Accueil > Entente entre les peuples > Géopolitique des conflits - Autodétermination des peuples - Extension (…) > Proche-orient - Israël-Palestine - Liban > Lettre ouverte d’un intellectuel juif à ses pairs (Alain Finkielkraut, André (…)

Lettre ouverte d’un intellectuel juif à ses pairs (Alain Finkielkraut, André Glucksmann, Bernard-Henri Lévy, Elie Wiesel) D Salvatore Schiffer

mardi 29 juillet 2014, par Amitié entre les peuples

Lettre ouverte d’un intellectuel juif à ses pairs (Alain Finkielkraut, André Glucksmann, Bernard-Henri Lévy, Elie Wiesel)

22 JUILLET 2014 | par Daniel SALVATORE SCHIFFER (sur Médiapart)

Si l’intellectuel juif (mais laïc et agnostique) que je suis se permet de prendre la plume pour vous interpeller aujourd’hui, c’est que, à l’instar de toute personne éprise d’humanisme, j’estime la situation dramatiquement urgente dans la Bande de Gaza, où le conflit israélo-palestinien fait rage.

Nul n’ignore mon attachement à Israël, pays que, depuis que mes pères eurent à subir l’indicible martyre de l’Holocauste, je porte dans mon cœur. C’est donc avec conviction que je prône, pour l’État d’Israël, le droit de se défendre lorsqu’il se voit attaqué par des centaines de roquettes tirées par les terroristes du Hamas, lesquels se cachent de surcroît derrière leur propre population, qu’ils prennent lâchement en otage, tel un bouclier humain. A Israël, donc, mon indéfectible soutien en tant que nation.

Mais, ces prémices étant établies, est-ce là une raison pour qu’Israël se comporte à son tour, au vu de l’extrême violence avec laquelle son armée est en train de mettre à feu et à sang cette même Bande de Gaza, comme un assassin ?

Détruire les tunnels bellicistes du Hamas, oui ! Éradiquer de Gaza ces fanatiques qui mettent Israël en péril, oui ! Mais non, pour autant, tuer des centaines d’innocents ! Qu’en en juge par le seul nombre de palestiniens morts, presque tous civils, depuis le début, le 8 juillet dernier, de cette offensive militaire : 600 tués, sans compter les milliers de blessés. Un massacre, perpétré en toute impunité ! Israël, cette nation qui inventa jadis, avec l’historique décalogue, le concept de « loi », serait-il donc aujourd’hui, par on ne sait quel absurde et inéquitable privilège, au-dessus du droit international ?

Rien ne peut justifier pareil carnage : c’est là, de la part d’Israël, qui se devrait d’être un exemple pour l’humanité, inadmissible sur le plan humain : ce crime, hautement répréhensible au niveau moral, s’apparente, quelle que soit votre difficulté à l’admettre objectivement, à un « crime de guerre », sinon, plus grave, à un « crime contre l’humanité ».

Je le clame donc, porté par ma seule conscience, avec une identique conviction : Israël n’est pas digne, en cette effroyable circonstance, de son Histoire. Pis : il la dénature, au gré de ses seuls intérêts géostratégiques, et la trahit !

Davantage, et sans certes vouloir comparer ici l’incomparable : Israël, État qui vit le jour au lendemain (1948) de ce crime unique dans les annales de l’(in)humanité que fut la Shoah, n’a-t-il donc rien appris, ou si peu, des immortelles leçons de son glorieux quoique douloureux passé ? La politique menée par la droite israélienne s’avère aussi désastreuse, par son radicalisme idéologique et son intransigeance politique, que celle des extrémistes palestiniens : une impasse ne conduisant qu’au pire des scénarios catastrophes !

Israël ne se rend-il donc pas compte qu’en confinant ainsi près de deux millions d’êtres humains - les Palestiniens - dans une bande longue d’un peu plus de quarante kilomètres et large de moins de dix kilomètres, il ne fait que répéter ainsi, leur niant tout droit d’exister en tant que peuple libre, ce que les Allemands firent avec les Juifs, de sinistre mémoire, dans le ghetto de Varsovie ?

J’ai mal à mon sens de l’humanité lorsque je vois des mères palestiniennes hurler à la mort sur le cadavre ensanglanté de leur enfant déchiqueté par un missile israélien. A à ces pères et ces mères en larmes, toute ma compassion !

Je suis là, n’en déplaise à ma patrie d’élection qu’est Israël, tout aussi palestinien que juif : l’inhumaine souffrance n’a pas de nationalité, de culture ou de religion ; elle est universelle, et, parfois, je me sens, à entendre ces cris déchirants, couvert de honte.

Aussi, une autre interrogation, non moins lancinante, me vient-elle, en ces jours mortifères, à l’esprit : où êtes vous donc aujourd’hui pour condamner ces meurtres, vous qui êtes toujours prompts à fustiger les crimes partout dans le monde, à juste titre certes, mais à la notoire et irrationnelle exception de ceux perpétrés par Israël ? Un injustifiable, par la plus incompréhensible des indignations sélectives, « deux poids, deux mesures » !

Ainsi aimerait-on vous entendre dénoncer publiquement, au nom même de ces principes universels que vous n’avez cesse de revendiquer, les bombardements israéliens à l’encontre des civils palestiniens, comme vous vous insurgiez naguère contre le siège de Sarajevo par les Serbes.

Répondre à la barbarie par la barbarie n’est guère une solution ; cet engrenage ne fait qu’attiser la haine et exacerber ce conflit !

Votre silence, en cette triste circonstance, est aussi assourdissant, paradoxalement, que celui, tout aussi coupable, des intellectuels musulmans lorsqu’ils se refusent à condamner ouvertement les crimes commis par les intégristes islamistes et autres djihadistes de tous poils. Un humaniste digne de ce nom se doit de dénoncer, tel un impératif catégorique, le crime d’où qu’il vienne, sans se laisser enfermer en un quelconque esprit partisan, ni manichéisme ou dogmatisme.

Faites donc preuve ici d’honnêteté intellectuelle, de courage moral, de noblesse d’âme et de lucidité : élevez-vous au dessus des partis, prenez de la hauteur et condamnez le crime, même lorsqu’il provient de votre famille ; vous en sortirez grandis, et le monde vous en saura gré !

N’avez-vous donc rien retenu de la magistrale leçon d’éthique de notre maître philosophique Emmanuel Levinas, pour qui l’Autre, à travers ce qu’il nomme métaphoriquement le « visage », constituait l’essence, dans le don partagé, de l’Humanité ? Votre mutisme vous déshonore !

Morale de l’Histoire ? Telle est précisément cette paix des braves que j’appelle de mes vœux afin de résoudre enfin cet interminable et terrible conflit israélo-palestinien. Sa fin n’a qu’un seul et pourtant simple préalable, aussi difficile à entendre soit-il pour certains Juifs : la coexistence, pacifique et démocratique, des États israélien et palestinien, avec une reconnaissance réciproque de la part de leurs institutions politiques respectives.

Bref : Israël doit restituer aux Palestiniens les territoires qu’il occupe illégalement depuis trop longtemps et permettre donc que ce peuple ait enfin légitimement son État, libre, indépendant et souverain. Tel est le nœud, qui n’est inextricable qu’en apparence, du problème : l’origine politique et l’historique source de cette guerre !

Ce n’est qu’à ce juste prix qu’Israël, qui devrait faire preuve de sagesse diplomatique en cette épineuse question, pourra vivre dans la paix qu’il mérite, et que le monde entier retrouvera, avec la progressive disparition de ce conflit, un peu plus de sérénité.

Quant à cet antisémitisme qui est en train de déferler dangereusement aux quatre coins du globe, il n’aura, ainsi, plus d’odieux alibi pour gangrener l’humanité.

DANIEL SALVATORE SCHIFFER*

*Philosophe, auteur de « La Philosophie d’Emmanuel Levinas » (PUF), « Critique de la déraison pure - La faillite intellectuelle des nouveaux philosophes et de leurs épigones » (François Bourin Editeur), signataire du JCall (Jewish Call for Reason – Appel des Juifs à la Raison).

http://blogs.mediapart.fr/blog/daniel-salvatore-schiffer/220714/lettre-ouverte-dun-intellectuel-juif-ses-pairs-alain-finkielkraut-andre-glucksmann-be