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Misère du capital, misère du colonialisme, misère de la religion. C Delarue

samedi 25 février 2017, par Amitié entre les peuples

Misère du capital, misère du colonialisme, misère de la religion (?).

 Deux « misères » traditionnellement combattues à gauche.

La misère du capital va de soi pour les anticapitalistes qui construisent une perspective socialiste ou écosocialiste. La misère du colonialisme va aussi de même chez ces anticapitalistes. Ils ne trouvent pas de « grandeur » dans le colonialisme mais que de la domination multiforme. Ce qui a pu paraitre positif aux yeux de certains n’était qu’ignorance du fait que cela servait surtout et avant tout les intérêts de la classe dominante métropolitaine française.

Notez bien ici que Michel Husson n’a pas écrit "Grandeur et misère du capital » à l’instar d’un auteur - Maurice Winnykamen - qui a pu écrire il y a dix ans (aux éditions Tribord) Grandeur et misère de l’antiracisme (à propos du MRAP il est vrai) car ce militant trouvait, à raison, honneur et grandeur, au combat antiraciste et anticolonialiste du MRAP mais il en dénonçait certaines dérives, des « misères ».

 Quid de la troisième ? soit la misère de la religion.

Pourquoi pourrait-on dire fermement que le colonialisme n’est que négatif et pas la religion ? La religion ne serait-elle pas avant tout un très vaste dispositif historique de dépossession de soi ? Une vaste construction humaine et matérielle à déconstruire et critiquer ?

Il est vrai que l’on confond souvent la religion avec la simple croyance en une force créatrice du monde ou une force supérieure au-dessus de soi et du monde (un Dieu qui ne parle pas, qui ne dit rien, ou autre chose surnaturelle ) car la religion c’est beaucoup plus que la croyance, c’est aussi un dispositif d’emprise sur les jeunes esprits, c’est aussi la participation des adultes affiliés à un très lourd dispositif historique existant dont l’essence patriarcale est avérée. La simple croyance en un Dieu (sans texte sacré, sans dogme) hors d’une religion, c’est tout autre chose (qui relève du débat entre athées et croyants, entre science et obscurantisme, etc). Les croyants qui ont pris leur distance avec la religion savent bien ce qui est nuisible dans la religion : son formatage, son emprise, son inculcation de normes rétrogrades souvent.

Yvon Quiniou pourrait certes écrire un « Misère des religions » tout comme Michel Husson a pu écrit jadis (en 1996 chez Syros) son "Misère du capital » . Notons qu’Yvon Quiniou écrirait un tel livre contre un Pierre Tévanian qui lui se montre fort accommodant à l’égard de l’une d’entre elle : l’islam. C’est sans doute, qu’outre sa profession de philosophe, il est surtout antiraciste et que l’antiracisme prime comme norme sociale (partiellement reprise par le droit) sur la philosophie (et sur d’autres types de pensées dont un certain féminisme qui fustige le voile comme attribut sexiste).

 S’accommoder à quoi ?

Mais le plus étonnant dans ces positions accommodantes de certains philosophes liés à une démarche progressiste ou émancipatrice, c’est qu’elles se sont fait entendre à un moment de forte montée des intégrismes religieux, autrement dit des secteurs les plus réactionnaires des religions, dont celui musulman. Comme antiraciste je considère que la mentalité progressiste (puis le droit puis l’Etat de droit ou l’ONU) doit protéger les croyants des religions mais que les intégristes religieux doivent eux être combattus, y compris par des mesures qui limitent leur emprise sans porter atteinte à leurs droits fondamentaux. On ne se cachera pas derrière l’islamophobie - comme ils le font d’ordinaire - pour entreprendre des pratiques très réactionnaires, très oppressives.

Que la religion ne soit pas intégralement négative, viendrait d’un certain regard porté non sur les textes proposés et sur l’idéologie diffusée - ce qui est le job du philosophe - mais sur les comportements individuels variables des croyants, certains étant très stéréotypées chez les intégristes, moins souples, plus psycho-rigides. Là certains trouveront des positions progressistes chez certaines personnalités religieuses de référence ou chez certains courants dit « théologie de la libération » (1). Mais ce qui peut apparaître comme une « grandeur » en matière de religion n’est-il pas aussi marqué du sceau de l’ambivalence, le « bon » n’étant là, comme pour le colonialisme, que pour mieux cacher le mauvais, la soumission à Dieu, création du patriarcat.

Ce qui perturbe la question c’est la confusion entre le combat contre les discriminations et la possible critique de la religion (son essence) ou-et des diverses religions existantes (les dogmes, les appareils religieux historiquement existants, les pratiques s’en réclamant contre les femmes ou les mécréants ou contre les homosexuels). En fait, la critique du philosophe n’est pas celle du militant antiraciste (qui par ailleurs peut individuellement être critique de la religion soit comme agnostique soit comme athée).

 L’universalisation des « misères »

L’universalisation de la « misère religieuse » - avec son accompagnement intégriste réactionnaire montant- est un phénomène de masse qui équivaut à l’universalisation de la « misère du capital » et des rapports sociaux capitalistes dans un autre champ d’activité . Tous les peuples subissent l’une et l’autre. Toutes les classes ou couches sociales ne sont certes pas pareillement frappées par l’obscurantisme religieux et par l’emprise du fétichisme de la marchandise (Marx). Certains, pris dans une triple tenaille, subissent l’impérialisme économico-militaire en plus des formes classique du capitalo-patriarcat et des folies de l’islam terroriste et moindrement des intégristes musulmans. Eux souffrent assurément plus que d’autres beaucoup mieux placés socialement et géographiquement. Mais la tendance générale est régressive.

Les temps ne sont pas à la montée du progressisme et de la civilisation et des principes et valeurs qui l’accompagnent mais à la pente des barbaries et des oppressions. Derrière cet ensemble négatif il faut voir les drames et les souffrances. La montée de la xénophobie et du nationalisme tient beaucoup à une peur des forces négatives au plan mondial, tant en économie qu’en intégrisme religieux.

 Réponses à gauche.

D’abord : Non au classisme, au racisme, au sexisme, aux intégrismes religieux.

Ensuite, il importe pour la gauche de se battre résolument pour les valeurs de la dignité humaine et derrière les principes de Liberté, Egalité, Laïcité, principes fécondés en pratique par l’ouverture d’esprit et la solidarité entre les peuples-classe. Ce serait alors, pour qui vit avec des références intellectuelles structurantes, Ernst Bloch (celui de Droit naturel et dignité humaine) repris par Jean Ziegler de la Raison solidaire par delà les frontières contre la froide Raison d’Etat qui accompagne capitalisme et impérialisme.

Christian DELARUE

1) On pourrait lire à l’égard de la religion soit un opportunisme de tactique (PCF) soit l’approbation de la présence d’un courant dit « théologie de la libération » (M Lowy ).

NB : Patrick Tort a écrit « Misère de la sociobiologie » (PUF, Paris, 1985, 192 pages) et il n’y a trouvé nulle grandeur. Et il convient de ne pas prendre à lettre le titre de cet article fort intéressant : « Misère et fortune de la sociobiologie » par Yves Florenne (Le Monde diplomatique, septembre 1985)
https://www.monde-diplomatique.fr/1985/09/FLORENNE/38783