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« Les Droits de l’Homme en Islam et en Occident » . M Benchenane

dimanche 4 janvier 2009, par Amitié entre les peuples

« Les Droits de l’Homme en Islam et en Occident » , par Mustapha Benchenane,

source : Fondation Méditerranéenne d’Etudes Stratégiques - octobre 2003

La première partie de cette étude de Mustapha Benchenane - Membre du Conseil Scientifique de la Fondation Méditerranéenne d’Etudes Stratégiques (F.M.E.S.), Politologue à l’Université René Descartes - Paris V - porte sur les convergences entre la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 et la Déclaration islamique de 1989 .

Ces convergences relatives à des valeurs fondamentales sont de deux ordres :
 d’une part celles qui ont trait, pour l’essentiel, à la protection de la personne humaine et,
 d’autre part, celles relative aux devoirs de chacun vis-à-vis d’autrui.

http://www.fmes-france.net/article.php3?id_article=15

La partie publiée sur ce site ne concerne que les divergences notables entre les deux approches. La référence choisie ici, en ce qui concerne l’Islam, est la Déclaration islamique des Droits de l’Homme proclamée le 19 septembre 1981.

DES DIVERGENCES NOTABLES ENTRE LES DEUX CONCEPTIONS

La divergence la plus importante réside dans l’inspiration. En effet, comme son titre l’indique, la Déclaration islamique des Droits de l’Homme respecte scrupuleusement le Coran et les hadiths tout en s’efforçant de tenir compte de certaines réalités du XXe siècle.

Dans les Déclarations occidentales en revanche, la religion est reconnue comme une liberté mais elle n’a pas servi de source d’inspiration aux rédacteurs de ces textes. Dans la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789, il est fait allusion une seule fois à la religion pour dire : « Nul ne doit être inquiété pour ses opinions, même religieuses, pourvu que leurs manifestations ne troublent pas l’ordre public établi par la loi » (art 10). Le préambule de la Constitution française du 27 octobre 1946, évoque lui aussi allusion à la religion : « Le peuple français proclame à nouveau que tout être humain, sans distinction de race, de religion ni de croyance, possède des droits inaliénables et sacrés ». La Déclaration universelle des Droits de l’Homme de 1948 n’évoque la religion que dans ce même contexte, c’est-à-dire, pour interdire toute discrimination, notamment, fondée sur la religion (art 2). La Convention européenne des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales de 1950 consacre à cette question une partie de son article 9 intitulé : « Liberté de penser, de conscience et de religion » et établit : « Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion ; ce droit implique la liberté de changer de religion, de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction individuellement ou collectivement, en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites » (art 9 al 1.).

Il ne peut être fait reproche à la Déclaration islamique sa nature même.

Mais il convient de noter qu’elle comporte des « oublis » ou des passages qui ne sont guère conformes aux nécessités de notre temps.

La liberté de changer de religion n’est pas mentionnée. En ce point, la Déclaration islamique ne contredit pas le Coran qui condamne sévèrement l’apostasie.

En outre, la référence constante et exclusive à la Charia est-elle porteuse de progrès et d’adaptation au monde moderne ? L’ordre social, économique, culturel, politique doit être conforme à la Loi, c’est à dire à ce qui a été révélé par Dieu. Mais qu’en est-il de l’action des hommes, de leur autonomie, des lois qu’ils adoptent selon leur propre volonté ? Selon la Déclaration islamique cela ne semble pas exister. En relation directe avec la question de la Charia se pose le problème de la nature du régime politique.

La Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948 mentionne explicitement la démocratie (art 29 al.2). Il en est de même de la Convention européenne des Droits de l’Homme et des libertés fondamentales (1950) qui affirme que les libertés fondamentales ne peuvent être maintenues que dans le cadre d’un « régime politique véritablement démocratique » (préambule).

La Déclaration islamique ne mentionne jamais la démocratie. Elle rappelle seulement que « toutes les affaires publiques sont déterminées et conduites, et l’autorité administrative exercée, après consultation (shura) entre les croyants habilités à prendre part à une décision compatible avec la Loi et le bien public » (préambule al 9.). La Déclaration du Caire sur les Droits de l’Homme en Islam (5 août 1990) dans son article 23 énonce : « Gouverner est une mission de confiance, il est absolument interdit de l’exercer avec abus et arbitraire, afin de garantir les droits fondamentaux de la personne humaine ». Quant à la Charte arabe des Droits de l’Homme (15 septembre 1994), elle établit que « le peuple est le fondement de l’autorité et la capacité d’exercer les droits politiques est le droit de chaque citoyen majeur, qui l’exerce en vertu de la loi » (art 19). Il est dit ici que le peuple est le fondement de « l’autorité », il n’est pas le fondement du « pouvoir ».

On constate donc que ces trois Déclarations, d’inspiration islamique sont en retrait par rapport aux aspirations des peuples concernés.

L’inspiration islamique veut que la souveraineté appartienne à Dieu, elle ne peut appartenir aux hommes. C’est en utilisant cet argument que les « islamistes » combattent la démocratie.

Aujourd’hui, dans le monde musulman, il convient de faire la distinction entre pays musulmans et Etats islamiques. Les premiers ne s’inspirent pas, ou alors que partiellement de la Charia. Les seconds font de la Charia le fondement même du pouvoir.

Tous les pays qui appliquent la charia sont, soit des pays de dictature, soit des pays dont le régime est totalitaire. Le concept de « laïcité » est ignoré. Pour ceux qui se réclament de la conception islamique, « Dieu seul est l’auteur de la Loi ». A leurs yeux, la rationalité à elle seule ne peut permettre aux hommes de régler leurs problèmes. Il est écrit dans le préambule : « La rationalité en soi sans la lumière de la révélation de Dieu ne peut constituer un guide infaillible dans les affaires de l’humanité ». On n’envisage pas seulement la spiritualité dont les sources peuvent être diverses on se réfère uniquement à la « révélation de Dieu ». Il est bien sûr évident qu’une Déclaration « chrétienne » ou « juive » des Droits de l’Homme aurait probablement adopté la même approche. La Déclaration sur les Droits de l’Homme en Islam (5 août 1990) interdit toute référence autre que la charia pour expliquer ou interpréter ce document : « La Charia est l’unique référence pour l’explication ou l’interprétation de l’un quelconque des articles contenus dans la présente Déclaration » (art 25). Des passages de la Déclaration islamique universelle des Droits de l’Homme (19 septembre 1981) peuvent inquiéter des communautés non musulmanes. Dans son préambule, elle avance sa croyance dans « l’invitation de toute l’humanité à partager le message de l’Islam ». Cette croyance dans la dimension universelle de l’Islam ne serait pas en soi un problème s’il n’était pas affirmé que cette croyance induit « l’obligation d’établir un ordre islamique ». Cela signifie-t-il que le musulman doit militer pour l’établissement d’un « ordre islamique » partout dans le monde ? C’est ce que semble dire cette Déclaration. Mais dans ce cas, ces passages ne sont-ils pas contradictoires avec les articles de cette même Déclaration qui acceptent explicitement le pluralisme religieux ?

La Charte arabe des Droits de l’Homme adoptée dans le cadre de la ligue des Etats arabes le 15 septembre 1994 est, à beaucoup d’égards, plus moderne, bien que dès la première phrase de son préambule, elle proclame la « Foi de la nation arabe dans la dignité humaine, depuis que Dieu a privilégié cette nation en faisant du monde arabe le berceau des révélations divines et le lieu des civilisations qui ont insisté sur son droit à une vie digne en appliquant des principes de liberté, de justice et de paix ». C’est la seule référence à Dieu et on ne trouve aucune référence à l’Islam.

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Lorsque l’on parle de respect des Droits de l’Homme dans les pays musulmans, on provoque des réactions contrastées. Les uns réagissent en affirmant qu’il s’agit d’un concept et d’un contenu occidentaux et que l’Europe et les Etats-Unis les utilisent pour aliéner les musulmans en les amenant sur un terrain qui n’est pas le leur. C’est le discours que tiennent beaucoup d’ « islamistes ». Leur conviction est la même lorsqu’il s’agit de la démocratie.

Il en est qui prétendent que l’Islam et les musulmans n’ont pas de leçon à recevoir, que tout est dans le Coran. Ils sont convaincus que l’Islam recèle des ressources suffisantes dans tous les domaines et que cela suffit à régler tous les problèmes du Monde musulman. Ils ajoutent que ce dernier est en situation d’échec parce que les pouvoirs en place se sont éloignés de la « pureté » du message originel. Pour eux, la « recette » est simple : « Revenons à la pureté du message originel et tous les problèmes seront résolus ». Il leur échappe que la « pureté » des origines est un mythe. Manipulé par eux, il devient extrêmement dangereux car il mène au totalitarisme sous couvert d’application de la Charia dont se réclame la Déclaration islamique des Droits de l’Homme. D’autres enfin, représentant certains pouvoirs en place, bien que n’étant pas islamistes, rejettent la conception « occidentale » des Droits de l’Homme au nom des spécificités culturelles de leurs pays. Ils dénoncent parfois le « néo-colonialisme » que camouflerait cette conception. Ils « oublient » de se poser la question de savoir s’ils pourraient se maintenir longtemps au pouvoir sans le soutien de cet Occident qu’ils dénoncent seulement lorsque leurs intérêts risqueraient d’être menacés.

Dans la Déclaration islamique, Dieu est omniprésent, il est la source de tout. La révélation est la source et le cadre indépassables de l’inspiration et de toutes pratiques. En même temps, dans les sociétés musulmanes et compte tenu de leur faible niveau de développement, la notion même d’individu et sa prise en compte par les institutions est bien en deçà de ce qui existe en Occident. La notion d’ « Individu » est née en Europe à la fin du XVe siècle et au début du XVIe siècle à la Renaissance. L’émergence de l’individu s’est faite en réaction contre tous les pouvoirs, y compris le pouvoir de l’Eglise. Cette notion, devenue une valeur centrale, s’est développée et s’est affirmée en s’opposant à la monarchie absolue. Le combat a duré plusieurs siècles.

Ce processus historique n’est pas vécu à l’identique dans les pays musulmans. Ce que l’on appelle la « Nahda » (Renaissance) dans le Monde arabe est insignifiant par rapport au mouvement d’une immense ampleur qu’a constitué la Renaissance européenne qui a bouleversé tous les domaines de la pensée et de l’activité humaines. Le Monde musulman est empêtré à la fois dans l’archaïsme des concepts, des valeurs, des pratiques et dans une pseudo modernité qui prend souvent le pire plutôt que le meilleur de l’Occident.

Dieu est omniprésent dans la Déclaration islamique. La volonté de l’Homme est décisive dans les Déclarations occidentales, même si les valeurs morales qu’elles contiennent à l’arrière plan, sont d’inspiration judéo-chrétienne. Mais dans ce domaine des valeurs fondamentales, il existe de grandes convergences entre les trois religions monothéistes.

Quoi qu’il en soit, les Déclarations islamiques en bien des points présentent des aspects éminemment positifs. Si les pouvoirs en place respectaient ces aspects positifs, les sociétés concernées accompliraient des progrès considérables dans le domaine des libertés. Malheureusement les Déclarations, même dites « islamiques » ne sont totalement respectées dans aucun pays musulman.

Le Monde occidental est, pour sa part, dans une situation meilleure que le Monde musulman. La Démocratie et les Droits de l’Homme sont globalement respectés. Mais ils restent vulnérables et perfectibles. Il est vrai aussi que les Droits de l’Homme sont parfois instrumentalisés par des individus, des groupes, des lobbys ou des Etats qui pratiquent des Droits de l’Homme à « géométrie variable ». Que dire par exemple de ceux qui, au nom du respect des Droits de l’Homme, veulent imposer le « droit d’ingérence » partout, sauf lorsqu’il s’agit de protéger le peuple palestinien.

Tous les Etats membres des Nations Unies adhèrent, en principe, à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme. La Charte arabe des Droits de l’Homme adoptée par la Ligue des Etats arabes le 15 septembre 1994 stipule : « Réaffirmant leur attachement à la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme, aux Pactes Internationaux relatifs aux Droits de l’Homme et à la Déclaration islamique du Caire sur les Droits de l’Homme en Islam ».

Il serait grand temps que l’ensemble des acteurs (Nord et Sud) se réunissent et se mettent d’accord, dans un premier temps, sur un « minimum garanti » en matière de Droits de l’Homme ainsi que sur un calendrier d’approfondissement des Droits de l’Homme dans les pays du Sud, impliquant les moyens d’accompagnement du développement économique, social, culturel. L’approche globale serait efficace car il s’agit d’un tout.

Mustapha Benchenane,

Membre du Conseil Scientifique de la Fondation Méditerranéenne d’Etudes Stratégiques (F.M.E.S.), Politologue à l’Université René Descartes - Paris V