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Le réformateur Mohamed Talbi n’est plus. M Louizi

mardi 2 mai 2017, par Amitié entre les peuples

Le réformateur Mohamed Talbi n’est plus.

Mohamed Louizi

source :
https://www.facebook.com/mohamed.louizi?fref=ufi

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Le 26 mai 2007, il y a dix ans, j’avais publié sur mon blog « Ecrire sans censures ! », une interview qu’avait accordée le réformateur tunisien Mohamed Talbi au Nouvel Observateur (L’Obs). Il fait partie de ce cortège d’intellectuels qui m’avaient sauvé de l’idéologie des Frères musulmans, à un moment clé de ma vie. Son plaidoyer pour une « lecture vectorielle du Coran » m’a ouvert l’esprit sur la nécessité, pour l’homme de foi que je suis, de lire le texte coranique avec mes yeux et non avec les yeux de ceux qui ont habité l’Arabie, il y 1400 ans. Cette « lecture vectorielle » est aux antipodes de la lecture frérosalafiste qui ordonne, sous la contrainte et la menace, aux vivants d’aujourd’hui, d’être dans la répétition mécanique inconsciente, dénuée de tout esprit critique, de ce que des morts, les prédécesseurs (Salafs), avaient compris, fait et transmis. Il comptait beaucoup sur l’Occident, espace des libertés, pour que la réforme de l’islam soit amorcée, au plus vite. Point de réforme en l’absence de liberté. Une liberté qui s’arrache et qui n’est jamais facile à obtenir, à entretenir.
Il disait : « Je pense que le réformisme va réussir dans les communautés minoritaires d’Occident, là où il y a liberté ». Il comptait sur les musulmans d’Occident pour engager leur conscience dans un travail urgent de réforme structurelle et profonde. Il disait : « Si l’on arrive, au sein des musulmans d’Occident, à condamner la lapidation, par exemple. C’est impossible, m’objecterez-vous. L’essentiel, c’est qu’en conscience ce soit intégré que les musulmans d’Europe disent : « Ça, ce n’est pas notre islam », et non : « Hélas ! je n’ai pas tué ma femme qui est adultère ! C’est parce que la loi m’en empêche. Mais moi, en tant que musulman, j’aurais dû la mettre dans un trou et la faire lapider. Malheureusement, il n’y a pas de charia ici… ». Tant qu’il y aura des musulmans qui, à Paris, raisonneront ainsi, ce sera la faillite de l’islam ». Il avait lancé un appel aux musulmans d’Occident : « Il faut que les musulmans se réforment de l’intérieur, dans leur conscience musulmane, et arrivent à la conviction intime qu’ils sont en harmonie avec eux-mêmes tout en rejetant ce qui est contre la modernité, la justice, l’humanisme et qui n’est que le produit d’une époque révolue » !

Ainsi parla Mohamed Talbi. Je regrette tristement que dans certains rassemblements dits de « musulmans de France », on n’ait jamais eu le courage d’inviter Mohamed Talbi de son vivant. On ne l’a jamais fait connaître à cette jeunesse française musulmane. Cela aurait pu la convaincre de s’inspirer des réflexions de ce grand homme, entre autres réformateurs, au lieu qu’elle soit manipulée et orientée pour n’écouter que les recommandations rétrogrades d’un certain nombre de criminels de guerre, habillés en saints. Mohamed Talbi voyait en Paris un espoir. Mais Paris semble être tombée désormais sous le charme de l’idéologie frérosalafiste. Elle en fait presque une préférence pour « réguler » une population, des territoires, voire « contrôler » des citoyens de sentiment religieux musulmans. Les frérosalafsites sont même promis, dans certains mouvements politiques dits de « renouvellement », à la veille d’élections majeures, et pensent pouvoir influencer le cours de l’avenir de la République, pour reproduire les bévues d’un passé bédouin très lointain.

Mohamed Talbi, au nom de sa « lecture vectorielle du Coran » rejette le corpus des propos (hadiths) attribués au prophète Mohammed. Et par conséquent, il rejette l’idée selon laquelle le « voile », dit islamique, serait une prescription religieuse. Il rejette les châtiments corporels issus de ladite Charia. Il rejette le jihadisme. Il rejette l’idée qu’il y aurait un crime d’apostasie. Il défend la liberté de conscience sans réserve. Il ne considère pas l’alcool ou le vin comme un interdit islamique. Le réformiste tunisien considère qu’« Il n’y a pas eu d’interdiction ouverte et claire à propos de la consommation de la boisson alcoolisée dans le Coran ». Ce qui serait interdit, selon lui, c’est l’état d’ivresse en soi, et non la consommation modérée du bon vin. Ses positions l’ont désigné comme cible des attaques frérosalafistes en Tunisie et dans le monde arabe. Mohamed Talbi est mort à l’âge de 95 ans, dans la nuit du 30 avril au 1er mai. C’est une triste perte alors que l’obscurantisme avance à grand pas, à Tunis comme à Paris. De nombreux médias français lui ont consacré un article depuis quelques heures (Le Monde, RFI, Jeune Afrique, Le Parsien,...).

Les Frères musulmans du mouvement Ennahda tunisien de Rached el-Ghannouchi ont officiellement présenté leur condoléance. Toutefois, selon la presse tunisienne, d’autres frères tunisiens se sont activés sur les réseaux sociaux pour insulter sa mémoire et rappeler qu’il fut « apostat ». Quant à l’UOIF, qui a l’habitude de publier des communiqués, comme lors du décès de l’islamiste soudanais Hassan al-Tourabi (mars 2016), entre autres, ou suite à la tentative d’assassinat du salafiste saoudien Aid Al Qarni, aux Philippines (mars 2016), elle n’a toujours pas publié un communiqué de condoléance suite à la mort de ce réformiste musulman francophone, un des fondateurs de l’université tunisienne, le premier doyen de la faculté des lettres et des sciences humaines à Tunis. Puisse Mohamed Talbi reposer en paix. La réforme se poursuit.⏸