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Les dégâts collatéraux du massacre de Toulouse B Méheust

mercredi 21 mars 2012, par Amitié entre les peuples

Les dégâts collatéraux du massacre de Toulouse

Le massacre de Toulouse est en train de faire une victime de plus, la démocratie. On vient de geler pour plusieurs jours la campagne électorale. Mais le tueur fou (ou machiavélique) n’est pas encore arrêté, et rien ne prouve qu’il va l’être dans les jours qui suivent, suffisamment tôt en tout cas pour alléger le débat politique de ce poids oppressant. Et que fera-t-on si, dans une semaine, ou dans quinze jours, l’homme au scooter commet de nouveaux meurtres racistes ? Arrêtera-t-on à nouveau la campagne électorale ? Un seul homme décidé (ou un tout petit groupe d’hommes, puisque l’on ignore encore ce qui se cache derrière cette horrible affaire) va-t-il ainsi disposer du pouvoir exorbitant d’arrêter ou de perturber gravement une campagne électorale ? Dans quel abîme la République est-elle en train de tomber ? S’il s’agit d’un fasciste (fou ou non, mais un fasciste a toujours un grain de folie) qui cherche à paralyser le déroulement de la démocratie, il a déjà marqué des points. Pris par l’émotion bien compréhensible que suscite la tuerie de Toulouse, on n’a peut-être pas assez réfléchi à tout ce qu’implique le gel de la campagne électorale, et ce qu’a même de choquant cette décision. Essayons d’aller un peu plus loin.

Les hommes politiques, toutes tendances confondues, ont immédiatement cru comprendre que celui ou celle qui entreprendrait d’utiliser l’événement à des fins partisanes serait immédiatement sanctionné par l’opinion. Seulement, tous les candidats ne sont pas logés sur ce point à la même enseigne, et en appliquant ce principe, on disculpe surtout ceux qui ont le plus de choses à se reprocher. Marine Le Pen, par exemple, a certainement davantage entendu ses oreilles siffler que Bayrou, et il n’est pas étonnant qu’elle se soit empressée de déclarer que les enfants assassinés étaient nos enfants, et qu’il fallait s’abstenir d’utiliser et de commenter l’événement. Quant à Sarkozy, l’homme-oxymore, c’est en affirmant qu’il serait malséant de chercher à tirer le bénéfice du drame, et en mettant en scène sa neutralité, qu’il engrange les profits. Les autres candidats étant tenus de se taire, il n’a plus de comptes à rendre sur les consignes que, semaine après semaine, il a données à Guéant pour courtiser l’extrême droite en diffusant un message de haine. Et l’opinion, comme toujours en temps d’épreuve, se regroupe autour de celui qui représente le pouvoir légitime et exhibe le dispositif de la sécurité collective. C’est donc double bénéfice pour le chef de l’État.

Mais c’est surtout sur la campagne de Mélenchon que les effets indirects du massacre de Toulouse sont les plus dévastateurs. Lundi après midi, un habitué de C’est dans l’air, l’émission d’Yves Calvi, a déclaré qu’après le massacre de Toulouse, le ton de la campagne allait devoir baisser, et que l’on n’allait pas pouvoir continuer de stigmatiser des parties de la population, comme l’ont fait presque tous les candidats, et particulièrement Mélenchon, avec sa façon violente, populiste et démagogique de s’en prendre aux riches. Voici donc maintenant Mélenchon tenu de mettre un frein à sa campagne ! Ici, un comble est atteint. S’il y a un candidat qui s’en est pris avec force à la haine raciale sous toutes ses formes, c’est bien le leader du Front de Gauche, et assimiler le thème central de sa campagne – le partage des richesses – à la violence raciste, c’est en fait interdire que soit mise en débat de façon crue la question centrale de notre société. Il est scandaleux et révélateur que l’on puisse renvoyer dos à dos une série de meurtres racistes particulièrement horribles, et une revendication légitime qui touche le cœur de la société contemporaine. Entre assassiner un enfant parce qu’il est juif, ou un jeune militaire parce qu’il est noir ou musulman, et rappeler aux classes possédantes que si elles ne veulent pas partager, il faudra qu’elles s’attendent à y être contraintes par la loi, il y a un tel abîme que le bon sens répugne à devoir même discuter un tel point. Nous débouchons à travers une actualité cruelle vers un des traits majeurs de notre société, son incapacité à se remettre en cause, la tendance de ses élites à prendre pour naturel et nécessaire l’état de choses régnant, et à assimiler à la violence fasciste (utilisée comme repoussoir) tous les efforts que l’on essaie de déployer pour le modifier.

Bertrand Méheust, philosophe, sociologue, auteur de La Politique de l’oxymore (La Découverte, 2009) et de La Nostalgie de l’Occupation (La Découverte, février 2012)