Accueil > Antisexisme - Féminisme > Féminisme en mouvement, « relié » > Pourquoi je suis devenue féministe ?

Pourquoi je suis devenue féministe ?

mardi 1er juillet 2008, par Amitié entre les peuples

Bonjour,

Vous trouverez ci-après l’entretien que j’ai accordé à Elle cette semaine… C’est une interview qui me tient à coeur. Je la reproduis là car j’imagine que vous êtes peut-être comme moi, pas des lecteurs-trices assidus de ce journal féminin…

Pourquoi je suis devenue féministe ?

C’était il y a dix ans et elle n’en avait jamais parlé… Aujourd’hui, la candidate antilibérale raconte le viol qu’elle a subi. Une manoeuvre pour s’attirer la sympathie des électeurs ? Non, une façon de plus de justifier son combat politique ! Interview vérité.

Qu’elle séduise les uns en quête de renouveau, qu’elle agace sérieusement les autres, rien n’y change : à 33 ans, Clémentine Autain, adjointe à la Mairie de Paris chargée de la jeunesse, s’est imposée comme l’un des visages incontournables de la relève en politique. Sa coupe à la Seberg, son regard azur et sa belle repartie l’ont fait franchir les portes des médias. Son féminisme version trentenaire, sa façon de ne jamais rien lâcher, ses combats, menés avec aplomb, contre les inégalités de tout poil permettent aujourd’hui à cette proche du Parti communiste d’espérer aller plus loin encore : elle s’est déclarée candidate à la candidature pour représenter la gauche antilibérale dans la course à l’Elysée. Bel exemple d’une ascension éclair en politique, et joli parcours lisse ? Trop simple. Dans « Clémentine Autain » *, la biographie d’Anne Delabre qui sort le 9 novembre, la jeune femme révèle ce qui fut la raison fondamentale de son engagement féministe : le viol dont elle a été victime il y a dix ans. Pourquoi choisit-elle d’en parler maintenant, au coeur de l’actualité électorale ? D’où vient ce besoin d’évoquer ce secret tu à longueur d’interviews pendant des années ? A quoi sert de convoquer l’intime et la vie privée dans un combat politique ? Réponses.

ELLE. Pourquoi avez-vous choisi de révéler ce secret ?
CLÉMENTINE AUTAIN. A partir du moment où j’acceptais le principe d’un livre-portrait, je n’avais pas de raisons de nier ce qui a été une raison profonde de mon engagement féministe. Sans cet élément, le portrait aurait été tronqué. De plus, récemment, quelques articles de presse ont déjà fait allusion à ce viol. Je préfère l’assumer plutôt que cela ne m’échappe. En parler, c’est être fidèle à mon engagement. Car se taire, c’est faire le jeu des violeurs.ELLE. Pourtant, vous n’avez jamais souhaité en parler jusqu’à présent. Pourquoi en ressentez-vous désormais le besoin ?
C.A. J’ai menti par omission avant tout pour me protéger. Mais j’ai toujours su que j’évoquerais publiquement ce viol un jour ou l’autre. D’abord pour ma propre conscience. Aujourd’hui, cela fait presque dix ans que c’est arrivé, je me sens forte pour témoigner.ELLE. Dans quelles conditions ce viol a-t-il eu lieu ?
C.A. J’avais 22 ans, je préparais mon Capes à Paris-VIII. Les cours avaient lieu dans une antenne délocalisée et, pour rejoindre le site, il fallait emprunter une petite rue très isolée. Un homme m’a agressée avec un couteau, m’a entraînée plus loin et m’a violée. Je me suis vue morte. Puis j’ai réussi à parler, j’ai eu le soutien des enseignants et j’ai porté plainte tout de suite.

ELLE. Révéler ce genre de secret, n’est-ce pas malgré tout une façon d’instrumentaliser votre vie privée, surtout au moment où vous êtes candidate à la candidature pour l’élection présidentielle ?
C.A. Le dire aujourd’hui, à l’aube d’un grand rendez-vous démocratique, c’est aussi une manière de porter la question des violences dans le débat. Pour moi, le viol ne relève pas de la vie privée. Il s’agit d’une violation de l’intimité, c’est un acte public : il a été jugé aux assises. Je ne livre pas de confidences sur ce que j’ai ressenti, je n’ai pas envie de m’étaler sur les conséquences de ce viol dans ma vie privée. Cette part de l’intime m’appartient, elle restera à moi.

ELLE. Il ne s’agit donc pas, aussi, de mieux vous faire connaître par le biais de l’intime, comme le font les politiques qui posent en famille ?
C.A. Cela n’a rien à voir ! Je n’ai jamais mis en scène ma vie privée dans la presse people pour me rendre sympathique. Et ce n’est pas près d’arriver. Mon témoignage s’inscrit dans un combat. Je ne vois pas bien quel combat on mène quand on pose avec ses enfants ! Je n’ai aucune envie de faire de mon histoire personnelle un fonds de commerce. Seulement, mon exemple révèle à quel point le viol reste un sujet tabou. Mon violeur était multirécidiviste, il a avoué entre vingt et trente viols, mais seules trois plaintes ont été déposées. Le viol reste un phénomène d’une ampleur et d’une gravité considérables, largement passé sous silence.

ELLE. La question du viol semble moins taboue aujourd’hui…
C.A. Elle l’est moins qu’il y a trente ans, grâce aux mouvements féministes. Mais, si la parole s’est déliée, si le nombre de plaintes a augmenté, tout cela est très lent. Parce que ça touche à la sexualité, on ne parle pas du viol comme d’autres sujets. Aun dîner, les gens peuvent dire qu’ils ont perdu un être cher, qu’ils ont été victimes d’un attentat, ou qu’ils sont malades. Une femme dira-t-elle « j’ai été violée » ? Non. Cinquante mille femmes le sont pourtant chaque année. Et les préjugés sur les victimes restent énormes.

ELLE. Quels sont ces préjugés ?
C.A. Le viol est le seul crime qui rend suspecte la victime. Il y a toujours ce doute qui plane : pourquoi cette fille étaitelle en minijupe à minuit dans la rue ? Pourquoi a-t-elle ramené cet ami chez elle ? Et cette idée que la victime l’a bien cherché reste présente. On fait peser sur les femmes une suspicion sur les conditions du viol. Il en va de notre liberté de pouvoir nous déplacer en étant habillée comme on veut, sans avoir peur d’être agressée. Autre préjugé : on nous voit souvent comme des femmes détruites à tout jamais et réduites à ce drame.

ELLE. Vous êtes contre la victimisation des femmes ayant subi un viol ?
C.A. Ces femmes sont victimes, mais je suis persuadée qu’il est possible de revivre, et pas seulement de survivre, après un viol. Et le fait de revivre n’enlève rien à la gravité de l’acte. Il y a un avant et un après le viol, mais on peut se reconstruire et même devenir plus forte. J’ai eu cette chance.

ELLE. Jusqu’à quel point ce viol explique-t-il votre engagement ?
C.A. Il est déterminant dans mon engagement féministe. Tout militantisme a à voir avec des ressorts personnels. On puise dans l’intime mais, en même temps, cela n’enlève rien à l’universalité du combat. Je militais déjà avant. Après cet événement, les rapports dominants-dominés sont devenus l’ossature de ma réflexion. Le viol est le produit d’une histoire et d’une culture. C’est l’expression ultime de la domination masculine. Il faut faire le lien entre les publicités sexistes, les inégalités dans l’emploi, l’inégale répartition des tâches domestiques et les violences faites aux femmes.

ELLE. On ne peut pas mettre tout sur le même plan, le viol et le partage des tâches !
C.A. Il existe une hiérarchie dans la gravité des actes, bien sûr, mais tout cela forme un ensemble qui a à voir avec le viriarcat, c’est-à-dire la domination du masculin sur le féminin, qu’il faut déconstruire et combattre. En menant des politiques féministes dans tous les domaines, notamment dès l’école, où se construisent les identités. Le Collectif national pour les droits des femmes vient de travailler à une série de propositions contre les violences inspirées de l’exemple espagnol. En ce qui concerne le viol, il faut que le sujet soit pris à bras-le-corps par les politiques.

ELLE. Comment ?
C.A. Peut-être qu’il faut commencer par casser cette image d’Epinal qu’on a d’une scène de viol : une fille qui sort en jupe la nuit et se retrouve agressée avec une arme. Les viols, dans leur écrasante majorité, sont perpétrés par une personne connue de la victime. Souvent, l’arme utilisée relève du chantage affectif ou économique. Et les violeurs se recrutent dans toutes les classes sociales. Il faudrait aussi qu’on cesse d’entendre que le violeur est victime d’une maladie liée à ses pulsions. La plupart des viols sont prémédités. Ce n’est pas un fait biologique mais un fait social. Donc on peut le combattre.

ELLE. Avec quelles mesures concrètes ?
C.A. Les tribunaux manquent de moyens pour traiter les dossiers, les associations pour les victimes, aussi. Les personnels de police ne sont pas assez formés, même si des efforts ont été faits. Je peux en témoigner : raconter à un inconnu, dans un bureau froid, ce qu’on vient de subir, dans les moindres détails, c’est très difficile. Les conditions de l’accueil sont fondamentales. Si les femmes ont peur de parler, c’est d’abord parce que la société n’est pas toujours prête à les entendre. Seul un viol sur cinq ferait l’objet d’une plainte. Et une plainte sur six aboutit à une condamnation.

ELLE. Comment vous êtes-vous reconstruite après cette épreuve ?
C.A. En militant au sein du Collectif contre le viol, j’ai rencontré d’autres victimes et cela m’a beaucoup aidée. Je me suis rendu compte que tout ce que l’on ressent, la peur, l’angoisse, la culpabilité, sont des symptômes partagés. Certaines ne s’en remettent jamais. Pour pouvoir revivre après un viol, il faut savoir que c’est possible. Et c’est possible.


Voir en ligne : http://clementineautain.fr/2006/11/...