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Petit précis des féminismes - Little Miss Punchline

lundi 16 mars 2020, par Amitié entre les peuples

Petit précis des féminismes - Little Miss Punchline

Dans la même perspective que mon article sur mes (très bonnes) raisons d’être féministe, je vous propose un petit lexique sur le mouvement féministe, pour lever les idées reçues sur le féminisme. En effet, contre toute attente, il n’y a pas qu’un seul féminisme, mais des féminismes.

https://blogs.mediapart.fr/clairebaydzar/blog/160320/petit-precis-des-feminismes

Par ailleurs, moi-même je n’étais pas tout de suite très familière avec les différents « courants » féministes, mais plus je me suis positionnée parmi eux, plus j’ai compris la pluralité du mouvement et pourquoi je ne suis pas toujours d’accord avec toutes les personnes se disant féministes. Il faut aussi garder en tête que ces courants peuvent se cumuler chez une même personne et qu’il y a des sous-courants, si je puis dire, tels que l’abolitionnisme, le pro-sexe, si bien que je ne crois pas qu’on puisse être à la fois universaliste et intersectionnelle ou à la fois intersectionnelle et abolitionniste, mais qu’on peut être intersectionnelle, pro-sexe et matérialiste… Mais encore une fois, comme chaque personne se fait sa propre idée, il y a forcément des contradictions qui se forment…

Je vais tenter ici de proposer des définitions avec mes mots, tout en citant mes ressources documentaires pour vous aider à aller plus loin. Le sujet est assez complexe, c’est pourquoi j’ai dû me documenter un peu et synthétiser, pour vous donner une idée, non pas exhaustive, mais rapide et large sur les différentes sensibilités féministes.

 Le féminisme radical

Le féminisme radical correspond à la deuxième vague féministe à la fin des années soixante. L’adjectif radical lui vient de son utilisation du concept de patriarcat pour désigner l’ensemble d’un système social qui oppresse les femmes. Ce courant accompagne la libération sexuelle et le mouvement de libération des femmes aux États-Unis, en Angleterre, au Canada et en France. Ce mouvement se démarque des autres courants de l’époque, qui visaient l’amélioration de la condition féminine sans aller jusqu’à remettre en cause le système dominant, tels que le féminisme libéral de la première vague des années 1945-1950 qui réclamait seulement l’égalité des droits entre hommes et femmes (notamment le droit de vote), mais aussi le féminisme socialiste qui considérait que la raison prépondérante de l’oppression des femmes n’est qu’un sous-produit du capitalisme et que l’abolition de celui-ci suffira à libérer les femmes.

Au contraire, le féminisme radical, comme son nom l’indique, cherche à transformer profondément la société. Ce mouvement s’oppose aussi au féminisme essentialiste, qui prône une naturalisation du rôle social des femmes en en faisant une donnée biologique, car pour le féminisme radical, l’origine du patriarcat n’est pas à chercher dans une quelconque nature spécifique aux femmes, dans leur biologie, mais dans une organisation de société, une construction sociale. Il se rapproche plutôt du féminisme matérialiste, mais peut englober un large spectre de courants comme l’abolitionnisme ou encore le féminisme lesbien critiquant l’hétéronormativité. Ce féminisme affirme également entre autres que le privé, l’intime est politique et que l’assignation des femmes aux tâches domestiques dans la sphère privée par exemple n’est pas anodine ni naturelle mais vient du pouvoir que les hommes exercent sur les femmes.

Attention à ne pas confondre avec le mouvement des féministes dites « TERF ». Elles n’ont de radical que le nom. Le courant TERF (trans-exclusionary radical feminist), constitue une approche exclusive et transphobe, que l’on pourrait qualifier de cissexiste.

 Le féminisme universaliste

Le féminisme universaliste combat tous les effets de l’oppression patriarcale, dite sexiste et considère que l’oppression des femmes est un phénomène universel et qu’il existe une façon universelle de militer pour les droits des femmes en opposition à tout relativisme culturel. Souvent, ce courant va de pair avec une pensée laïque et s’est caractérisé par une opposition au voile islamique et un soutien au mouvement féministe abolitionniste (cf. infra). Le féminisme universaliste peut apparaître ainsi excluant, car ne tient pas compte du relativisme culturel, du racisme, de la transphobie, en fait de toutes les oppressions autres qui peuvent s’ajouter au sexisme pesant sur les femmes. Il semble aussi nier la liberté individuelle des femmes au nom de droits universels, venant du courant des Lumières.

Le féminisme universaliste semble avoir un ancrage politique à droite et est porté par plusieurs figures comme Elisabeth Badinter, Caroline Fourest, Françoise Laborde, Zineb El Rhazoui…

 Le féminisme intersectionnel/inclusif

Le féminisme intersectionnelle s’oppose le plus souvent au féminisme universaliste et au courant abolitionniste. Il tire ses origines de l’afro-féminisme, du féminisme post-colonial, investit de plus en plus les féministes blanches et les jeunes générations et correspond à la troisième vague féministe. Il ne remet pas en question le phénomène répandu d’oppression des femmes, combat aussi l’oppression partriarcale, le sexisme et le constructivisme social des sexes, au nom de l’égalité des genres, mais cette oppression prend des formes différentes selon les pays, les époques et peut se cumuler avec d’autres oppressions.

Le féminisme intersectionnel tient compte des situations particulières menant à des discriminations multiples, il combat toutes les formes d’oppression (racisme, LGBTQIAphobies, validisme, classisme…). Il ne revendique pas un système de pensée universel qui s’appliquerait à toutes les femmes sans prendre en compte les situations particulières. Il considère au contraire qu’il faut prendre en compte les situations particulières et estime qu’une femme peut cumuler différents types d’oppression, en étant par exemple à la fois femme et de couleur, ou à la fois femme et lesbienne, etc. Selon ce mouvement, une femme cisgenre, hétérosexuelle, valide, de classe moyenne à aisée et blanche ne subira « que » du sexisme, tandis qu’une femme transgenre, ou une femme en situation de handicap, ou une femme racisée en situation de pauvreté, subira en plus du sexisme une autre forme d’oppression (transphobie, validisme, racisme, classisme…).

En plus, le féminisme intersectionnel se rapproche, selon moi, du féminisme pro-choix, dans la mesure où il accepte toutes les femmes dans leurs situations particulières (racisées, transgenres, lesbiennes, voilées, travailleuses du sexe, etc.) et donc accepte et encourage leur liberté de choix. Ce mouvement n’est, par exemple, pas intrinsèquement opposé au voile islamique, par exemple, tant qu’il relève du choix libre de la femme qui le porte et estime que le voile relève de la liberté individuelle, ce qui n’empêche pas de s’opposer au port forcé du voile et à une interprétation sexiste et orientée des textes saints. Mais il ne cherche pas à imposer aux femmes voilées de retirer leur voile si elles ne le souhaitent pas, ni à les blâmer, alors que pour certaines d’entre elles ce port leur a été imposé. Ce courant préfère organiser l’émancipation des femmes en les éclairant sur les différents ressorts de l’oppression sexiste, raciste, classiste, colonialiste, etc. en leur laissant un choix indépendant de toute pression sociale et de tout jugement biaisé.

Le féminisme intersectionnel se veut aussi inclusif des luttes trans, par opposition au féminisme TERF. Dans sa logique, (et dans la mienne, vous l’aurez compris) dans la perspective d’accepter toutes les femmes dans leurs situations particulières, il ne considère pas que l’intégration des femmes transgenre dans la lutte enlève quoi que ce soit aux femmes cisgenre, les invisibilise en quoi que ce soit. Au contraire, ce courant accepte l’idée selon laquelle une femme cisgenre subit des discriminations particulières et une femme transgenre en subit également, voire au moins plus de violences sexistes et sexuelles. Ce courant prend en compte les discriminations pesant sur les femmes transgenres (et les hommes transgenres) et entend aussi les combattre.

Ce courant s’est plutôt ancré à gauche et est porté notamment par les militantes Virginie Despentes, Valérie Rey-Robert, Fatima Benomar, Rokhaya Diallo, etc.

 Le féminisme pro-choix

Le féminisme pro-choix tire ses origines du combat pro-avortement, tout en étant opposé à l’avortement forcé, bien évidemment. Pour lui, c’est le choix et le bien-être des femmes qui comptent dans le choix d’interrompre une grossesse. Parmi ses revendications, s’y ajoutent la liberté sexuelle, le droit au recours à l’avortement légal et le libre-choix de la contraception.

Le féminisme pro-choix vise à ce que chaque femme fasse ses choix comme elle l’entend, dispose de son corps comme elle l’entend, sans être sujette à la pression sociale et sexiste et sans être jugée et ne condamne pas celles qui utilisent pour elles-mêmes les ressorts du patriarcat (tant qu’elles ne l’imposent pas aux autres). Le féminisme intersectionnel se rapproche ainsi du féminisme pro-choix et pro-sexe (enfin, c’est comme ça que je le comprends, mais ce n’est peut-être pas techniquement et historiquement exact…). Il cherche à ce que les femmes soient à même de s’émanciper de toute pression sociale et sexiste et de tout jugement pour faire leurs choix personnels.

L’adjectif renvoie donc plus largement aux mouvements de défense de la liberté individuelle. Avant tout, le féminisme pro-choix revendique pour toutes les femmes le droit de choisir. Ainsi, il se veut indépendant des clichés et des apparences collant à la peau des féministes. En effet, c’est possible d’être féministe et de porter du maquillage, d’avoir des chaussures à talon, d’aimer être « féminine »… Dans ma perception, il se rapproche du féminisme intersectionnel, inclusif.

 Le féminisme abolitionniste

Le féminisme abolitionniste milite contre les systèmes d’exploitation et de commercialisation du corps des femmes, mais jusqu’à nier la liberté de choix de ces dernières. Ce mouvement milite pour abolir la prostitution et la pornographie. On peut lui reprocher légitimement de ne pas donner la parole aux principales concernées et d’interdire purement et simplement sans discernement. Il a conduit à l’adoption d’une loi pour la pénalisation des clients de la prostitution mettant ainsi en danger les travailleusEs du sexe. Or, il est tout à fait possible de lutter contre la prostitution des mineur.e.s et le trafic d’êtres humains et à la fois de légaliser le travail sexuel et d’offrir un cadre sécurisant aux travailleur.se.s du sexe majeur.e.s et indépendantes de la pression de proxénètes. Dans d’autres pays, il a d’ailleurs été démontré qu les lois abolitionnistes étaient inefficaces et conduisaient à une plus grande mise en danger des travailleur.se.s du sexe (cf. Danemark). De même, un meilleur encadrement de la pornographie, tout en y permettant une certaine liberté, est tout à fait envisageable et souhaitable, pour que les acteurs et actrices porno puissent exercer leur activité en sécurité.

 Le féminisme différentialiste/essentialiste

Le féminisme différentialiste ou essentialiste part du postulat d’une différence de nature entre les sexes masculin et féminin, considère que les femmes sont par nature différentes des hommes par le corps et l’esprit. Il désigne un mouvement de pensée naturaliste. Ce courant revendique une spécificité féminine, associe le patriarcat à la négation de l’identité et des valeurs féminines, qu’il s’agirait de retrouver car elles seraient refoulées dans l’inconscient féminin. Il affirme l’existence et la valeur d’une spécificité féminine irréductible, encore à découvrir par les femmes elles-mêmes et source d’un rapport particulier au monde dont les hommes pourraient s’inspirer. Cela veut donc dire qu’une femme serait par nature ceci ou cela. C’est un féminisme qu’on peut retrouver chez Olympe de Gouges qui souhaitait des droits pour les femmes parce que ce sont des êtres supérieurs.

Par contre, je ne peux m’empêcher de donner mon avis sur ce mode de pensée : Certes, des différences biologiques existent et sont à prendre en compte, mais celles-ci ne scindent pas les individus en deux catégories étanches (hommes et femmes), surtout que, par exemple, des hommes peuvent avoir leurs règles, et des femmes non, et ces différences ne doivent surtout pas occulter l’importance de l’égalité des genres ni empêcher chaque individu de se réaliser dans le genre qu’il souhaite ou dans une fluidité ou une absence de genre. Ce système de pensée entre en contradiction avec les revendications LGBTQIA+ et peut apparaître transphobe, s’il érige ces différences biologiques comme immuables et indépassables. De même, un risque est d’exacerber la différence entre le genre masculin et féminin et de légitimer le patriarcat qui repose justement sur une différence exagérée des sexes, alors que les hommes et les femmes ne sont pas si différents qu’on ne le pense et que cette binarité doit être dépassée.

 Le féminisme matérialiste

Le féminisme matérialiste s’oppose au courant différentialiste/essentialiste, dans la mesure où se réclame des thèses de Simone de pouvoir selon lesquelles « on ne naît pas femme, on le devient ». En effet, l’idée défendue est l’importance du genre et du constructivisme social pour régir les relations entre les sexes et les rôles assignés à chacun d’eux suivant une hiérarchie (genre féminin inférieur au genre masculin) que la société reproduit et initie. Le genre est une construction sociale, à laquelle on assigne des rôles sociaux binaires selon les genres masculin et féminin. Christine Delphy l’a très bien expliqué mais ne s’en est pas servi pour intégrer la cause trans dans son combat féministe et accepter que la binarité du genre soit abolie (cf. tribune (transphobe) intitulée « Trans : suffit-il de s’autoproclamer femme pour pouvoir exiger d’être considéré comme telle ? »).

 Le féminisme pro-sexe

Le féminisme pro-sexe est un courant issu du milieu queer, apparu dans les années quatre-vingt aux Etats-Unis. Il voit en la sexualité un domaine comme un autre qui doit être investi par les femmes et les personnes LGBTQIA+. Ce mouvement fait du corps, du plaisir, du travail sexuel des instruments politiques dont les femmes doivent s’emparer. Il s’oppose au féminisme abolitionniste.

 Le féminisme post-moderne

Il naît au tournant des années 1990, au moment de la troisième vague féministe, en opposition aux courants égalitaire et radical, dont il reprend quelques idées. Il réfute l’unité du mouvement des femmes et fait valoir la diversité des situations (cela rejoint le féminisme intersectionnel) : l’acceptation des différences est centrale (sans que ces différences conduisent à légitimer des inégalités). Il insiste sur les résistances et les marges de liberté pour renverser les systèmes inégalitaires.

Plus particulièrement, le courant du féminisme queer affirme que les catégories de sexe et de genre sont des constructions sociales, et que leur division binaire (homme-femme, masculin-féminin) doit être dépassée et limite les possibilités d’identité et d’orientation sexuelle. Il veut donc déconstruire ces catégories pour que les personnes puissent choisir leur identité, une identité qui n’a pas à être fixée mais qui peut être changeante et que les autres doivent respecter. Ce courant rejoint la lutte trans (transféminisme) pour la reconnaissance des transidentités et de la pluralité des identités de sexe et de genre.

 L’écoféminisme

L’écoféminisme naît de la jonction entre les courants de pensée féministe et écologiste. Le terme est apparu pour la première fois en 1974 dans l’ouvrage de Françoise d’Eaubonne Le Féminisme ou la mort. L’idée principale est qu’il existe des relations entre exploitation de l’environnement par les humain.es et oppression des femmes par les hommes. Ces deux formes d’oppression découlent des mêmes mécanismes de domination et peuvent être combattues ensemble. Il part également de l’idée que les femmes sont les premières victimes du changement climatique. On peut citer deux des textes fondateurs de l’écoféminisme, ceux de Susan Griffin, Woman and Nature (1978) et Carolyn Merchant, The Death of Nature (1980).

Ce qu’il faut surtout retenir c’est que les personnes se revendiquant féministe peuvent cumuler les adjectifs, peuvent adhérer à plusieurs courants et qu’il y a une certaine liberté, ces courants ne sont pas parfaitement étanches entre eux. Le sujet est assez complexe et j’ai tenté de donner une idée vulgarisée avec ma perception et un peu de recherches documentaires.

Et moi, où je me situe, à votre avis ? Personnellement, je me retrouve beaucoup dans plusieurs de ces courants : intersectionnel, pro-choix, matérialiste, pro-sexe, post-moderne, écoféminisme… Mais sur des sujets de combats communs, cela ne m’empêche pas de me mobiliser avec des personnes avec qui je ne suis pas d’accord sur tout, comme pour aller marcher contre les violences sexistes et sexuelles du 23 novembre 2019.

D’autres sources pour aller plus loin : https://www.arretsurimages.net/articles/feministes-universalistes-contre-intersectionnelles-a-chaque-camp-ses-medias ; http://www.rgfcn.org/que-faisons-nous/courants-feminisme/les-courants-du-feminisme ;

https://lesoursesaplumes.info/2018/01/10/quelles-tendances-dans-le-mouvement-feministe-aujourdhui-en-france/