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Peuple classe ou peuple nation, qui est légitime ? Pavel DBK

mercredi 10 mai 2023, par Amitié entre les peuples

PEUPLE CLASSE OU PEUPLE NATION, QUI EST LÉGITIME ?

Le peuple contre Macron et son monde !

C’est une rengaine dans l’air du temps. La réforme des retraites, comme tous les mouvements sociaux est l’occasion de revenir à quelques fondamentaux. D’autant plus qu’Élisabeth Borne, première ministre, fanfaronne et revendique une victoire de la démocratie. En face, un discours s’est rapidement imposé face à cette réforme très impopulaire, le peuple veut le retrait !
photo gilets jaunes pouvoir au peuple
Pouvoir au peuple, une revendication populaire chez les gilets jaunes.
Le problème, c’est que les deux affirmations sont vraies, même si elles se contredisent. Pour comprendre, il faut alors se demander : finalement, c’est qui le peuple ?

Peuple-nation ou peuple-classe, une histoire de contour.

La principale problématique du concept de peuple, c’est sa définition. On pourrait se contenter de son étymologie, ou de la définition du dictionnaire, mais là encore, ça ne répond pas exactement à la question. Le peuple se définit par qui il inclut et qui il exclut, et cette notion va évoluer constamment. Le principal enjeu, c’est de lui tracer un contour.

Le terme démocratie, du grec ancien δημοκρατία / dēmokratía, combinaison de δῆμος / dêmos, « peuple » (de δαίομαι / daíomai, « distribuer, répartir »), et kratos, « le pouvoir », dérivé du verbe kratein, « commander », désigne à l’origine un régime politique dans lequel tous les citoyens participent aux décisions publiques et à la vie politique de la cité.
https://fr.wikipedia.org/wiki/D%C3%A9mocratie

Il y a ici une notion essentielle, en démocratie, le pouvoir appartient au peuple, il est maître de son destin. Seulement, le terme est polysémique et pourrait vite devenir fourre tout. Nous allons donc voir les deux grandes utilisations politiques du concept.

Peuple nation

Par commodité, nous allons nous concentrer sur le peuple français. En effet, le premier contour qui nous vient à l’esprit correspond à celui de la frontière. À la différence qu’ici, il s’agit d’un ensemble qui intègre des français vivant en dehors des frontières et des étrangers vivant à l’intérieur des frontières. Le contour est donc légèrement différent.

Un peu d’histoire

Comment est-on passé d’un ensemble de tribus gauloises au peuple français ? Et bien au risque de vous surprendre, ça a pris du temps ! C’est une notion qui s’est forgée avec les siècles, mais on peut distinguer des « grands moments ».

Le premier moment est probablement au XIIe siècle, quand Philippe Auguste structure un état avec une administration centralisée. Les sujets des seigneurs deviennent les sujets du Roi, et ce dernier devient souverain d’un territoire uni sous son autorité. On a coutume de dire qu’il est le premier à lever un impôt sous la forme moderne que l’on connait.

Jusqu’à 1789, la France est un royaume, mais la révolution va changer beaucoup de choses. Les sans-culottes ne sont pas la majorité des habitants de la France d’alors, pourtant ils vont influer sur leur temps et entraîner une série d’évènements qui vont faire tomber le Roi quelques années plus tard. C’en est finit de l’ancien régime, la France devient une République, et les français des citoyens. La déclaration des droits de l’homme et du citoyen, préambule de la première constitution de notre histoire commence ainsi :

Les représentants du peuple français, constitués en Assemblée nationale, considérant que l’ignorance, l’oubli ou le mépris des droits de l’homme sont les seules causes des malheurs publics et de la corruption des gouvernements, ont résolu d’exposer, dans une déclaration solennelle, les droits naturels, inaliénables et sacrés de l’homme, afin que cette déclaration, constamment présente à tous les membres du corps social, leur rappelle sans cesse leurs droits et leurs devoirs ; afin que les actes du pouvoir législatif et ceux du pouvoir exécutif, pouvant être à chaque instant comparés avec le but de toute institution politique, en soient plus respectés ; afin que les réclamations des citoyens, fondées désormais sur des principes simples et incontestables, tournent toujours au maintien de la Constitution et au bonheur de tous.
Site de l’Élysée

Le peuple français est donc maintenant une entité reconnue dont le contour est plus complexe que les seules frontières : la Nation. Dans les années qui suivent, la langue française s’impose peu à peu contre les langues régionales, notamment comme étant la langue du droit. Mais les contours du peuple passent également par sa population. Le premier recensement en France est lancé en 1801.

La définition par défaut
Cette conception s’impose comme la définition par défaut. Les raisons sont simples, pour un aspect pratique, l’administration ne peut se permettre de faire reposer sa constitution sur une notion mouvante. Parce qu’il a fallu déterminer qui était français et qui ne l’était pas, le cadre de la loi a posé les bases de ce qu’était le peuple-nation.

Peuple classe

Mais il serait un peu facile d’oublier que l’histoire de la République repose sur un soulèvement populaire qui fait tomber l’ancien régime. C’est un principe important, la révolution française et les soulèvements suivants sont le fondement de notre démocratie. Contre la monarchie, c’est le peuple qui prend son destin en main. Notre régime politique acquiert une nouvelle dimension, il devient légitime.

Soyons honnête, la démocratie est imparfaite et il faut probablement acter qu’en ce domaine la perfection n’existe pas.

C’est l’esprit de notre constitution, quand l’exécutif s’éloigne des intérêts populaires, sa légitimité est remise en question. L’article 35 de la constitution de 1793 détermine un devoir d’insurrection, mais attention, cette constitution a été abrogée en 1795. Néanmoins, cette idée imprègne largement le sociolecte de la lutte.

« Article 35. – Quand le gouvernement viole les droits du peuple, l’insurrection est, pour le peuple et pour chaque portion du peuple, le plus sacré des droits et le plus indispensable des devoirs. »
Constitution du 24 juin 1793

L’homogénéité du peuple est un mythe

La Concorde républicaine, c’est la cohésion qui garantit le bon fonctionnement de la Nation. En clair, tous ceux qui composent le peuple s’accordent sur des principes de base. Mais pour cela, il faut constater un fait : le peuple est hétérogène.

En effet, si on prend les choses sous un angle matérialiste, le peuple-nation met à égalité dans le même groupe social, l’exploiteur et l’exploité, la bourgeoisie et le prolétariat. Et toujours selon la même grille de lecture, ces deux classes ont des intérêts naturellement antagonistes. Ainsi, il est illusoire de vouloir les associer dans un projet commun.

Nous assistons donc ici à un glissement de la légitimité. Le peuple-classe se construit ici, les exploités sont destinés à faire tomber les exploiteurs. Et comme disait Karl Marx, « L’émancipation des travailleurs sera l’œuvre des travailleurs eux-mêmes ».

La violence comme recours

Quand les gilets jaunes se sont formés, ils intégraient des entrepreneurs et des prolétaires sur les mêmes ronds points unis par la même colère contre le prix du carburant. Les premiers se sont rapidement retirés quand la violence est apparue dans les rassemblements.

L’inventaire des revendications est rapidement devenu si hétéroclite qu’il ne pouvait tenir dans le temps. Pour autant, nous voyons une somme de doléances reconnues comme légitime : un profil type se distingue, le travailleur pauvre. Mais ce moment n’est pas réellement révolutionnaire, il est le symptôme d’un sentiment d’invisibilité au sein du peuple. C’est notamment le sens de l’une des revendications, héritée de Chouard et ses gentils virus, le RIC.

Les gilets jaunes sont une expression du peuple-classe. Une classe ouvrière atomisée avec des syndicats faibles n’obtient plus de résultats dans les conflits sociaux. La souffrance sociale étant toujours une réalité tangible, le peuple-classe se manifeste autrement, y compris par la violence.

Le principal enjeu, la souveraineté

Nous voyons donc que le peuple-classe est une notion qui remet en question l’arbitraire du peuple-nation.

Comme nous l’avons vu, l’Homme s’est éloigné de la nature (comprendre ici, le stade animal) pour s’organiser en société. Mais pour que cette société puisse fonctionner, elle implique une relation particulière. Rousseau l’appelle « le contrat social« , le citoyen accepte un pacte tacite pour assurer le fonctionnement de la société. En ce sens, il renonce à sa nature, il s’aliène mais gagne la liberté, l’égalité, etc…

Voilà pour le fondement philosophique de notre république. En partant de là, l’aliénation de chacun permet de légitimer la souveraineté du pouvoir. La notion de contrat est essentielle. En effet, même tacite, elle implique l’idée de contrepartie. En échange, ce pacte doit être le même pour tous, il doit être juste. Sans ça, le peuple-nation n’est plus souverain, et le pouvoir plus légitime.

C’est l’esprit de l’adage nul n’est censé ignorer la loi. Il constitue une fiction juridique. Il est concrètement impossible, même pour un juriste de profession, de connaître l’ensemble des lois, des jurisprudences, etc… C’est donc la fonction de cette maxime, rendre fonctionnel la justice. Car si chaque citoyen pouvait invoquer comme défense ne pas connaître la loi, le principe même de loi ne serait plus applicable.

Voici pourquoi le principal enjeu de la définition du peuple est celle de la souveraineté, c’est à dire la légitimité du pouvoir. Et cette question se pose régulièrement quant à l’usage de la violence de l’État, et les moyens qu’il déploie pour faire appliquer la loi.

De l’usage politique du peuple

Le peuple est un objet et un espace politique. À ce titre, on peut observer des tensions internes sur ses contours. Qui en est, qui n’en est pas, c’est aussi le moment et l’endroit où on se construit pour et contre.

Le pouvoir dessine les contours

Ce qui est public

Public vient du mot latin, publicus un dérivé de populus. On parle de politique publique, de marchés publics, d’espaces publics, de services publics. Il s’agit ici de se qui concerne l’État. Le débat sur le maintien des services publics est à ce titre éloquent : l’état doit-il maintenir un service pour tous peu importe le prix ? C’était alors l’objet des entreprises… publiques.

Justement, le public s’oppose au privé. On voit dans la délégation des missions et la privatisation, une redéfinition des contours de ce qui est public. Mécaniquement, La Poste privatisée se retire des zones les moins rentables. Ce phénomène est observable pour un grand nombre de services qui ont été soumis subitement à une logique de rentabilité. L’intérêt public passe derrière celui du capital.

La relégation

L’état est donc le garant, en échange de sa souveraineté, d’une égalité de traitement. S’il se retire, on observe un phénomène de relégation. C’est le cas pour les quartiers populaires où ceux qui auraient le plus besoin des services de l’état qui les gouverne en sont le plus éloignés.

En 2018, Gérard Collomb, alors ministre de l’intérieur, inaugure sa stratégie de « reconquête républicaine ». Comme les mots sont importants, attachons-nous à ce que signifie cette expression. La reconquête est un thème guerrier, la république va donc rentrer en guerre, une guerre intérieure et contre son propre peuple. Et pour rendre ce discours audible, nous allons voir apparaître petit à petit un récit s’imposer : le séparatisme.

Dans les quartiers, la police est le dernier service public à rester.
En décembre 2020, le gouvernement lance son projet de loi confortant le respect des principes de la République. Soit. Mais la loi est également présenté comme étant « loi séparatisme ». Et toujours au registre des mots, cette conception est importante. En effet, le séparatisme c’est la volonté d’un groupe de se détacher de l’ensemble. En clair, ce projet de loi contre l’islamisme radical acte le fait que l’institution reconnaît que certains citoyens n’appartiennent plus à un peuple par le seul fait de leur pratique, quoiqu’on en pense.

L’aspect pernicieux de l’affaire, une fois reconnu le séparatisme comme une réalité politique, c’est de prétendre les réintégrer au peuple. Alors que concrètement, le peuple intègre toutes ses composantes, y compris celle qui le remettent en question. En faisant ça, le pouvoir altère l’idée même de peuple.

L’outre-mer, un contour encore plus flou

Loin des yeux, loin du cœur ! Quand on parle de peuple, on pense en général à La liberté guidant le peuple, illustration de la mythologie républicaine. Le tableau met en scène le soulèvement parisien contre Charles X en 1830. Sauf que la France ne se résume pas qu’à Paris, ni même à la métropole. La question de l’outre-mer se pose forcément en ce qui concerne les contours du peuple.

La question se heurte à la fois à la rigueur de l’État, mais également à une histoire spécifique qui se construit en intégrant à la fois le récit « nos ancêtres les gaulois » et une réalité historique, la colonisation et le commerce triangulaire. La distance avec ces territoires qui lève pourtant le même drapeau impose des spécificités dans les lois et les statuts. C’est le cas du peuple Kanak ou des mahorais dont l’identité est à la fois spécifique à leur lieu de vie, mais également française et européenne.

Un exemple de cette disparité est le cas du Chlordécone, un pesticide interdit en métropole en 1990 mais seulement en 1993 en Guadeloupe et en Martinique. Son usage durera d’ailleurs plus longtemps, les planteurs ayant accumulé des stocks du produit entre temps. Cette différence de traitement entre la métropole et l’outre-mer est d’autant plus mal vécu que l’impact environnemental et sur la santé des habitants est immense. Alors quand la justice rend un non-lieu dans le procès demandant réparation…. Comment alors intégrer l’idée qu’on appartient à un peuple uni dans l’égalité de droit ?

C’est également le même principe que l’expression « justice à deux vitesses », quand ce garant de la démocratie ne s’applique pas à tous de la même manière.

Le populisme, le peuple contre ses élites

Le populisme, on vous en a parlé récemment. Il repose sur un fonctionnement spécifique : le peuple doit s’ériger contre sa spoliation par les élites. Ce peuple est interclassiste et repose sur un discours anti-système et un leader. Il peut être de droite ou de gauche.

En France, le tribun Mélenchon illustre cette conception du peuple ainsi : la fin des classes sociales au profit du peuple, condition sine qua none pour lui de s’offrir une carrure de présidentiable.

Au siècle où les humains n’étaient « que » deux milliards, il y avait le « parti de classe ». Il était nécessairement aussi délimité que l’était « la classe » elle-même dans une société où elle n’était nullement hégémonique. En fait, les ouvriers constituaient une sorte d’archipel dans un océan de paysannerie et de travailleurs indépendants de la boutique et de l’artisanat. Sa verticalité correspondait à une organisation du travail lui-même. La centralisation découlait des moyens de transports et de communication autant que comme reflet de la centralisation de son adversaire. Bref, le « parti de classe » correspondait à une réalité sociale et matérielle qui s’est elle-même dépassée de toutes les façons possibles. L’émergence du « peuple » comme catégorie sociale protagoniste face à l’oligarchie de la période du capitalisme financiarisé dominant appelle sa forme spécifique d’organisation.

Cette forme, c’est le « mouvement ».
Le peuple et le mouvement – jean Luc Mélenchon
C’est exactement ce qu’il se passe quand LFI délaisse l’Internationale au profit de la Marseillaise.

Exit le rôle de chacun dans les rapports de production. Dans ce discours largement influencé par Chantal Mouffe, par un glissement sémantique, la bourgeoisie devient le peuple et l’élite devient une « super classe mondiale », une rhétorique teintée d’antisémitisme où les mondialistes cosmopolites en veulent au peuple et à la Nation.
Ceux qui n’ont que leur force de travail à vendre se retrouvent ainsi aux côtés de ceux qui aiment à les qualifier de classe laborieuse, classe dangereuse. Il s’agit ici d’un peuple qui n’est donc pas peuple-classe, mais qui ne peut pas être peuple-nation n’ayant pas été élu.
Ce discours est profondément toxique, dans ce qu’il porte à la fois comme idéologie complotiste (le deep state n’est pas loin) et comme anti-intellectualisme.

Le fétiche fasciste

Pour bien comprendre en quoi le fascisme fétichise le peuple, on peut invoquer cet extrait de Reconnaître le fascisme. Parmi les 14 signes qu’Umberto Eco énumère, il en est un en particulier qui illustre bien cette idée, le treizième.

L’Ur-fascisme se fonde sur un populisme qualitatif : Dans une démo­cratie, les citoyens jouissent de droits individuels, mais l’ensemble des citoyens n’est doté d’un poids politique que du point de vue quantitatif (on suit les décisions de la majorité). Pour l’Ur-fascisme, les individus en tant que tels n’ont pas de droits, et le « peuple » est conçu comme une qualité, une entité monolithique exprimant la « volonté commune ». Puisque aucune quantité d’êtres humains ne peut posséder une volonté commune, le Leader se veut leur interprète. Ayant perdu leur pouvoir de délégation, les citoyens n’agissent pas, ils sont seulement appelés, pars pro toto, à jouer le rôle du peuple. Ainsi, le peuple n’est plus qu’une fiction théâtrale. Pour avoir un bon exemple de populisme qualitatif, il n’est plus besoin de Piazza Venezia ou du Stade de Nuremberg. Notre avenir voit se profiler un populisme qualitatif télé ou Internet, où la réponse émotive d’un groupe sélectionné de citoyens peut être présentée et acceptée comme la « voix du peuple ». En raison de son populisme qualitatif, l’Ur-fascisme doit s’opposer aux gouvernements parlementaires « putrides ». L’une des premières phrases que pro­nonça Mussolini au parlement italien fut : « J’aurais pu transformer cette salle sourde et grise en un bivouac pour mes manipules. » Effectivement, il trouva aussitôt un meilleur abri pour ses mani­pules, mais peu après il liquida le parlement. Chaque fois qu’un politicien émet des doutes quant à la légitimité du par­lement parce qu’il ne représente plus la « voix du peuple », on flaire l’odeur de l’Ur-fascisme.

Reconnaître le fascisme – Umberto Eco
On comprend ici que le peuple n’est plus une somme d’individualités, mais un idéal, un objectif à atteindre. C’est un mécanisme que l’on rencontre souvent : les moutons (ou les mougeons) sont forcément dépourvus de volonté. Ils se font mener à l’abattoir sans réagir, inconscient de leur destin. En ce sens, le peuple dépourvu de volonté n’est pas conscient de ce dont il a vraiment besoin.

L’éveil, la prise de conscience n’est pas une solution politique en elle-même, c’est un nouvel espace qui finit toujours par être incarné par un leader plus ou moins charismatique (Asselineau, Trump, Meloni, Marine Le Pen…). L’anti-parlementarisme est un point important : parce que pour filer la métaphore, pour guider les moutons il faut un bon berger. Et les élus ne sont pas de bons bergers, il faudrait donc faire confiance à un leader qui se revendique de la volonté commune de l’ensemble de la population.

Uni contre la menace fasciste

Alors évidemment, s’il y a bien un moment où le peuple a le devoir impérieux de se soulever, c’est pour faire tomber la menace fasciste. Et rares seront les personnes qui viendront rappeler la non-légitimité des opposants au régime en Iran ou en Birmanie. C’était même un grand message d’espoir envoyé par les révolutionnaires tunisiens et égyptiens chassant leur despote. L’histoire est ainsi faite, si les révolutions sont des changements radicaux, elles prennent du temps et s’accompagnent de sursauts et de désillusions.
Par contre, un peuple qui se soulève contre la tyrannie nourrit un espoir immense et contagieux, en particulier lorsqu’il arrive à vaincre une répression sanglante de la meilleure des manières.

En 1970, le socialiste Salvador Allende est élu face aux conservateurs chrétiens. Il incarne un grand espoir populaire, à l’image de la chanson El Pueblo Unido ( le peuple uni ne sera jamais vaincu) écrite par Quilapayun et le musicien Sergio Ortega en 1973. Le 11 septembre 1973, Allende est renversé et mourra les armes à la main à la Moneda, le palais présidentiel. C’est l’autre 11 septembre, Pinochet prend le pouvoir, avec l’aide des américains et règne par la terreur.
Par son message d’espoir, cette chanson devient très vite un symbole de lutte, du peuple uni contre la tyrannie. Il reste bon de rappeler que le peuple qui se soulève n’est jamais qu’une minorité, à l’image de l’infime fraction de résistants en France durant l’occupation. Cette minorité se plaçant du bon côté de l’histoire, elle devient légitime dans son action.

Quelle violence est légitime ?

Le peuple a donc un rapport moral à la violence. En tant qu’antifasciste, nous ne percevons pas la violence de la même façon selon qu’elle s’en prenne à un régime fasciste ou qu’elle vienne d’un régime autoritaire. Un fasciste n’aura évidemment pas la même interprétation.

Ce qui se pose ici, c’est la légitimité de la violence du peuple-classe. À quel moment devient-elle acceptable ?

Nous avions eu dans nos commentaires sur Facebook, la question qui brûle toutes les langues « condamnez-vous la violence ? ». C’est un totem, un préalable à toute discussion. Dans l’absolu, oui évidemment, la violence n’est jamais acceptable. Mais évidemment aussi, il y a des nuances.

Le monopole de la violence légitime

Il faut tout de suite resituer ce principe de violence légitime. Max Weber est sociologue, il observe et analyse des faits. Le monopole de la violence légitime de l’État, c’est qu’il est le seul à pouvoir faire appliquer la loi, et qu’il dispose donc mécaniquement de moyens plus important que n’importe qui, excepté un autre état.

L’autre face d’une même pièce, c’est que ce même État a aussi le monopole de la violence institutionnelle, c’est à dire toute violence symbolique, morale ou physique rendue possible dans le cadre des institutions. C’est à la fois quand l’État se montre défaillant dans son application de la loi (contrôle au faciès, violence carcérale…) mais également en maintenant des systèmes de domination et d’exploitation.

Ça ne rend pas plus acceptable un feu de poubelle. Mais que se passe-t-il quand le pouvoir démocratique ne l’est soudainement plus ? Et à quel moment un gouvernement perd-il sa légitimité ? C’est la problématique des révolutions, des coups d’état, etc… Quand Vladimir Poutine fait changer la constitution russe à son profit personnel, la violence des forces de l’ordre est-elle légitime, dans un contexte où tout se fait dans le respect de la loi.

L’ultrapeuple

C’est la thèse d’Alain Bauer, quand les ultras de tous bords s’agrègent, ça ne fait pas une convergence des luttes, mais une convergence des rages. Il appelle cela l’ultrapeuple. La notion est intéressante dans ce qu’elle sert comme narratif. La violence devient le dernier recours, souvent désespéré d’une part du peuple se sentant désarmée, démunie de tout outil démocratique pour se faire entendre.

Reconnaissons au criminologue qui n’a pas souvent été brillant, en particulier lorsqu’il a été l’un des artisans de la politique sécuritaire française, qu’il a probablement raison sur le fond. La violence est le résultat d’un échec démocratique.

En revanche, la gauche et l’extrême droite sont comme l’eau et l’huile, ce qui rend caduque ce raisonnement, d’une sorte de réunification des extrêmes sous la bannière de l’ultra violence. Et puis, cela inscrit la violence comme un simple indicateur de la température du climat social.

L’autodétermination

Enfin, pour en finir avec les usages politiques du peuple, il est nécessaire de parler de ceux qui font peuple sans nations. C’était l’une des ambitions de l’ONU (anciennement la société des Nations), le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes.

Ça aurait été beaucoup plus simple que les fondateurs de ces grands principes ne soient pas des puissances impérialistes qui ne goutaient que peu à l’idée de laisser leurs colonies s’emparer de leur propre destin. C’était beaucoup plus simple, en ce qui concernait les protectorats. Quoique… La question de la Palestine reste encore l’un des plus grands échecs de l’Organisation, la solution à deux pays n’ayant jamais vu le jour, laissant la situation de la Cisjordanie et d’Israël devenir insoluble.

Néanmoins, de nombreux peuples ont pu se réapproprier leur souveraineté, parfois au prix du sang, comme en Algérie ou en Indochine, en ce qui concerne la France. La question des indépendances est une question ouverte pour longtemps, tant qu’il restera des peuples pour se revendiquer comme tels.

Peuple et populaire

Le peuple vulgaire

Paradoxalement, alors qu’on s’accorde sur le fait que nous sommes le peuple, c’est aussi synonyme de masses incultes et de foules sauvages. On dit dans ce cas du peuple qu’il est vulgaire et c’est tout à fait normal, l’étymologie du mot ramène à cette idée : le banal, le commun, la norme.

En ce sens, le peuple est l’ensemble des normes, et c’est en ça que les élites se distinguent, elles auraient quelque chose de plus que la norme. Or si on considère que la vulgarisation consiste à s’adresser aux néophytes, à ceux qui n’ont pas les clés dans un registre particulier (technique ou scientifique par exemple), vulgaire ou vulgos est une notion profondément péjorative.

C’est donc toute une imagerie qui en découle, les sans dents pour François Hollande ou le beauf de Cabu. Sous d’autres horizons c’est l’affreux, sale et méchant Giacinto Mazzatella d’Etore Scola (bien que dans le contexte italien, le film soit une réponse au néoréalisme des décennies précédentes).

Populaire et classes populaires

Corollaire du point précédent, la notion de populaire possède un double sens.
Un sens positif : qui plaît au peuple
Un sens péjoratif : qui relève du peuple, donc de sa vulgarité.

Et nous assistons justement, comme nous l’avons vu plus haut à un glissement. Les classes populaires n’héritent que des représentations négatives. Pourtant, ces classes populaires constituent la majorité du peuple, et ce rôle d’infériorité n’est du qu’à leur place dans un mode de production qui en fait des dominés.

Pour moi, le « populaire » n’est pas l’équivalent de la « classe populaire » ; le populaire se construit dans le cadre des relations de pouvoir qui lient les dominants et les dominés, ceux d’en haut et ceux d’en bas. Mais dans mon langage, l’expression « relations de pouvoir » n’est ni péjorative ni dénonciatrice. Ces relations peuvent déboucher sur de la solidarité ou de la domination, car l’on rencontre les deux dans l’histoire, comme l’explique Max Weber.
Gérard Noiriel, pour une histoire vue des classes populaires

On peut constater cette dépréciation des classes populaires dans de nombreuses représentations. Par exemple, les addictions étaient longtemps illustrées par les classes populaires : les pauvres sont ivrognes et junky. Alors qu’un dandy qui se fait une petite ligne sur le capot d’une voiture, c’est esthétique. Les contextes sociaux déterminent souvent le type de consommation, mais également la perception que l’on en a, sans pour autant en altérer le risque.

Culture pop vs culture élitiste

Forcément, la question de la culture est primordiale. Sa maîtrise est un marqueur social.

Ainsi, nous pouvons distinguer une grande culture, LA Culture avec un grand C, qui relève du patrimoine et de l’histoire. Elle se fait dans les musées, les bibliothèques, les cinémathèques. Ce sont les institutions qui décrètent ce qui en relève ou non. Tout le monde n’a pas lu Zola, mais tout le monde sait que les Rougon-Macquart sont un monument que nous avons en commun (à défaut de toujours faire parti de notre histoire commune). C’est la culture noble.

Et celle-ci s’oppose à la culture populaire, celle des mots-croisés, des films Marvel, du rock, du rap ou de la techno. Soyons honnêtes, elle hérite des préjugés autour du populaire : facile d’accès, produite par des industries, consommée rapidement, la culture pop c’est la culture du banal dans l’imagerie collective. Pourtant, c’est un domaine qui se réinvente constamment, et qui est capable de s’interroger lui-même, ce que la culture noble ne fait que très peu, souvent peu en phase avec son époque.

Pour autant, la culture populaire sera en partie la culture noble de demain, le temps que les institutions digèrent et intègrent ce que la société est et a été.

Conclusion

Nous appartenons tous à plusieurs groupes sociaux, de la famille aux groupes affinitaires et aux communautés, mais aussi à une classe sociale, et à au moins un peuple. Et ce, dés la naissance.

Nous avons donc vu que le peuple est un objet politique dont le sens varie. Et c’est assez problématique, comme nous le disions dans notre introduction, à ce jeu là, tout le monde a raison. Au mieux, ça explique la position de chacun.Mais c’est un objet difficile à manipuler dans la mesure où on peut l’instrumentaliser jusqu’à plus soif.
En revanche, la confusion permanente entre peuple-nation et peuple-classe fertilise un terreau déjà très riche, celui des populismes. Comme nous l’avons vu, notre histoire s’y prête.
L’aspect fondamental c’est l’usage politique de la notion de peuple, car la démocratie rend le peuple légitime, y compris en périphérie de ses institutions. Au risque d’ailleurs de nier toute légitimité aux autres groupes sociaux, en fétichisant le peuple. Peut être que finalement, il faudrait ne plus l’invoquer à tout bout de champ, parce que si le mot peuple a plusieurs sens, il y en a un qu’il n’a pas, c’est détenteur de la vérité.

Pavel DBK sur debunkersdehoax.org

https://www.debunkersdehoax.org/peuple-classe-ou-peuple-nation-qui-est-legitime/ ?