Accueil > Laïcité - Universalisme - Diversité > Possible critique des religions > Critique de toutes les religions / de la croyance (en Dieu) > Les religions face à la critique

Les religions face à la critique

vendredi 27 juin 2008, par Amitié entre les peuples

08/10/2006 20:00

Plusieurs affaires récentes posent la question du droit de juger les religions. L’histoire de chaque religion propose des conceptions diverses de la critique

Mgr Jean-Marie Lustiger (à droite), avec à ses côtés (de droite à gauche) l’archevêque de Paris Mgr André Vingt-Trois, le maire de Paris, Bertrand Delanoë et le nonce apostolique Fortunato Baldelli, serre la main du Grand Rabbin de Paris, David Messas (à gauche), le 3 septembre 2006 sur le parvis de Notre-Dame de Paris (photo Verdy/AFP).

Les crises ouvertes par le discours de Benoît XVI à Ratisbonne ou la tribune libre de Robert Redeker dans Le Figaro posent à nouveau la question de la critique des religions. L’islam est en première ligne, mais toutes les religions se montrent réactives quand le sacré est visé

L’ISLAM

Des affaires récentes
Le 14 février 1989, l’ayatollah Khomeini proclame une fatwa réclamant la mort de Salman Rushdie, l’auteur britannique du livre Versets sataniques, jugé blasphématoire envers l’islam. Il est alors de la responsabilité de tout musulman « zélé » d’assassiner Rushdie et ses éditeurs. 3 millions de dollars sont offerts. Le président Khatami annulera la fatwa en 1998. Entre-temps, des attentats ont été commis contre des librairies ou des journaux, le traducteur japonais de Rushdie a été assassiné, d’autres ont été blessés.

En novembre 1993, au Bangladesh, la tête de Taslima Nasreen, médecin gynécologue, est mise à prix par un groupe fondamentaliste après la publication de son livre Lajja (La Honte) qui raconte les violences subies par une famille hindoue dans ce pays musulman.

Le 2 novembre 2004, à Amsterdam, le réalisateur Theo Van Gogh est assassiné dans la rue par Mohammed Bouyeri, un Néerlandais d’origine marocaine sur qui on retrouve une liste de personnes dont la députée néerlandaise d’origine somalienne Ayaan Hirsi Ali, connue pour ses critiques sans détour de l’islam.

Le 30 septembre 2005 le quotidien danois Jyllands-Posten publie douze caricatures du Prophète. Les rues du monde arabo-musulman se sont embrasées. Les manifestations et les violences pour l’affaire des caricatures font des dizaines de morts.

Le 12 septembre 2006, les propos introductifs d’un discours de Benoît XVI sur l’alliance entre la foi et la raison à l’université de Ratisbonne en Allemagne ouvrent une nouvelle polémique mondiale (lire La Croix du 13 et du 18 septembre). Une religieuse italienne est assassinée en Somalie.

À Berlin, la directrice de l’Opéra annule des représentations d’Idoménée de Mozart, qui met en scène les têtes coupées de Jésus, Bouddha et Mohammed, par crainte de réactions… islamistes.

Les points sujets à critique
Depuis la multiplication des actes terroristes commis au nom de l’islam (dont les spécialistes repèrent le commencement en 1979), et plus encore depuis les attentats du 11 septembre 2001, nombreuses sont les critiques de l’islam qui rappellent le parcours du Prophète, passant d’une spiritualité mystique à une stratégie guerrière ; ils soulignent que le Coran et la tradition prédisposent à une lecture intégriste et offrent des voies ou des encouragements à ceux qui ne retiennent que les versets instaurant le fanatisme et l’intolérance, appelant à la guerre. La question de l’autonomie des sphères politique, culturelle, sociale, etc., par rapport à la sphère religieuse est aussi souvent soulevée.

Les questions de la démocratie, de la laïcité, des droits de l’homme, de l’égalité entre hommes et femmes, de la liberté religieuse sont également régulièrement mises en avant. De manière plus générale encore, on reproche aux musulmans l’utilisation idéologique et pratique des textes pour légitimer des conduites, comme si le Coran avait vocation à répondre à toutes les questions contemporaines.

Le statut de la critique
Le spectacle des défilés haineux, les déclarations meurtrières des fondamentalistes, les menaces, les intimidations et les actes terroristes commis au nom de l’islam peuvent conduire à penser que le monde musulman est opposé à toute critique. La réalité est différente. La raison, le libre arbitre, la liberté ne sont pas étrangers à la pensée musulmane, bien au contraire. Le Coran insiste plusieurs fois sur la responsabilité de l’homme dans ses choix. La confrontation de la foi avec la science et la raison fit d’ailleurs l’objet de débats dès les premiers siècles de l’islam. Mais depuis, pour différentes raisons, les portes de l’ijtihad (l’effort d’interprétation personnelle) se sont fermées. Dans son livre « La maladie de l’islam » (Ed. Seuil), Abdelwahab Meddeb a remarquablement expliqué les raisons internes et les causes externes qui ont conduit à cette fermeture. L’un

des obstacles à la raison critique tient au texte même : les musulmans croient en l’inimitabilité du Coran et au miracle du texte révélé, incréé, à sa perfection. Pourtant de nombreux intellectuels musulmans à travers le monde, à commencer en France par Mohamed Arkoun, ont entamé depuis de nombreuses années un travail critique. À l’image de ce qui s’est produit dans le monde occidental depuis la Renaissance et la Réforme, ces penseurs interrogent les textes fondateurs de l’islam, les soumettent à la critique historique et littéraire. Ces nouveaux penseurs ont du mal à se faire entendre. Ils sont perçus comme des menaces par les régimes politiques en place mais aussi par les oulémas (les savants traditionnels), qui ont intérêt au statu quo. Ils sont aussi combattus par les mouvements islamistes, à cause de leur réfutation du concept d’« État islamique » que ces mouvements prétendent voulu par Dieu et par les textes. Plusieurs de ces penseurs ont été persécutés, contraints à l’exil même si leurs travaux circulent et touchent un nombre croissant de musulmans.

Le CHRISTIANISME

Des affaires récentes
Le refus du Vatican de déclarer légitime l’utilisation du préservatif dans la lutte contre la pandémie de sida est au cœur de critiques récurrentes contre l’Église catholique. Elles seront particulièrement vives au moment de la visite de Jean-Paul II en Ouganda en février 1993 (ou lors de l’inauguration de la place Jean-Paul-II à Paris).

Autre dossier faisant l’objet de critiques régulières, l’attitude de Pie XII pendant la Seconde Guerre mondiale. La polémique a été relancée en 2002 par le film Amen du cinéaste Costa-Gavras. L’affiche du film, dont le graphisme mêle la croix chrétienne et la croix gammée, a fait l’objet d’un communiqué de presse des évêques, dénonçant « un manque de respect inacceptable ».

Plus récemment, l’élection de Benoît XVI fut l’occasion de dérapages d’humoristes jouant sur la nationalité allemande du nouveau pape, laissant faussement supposer une sympathie de jeunesse pour le nazisme. La critique récente à l’égard de l’Église catholique peut également aujourd’hui prendre une forme plus diffuse, comme dans les films ou romans qui – entre fiction et réalité – accusent l’institution de dissimuler la vérité historique sur le Christ ou les origines de l’Église, comme l’a fait le Da Vinci Code. Dans un tout autre domaine, les affaires de pédophilie impliquant des membres du clergé, notamment aux États-Unis et en Irlande, ont provoqué dans l’opinion publique une réactivation de la critique du célibat des prêtres.

Les points soumis à critique
Pour l’Église catholique, c’est surtout son passé de religion dominante, voire dominatrice, qui est attaqué. Les collusions du catholicisme avec le pouvoir, la violence, sont régulièrement rappelées : croisades, Inquisition, guerres de religion, soutien d’une partie du clergé au régime de Vichy ou collusion de certains avec les dictatures espagnole et sud-américaines… Même si les repentances officielles de l’an 2000 sur plusieurs de ces sujets ont calmé les esprits.

De même, la critique d’une Église perçue comme hostile à la modernité et aux droits de l’homme – malgré la rupture réalisée par le concile Vatican II – est encore vivace. Dernièrement, c’est l’opposition de l’Église à la reconnaissance juridique des couples homosexuels et le discours « naturaliste » du Magistère sur les différences sexuelles qui suscitent les plus vives critiques. Dans un récent ouvrage, l’historien René Rémond a été jusqu’à parler d’un « nouvel antichristianisme » répandu par quelques auteurs à succès, tel Michel Onfray, auteur d’un Traité d’athéologie publié en 2005 et devenu en quelques mois un best-seller.

Le protestantisme français a, lui, longtemps été protégé des critiques par son adhésion précoce à la modernité et à la République. Sa branche évangélique fait toutefois régulièrement l’objet de critiques depuis l’adhésion au pouvoir de la droite néoconservatrice aux États-Unis. Les accusations de sectarisme et de fondamentalisme ne sont désormais plus rares.

Le statut de la critique
« La conscience est le centre le plus secret de l’homme, le sanctuaire où il est seul avec Dieu et où sa voix se fait entendre », écrit le concile Vatican II dans la déclaration Gaudium et Spes (n° 16). Cette reconnaissance de la liberté de conscience due à tout homme va de pair avec celle de la « liberté de jugement » (Dignitatis Humanae, n° 8) et la liberté d’exprimer ses opinions (GS, n° 73), dans les limites du respect des droits d’autrui et le respect du bien commun. À l’intérieur de l’Église, le même respect de la liberté de conscience des fidèles est valable.

L’adhésion de foi est exprimée par les propositions fondamentales contenues dans le Credo. Pour autant, la pratique de la critique à l’intérieur de l’Église ne se fait pas toujours sans difficultés. En 1997, l’Instruction sur les synodes diocésains interdit à ces derniers de formuler un simple « vœu à transmettre au Saint-Siège s’il divergeait des thèses ou des positions (tenues par) la doctrine perpétuelle de l’Église ou le Magistère pontifical (…) ». En 1998, le Motu Proprio de Jean-Paul II Ad Tuendam Fidem témoigne d’une certaine méfiance à l’égard du travail critique des théologiens. Quant aux critiques venues de l’extérieur, l’affaiblissement du catholicisme en Occident les rend douloureuses.

Du côté du protestantisme luthérien et réformé, la critique est aujourd’hui assumée comme étant au principe de la réforme permanente des institutions ecclésiales et de la recherche de la vérité.


LE JUDAÏSME

Des affaires récentes
S’il n’y a pas eu, à proprement parler, d’« affaires » qui ont fâché les juifs depuis ces vingt dernières années, ceux-ci souffrent cependant régulièrement de paroles et d’actes antisémites, plutôt en progression, qu’il s’agisse de violences faites aux personnes, de synagogues brûlées, de tombes juives saccagées… « Le judaïsme accepte toute critique et toute liberté d’expression tant qu’on ne franchit pas la ligne jaune », précise Haïm Musicant, directeur général du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif).

Les juifs souffrent aussi de l’amalgame qui est souvent fait entre Israël et le judaïsme. Or « Israël n’est pas un État juif », souligne le rabbin parisien Haïm Korsia. Et surtout, lorsque des images des conflits entre Israéliens et Palestiniens se focalisent sur des soldats israéliens frappant des enfants. « Ce genre d’infos télévisées, quand il y a dérapage, nous renvoie au mythe des crimes rituels des juifs, résume Haïm Korsia. On ne peut rien contre ça, car c’est complètement irrationnel et injuste. »

Les points sensibles
Les sujets qui font mal, du côté juif, concernent surtout l’histoire et la mémoire millénaire de ce peuple. « On a été pourchassés, exilés, tués, brûlés pour ce que nous étions, rappelle Haïm Musicant, si bien que toute menace pouvant rappeler ce passé nous replonge dans une crainte existentielle. » Ainsi, la Shoah reste pour tout juif un sujet extrêmement « sensible ». Dans ce domaine, « il y a deux choses inacceptables, ajoute Haïm Korsia : sa banalisation, qui consiste à voir des ‘‘Shoah’’ partout, et son inversion, qui consiste à dire que les victimes sont devenues bourreaux, ou que victimes et bourreaux finalement, c’est la même chose ».

Des questions, comme le statut de la femme dans les communautés ultraorthodoxes, ne sont guère évoquées publiquement, sinon par des écrivains ou cinéastes juifs.

Le statut de la critique
Pour autant, le judaïsme n’a jamais réagi par la violence à ce type d’attaque contre sa mémoire. Il faut dire que, dans le judaïsme, on a l’habitude, de longue date, de l’autodérision. Preuve en est le nombre infini d’histoires de Moïse, du roi David ou de rabbins qui sont racontées par les juifs eux-mêmes. D’ailleurs, chaque année pour la fête de Pourim, il est permis – et même recommandé ! – de boire du vin jusqu’à perdre la tête pour mieux se moquer de toutes les figures d’autorité.

Dans les écoles rabbiniques, les élèves singent leurs enseignants ; dans les familles, les enfants se moquent de leurs parents ; et en Israël, c’est dans la rue qu’on se moque des hommes politiques. Le judaïsme encourage donc le débat en son sein. « Du fait de notre statut de minorité, depuis des siècles et dans tous les pays où nous vivons – sauf en Israël depuis quelques décennies –, nous avons appris à respecter l’autre, à s’enrichir de sa culture et à relativiser les comportements », insiste encore Haïm Musicant. Du coup, la critique interne ou externe, dès lors qu’elle est pensée et proposée de manière intelligente et respectueuse, ne peut pas être refusée. Au contraire. « La critique est le sport national juif », aurait dit Shimon Peres.

Claire LESEGRETAIN, Élodie MAUROT et Martine DE SAUTO


Voir en ligne : http://www2.la-croix.com/article/in...