

Précariat et luttes de précaires

Atelier « Précarité », Université d’été ATTAC, Arles 2009
par Evelyne PERRIN (AC !, Stop Précarité)

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1. L’émergence du précariat

Au cours des vingt à vingt-cinq dernières années, l’économie d’un pays développé comme la France a connu de profondes transformations : ouverture à la concurrence et mondialisation des échanges et de la circulation des capitaux, financiarisation de l’économie faisant prévaloir les intérêts à court terme des actionnaires sur les logiques industrielles, réorganisation des entreprises, les plus grosses se recentrant sur leur cœur de métier et externalisant toutes les autres fonctions, dans une cascade de sous-traitance les déchargeant le plus souven,t de la responsabilité directe sur la gestion du personnel. De plus en plus de salariés se trouvent ainsi employés par des petites et moyennes entreprises, sous-traitantes ou franchisées, soumises à la logique du moins-disant.

L’emploi s’est aussi transformé avec l’émergence de plus en plus de contrats atypiques, contrats à durée déterminée, intérim, contrats d’insertion…Même si ces emplois ne représentent encore qu’environ 13 à 15 % des emplois salariés, leur proportion tend à se développer, 70 % des embauches se faisant sous cette forme, et la durée moyenne des CDD étant d’un mois et demi. Seuls les salariés qualifiés parviennent à rejoindre l’emploi stable en CDI, les autres restant piégés dans l’intérim ou la succession de CDD et de périodes de chômage, de plus en plus mal indemnisées. Moins de la moitié des demandeurs d’emploi sont en effet indemnisés par l’UNEDIC.

Ainsi se crée un halo autour de l’emploi stable à plein temps, qui regroupe toutes ces formes instables d’emploi, ainsi que le temps partiel le plus souvent imposé et qui touche massivement les femmes. Des secteurs entiers (automobile, bâtiment…) reposent en partie sur l’intérim comme mode de gestion de la main d’œuvre. D’autres, comme l’intermittence du spectacle, connaissent cette instabilité mais bénéficient encore d’un régime d’assurance chômage spécifique, bien qu’il ait récemment subi des atteintes. D’autres, enfin, stagiaires non rémunérés, free lance, faux indépendants, se trouvent dans des statuts flous et mal couverts par le droit du travail.

On peut ainsi parler, avec des auteurs comme Robert Castel[1] ou Patrick Cingolani[2], de l’émergence d’un précariat, ou d’une nouvelle forme de salariat, caractérisée par l’incertitude et l’instabilité de son emploi et de ses revenus.

Ce précariat est aussi caractérisé par sa fragmentation et sa multiplicité. Quoi de commun entre les salariés en CDI à temps partiel de la restauration rapide, le plus souvent obligés, par la faiblesse de leur salaire, à rester vivre chez leurs parents, et issus des couches les plus populaires de banlieue, et les employés en CDI ou CDD des grandes chaînes de librairie et audiovisuel (FNAC, Virgin…), en temps complet, disposant d’un bagage universitaire, mais peu payés ? Les premiers dénoncent leurs conditions de travail et de salaires, cadences élevées, absence de primes, turn over systématique, temps partiel imposé… ; les seconds se plaignent de la marchandisation de leur travail, qui consiste à faire du chiffre là où ils voudraient exercer un vrai métier de libraires, et dénoncent l’absence d’avancement et de carrière. Tous réclament en vain un treizième mois et une reconnaissance de l’ancienneté.

Autre caractéristique du précariat, outre sa fragmentation, c’est sa faible syndicalisation. Ce phénomène est dû à la fois à la difficulté de se syndiquer durablement pour des salariés peu payés, alternant chômage et emploi, et passant d’une entreprise à une autre, d’un secteur à un autre ; et à la difficulté ou à la mauvaise volonté des syndicats pour défendre et représenter ces travailleurs précaires qui ne font que passer dans l’entreprise, et qui sont de plus parfois perçus comme des concurrents des travailleurs stables quand ils subissent des conditions dérogatoires d’emploi.

Enfin les dernières mesures prises en France en ce qui concerne la réforme du contrat de travail et les devoirs des chômeurs accentuent la précarité : en effet, en juin 2008 est votée la loi sur la « modernisation » du marché du travail qui double ou triple la durée des périodes d’essai, crée un nouveau type de contrat précaire, le « CDD de mission » à la durée incertaine, et crée la « séparabilité à l’amiable », qui permet de se séparer de son salarié sans recourir à la procédure du licenciement et donc en lui ôtant toute voie de recours. En juillet 2008, c’est au tour des chômeurs de devoir accepter, sous peine de radiation au bout de deux refus, des » offres raisonnables d’emploi » payées juste au-dessus de leur indemnité de chômage.

2. Les luttes des précaires

En dépit de ces obstacles, de nombreuses luttes emblématiques ont marqué la volonté des travailleurs précaires de s’opposer aux formes diverses de leur sur-expolitation, et leur capacité à résister :

 Grèves l’une de quatre mois, la seconde d’un an, des salariés du Mc Do de Strasbourg-Saint-Denis à Paris en 2001-2002 et 2003-2004, contre des licenciements. - Grève d’un an, de 2002 à 2003, des femmes de ménage d’Arcade, sous-traitant du groupe hôtelier Accor, contre les cadences infernales et le non paiement des heures travaillées. - Grèves à Pizza Hut, d’un mois chaque fois, à trois reprises de 2001 à 2006, pour demander des primes et augmentations de salaires. - Grèves chez MaxiLivres, à deux reprises, pour demander des augmentations et l’accès à l’eau et aux toilettes.

 Grève d’un mois de la FNAC Champs-Elysées en février 2002 pour demander un rattrapage salarial, victorieuse.

 Grève de plusieurs semaines des cuisiniers et serveurs pakistanais des Cafés RUC, victorieuse, et de plusieurs mois des Pubs Frog.- Grèves chez Go Sport, dans divers secteurs du commerce, et en début 2008 dans les supermarchés et à Carrefour Marseille (partiellement victorieuse, aboutissant à une augmentation des heures de travail des caissières à temps partiel notamment), etc…

 Grèves de travailleurs sans papiers, en 2007 et 2008, chez Paristore, Modelux, Buffalo Grill, au restaurant de la Grande Armée…, soutenues par la CGT, Droits Devant !, puis au printemps 2008 des grèves longues et coordonnées de travailleurs sans papiers défendus par l’UL-CGT de Massy et Droits Devant !, aboutissant à environ 2000 régularisations.

Cette série de grèves montrent que la détermination des salariés précaires, y compris les plus exploités et les plus au bas de l’échelle, peut être forte et aboutir à faire céder les patrons. Elles témoignent aussi de convergences dans les revendications exprimées, pour l’augmentation des salaires, mais aussi pour l’augmentation des temps partiels, pour la reconnaissance des qualifications et de l’ancienneté (treizième mois partout demandé), celle du droit syndical, bref, pour la dignité.

Comme le notait Pierre Bourdieu il y a quinze ans, « Les mouvements sociaux, si divers qu’ils soient par leurs origines, leurs objectifs et leurs projets, ont tout un ensemble de traits communs qui leur donnent un air de famille. En premier lieu […], ils sont attachés à des formes d’organisation d’inspiration autogestionnaire caractérisées par la légèreté de l’appareil et permettant aux agents de se réapproprier leur rôle de sujets actifs […]. Second trait commun, ils inventent ou réinventent des formes d’action originales dans leurs fins et dans leurs moyens, à fort contenu symbolique. »[3] On a bien relevé ces traits dans les formes de lutte (occupations, piques-niques sauvages, appel à l’opinion et boycott…) et les comités de soutien miss en œuvre ces dernières années, souvent en complément ou en adjacence par rapport aux syndicats rapidement débordés ou essoufflés.

Toutefois, chaque grève est menée de façon ponctuelle et séparée - malgré la tentative, parfois réussie, des comités de soutien extérieurs de créer des convergences ou des jonctions entre ces luttes - et les revendications en sont chaque fois différentes, même si l’on peut y lire des traits communs.

Les syndicats impliqués dans ces conflits en font une gestion elle-même segmentée, et ne cherchent pas, ou ne parviennent pas à en tirer des plate-formes revendicatives unifiées. Il n’y a pas de montée en généralité, par exemple pour dénoncer la sous-traitance dans le nettoyage, comme l’a fait momentanément le comité de soutien de la grève d’Arcade, ou le passage en franchise dans la restauration rapide.

Avec la crise financière et les cascades de plans sociaux qu’elle a entraînés, la condition des précaires se dégrade encore plus. C’est tout d’abord les licenciements d’intérimaires et non-renouvellements de CDD, vaste plan social de fait qui frappe les jeunes salariés issus des quartiers populaires et dont personne n’a parlé. Ce sont les plans sociaux dans les entreprises, notamment sous-traitantes de la filière automobile, où les salariés recourant à des menaces de destruction de l’entreprise parviennent à faire parler d’eux (Nortel, Molex, New Fabris..). Mais là encore, aucune coordination de ces luttes n’est proposée par les confédérations syndicales et les revendications se bornent à obtenir les meilleures conditions de départ possibles, sans que soit interpellé le gouvernement sur un arrêt des licenciements et sur une garantie durable de revenu, dans des bassins d’emploi le plus souvent sinistrés.

3. Une garantie de revenu décent pour tous

Toutefois, des esquisses importantes apparaissent, avec la revendication de Nouveau Statut du Travail Salarié élaborée depuis le début des années 2000 par la CGT, celle d’un Statut du Travailleur mise au point par la CFTC, et celle d’un Nouveau Statut du salarié élaborée par l’Union syndicale Solidaires. Le point commun à ces revendications est la création d’un statut du travailleur qui lui serait attaché depuis la fin des études jusqu’à sa retraite, et qui lui assurerait le maintien de son contrat et de son salaire en cas de perte d’emploi, jusqu’à ce qu’il retrouve un emploi correct. Toutefois, à la CGT, ce NSTS est très peu porté sur le terrain concret des luttes et rencontre des résistances internes à la Confédération, de syndicalistes qui lui reprochent de s’accommoder de la flexibilité et d’abandonner la lutte contre les licenciements et pour l’emploi.

De leur côté, les Intermittents du spectacle, dont le régime d’indemnisation a été attaqué en 2003, ont mené des grèves longues et spectaculaires (annulation de festivals comme celui d’Avignon) et ont élaboré en 2004 la proposition d’un nouveau modèle d’indemnisation, leur assurant le maintien d’un revenu décent compris entre un SMIC et 2,5 SMIC.

Enfin, depuis 2005, un groupe de travail unitaire réunissant les associations de chômeurs et de lutte contre le chômage AC !, APEIS, MNCP, les associations de précaires Génération Précaire pour les stagiaires, Stop Précarité, la Coordination des Intermittents et Précaires d’Ile de France, le Collectif National Droits des Femmes, Act-Up, la Confédération Paysanne, le DAL, No Vox, les Marches européennes, le SNU-TEFI et l’Union syndicale Solidaires, le réseau OUPS et la Fondation Copernic a élaboré une plate-forme commune pour une garantie de revenu décent et la continuité des droits (à la formation, à la carrière, à la santé, au logement, aux papiers…) pour tous et toutes, avec ou sans emploi. Le principe qui inspire cette plate-forme est qu’il faut en finir avec la dichotomie entre l’assurance-chômage, qui couvre de moins en moins de chômeurs, et les systèmes d’assistance comme le RMI et l’allocation de solidarité spécifique, versés par l’Etat et insuffisants pour vivre car très inférieurs au seuil de pauvreté[4], vers lesquels sont pourtant renvoyés de plus en plus de gens en recherche d’emploi.

Ce n’est pas le RSA qui apportera une réponse à la hauteur de la crise et de la précarité : même s’il peut paraître apporter un plus individuellement, dans certaines situations de reprise d’emploi, sa logique est d’encourager à la multiplication des « petits boulots », jobs précaires de quelques heures, avec lesquels, même avec le RSA, la personne demeurera en-dessous du seuil de pauvreté. Bien plus, il va contraindre au retour forcé à des miettes d’emploi, par la soumission à l’ « offre raisonnable d’emploi » assortie de sanctions de radiation en cas de refus.

4. Les Marches régionales de novembre 2009

C’est dans ce contexte de crise que se sont tenues, en mai 2009, des Etats-Généraux du chômage et de la précarité appelés par le collectif Droits Nouveaux initiateur de la plate-forme pour une garantie de revenu, qui ont rassemblé 200 personnes et plus de 30 organisations. Ils se sont conclus par un appel à organiser en novembre-décembre des Marches régionales de ville à ville, réunissant chômeurs-précaires-salariés en lutte-mal logés et sans-papiers, pour exiger l’arrêt des licenciements, une garantie de revenu décent pour tous, avec ou sans emploi, jusqu’à retour à un emploi correct , et la continuité des droits sociaux (logement, santé, formation, retraite, papiers…).

Ces Marches s’appuieront sur les collectifs mobilisés, de chômeurs, d’entreprises en lutte contre des plans sociaux, de mal logés et de sans papiers. Ils interpelleront les pouvoirs publics, locaux et nationaux. Ils rédigeront des cahiers de doléances.

D’ores et déjà, nous vous appelons à participer au succès de ces Marches dans votre région.

[1] Robert CASTEL, L’insécurité sociale : Qu’est-ce qu’être protégé ?,Paris, Seuil, La République des Idées, 2003.

[2] Patrick CINGOLANI, La précarité, Que Sais-je, Paris, PUF, 2005.

[3] Pierre BOURDIEU, Contre-feux 2, Paris, Raisons d’agir, 2001.

[4] Une étude d’Antoine MATH montre que les minima sociaux français sont les plus bas des pays les plus développés de l’Union Européenne, loin derrière ceux de pays comme les pays scandinaves mais aussi la Grande-Bretagne ou l’Autriche. Cf. Antoine MATH, « Les familles pauvres sont-elles plus mal traitées en France ? Une comparaison des revenus minima garantis dans douze pays européens », à paraître dans la Revue de l’IRES en 2008.