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Note sur « Politiques du pardon » de Sandrine Lefranc

vendredi 13 avril 2012, par Amitié entre les peuples

Note sur « Politiques du pardon » de Sandrine Lefranc

« Politiques du pardon » (1) de Sandrine Lefranc subdivise dans son ouvrage trois grands problèmes : 1 ) Les politiques de justice et leurs enjeux sous le titre « Sortir des régimes autoritaires » , 2) L’expérience politique du pardon sous le titre « Sortir de la violence » et 3) Les usages ambivalents du « pardon politique » sous le titre « Se réconcilier ». Cet ouvrage explore la possibilité d’une sortie de la violence au moyen du pardon politique, chose difficile voire impossible et en tout cas assez peu comparable au pardon interindividuel. Le mérite de cet ouvrage est bien de déployer cette hypothèse.

La seconde partie a plus particulièrement attirée notre attention car s’y déploie toute la difficulté du passage de la recherche de justice à la tentative de pardon. Cette partie commence par un chapitre intitulé « Les apories du »vrai« pardon » qui a le mérite de montrer l’ampleur de la difficulté. Le pardon dans le discours peut masquer un refus des responsabilités à assumer et instaurer une réconciliation faussée. C’est une expérience vécue en Amérique latine. Le pardon peut être conçu, de la part des autorités répressives, comme celui du lâche car assimilé à de la faiblesse (ce qu’il ne sont surtout pas). Sans repentance, ni pleurs ils en arrivent à un pardon « avachi » de circonstance, pour sauver les apparences.

H Arendt, P Ricoeur E Lévinas et V Jankélévitch ont développé largement la thématique philosophique et politique. Les trois règles du « vrai » pardon élaborées par V Jankélévitch sont relatées. Le pardon ne vaut qu’entre deux personnes. La notion même largement laïcisée conserve une dimension religieuse plus que politique ou sociale. Par ailleurs, le pardon n’est pas l’excuse qui tend elle à effacer la faute réelle. Le pardon n’est pas l’indulgence ou de la clémence ou de la magnanimité qui suppose une forme d’insensibilité, d’indifférence superbe. Le pardon présuppose que l’on a fait mal en connaissance de cause.

L’agapé cet « autre chose que la justice » .

Pour l’auteure la transposition politique du pardon est souhaitable pour deux raisons (p162). Son introduction en politique, d’une part, n’est pas impossible dans l’absolu : si certaines des conditions du vrai pardon ne sont pas remplies dans les contextes qui sont étudiés ici, elles pourraient l’être, peut-être, ailleurs ; les hésitations des philosophes au moment de disqualifier définitivement tout pardon politique incitent à explorer cette voie.

Violence et justice ont en commun de fonctionner selon un principe de réciprocité des échanges (un coup contre un coup, un châtiment contre un crime). Elles s’appuient toutes deux sur une mémoire, en tant que maintien ou transformation de la dette passée. Mais « il appartient à la définition de la justice d’être pensée comme une alternative à la violence ».

L’agapé, une des trois variante de l’amour à côté de la philia et de l’éros, refuse toute réciprocité et tout principe d’équivalence général. Il n’y a pas de contre-don possible, et pas davantage de généralisation envisageable. L’agapé pose un relativisme du sujet. Elle se caractérise par une inaptitude au calcul qui, avec la faiblesse des anticipations, inhibe l’attente d’un retour, supprime aussi la dette. Toute relation n’existe que dans l’instant du face à face, la personnne avec laquelle je suis en relation n’est que « l’homme que l’on voit ». La relation n’offre pas la réflexivité qui peut me constituer comme sujet.

Mais l’agapé laïcisée acclimatée au politique pourrait écrit-elle ne pas être cette absolue impossibilité du contre-don, mais don et contre-don en même temps avec impératif de co-présence physique. Il s’agit, dans le pardon, non de l’oubli mais d’une mémoire purifiée, d’une offense transformée.

Christian DELARUE

1) Ed PUF coll Fondements de la politique 2002 (365 pages)