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Pré printemps portugais : que la troïka aille se faire voir . G Filoche

samedi 26 avril 2014, par Amitié entre les peuples

Pré printemps portugais : que la troïka aille se faire voir

Gérard Filoche a publié ce texte en mars 2013

Il est reproduit ici en l’honneur des 40 ans de la « Révolution des Œillets » du 25 ’avril 1974

XX

Ils chantent Grandola Vila Morena, la chanson de la révolution portugaise, la « révolution des Œillets », celle qui donna le signe de la révolution portugaise le 25 avril 1974. Ils sont des millions dans les rues contre l’austérité, contre la troïka UE/BCE/FMI, contre Merkel et tous ceux qui donnent la priorité au remboursement de la dette aux banquiers

Ce fut, en 1974-1975, une révolution contre la guerre coloniale que les armées portugaises menaient en Afrique. Ce fut aussi une révolution contre la « règle d’or » qu’imposait la dictature Caetano qui venait de succéder depuis 1969 à la dictature du « Doutor »Salazar, laquelle avait débuté en 1934.

A l’époque, la dictature imposait « l’équilibre budgétaire » et le faisait payer au peuple : Salazar ne voulait pas qu’il manque un « escudo » dans les caisses de l’état à la fin de l’année, par rapport à ceux qui y étaient entrés. Il professait cette bêtise immense que « un état c’est comme un ménage, ça ne doit pas dépenser plus que ce que ça gagne ». Ce faisant, pendant 40 ans, Salazar avait fait du Portugal le pays le plus pauvre d’Europe, poussant plus d’un million de Portugais (sur 9 millions à fuir le pays). La « règle d’or » vue du Portugal est une sorte de crime économique prolongé sur 4 décennies terribles. Un monstre qui resurgit.

Et voilà que la troïka UE/BCE/FMI recommence Salazar et Caetano. Elle veut imposer la même sorte d’austérité permanente, le même genre de crime économique qui ne sert qu’aux banquiers et aux actionnaires. Donc le peuple chante l’hymne de la révolution, du printemps portugais, à nouveau.

Déjà en le 15 septembre 2012, le gouvernement de droite de Pedro Passos Coelho, obéissant au chantage de Merkel, Barroso, de l’UE, avait voulu abaisser les cotisations sociales des patrons de 22,5 % à 18,5 % et augmenter celles des salariés de 11,5 % à 18,5% : il y avait eu un tel raz de marée dans les rues des grandes villes portugaises qu’il avait dû y renoncer. C’est la seule victoire des peuples d’Europe depuis l’ouverture officielle du chantage à la crise bancaire depuis 2009.

Et là, la troïka qui n’en a jamais assez, dont le but est de profiter de la crise pour imposer des régressions sociales à tous les peuples d’Europe, a encore exigé que Pedro Passos Coelho compense 78 milliards de crédit de la BCE par des baisses des salaires et des retraite, des hausses généralisées d’impôts, et des « économies » antisociales à travers d’une « reforme de l’état ».

Ce samedi 2 mars 2013, le pays a été submergé par une mobilisation sans précédent de Porto à Faro, dans toutes les grandes villes du pays. 400 000 à Porto, 500 000 à Lisbonne… (plus d’1,5 million d’habitants sur 9 millions, cela ferait l’équivalent de 9 millions de manifestants en France). A l’appel d’un mouvement dit« apolitique », et appelé « que la troïka aille se faire voir » mais aussi de la CGTP, c’est une marée humaine qui s’est mobilisée : « La troïka et legouvernement dehors », « le Portugal aux urnes », « élections maintenant »,« démocratie participative ».« Qui s’endort dans la démocratie, se réveille dans la dictature », « Bandits, rendez-nous notre argent ».« C’est le peuple qui est souverain », une phrase correspondant à un des vers du chanteur engagé José Afonso, créateur de la chanson Grândola Vila Morena, étaient le principal mot d’ordre des rassemblements. Selon l’AFP qui a le monopole de l’information : « même des militaires se sont joints au défilé qui devait se terminer vers 18 h sur la majestueuse et monumentale Place du Commerce qui donne sur le Tage ».

L’AFP semble indiquer une nouvelle victoire possible de cette marée humaine : « A l’issue de leur examen les créanciers de la troïka pourraient consentir à un nouvel allégement des objectifs budgétaires du gouvernement, de plus en plus difficiles à respecter, alors que l’économie devrait cette année reculer de 2 %, soit deux fois plus qu’envisagé précédemment, et que le chômage a atteint le taux record de 16,9 %. »

Combien de manifestants ? Entre 10 à 15 % du peuple est dans la rue : « Ce genre de comptabilité n’est pas important », dit un des responsables du mouvement, Nuno Ramos de Almeida. « Ce qui l’est, a-t-il dit à l’AFP, c’est que les gens s’opposent à cette politique », « Le gouvernement ne peut gouverner contre le peuple et je crois qu’il va tomber ».

Après la crise politique spectaculaire, ouverte par les élections italiennes, après les grands mouvements en Espagne, on peut constater et commencer à se réjouir, que les politiques d’austérité et d’équilibre budgétaire, voient se dresser contre elles les salariats indignés.

Nous devons soutenir les portugais, comme les espagnols et les grecs, car c’est nous soutenir nous-mêmes.

Nous, nous avons un gouvernement de gauche. Mais celui-ci marche sur des oeufs. Que le gouvernement Ayrault veuille mener une « politique rigoureuse » et non pas une « politique de rigueur »ne change pas grand chose. Les objectifs de 3 % de déficit et de 0,5 % de déficit sont des abîmes. Profonds !

Oui, François Hollande est le plus à gauche d’Europe mais tout est relatif : il n’y a personne d’autres à gauche ni à Rome, ni à Madrid, ni à Lisbonne. L’explication qu’on nous donne au Bureau national du PS : « nous faisons moins de rigueur anti sociale qu’ailleurs » ne peut suffire. Surtout quand il est donné 20 milliards aux patrons, et quand il est question d’imposer l’ANI Medef. Surtout quand Pierre Moscovici, le 24 décembre 2012 donne 2,585 milliards pour sauver Dexia, après avoir refusé 1 milliard pour sauver Mittal. Tout cela crispe les salariés tenaillés par les attentes, les urgences sociales.

Quand il y a 5 millions de chômeurs et 10 millions de pauvres, ne pas faire « trop de mal » ce n’est pas faire du bien. L’équilibrisme, à la marge, cela ne satisfait pas et ne satisfera pas le Medef, lequel agite les cloches pour que « les investisseurs étrangers » nous pressionnent davantage et impose à François Hollande d’en faire plus, et plus et encore plus pour la finance.

Nous sommes menacés en France, de voir encore reculer nos retraites, nos allocations familiales sont menacées, nos salaires sont bloqués, ils reparlent de TVA à 21 %... chaque jour le Medef mène bataille contre le gouvernement français pour nous faire subir le même sort que les habitants de Rome, Madrid et Lisbonne.

La résistance des Portugais contre la troïka les aide mais nous aide aussi. Aidons-nous nous-mêmes en étant dans la rue le 5 mars.

Observons qu’en Italie avec le M5E (Beppe Grillo), en Espagne avec les « Indignados », et au Portugal avec le mouvement « Que la troïka aille se faire voir », le « vide » créé quand la gauche n’est pas à la hauteur, quand elle se plie peu ou prou à la troïka, appelle a des « mouvements » substitutifs de remplacement. Cette résistance déformée prend des visages confus, contradictoires, hétérodoxes comme les 25 % de Beppe Grillo en Italie, mais la« lecture » de ces mouvements ne fait aucun doute : contre l’Europe dominée par les libéraux, contre la dictature de la BCE et de ses amies, les banques privés, contre le paiement de la « Dette indigne ».

L’Europe a voulu se doter d’un budget d’austérité pour 7 ans, sous la houlette de Cameron et Merkel. Elle se démasque ainsi auprès de dizaines de millions d’européens en colère et cela nourrit des explosions comme celle du Portugal. Ca va faire un raz de marée partout.

En France, 2 français sur 3 sont déçus par François Hollande : en fait ils sont déçus que François Hollande n’engage pas plus le fer avec la finance. Même si, en face, Laurence Parisot menace : « Nous mettrions ça suffisamment en cause pour que les investisseurs étrangers changent d’avis sur la France ».

Le Point conclut en qualifiant Hollande de « louvoyeur » afin de le faire céder à 3000 % coté Medef. Il faut des millions de manifestants dans les rues pour le faire pencher coté salariat.

C’est le schéma dans lequel nous sommes : où le« louvoiement » se termine en « austérité » accrue ou comme au Portugal, ou bien en entrant dans les manifestations de rue comme le 5 mars, nous obtenons que la « troïka aille se faire voir » !

Lire Printemps portugais, Ed. Actéon, 1984, Gérard Filoche

Source

http://www.marianne.net/gerardfiloche/m/Pre-printemps-portugais-que-la-troika-aille-se-faire-voir_a65.html