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Lobbying : Nouvelle forme de démocratie libérale ? C Layalle

mardi 20 septembre 2011, par Amitié entre les peuples

Lobbying : Nouvelle forme de démocratie néolibérale ?

Claude Layalle - Attac
21/07/2011

Introduction :
Le titre est volontairement provocateur : Pour la plupart des acteurs de la lutte anti-lobbying, ce phénomène importé en Europe dans les bagages des multinationales, qui s’est développé comme un chantre du pouvoir centralisé de l’Union Européenne, cet outil au service du libéralisme, n’est que le véhicule d’une corruption galopante des services et des acteurs politiques au détriment de l’intérêt public.
Et si le lobbying était devenu autre chose ? Par exemple la nouvelle forme d’une organisation toujours oligarchique désormais mondialisée, la solution envisagée et développée par les néolibéraux pour remplacer la démocratie par « autre chose » exclusivement orienté sur l’exploitation rationnelle de la planète et de ses habitants ?
Si cette hypothèse se vérifiait comme crédible, alors le combat changerait de nature : Certes, la lutte contre la corruption, la prévarication, la confusion des intérêts publics et privés, les influences partisanes et entrepreneuriales serait plus que jamais nécessaires. Les associations et collectifs qui s’y consacrent ont toujours plus besoin du concours de tous les militants disponibles dans le combat sur le terrain :
Pour autant, ce combat devrait alors urgemment s’élargir à la dimension idéologique, pour lutter contre la prétention néolibérale de remplacer le concept même d’un gouvernement des peuples par les peuples et pour les peuples, par une idéologie de substitution.
Cet aspect ne peut rester indifférent aux militants d’ATTAC et leur proposer de s’y investir est le but de cette analyse, qui suivant la bonne règle s’appuie sur des faits réels et s’achève sur la proposition de quelques pistes à discuter pour organiser ce nouveau combat.

Philosophie et sémantique

Les lobbyistes sont depuis toujours passé maîtres dans la manipulation des mots et des concepts, mais il arrive que nous même, dans le milieu militant nous sentions troublés par les apparences, notamment quand nous sommes confrontés à la lutte contre l’influence lobbyiste et les conflits d’intérêts.

Beaucoup de militants ne considèrent pas le lobbying comme nuisible mais en condamnent et combattent vigoureusement les excès et les déviations : Ils se réclament d’un lobbyisme éthique, représentatif d’une démocratie dans laquelle l’intérêt général résulterait de l’équilibre des intérêts représentés autour d’une table de négociation.
D’autres sont inconditionnels d’une démocratie de gouvernement du peuple par le peuple : ils mettent en avant le caractère non démocratique des intérêts privés organisés en lobbies et leur refusent toute légitimité .

Les uns comme les autres se retrouvent souvent dans des luttes communes mais on ne peut nier que ces différences de conception idéologique qui peuvent parfois tourner, sinon à l’affrontement, du moins au dénigrement réciproque, affaiblit la riposte sociale .
Au delà de ce débat permanent, un certain nombre de réalités incontournables doivent ou devraient nous alerter sur une évolution des pratiques d’influence qui va bien au delà de la nature supposée du lobbying et des lobbyistes.

Quelques réalités

Forteresses et réseaux
Avec la mondialisation, les conglomérats financiers et l’économie transnationale se sont développés. Chaque grande société est équipée d’un département Lobbying qui constitue déjà une force d’influence considérable. Organisés en associations, tables rondes ou confédérations de syndicats professionnels, comme l’ERT ou Business Europe, ces lobbies dictent littéralement des pans entiers de textes législatifs aux autorités de Bruxelles qui sous forme de directives les diffuseront dans les états membres.

Autour de ces mastodontes s’est constituée une nuée d’agences de lobbying, mercenaires et sous-traitantes, un réseau dense à Bruxelles et dans tous les états de l’UE : les nécessités de la concurrence , le développement des Technologies d’Informatique et de Communication et les perspectives de marchés induits les on conduit à développer une offre qui va désormais bien au delà du simple lobbying : dans les domaines du droit, de l’économie, des finances, de ’l’intelligence économique, de la gestion managériale des entreprises.
Les officines lobbyistes incluent aussi très souvent dans leur offre des activités transnationales localisées dans des paradis fiscaux :
L’offre lobbyiste s’étend désormais bien au delà de l’influence sur des acteurs publics.

L’enseignement du lobbying

Depuis plusieurs années, le site web IE-lobbying1 publie une liste des 20 meilleures universités, publiques ou privées, anglaises, belges ou Françaises qui délivrent une formation au lobbying de niveau bac + 5 sanctionnée par un master dans le nouveau format de cursus dit « LMD »2 fixé par le processus de Bologne. En quelques années, une filière liée au lobbyisme et aux techniques d’influence, développant avec l’explosion des TIC les branches « d’intelligence économique » et « d’intelligence sociale » est apparue dans pratiquement toutes les universités et les plus grandes écoles privées.

Prenons simplement trois exemples :

Collège de Bruges ( Belgique) : L’enseignement proposé porte spécifiquement sur la négociation internationale et la diplomatie et sur l’Union européenne en tant qu’acteur sur la scène internationale. C’est dit-on le meilleur ticket d’entrée sur le marché du lobbying à Bruxelles.
Prix de formation entre 19 000 et 21 000 euros.

University College à Londres ( Grande-Bretagne) : Le master vise à donner aux étudiants les instruments de compréhension du policy-making européen au travers de l’étude des institutions européennes et des membres de l’Union européenne.
Le coût de la formation est environ 10 000 Livres et les débouchés sont nombreux au sortir de cette prestigieuse école connue.

Sciences Po Paris ( France) : Formation reconnue et disposant d’un important réseau d’anciens élèves, à laquelle s’ajoute une dimension internationale en liaison avec la fameuse LSE (London School of Economics and Political Science). Le Master of public affairs garantit une insertion professionnelle rapide à ses étudiants au sein du monde des affaires publiques.
Coût de la formation 23 800 euros pour la session 2010-2011).
Ce foisonnement de centres de formation (pour beaucoup publics et universitaires) pour une spécialité qui juridiquement n’existe pas en UE recoupe un autre constat de longue date à savoir que la frontière entre pouvoir politique et pouvoir économique est de plus en plus floue :
Ces « masters de l’influence » ouvrent désormais des débouchés vers les officines lobbyistes, vers les cabinets ministériels, mais aussi vers les entreprises et même vers certaines associations ou leur compétence sur ce terrain sont parfois appréciées.

Le E-lobbying

A l’origine, les techniques d’influence se sont évidemment développées sur la base de relations directes entre le représentant d’un intérêt particulier et sa « cible » politique ou administrative : Cet aspect du lobbying reste essentiel mais le développement considérable de l’informatique, des réseaux de communication et des Techniques Informatiques de Communication (TICs) a changé la donne.
Le lobbying direct suppose que celui ou celle qui en est l’objet n’ait pas de sources d’information directe commodes lui permettant d’accéder autrement aux données nécessaires à sa prise de décision. L’informatique et les réseau ont évidemment modifié la donne : le lobbying s’est naturellement investi dans les réseaux pour y proposer ses propres réponses et continuer à exercer son influence dans l’intérêt de ses clients et donneurs d’ordre.

Sur le « portail du marketing stratégique » (http://www.marketing-strategique.com/ ), « les echos formation » propose un séminaire intitulé « Lobbying : Les leviers d’une stratégie d’influence aux niveaux local, national et international » et son argument est le suivant :
Afin de réussir leurs projets, les entreprises doivent élaborer une stratégie d’influence adaptée aux attentes et aux évolutions des leaders d’opinion et des décideurs des affaires publiques. Une fois les parties prenantes clairement identifiées, l’entreprise doit établir, animer et maintenir un réseau d’influence adapté à sa culture, à son contexte et à ses projets, permettant ainsi la mise en place d’une “stratégie d’influence”.

Ceci conduit le lobbying à étendre son intérêt et son offre commerciale à des aspects liés à l’environnement de l’entreprise, notamment social et concurrentiel. Cela va bien au delà de ses relations avec le cadre public, vers l’intelligence économique mais aussi vers ce que d’aucuns nomment « le management social 3 », au côté de la performance financière, de la gestion des contraintes administratives et parfois (on commence à s’y intéresser) des contraintes écologiques.

L’intelligence économique

Ci-après une déclaration de Véronique Quefelec, cofondatrice du cabinet de conseil en lobbying « Euromédiations »
Elle écrit sur son site internet :
Dans un contexte de mondialisation et de guerre économique :
Le lobbying analyse, comprend, déplace rapidement les pièces sur cet échiquier planétaire complexe.
L’intelligence économique, l’intelligence sociale sont les outils de connaissance de cet échiquier. L’intelligence économique, l’intelligence sociale indiquent le choix des armes. Elles guident le lobbying qui dirige l’influence conduisant à la décision, à l’obtention des marchés.

L’intelligence économique, c’est l’étude de l’environnement industriel et économique de l’entreprise : une activité qui se distingue de l’espionnage industriel dans la mesure ou l’activité se développe ouvertement en n’utilisant que des moyens légaux. Comme dans le lobbying, entre influence et corruption, la frontière peut être imprécise.
L’intelligence économique repose sur 3 piliers : veille, protection des informations (ne pas faire savoir ce qu’on sait) et … influence.
L’intelligence sociale
Dans le jargon des cabinets de lobbying mais aussi des philosophes, il y a l’intelligence sociale. Dans la sphère cognitive, c’est tout ce qui se rapporte au comportement humain.
Ce concept d’intelligence sociale,comporte des volets particulièrement pertinents dans le fonctionnement de l’entreprise moderne et largement présent dans l’offre de services du lobbying.
La gouvernance ou l’ensemble des règles et méthodes organisant la réflexion, la décision et le contrôle de l’application des décisions au sein d’un corps social.
L’analyse du lien social avec pour but de décrypter les comportements actuels ou potentiels des organisations comme des acteurs.
L’informatologie ou comment organiser la circulation de l’information de façon adéquate pour chaque public et par le canal le plus adapté.
Ces volets sont évidemment de base dans l’exercice traditionnel du lobbying dans le domaine public, mais on en voit le développement dans la gestion interne des entreprises et dans leur environnement concurrentiel, faisant de plus en plus appel à des audits ou conseils extérieurs.
Des exemples fameux notamment en France (France Telecom, Renault …) sont là pour en rappeler quelques applications et leurs conséquences non seulement sur le climat social mais aussi sur la santé ou même la vie des salariés.

Une autre conception du monde

Peu d’associations ou de militants, même parmi ceux qui seraient fondés à considérer le lobbying comme un « moindre mal » et lui reconnaissent même une certaine utilité contestent le fait que son influence toujours plus prégnante met en cause la démocratie citoyenne : elle place l’intérêt général en balance avec des intérêts privés organisés et puissants. Le lobbying s’exerce aux dépends de la santé publique, des impératifs écologiques, ou tout simplement de l’intérêt public.
Le point de vue que nous mettons en lumière dans notre analyse autorise une analyse différente de sa nature, de sa place dans la société, de sa dangerosité et éventuellement de la façon de le maîtriser ou du moins de le désarmer en partie.
Il ne s’agit plus seulement de groupes d’intérêts exerçant une pression sur des relais d’opinion ou sur des décideurs ni même de groupes de pression, comme l’ERT ou Business Europe court-circuitant les instances démocratiques ou supposées telles :
Bien sur, cette réalité là et les conflits d’intérêts qu’elle génère existent bien. Nombreux sont ceux qui s’emploient à les combattre : autour de réseaux comme le CEO, Alter-EU, S2B, et tant d’autres, certains traquent les manifestations du lobbying en général ou de lobbies particuliers (OGM, nucléaire, chimie...) tandis que d’autres se préoccupent plus des conflits d’intérêts et des scandales qu’ils provoquent.
Au delà de ce travail militant nécessaire, dans lequel beaucoup de nous sont engagés, il y a une autre réalité :
L’outil mis à disposition des acteurs économiques contribue à modifier leur comportement et à générer de nouveaux types de gouvernance : Devenu un marché en lui-même, catalysant et absorbant les techniques de communications tout en développant son ubiquité dans les réseaux, il a banalisé l’utilisation de l’influence comme moteur des entreprises qui, dans la course au profit actionnarial, y voient le moyen de renforcer leur capacité face à la concurrence, dans un environnement de guerre économique.
L’entrée du lobbying à l’université efface les notions de lobbyiste et de cibles du lobbying : La cible est objectivement complice de son corrupteur et il ne s’agit plus de corruption puis qu’au départ l’un comme l’autre out été formés pour défendre la même conception d’une gouvernance qui ne repose plus sur le besoin démocratique. La notion de conflit d’intérêt elle-même disparaît de même que les concepts de pantouflage ou de rétro-pantouflage (back door).
Le développement du concept d’intelligence sociale, passant par l’utilisation des techniques d’influence et de pression sur chaque individu dans l’entreprise même 4casse les solidarités internes et ce qui pouvait y subsister de démocratie.
Le caractère paranoïaque des relations inter-entreprises en régime de concurrence n’est évidemment pas modifié, mais l’utilisation banalisée et généralisée des techniques d’influence , des TICs et de l’espionnage industriel rebaptisé « intelligence économique » renforce le caractère anarchique et violent d’une société sans régulations et le pouvoir occulte mais réel des oligarchies financières, arbitres en dernier ressort.
Enfin, son expansion dans toute la sphère économique et politique consacre l’affaiblissement du pouvoir politique et la main mise des intérêts privés sur l’ensemble des activités humaines ainsi que leur « dé-socialisation ».

Un autre combat idéologique

Pour une association comme Attac, le développement actuel du lobbying ouvre un champ à la fois passionnant et incontournable à un combat idéologique qu’elle est parmi les rares associations à pouvoir développer.
Bien sur, il nous faut rester actifs et solidaires avec toutes les associations de terrain et les réseaux nationaux, européens et mondiaux qui contestent le lobbying, traquent et dénoncent les conflits d’intérêts, mettent en lumière le scandale de la collusion entre des responsables politiques corrompus et des porteurs d’intérêts particuliers sans scrupule.
Ce combat là doit se poursuivre à tous les niveaux de l’association, des comités locaux aux instances nationales et être présent aussi dans la réflexion de la coordination des Attac d’Europe mais devrait être élargi à un travail de fond, peut-être dans les conseils scientifiques, ou dans des commissions dédiées de réflexion sur le rôle de l’influence organisée sur le développement du néo-libéralisme et les moyens de le combattre.
Ne nous y trompons pas : Ce qui est en cours, c’est désormais ouvertement le remplacement programmé des règles démocratiques par des pratiques d’influence. Alors que le mouvement des indignés, ou les révolutions autour de la méditerranée remettent dans l’actualité des aspirations de pouvoir citoyen, le lobbying poursuit son travail de sape démocratique en sacralisant les techniques d’influence jusque dans l’université. Le combat doit désormais être porté au niveau idéologique.
Ce travail peut et doit être largement transversal : Ceux qui s’intéressent aux « niches à Lobbies » comme la santé, le nucléaire et l’énergie, les OGM, l’industrie chimique, etc... ont sans aucun doute de la compétence à y apporter mais aussi les observateurs de la stratégie Europe 2020 et encore ceux qui s’intéressent aux orientations de l’intelligence sociale dans les landers allemands ou encore dans les PME soumises à la double pression de l’informatisation et de la dépendance des groupes financiers et bien sur dans des grandes entreprises comme Renault ou France Télécom … sans oublier le travail de fond indispensable de nos conseils scientifiques renforçant leurs moyens d’analyse de la perversion lobbyiste dans les processus industriels.
Vaste programme, mais essentiel si demain nous ne voulons pas voir la démocratie devenir hors la loi, remplacée par la loi économique libérale portée par les lobbies.

Débat ouvert...

Source : site de Attac Paris 12e
http://local.attac.org/paris12/.