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Moi Président... Elle, Première dame

samedi 6 octobre 2012, par Amitié entre les peuples

Moi, Président... Elle, Première dame
05-10-2012

Par Sylvie Duverger
journaliste

http://feministesentousgenres.blogs.nouvelobs.com/

Claudie Baudino est politologue. Auteure de deux ouvrages consacrés aux enjeux politiques de la féminisation des titres et des appellations, Politique de la langue et différence sexuelle (L’Harmattan, 2001) et Prendre la démocratie aux mots (L’Harmattan, 2008), elle répond à une question de Sylvie Duverger, du blog Féministes en tous genres

S. Duverger : Qu’est-ce que la controverse sur l’appellation et la fonction de la Première dame nous révèle des représentations que nous avons de ce qu’ une femme doit ou peut être ? Qu’est-ce qu’elle nous dit de la façon dont nous concevons les rôles au sein d’un couple hétérosexuel ? Sommes-nous délivréEs de Rousseau et de Michelet ou continuons-nous à juger légitime, sinon nécessaire qu’une femme reste dans l’ombre de son compagnon ?

« Moi, Président… » : Quinze fois répétée, l’anaphore a symboliquement installé François Hollande dans sa fonction. Entretenu dans la durée, le déchaînement médiatique sur la « Première dame » a remis Valérie Trierweiler à sa place.

Réponses aux interrogations légitimes sur la façon dont chacun envisage son nouveau rôle, public ou privé, ces discours ont eu un même effet performatif. Leur énonciation a respectivement constitué un acte d’intronisation dans la sphère publique, pour lui, un acte de confinement dans la sphère privée, pour elle.

Si le monologue à la première personne en disait long sur la volonté du candidat de transformer l’essai, la déferlante à la troisième personne a révélé le malaise que suscite le passage au premier plan d’une femme librement unie au Président et, par conséquent, sans statut, marital ni protocolaire.

Avec insistance le signifiant « Première dame » a été posé sur ce vide statutaire pour en dissimuler la béance. Mais, pour peu que l’on s’aventure de l’autre côté de la barre, l’ensemble des signifiés qu’il recouvre décline les facettes et les strictes limites de ce que devrait être son rôle.

La référence explicite est la « First Lady » des Etats-Unis. Le charisme du couple Obama y est pour beaucoup. Il fait écran aux attestations plus anciennes de ce terme qui fut couramment employé pour désigner reines, régentes et impératrices. Le flux et le reflux de la « Première dame » dans l’usage ne sont pas sans rappeler ceux du controversé terme « genre ».

Quand il désigne la construction socioculturelle des rôles féminins et masculins, le genre est qualifié de traduction du terme anglo-saxon « gender », renvoyé à son étrangeté. Or, bien avant la fin du 20e siècle, le terme désignait le genre grammatical, les genres littéraires ou encore l’espèce. Dans le registre sociologique, il n’est qu’une nouvelle acception d’une forme déjà usitée. De la même façon, le modèle de Michelle Obama occulte les usages plus anciens de la « Première dame ». Il permet de qualifier l’expression de traduction alors qu’elle n’en constitue qu’une nouvelle acception, républicaine.

Pourtant, à la différence du « genre » dont on souligne de façon récurrente l’origine étrangère, la « Première dame » s’est très vite introduite dans le discours médiatique comme dans le parler quotidien. Au fond, tout se passe comme si l’usage constituait une juste mesure du degré d’acceptation d’une réalité sociale. Résistant au « genre » qui questionne les traditionnels rôles féminins et masculins, il avalise la « Première dame » qui porte en elle toutes les représentations traditionnelles de la femme au foyer.

Des réceptions officielles aux œuvres de charité en passant par le jardinage, l’avant-gardiste élégance des « Premières dames » n’a d’égale que le conservatisme du rôle assumé au quotidien. D’hôtesse à dame patronnesse en passant par maîtresse de maison, bon nombre des termes qui déclinent la fonction de « First Lady » ont un suffixe en –esse, caractéristique d’un usage vieilli, d’un monde dépassé.

Au moment où l’une d’entre elles déclare son intention de poursuivre sa vie professionnelle dans des vêtements de prêt-à-porter, son classement dans la catégorie « Première dame » sonne comme un rappel à l’ordre.

Elle, première dame, sera une femme d’intérieur. D’affaires publiques, elle ne s’occupera pas. D’ombre à son compagnon de président, elle ne fera pas.

Démembrée, l’expression livre tous ses sous-entendus. Dans « Première dame », il y a « dame », femme respectable par son rang, son éducation ou ses qualités, femme respectable tout simplement. À celle que le Président n’a pas prise pour épouse, l’expression donne un semblant de légitimité. À celle dont il n’a pas fait une femme respectable, l’appellation confère un rang. Puisqu’il n’est pas possible de parler de l’épouse du Président, d’accoler les deux noms de famille, elle sera sa « Première dame » dans l’usage officiel, sa « dame » dans la normalité revendiquée. Ses interventions dans l’environnement élyséen seront disséquées, sa seule présence dans le brégançonnais saluée par un « Bien le bonjour à vot’ dame ! ».

Cache malaise d’une société qui s’accommode mal des unions vécues hors institution, le terme « dame » rappelle que le mariage met de l’ordre dans les passions, assigne à chacun et à chacune une place et un rôle bien différenciés.

Elle, première dame, se conduira en femme respectable. Reconnaissante à celui qui lui a donné un statut, elle tiendra son rang. Consciente des devoirs de sa condition, elle saura rester à sa place.

Avant que les femmes n’accèdent à la citoyenneté politique, on l’aurait sans doute appelée « la présidente », comme les « femmes de… » étaient des « préfètes » ou des « colonelles ». Seulement voilà, avant elle, il y en eût une autre, une autre qui brigua la fonction suprême et aurait volontiers clamé : « Moi, Présidente ».

Dans ces conditions, « Première » prend ici le sens des superlatifs au féminin. Être la « Première dame », c’est un peu comme être la plus talentueuse des chanteuses ou la plus populaire des écrivaines. Le féminin particularise, la distinction se mesure par rapport au seul groupe de paires. La « Première dame » est première parmi le deuxième sexe.

À celle qui voudrait éclipser la première compagne, continuer à exister dans la sphère médiatique, l’appellation « Première dame » rappelle qu’elle ne saurait avoir d’autres ambitions que de briller parmi les siennes.

Elle, première dame, demeurera l’éternelle seconde. Son appartenance au deuxième sexe, elle assumera. Le premier magistrat de France, elle secondera.

Tandis que l’on s’étonne des résistances que suscite la possibilité d’un mariage entre deux personnes de même sexe, l’usage nous renvoie à nos représentations culturelles. Il nous rappelle que les institutions familiales, sociales et républicaines ont un genre pour mieux réguler les rapports entre les sexes. Aussi inconcevable que le masculin de « Première dame », le questionnement de ces assignations représente encore et toujours une véritable transgression.

Claudie Baudino