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Perspective contra-systémique : Le slogan 99% et le concept de peuple-classe. Christian DELARUE

mercredi 24 janvier 2018, par Amitié entre les peuples

Perspective contra-systémique ou alter-systémique : Le slogan 99% et le concept de peuple-classe .

Discussion sur le texte de Lilas.org.

Le site « Les lilas » - Libres d’Inventer Les Autres Solutions (LILAS) - a publié un article (non signé) nommé « Derrière les 99%… »
Il est lisible à cette adresse :
http://www.lilas.org/notre-demarche/derriere-les-99/

Ce texte est structuré sur quelques grands axes à discuter :

 Invisibilisation des classes populaires et majorité sociale

L’article propose une structuration classiste avec des chiffres : grosso modo 50 % d’employés et ouvriers plus 25 % d’intermédiaires forme un bloc d’en-bas de 75% % . Lire ce passage : « Les classes sociales sont loin d’avoir disparu – tout comme les ouvriers. Les classes populaires au sens strict, ouvriers et employés, représentent 48,8% de la population active. Quand elles font corps avec les professions intermédiaires (25,6%), elles sont ultra majoritaires (74.4%). Tandis que les « cadres sup » au sens des cadres administratifs, commerciaux et techniques d’entreprise et ingénieurs d’entreprise représentent 5,2% de la population totale ».

 Le mythe de la « moyennisation »

Louis Chauvel est d’abord cité : « les classes moyennes, en France, ce sont avant tout un projet de société » et non une réalité sociale. En résumé, la modernisation est un mythe qui porte un imaginaire de confort fondé sur la consommation de masse. Soit. Mais il y a lieu d’être moins d’accord avec la suite : « Derrière le slogan des « 99% » se cache aussi le fantasme d’un peuple où les classes sociales ne pèsent plus et qui s’accommode au fond du fonctionnement du système. Ce peuple lisse de familles de cadres supérieurs heureux et souriants… »

Dans la construction du peuple-classe opposé à la classe dominante calée sur le 1% d’en-haut (Philippe Richard) il y a bien une forte critique du système capitaliste. Sans doute il existe bien une portée de simple alternance intra-systèmique qui s’accommode de l’essentiel du mode de production et de distribution du capitalisme mais on ne saurait ne pas voir une critique plus radicale, certes plurielle et diverse mais qui existe sur un mode anti-systémique ou alter-systémique malgré des contradictions sur certains aspects (sur l’immigration, sur la laïcité , sur l’Union Européenne, etc ). Il revient aux acteurs de la mobilisation sociale et démocratique de lui donner corps derrière un projet. Ici on cite souvent le fameux Warren Buffet qui sur CNN en 2005 affirma «  Il y a une guerre des classes, c’est un fait. Mais c’est ma classe, la classe des riches, qui mène cette guerre et qui est en train de la gagner.  » Reste à faire le point sur tous les lieux ou cette guerre est à mener.

 Les 99% ou le mythe du peuple uni

Il y a plusieurs points à discuter :

Le constat avec le rapport Oxfam ne fait pas problème : « Le rapport Oxfam de 2016 « Une économie au service des 1% » qui souligne que les 1% les plus riches possèdent désormais davantage que les 99 % restants donne une assise économique au concept. »
https://www.oxfam.org/sites/www.oxfam.org/files/file_attachments/bp210-economy-one-percent-tax-havens-180116-fr.pdf

On peut dire sans problème que « les 99% est un slogan » (celui historiquement issu du mouvement Occupy Wall Street) mais il n’est certainement pas un concept . Le concept c’est celui de peuple-classe (cf C Delarue) qui ne porte pas principalement sur un chiffre précis (99% même si le chiffre est souvent cité) mais sur un rapport d’opposition socio-économique et politique : rapport de prédation contre la société et la nature (volet socio-économique) et rapport de dépossession démocratique (volet politique).

Le texte dit : « Mais le slogan des 99% a un biais : il acte l’unité de la quasi-totalité de la population, la « multitude », « les 99% » s’opposeraient à une « oligarchie », une petite minorité d’ultra-riches. Or cette représentation de la société dénonce les excès de l’élite et non le système qui fonde l’ensemble de l’exploitation économique et des inégalités qui en découlent. Corriger les excès des 1%, c’est la rustine qui permet d’avaler le système. »

Pourquoi s’agirait-il de ne dénoncer que des excès ? Pourquoi présumer d’emblée une sorte de populisme social-démocrate ou même social-libéral ? Est-ce à cause des lectures citées des livres Pierre Laurent et Jean-Luc Mélenchon (cf note) ? Le peuple-classe ne voudrait-il pas par exemple la nationalisation des banques (ou sa socialisation - débat ici au sein de la gauche de transformation sociale) ? Ne voudrait-il pas enclencher contre le chômage une nouvelle RTT (32 heures ou 28 heures de travail hebdomadaires ou autre modalité) sans perte de salaire pour les 99% d’en-bas ? Il faut dire que le peuple-classe se construit dans les conflits avec ce qu’en font les acteurs syndicaux et politiques de tout nivaux et avec le projet politique ou le programme politique porté concrètement (pas celui qui est juste discuté dans les congrès).

 La critique de la mythologie républicaine et méritocratique

Ce n’est pas un titre de ce texte mais il s’agit bien de la meilleure critique portée contre les 99% . Elle n’est pas habituelle . Souvent ce qui est visé porte soit sur le 1% (car l’oligarchie n’est qu’une fraction du 1%) soit contre les 99% qui sont à unir autour d’un projet et non là d’emblée .

Notez bien, que comme principal « repreneur et diffuseur » de la notion de peuple-classe j’ai critiqué la notion d’intérêt général - venue du droit administratif des services publics et non du droit des affaires et du nouveau slogan de la France-Entreprise - lorsqu’elle est calée sur les besoins et intérêts des dominants économiques et notamment de la haute finance.

« Ces 99% ont une histoire pourtant plus ancienne que le mouvement des indignés. Ils font écho à la mythologie républicaine qui dès la révolution française a mis en scène un peuple uni capable de s’administrer par l’exercice de la raison, par-delà les appartenances de classes et les antagonismes sociaux. L’appel au peuple est aussi celui qui a permis de nourrir la mythologie méritocratique et de laisser perdurer au sein de la République des circuits de reproduction des inégalités sous couvert d’égalité formelle. Faire de l’appel au peuple au nom de l’intérêt général son slogan principal, c’est implicitement assumer d’effacer la lutte des classes. C’est exactement sur ce constat que repose toute la démonstration de Jean-Luc Mélenchon dans »l’Ere du peuple« où il met à distance les représentations classiques de la gauche marxiste ou même social-démocrate. Le peuple, selon lui, se définit d’abord par la condition sociale urbaine et la revendication de sa souveraineté et non pas par sa situation dans les rapports économiques. C’est la raison pour laquelle il fait du processus constituant autour de la 6e République le meilleur mot d’ordre pour « fédérer le peuple ». Mais ce faisant, il subordonne les questions économiques à la définition de règles institutionnelles et remet à plus tard la refondation du système, à l’heure même où le patronat assume avec vigueur de mener une « guerre de classes »… »

Au-delà de la stratégie de JLM il s’agit de construire un bloc social d’en-bas contre-hégémonique face aux forces économiques et politiques néolibérales et pro-financiarisation du monde. On voit mal pourquoi le concept ou la notion de peuple-classe ne pourrait pas y être utile.

  Le « eux » et le « nous »

Citons :

Un mouvement réellement alternatif devrait avoir une vision claire de la base sociale sur laquelle il entend s’appuyer et dont il défend les intérêts, savoir qui sont le « eux » et le « nous ».

La société reste aujourd’hui divisée en classes aux intérêts antagonistes. Il y a tous ceux qui bénéficient du système et ceux qui peinent à boucler leurs fins de mois, qui sont gagnés par la peur du déclassement. Aux classes dominantes issues de la bourgeoisie traditionnelle et de ses alliés dans le salariat (cadres supérieurs, hauts fonctionnaires,…) s’opposent les classes populaires (ouvriers, employés, petits agriculteurs,…) et des populations intermédiaires (professions intermédiaires au sens de l’Insee, voire « cadres moyens » de la fonction publique, enseignants…). Même si elles ont des modes de vie et des niveaux de revenu différents, les classes populaires et intermédiaires n’ont que leur force de travail pour vivre. Ce sont elles qui subissent les effets de la crise, les baisses de pouvoir d’achat, les attaques sur les statuts, la hausse du chômage, chômage, la casse des services publics, les remises en cause des droits à l’éducation, à la santé, à la sécurité, etc. Loin d’une quelconque « moyennisation », le monde social est tiré par ce système économique vers le bas.

Si ces classes populaires et intermédiaires sont largement majoritaires – elles pèsent au moins 75% de la population – elles n’ont pas conscience d’elles en tant que classes, ni même de leurs intérêts communs. Elles ont d’ailleurs des expériences, des aspirations, des modes de vie souvent différents. Le capitalisme a réussi à imposer l’individualisme comme norme et la réussite individuelle comme valeur. En opposant les chômeurs et les salariés, en dressant les pauvres contre les encore plus pauvres, en enfermant dans des « origines » ethniques ou religieuses, il mine les solidarités et joue sur la peur du déclassement. En mettant en scène une grande « classe moyenne » d’une part et des exclus de l’autre, le système rend honteuse l’appartenance aux classes populaires et « moyennise » des populations aux réalités très diverses. Notre travail politique s’inscrit dans la lutte des classes, et notre tâche est de reconstruire cette conscience de classe. Nous devons rendre la dignité et la fierté à la culture ouvrière et populaire, recréer du désir d’être ensemble ce que nous sommes et non de copier les modes de vie des plus riches. Notre rôle est de travailler à une nouvelle alliance sociale à vocation majoritaire autour de la défense d’intérêts communs.

On revient ici encore à une discussion sur le « bloc social contre-hégémonique » en lien avec la question « quelle(s) alliance(s) avec quelle(s) élite(s) progressiste(s) (ou émancipatrice(s) ou de gauche ) » ?

Pour conclusion provisoire

Le slogan 99% ne recoupe pas forcément le concept de peuple-classe et de ce fait, ce slogan peut évacuer des champs et des objets de lutte de transformation sociale visant une perspective éco-socialiste. La lutte de classe ne mène pas en soi à un autre monde que l’existant. Pour certains, elle entérine aussi bien des avancées que des reculs si bien qu’on ne voit pas bien en quoi elle mène nécessairement à autre chose, un monde favorable aux dominés . Qu’il s’agisse de mobiliser « classe ouvrière » ou « lutte de classe » ou « peuple-classe », il faut toujours - la chose est entendue souvent mais mieux vaut le répéter - au-delà des mots et des discours, un ensemble de pratiques et de conditions favorables pour aboutir à un net changement de société, ou une différence qualitative est perceptible au profit des dominés. On y voit par exemple que la conquête des droits sociaux et politiques profitent nettement aux hommes et aux femmes des classes populaires qui sortent donc de leur conditions de travail et de vie antérieures pour vivre mieux

Christian DELARUE

Notes

Louis Chauvel, Les classes moyennes à la dérive, Seuil, collection « La république des idées », 2006 (p. 91)

Deux hommes politiques de gauche s’appuient soit sur le 99% soit sur le peuple : Pierre Laurent, 99%, Le Cherche-midi, collection Documents, 2016 et Jean-Luc Mélenchon, L’ère du peuple, Fayard, 2014. (Sur le sujet, lire notamment Sylvie Aebischer, Fabien Marcot, « De quoi la « théorie de la révolution citoyenne » de Mélenchon est-elle le nom ? »)

La gauche, le peuple et la stratégie contre-hégémonique (Christian Delarue) - Les blogs d’Attac
https://blogs.attac.org/contre-hegemonie/democratisation/article/la-gauche-le-peuple-et-la-strategie-contre-hegemonique-christian-delarue