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Le traquenard tendu par l’extrême-droite chrétienne

lundi 19 mai 2008, par Amitié entre les peuples

Le traquenard tendu par l’extrême-droite chrétienne
Par Marie Perret

Vendredi 2 novembre 2007
Combat laïque
article publié dans la lettre 566

La récupération de l’affaire Truchelut par l’extrême-droite
Il y a de cela quelques semaines, des membres d’une organisation familiale laïque à laquelle j’appartiens, l’UFAL, signaient un communiqué de soutien à F. Truchelut. Ils se disaient scandalisés qu’elle ait été « traînée au tribunal » et prêts à tout faire pour qu’elle soit acquittée en appel.

Aujourd’hui ce texte ainsi que les noms de ses signataires circulent sur différents sites d’extrême-droite[1]. On peut y lire les villiéristes les plus réactionnaires séparer le bon grain de l’ivraie : les « bons laïques » (les signataires de ce texte de soutien) sont félicités pour leur courage tandis que les « mauvais laïques » (les membres ou les proches de la direction de l’UFAL qui ont expliqué les raisons pour lesquelles ils n’ont pas voulu, en dépit de leur horreur du voile islamique, soutenir F. Truchelut « sans condition »[2]) sont dénigrés. Et l’extrême-droite d’applaudir au triste spectable des divisions qui règnent sur cette question chez les militants laïques.

Les signataires de ce texte sont, pour la plupart d’entre eux, de bonne foi : ce sont des militants laïques et féministes sincères, qui, en signant ce communiqué, ont suivi leur premier mouvement. C’est parce qu’ils éprouvent une légitime horreur du voile islamique qu’ils ont soutenu F. Truchelut. Et pourtant, les faits sont là. En soutenant F. Truchelut sans condition, ils se prononcent, qu’ils le veuillent ou non, en faveur de l’interdiction du voile islamique dans la société civile : dans les parties communes des gîtes et des hôtels, mais aussi dans la rue, autant de lieux qui relèvent du même espace, à savoir l’espace civil. Ces signataires se retrouvent ainsi, à leur corps défendant, dans le même camp que l’extrême-droite villiériste dont il partage le mot d’ordre : débarrasser la société du voile islamique. S’ils sont de bonne foi, ils ne peuvent non plus ignorer qu’ils se trouvent désormais instrumentalisés par cette même extrême-droite, qui utilise cette légitime horreur du voile islamique dans la lutte qu’elle mène pour rechristianiser la société[3].

Qu’on ne se méprenne pas. Je ne suis pas en train d’assimiler ces signataires à l’extrême-droite. Il serait absurde de suspecter tous ces militants d’être des racistes anti-musulmans. Ces militants laïques et féministes ne sont pas devenus en une nuit des partisans de Philippe de Villiers. Je me garderai bien de lancer l’anathème. Et pour cause : je pense que la récupération à laquelle nous assistons aujourd’hui est l’effet d’une logique implacable qui dépasse les personnes. Cette logique conduit des militants d’une organisation familiale laïque à se faire enrôler, à leur insu, sous la bannière de l’extrême-droite chrétienne qui entend mener la guerre des civilisations contre l’intégrisme islamiste. Je n’accuse donc pas les militants dont les noms se retrouvent sur des sites d’extrême-droite d’être personnellement villiéristes. Je me propose d’établir la logique en vertu de laquelle ils sont devenus « villiéro-compatibles ».

La logique de l’islamogauchisme : comment la « laïcité ouverte » a servi de cheval de Troie à l’intégrisme islamiste
L’idée de guerre des civilisations, chère à G. W. Bush, repose sur l’opposition entre un nord riche et démocratique et un sud pauvre et islamisé, opposition que l’actuel président des Etats-Unis a toujours présentée comme un affrontement du Bien contre le Mal. On sait que Philippe de Villiers a fait sienne cette idée. C’était en effet l’une des rares « propositions » susceptibles de le distinguer du Front National qui a préféré, on s’en souvient, soutenir l’Iran contre les Etats-Unis.

Dans cette guerre des civilisations, chaque camp cherche à créer des alliances. Ce qui est fort remarquable, c’est que la constitution de ces alliances passe, à chaque fois, par une division au sein du camp des laïques.

Souvenons-nous de la façon dont l’un des représentants de l’intégrisme islamiste en Europe, à savoir Tariq Ramadan, est parvenu à s’attirer la bienveillance d’une fraction de la gauche engagée dans la lutte alter-mondialiste. Examinons les mécanismes qui ont rendu cette alliance possible. Elle a pu se sceller grâce à un sophisme : l’ennemi de mon ennemi est mon ami. L’ennemi étant le capitalisme mondialisé, l’intégrisme islamiste ayant déclaré la guerre au « Grand Satan », leurs représentants devenaient ipso facto respectables et leur obscurantisme exagéré. Cette alliance objective a enfanté une figure tourmentée, celle du néo-laïque : laïque intransigeant quand il s’agissait de lutter contre un intégrisme de droite ou venu du nord, celui-ci devenait tout à coup modéré et plein de scrupules face à l’intégrisme islamiste. C’est à la faveur du débat sur le voile islamique à l’école que le clivage est clairement apparu. Les néo-laïques défendaient la « laïcité ouverte », ce qui revenait à vouloir étendre le principe de tolérance à l’école publique[4]. Sous couvert d’ouvrir la laïcité, ils la dénaturaient et en affaiblissaient le principe. Ils niaient qu’à l’école publique les élèves font l’apprentissage de la citoyenneté et sont de ce fait soumis au principe de laïcité, c’est-à-dire à l’obligation de neutralité. Non contents d’affaiblir la laïcité, les néo-laïques oeuvraient à la communautarisation du corps politique : ils refusaient de prendre en considération l’exigence républicaine d’une séparation entre la figure du citoyen et celle de l’individu empirique, séparation dont les élèves font l’expérience à l’école.

La logique de l’ultra-laïcisme : comment l’ultra-laïcisme sert de cheval de Troie à l’intégrisme chrétien
Examinons maintenant les mécanismes qui rendent aujourd’hui possible l’alliance objective entre certains militants laïques et l’extrême-droite catholique. On trouve, derrière cette alliance, le même sophisme qui a rendu possible l’islamogauchisme. Seuls les protagonistes changent. L’ennemi étant cette fois l’intégrisme islamiste, « l’ennemi de son ennemi » étant l’extrême-droite chrétienne, ces militants se retrouvent sur le même mot d’ordre : il faut interdire le voile islamique dans la rue. Tout comme l’islamogauchisme a produit la figure du néo-laïque, cette seconde alliance engendre la figure de l’ultra-laïciste[5]. C’est à la faveur de l’affaire Truchelut qu’est apparu le second clivage qui divise, une fois encore, le camp des laïques. Il ne s’agit pas, cette fois, d’étendre le principe de tolérance à la sphère de la puissance publique, mais, à l’inverse, d’étendre la laïcité à la société civile. Sous couvert d’étendre la laïcité, les ultra-laïcistes en dénaturent le sens, et l’affaiblissent tout autant que les partisans de la « laïcité ouverte ». Ils nient que dans la société civile les individus jouissent, dans les limites du droit commun, de cette liberté démocratique fondamentale qu’est la liberté d’afficher leurs particularismes. Non contents d’affaiblir le principe de laïcité en le dénaturant, les ultra-laïcistes remettent en question le principe qui régit toute société civile démocratique, à savoir le principe de tolérance, mais aussi la liberté inaliénable qui en découle, à savoir la liberté d’expression. Hier, il fallait défendre la sphère de la puissance publique contre les promoteurs de la laïcité ouverte. Il faut aujourd’hui défendre la société contre les promoteurs d’une laïcité intégrale. La laïcité a été, on le voit, le cheval de Troie de l’intégrisme islamiste. Elle est en passe aujourd’hui d’être celui de l’intégrisme chrétien. Les deux opérations reposaient sur le même sophisme. Elles passaient toutes deux par une dénaturation du concept de laïcité. Elles ont chacune produit un clivage dans le camp des laïques.

Sortir de la logique de la guerre des civilisations
La question qui se pose aux laïques est la suivante : l’horreur légitime que nous éprouvons à l’égard du voile doit-elle nous conduire, oui ou non, à lutter aux côtés de ceux qui, sous couvert d’un féminisme à géométrie variable, veulent rechristianiser la société ? Non. L’horreur du voile n’est pas un motif suffisant pour se laisser entraîner dans la guerre des civilisations.

L’horreur est une passion. Il est deux rapports possibles à une passion. On peut se laisser entraîner par elle en suivant son premier mouvement. C’est ce qu’ont fait les néo-laïques : la passion qui les animait était la culpabilité à l’égard de la « religion des pauvres ». Faute d’avoir été capables de réfléchir cette passion, de l’analyser et de s’en distancier, ils se sont laissés entraînés dans la logique de l’islamogauchisme. On sait ce qu’il leur en a coûté. Lorsque cette logique est arrivée à son terme, la contradiction est devenue manifeste : les organisations de gauche (anti-racistes ou alter-mondialistes) qui se retrouvaient dans le même camp que les promoteurs de l’obscurantisme et du totalitarisme ont perdu des militants. Les militants laïques auraient tort de céder à leur passion. Ils savent déjà ce qu’il en coûte à ceux qui ont suivi leur premier mouvement : se voir décerner la médaille du mérite laïque par des sites pour le moins nauséabonds.

Pour enrayer cette logique, il convient de clarifier notre position de principe et notre stratégie. Contre les promoteurs de la laïcité ouverte et contre les promoteurs de la laïcité intégrale, il convient de réaffirmer le principe d’une stricte laïcité : le principe de laïcité s’applique dans la sphère de la puissance publique et dans cette sphère seulement. La société civile et a fortiori l’espace privé sont régis par le principe de tolérance[6].

Il faut en effet rappeler aux partisans d’une laïcité intégrale qu’on ne saurait vouloir absolutiser la laïcité sans commettre un grave contresens. La laïcité n’est pas un absolu : elle n’est pas une fin en soi. Elle est un moyen : le moyen que la République s’est donné pour protéger le corps politique, c’est-à-dire le corps formé par les citoyens, des visées communautaristes. La laïcité, par conséquent, n’est pas une doctrine. Elle n’est pas une « arme anti-religion ». La laïcité opère comme un principe constitutif : elle permet de constituer un espace soustrait aux particularismes dans lequel les citoyens peuvent produire la volonté générale. Cela signifie-t-il que les laïques doivent abandonner le combat en faveur de l’émancipation et de la dignité des femmes ? Bien sûr que non. La stratégie que nous adoptons n’est tout simplement pas la même que celle des signataires de la pétition de soutien à F. Truchelut. Dans cette lutte, nous estimons qu’il faut distinguer ce qui relève du combat idéologique de ce qui relève du combat législatif. Demander au législateur d’interdire le port du foulard islamique dans la société civile serait liberticide. Demander qu’il applique la loi pour que la port de la burqua soit interdit dans la société civile est en revanche légitime. A partir du moment où le visage est entièrement voilé, l’individu n’est plus identifiable. Il y a donc transgression de ce principe fondamental du droit commun qu’est la sécurité. Il suffit de demander à ce que le droit commun soit appliqué. Si le combat contre le voile islamique ne saurait être un combat législatif, il n’en reste pas moins un combat idéologique que les laïques doivent mener. Ainsi, renoncer à faire usage de notre liberté d’expression en taisant notre horreur du voile islamique serait reculer face à l’obscurantisme. Aussi continuerons-nous à faire notre travail d’éducation populaire, en particulier dans les quartiers, pour convaincre les femmes de retirer leur voile.

Ne cédons pas à notre passion en nous laissant entraîner là où l’extrême-droite chrétienne rêve d’entraîner les laïques. Mais ne cédons pas non plus sur notre passion : continuons dans le champ social le combat en faveur de l’émancipation des femmes.

Notes
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[2] Sont expressement cités : Bernard Teper, Catherine Kintzler et Caroline Fourest.

[3] J’invite les plus incrédules à bien lire l’article de Nicole Dagnel publié dans Riposte laïque : ce texte sidérant atteste qu’ à défaut d’être devenu villiériste, ce journal est bien devenu villiéro-compatible. Ils devraient s’étrangler en apprenant que « le christianisme est la religion dont procède, en grande partie, notre culture » et qu’ « elle fait partie de notre « paysage », alors que l’islam est au contraire une religion exogène ». Hiérarchiser les religions à partir du critère du terroir, voilà qui ne devrait pas déplaire aux maurassiens. Dans cet article qui n’est pas sans rappeler le catéchisme de nos grands-mères, ils apprendront également qu’on a raison de dire des religieuses qu’elles sont de « bonnes » soeurs, puisqu’elles se consacrent « à soulager toutes les détresses », qu’elles « parlent d’amour, de charité, de pardon ». Les anti-cléricaux les plus virulents ne devraient pas résister à cet édifiant et touchant portrait de la bonne soeur dont la « réputation n’est pas usurpée, malgré une certaine entreprise de démolition orchestrée contre les religieuses dans leur ensemble ».

[4] On ne saurait trop conseiller de lire sur ce point l’analyse de C. Kintzler dans son ouvrage Qu’est-ce que la laïcité, Paris, Vrin, 2007.

[5] Article de C. Kintzler publié dans Respublica

[6] Il convient de clarifier la topologie en distinguant trois types d’espace : la sphère de la puissance publique (par exemple la salle d’un conseil municipal, l’Assemblée nationale, ou encore l’école publique), l’espace civil ou société civile (ce sont tous les lieux où l’individu peut, sous le regard d’autrui, jouir de ses droits : le droit de se déplacer, de commercer, etc. Par exemple : voie publique, halls de gare, commerces, musées, piscines, stades, restaurants...) et l’espace privé (ce sont tous les lieux où l’individu est à l’abri du regard d’autrui. Par exemple : chez moi, dans la chambre d’hôtel que j’ai payée, dans un club privé, etc.).

par Marie Perret
membre du Bureau National de l’UFAL voir tous ses articles

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