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Le salariat, cœur des luttes sociales - Pierre Ruscassie

lundi 30 septembre 2019, par Amitié entre les peuples

Le salariat, cœur des luttes sociales

29/09/2019 | Pierre Ruscassie

Dans les pays industrialisés où le statut salarial, fondé sur l’exploitation de la force de travail, a absorbé les travailleurs indépendants qui dominaient le secteur tertiaire, les ouvriers d’industrie ne constituent plus l’essentiel des salariés. La classe ouvrière s’est élargie en classe salariale qui constitue désormais plus de 90 % de la population active en France. Neuf dixièmes de la population y vit principalement de revenus salariaux ou cherche à en vivre.

Ayant vendu l’usage de leur force de travail et étant dépossédés d’une partie de la valeur qu’elle crée, les salariés sont subordonnés et exploités. Leur lutte consiste donc à conquérir des droits auxquels tous les humains devraient avoir accès. Le caractère stratégique de certaines branches d’activité permet à leurs salariés de bloquer l’économie du pays et d’établir un rapport de forces qui, lors d’un conflit, peut se révéler décisif. Les deux raisons pour lesquelles la lutte des salariés pour leurs droits s’impose comme la lutte de classes la plus importante, celle qui est au centre de la vie politique, provient d’une part de la place prépondérante qu’ils occupent dans les pays capitalistes développés et, d’autre part, de cette capacité de bloquer l’économie.

Lutte de classes et luttes sociales

Cependant, d’autres luttes sociales, qui ne mettent pas en cause la vente de la force de travail, créent des mobilisations sociales susceptibles de provoquer des affrontements politiques centraux. Il peut s’agir de luttes contre d’autres formes d’exploitation, par exemple contre l’exploitation des sous-traitants par les donneurs d’ordre ou encore contre le partage inégalitaire du travail domestique.

À l’instar du combat féministe, certaines luttes ne naissent pas d’une exploitation de classe, mais du refus de respecter un droit, notamment en s’abstenant de légiférer ou en démantelant un service public (d’éducation, de santé, de logement, de transport, d’eau ou d’énergie...). Toute la population est alors concernée, pas seulement une minorité, ni même une forte majorité.

D’ailleurs, ces mobilisations peuvent être aussi massives que celles des salariés. Un million de laïques s’étaient par exemple rassemblés à Paris en janvier 1994 contre l’aggravation de la loi Falloux. Ces mobilisations démocratiques ont un caractère commun : leur but est l’accès de toutes et tous à des droits. Il s’agit donc de pouvoir accéder à des droits universels.

L’accès à des droits satisfait des intérêts matériels ou moraux. Leur formulation est une réponse aux intérêts qui s’affrontent. Mais c’est aussi le résultat d’un jugement politique qui dépasse les intérêts contradictoires en présence. Le syndicalisme consiste à conquérir ces droits universels en les construisant à partir de revendications sectorielles : syndicalisme salarié, syndicalisme de la Fonction publique, luttes paysannes etc.

Le clivage gauche-droite

La gauche rassemble tous ceux qui s’identifient aux valeurs de la démocratie, c’est-à-dire au respect des droits universels. C’est une communauté identitaire qui prend racine dans toutes les mobilisations pour les droits : en premier lieu, celles des salariés (90 % de la population), mais aussi celles des femmes (53 % de la population), des immigrés, des minorités sexuelles, etc.

Appartiennent à la gauche celles et ceux qui possèdent l’identité subjective démocratique : une partie importante du salariat, des fonctionnaires, des féministes, des laïques, de la jeunesse et une minorité des travailleurs indépendants et de la paysannerie. Appartiennent à la droite celles et ceux qui possèdent une identité subjective élitiste.

L’ensemble des salariées et salariés constitue une collectivité statutaire : en sont membres celles et ceux qui possèdent le statut salarial, pôle subordonné du rapport objectif salariat-capital.

Vox populi ?

Pour rendre compte de la réalité sociale et politique, nous devons refuser de réduire le salariat à la « classe ouvrière », distinguer les identités subjectives des statuts objectifs, comprendre que la gauche est une classe « pour soi ». En restant prisonnier d’une conception mécaniste, en mélangeant identités et statuts, on ne peut pas comprendre le clivage gauche-droite qui est pourtant le premier clivage politique perçu à une échelle de masse. Il est alors tentant de considérer ce clivage comme dépassé.

C’est ce qui est arrivé à Ernesto Laclau et à Chantal Mouffe, suivis par Jean-Luc Mélenchon. En abandonnant l’analyse du combat politique comme concentré de la lutte de classes, Mélenchon et d’autres ne mettent pas l’unification de la gauche au centre de leur stratégie. Ils « oublient » la démocratie qu’ils ne définissent pas comme respect des droits, mais qu’ils réduisent à la citoyenneté. Ils prétendent, aujourd’hui, que seuls ceux qui les suivent sont le peuple. Diront-ils demain : « Puisque le peuple votre contre nous, il faut dissoudre le peuple », pour pasticher la fameuse formule de Bertolt Brecht ?

Cet article de notre camarade Pierre Ruscassie a été publié dans le dossier « Revenir aux fondamentaux, et vite ! » du numéro de septembre de Démocratie&Socialisme, la revue de la Gauche démocratique et sociale (GDS).

http://www.gds-ds.org/le-salariat-coeur-des-luttes-sociales-2/