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Marxisme et sensibilité anti-oppression et pro-émancipation. C Delarue

jeudi 10 octobre 2013, par Amitié entre les peuples

POLITIQUE DE RECONNAISSANCE

Marxisme et sensibilité anti-oppression et pro-émancipation.

Fev 2013

Dans un texte récent (1) critique de Habermas un large empreint à été fait à la critique de Phil HEARSE telle qu’il l’a développé dans ce même numéro 46 de la brochure de la Quatrième Internationale. Aujourd’hui, il s’agit de s’inspirer d’un autre texte, celui de Norman GERAS, intitulé « Marxisme et approche éthique ».

Après Steven Lukes il souligne que le marxisme est certes une critique de la moralité et du droit comme idéologie sans histoire ou au contraire comme discours (ou pratique) très relatif car très inscrit dans une histoire mais qu’il est aussi une morale ou plutôt une éthique de l’émancipation. Le problème est que le marxisme historique a plus mis l’accent sur la critique que sur la sensibilité à une praxis d’émancipation.

Les premiers apports évoqués par Norman Géras concernent la question des besoins et celle de l’égalité. Nous sommes en 1993. Vingt ans après ou en sommes-nous ?

On peut, semble-t-il, souligner une sensibilité anti-oppression et pro-émancipation.

Avec l’évocation récente d’une distribution (honteuse à mon gout) de drapeaux tricolores (2) aux maliens applaudissant les militaires français devant les caméras, il est loisible d’acquérir à cette occasion une sensibilité critique à la mentalité coloniale, à son refus, tout comme on peut acquérir une sensibilité à l’ injure raciste ou à l’insulte sexiste. A un moment donné on ne supporte plus ces formes de domination ou d’oppression. Et c’est quelque chose qui se transmet, au moins à ses proches, ses enfants.

Parler de sensibilité peut être problématique. On peut avoir une sensibilité anti-oppression et pro-émancipation dans un certain contexte et pas dans un autre. La sensibilité écologique est à cet égard montante mais différenciée chez les marxistes. La sensibilité anti-raciste et anti-sexiste semble plus assurée. Il faudrait distinguer selon les courants. En fait il s’agit bien d’une sensibilité éduquée et confortée par la raison. Mais il n’y a pas que « froide raison », celle invoquée parfois en rappelant la formule de Spinoza (souvent reprise) « ni rire ni pleurer mais comprendre », mais bien avec Erich Fromm luttant contre la "dureté du coeur, alliance du cœur sensible et de la raison. Cela débouche sur des pratiques personnelles et relationnelles ainsi que des engagements collectifs.

La sensibilité a des vertus éducatives et partageables car il y a des détails qui sont trop lourds de sens. Ainsi le fait de distribuer des drapeau « bleu, blanc, rouge » aux maliens pour saluer les militaires français devant les caméras. Quelle honte ! Quelle contre-éducation aux refus des dominations nationalistes et coloniales. Etre sensible à cette injure coloniale c’est comme être sensible aux injures racistes et sexistes.
C’est le refus des logiques dominantes. Il faut mettre les dominations au pluriel. Les oppressions encore plus puisqu’elles se nichent plus encore dans les rapports inter-individuels. Evidemment, connaitre un tant soit peu le nombre et les souffrances des victimes de viols ou de discriminations racistes aident encore plus au maintien de la dite sensibilité.

Il se trouve qu’au Mali on a affaire à deux formes particulièrement puissantes et nuisibles de domination, l’une venant des puissances impériales, l’autre venant de l’islamisme djiadiste. Le premier entend s’assurer sa place dans la course des puissances impériales dans la région, l’autre répand une peste intégriste et sexoséparatiste extrêmement violente contre les femmes maliennes et in fine contre toute la société qu’ils entendent soumettre.

Est-ce le peuple-classe malien qui a décidé quel était l’ennemi principal : l’armée française ou les islamistes ? Non il est possible qu’il ne voulait ni l’un ni l’autre.On est, solidaire de ce double refus. Il n’y a pas de domination acceptable.

La conjoncture a voulu que tout le long de 2012 ce soit l’islamisme qui apparaisse comme le plus barbare et l’armée française comme le moindre mal à défaut d’une intervention malienne ou africaine. Cela se comprends pour les uns, pas du tout pour d’autres.

Mais bientôt, les désaccords entre les anti-impérialistes complet et les anti-impérialistes relatifs - ceux qui admettent une intervention sur demande et pour exécuter une mission- (dont je suis peut-être naïvement), vont s’effacer.

On ne saurait en effet croire longtemps, que cette approbation de l’intervention française dure. Dès que les objectifs cachés deviendront visibles - ce qui ne saurait tarder pour certains mais qui peut prendre plus de temps à échelle de masse - les maliens exigeront non seulement le retour des armées dans les casernes françaises, mais aussi le retour de TOTAL et d’autres firmes multinationales françaises ou nord-américaines (USA). C’est à ce moment là qu’il faudra poursuivre l’action solidaire.

Christian DELARUE

1) Sur ce site : J Habermas, la complexité et l’horizon borné du capitalisme.

http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article3094

2) INTOX & HONTE : Distribution de drapeaux tricolores français aux maliens.

http://amitie-entre-les-peuples.org/spip.php?article3183

QI n°46 sept nov 1993 Norman Gerras