Accueil > Altermondialisme > Altermondialisme / Internationalisme > Critiques, résistances et perspectives stratégiques > EN-BAS : Peuple social ou peuple classe ? Christian Delarue

EN-BAS : Peuple social ou peuple classe ? Christian Delarue

mercredi 10 août 2022, par Amitié entre les peuples

EN-BAS : Peuple-social ou peuple-classe ?

Eléments d’une contribution théorique plus large ou il s’agissait de croiser, -d’imbriquer - « l’ordre des classes » (le classisme) et « l’ordre des peuples », (les populismes) pour reprendre les deux formules de feu Georges LABICA. Voir ici le texte sur Mediapart sur le Populisme de gauche : en défense du peuple-classe.

Cette fraction texte se donne juste, à nouveau, pour objet de distinguer le peuple social du peuple-classe. Une première distinction, opérée en 2014, ne me paraissant plus suffisante ou pertinente : Le peuple social n’est pas le peuple-classe

Sont ici mobilisées deux distinctions : 1) peuple-tout et peuple-fraction (I Tamba) et 2) « ordre des peuples » et « ordre des classes » (G Labica).

En arrière plan de cette distinction on trouve quelques idées marxiennes notées par Isabelle Garo (cf son article de 2016 Le peuple chez Marx entre prolétariat et Nation sur Contretemps ) comme « Marx se défie de toute conception organique du peuple » ou « Le peuple n’est jamais détaché par Marx de tout clivage social » ou « le peuple désigne les groupes sociaux opposés à l’aristocratie » ou « il n’est pas le substantif indifférenciant que les usages postérieurs valoriseront ». Je ne retiens ici que les seules idées qui servent de préalable introductif a cette distinction entre peuple-classe et peuple social, le premier dans la conflictualité sociale, le second simplement objet de politiques publiques des institutions et classes dirigeantes.

Thèse 1 : Le peuple social et le peuple-classe ont pour point commun d’être un peuple fraction de la communauté globale.

Explicitons : Ces deux catégories de peuple à distinguer relèvent du peuple fraction ou du peuple partie. On distingue en effet, en terme de catégorie de pensée (cf Irène TEMBA - 3) le peuple tout ou peuple totalité différent du peuple fraction ou peuple partie. Le peuple tout est communautaire et non divisé en interne. Il est en quelque sorte le « peuple tout entier » ce qui n’empêche nullement de montrer un « eux » extérieur : les résidents étrangers par exemple. Le peuple fraction ou peuple partie serait pour prendre un exemple de science politique le peuple opposé aux élites. C’est donc grosso modo un peuple d’en-bas distinct ou opposé à un groupe d’en-haut.

Thèse 2 : Le « peuple social » est le peuple d’en-bas

Le peuple social possède deux significations : Le peuple social a d’abord un premier sens générique de peuple d’en-bas, sans plus de précision. Mais il est aussi plus particulièrement un peuple-objet. En ce sens, le peuple social est la fraction de peuple objet de réflexions diverses et objet de politiques publiques des classes dirigeantes et de l’Administration, celle qui pense par exemple qu’il faut relever le SMIC (ou pas) ou favoriser le logement social (ou pas) . Ce peuple social est ici objet d’une pensée politique et administrative sans qu’on lui demande rien ou peu.

Thèse 3 : Le peuple-classe est la large fraction dominée du peuple totalité.

Le peuple-classe est la large fraction dominée du peuple-nation ou du peuple souverain, d’un peuple ethno-culturel, d’un peuple démocratico-citoyen.
Il y a une différence nette avec l’ajout du terme « dominé » dans sa définition. La dite domination montre comme souvent un rapport social donc une tension entre une classe dominante surplombante et le reste du peuple. Notez que le peuple social n’est pas lui pris dans un rapport d’opposition entre la ou les classes dominantes et lui car cela définit précisément le peuple-classe.

Thèse 4 : Le peuple-classe est aussi la catégorie populiste de gauche mobilisée par les forces d’émancipation

Le peuple-classe est pensé dans le cadre d’une dynamique émancipatrice et politique. Il est en quelque sorte la catégorie politique « populiste de gauche » mobilisée par les forces d’une émancipation économico-sociale et politique contre le 1%, qui est lui la représentation simplifiée des classes dominantes, notamment depuis les analyses de Thomas Picketty et depuis « we are the 99% ». Il y a donc un usage néo-marxiste de ce concept peuple-classe 99% de par les forces de gauche ou altermondialistes ou syndicales car les classes sociales dominantes sont vues comme présentes quasiment partout dans chaque nation. La solidarité entre les peuples 99% relève d’un nouvel internationalisme. Pour ma part, j’ai même posé une « humanité-classe » des 99% du monde sous un 1% mondial mais cela reste marginal.

Thèse 5 : Les classes sociales dominantes sont présentes quasiment partout dans chaque nation.

On dira qu’il y a universalisation du phénomène que la formation sociale soit considéré comme capitaliste ou à dominante capitaliste ou d’une autre nature . Ici la classe sociale en soi et pour soi c’est la bourgeoisie, c’est la classe dominante ce n’est pas le peuple-classe. Il y a plusieurs théorisations de la ou des classes sociales dominantes. Jacques Bidet parle des classes dominantes. On peut alors y voir une double division interne : division horizontale (selon les niveaux de richesse au sein du 1%) et verticale en deux lignes une de type privée-capitaliste et une de type publique-néolibérale avec des passages. Tout en en haut on trouve la haute bourgeoisie mais aussi sur un autre registre l’oligarchie.

Thèse 6 : Peuple-classe et imbrication de deux ordres

Avec peuple-classe il y a croisement d’une dimension populiste (stratification et distinction en-haut et en-bas) et classiste (rapport social). Il y a pour le dire avec feu Georges LABICA (4) imbrication de « l’ordre des peuples » et de « l’ordre des classes » .

Evoquer par exemple un en-haut riche et un en-bas non riche relève de la simple stratification en terme de déciles et fraction de décile pour isoler le 1%, ce qui constitue une reprise de la vieille contradiction peuple-élite mais dans un nouveau contexte, celui de la « guerre des classes » dit classisme : écoutez ici Waren Buffet. Par contre, continuer à évoquer les travailleurs et travailleuses salariées soit ceux et celles qui vendent leur force de travail relèvent d’une conception en terme de classe sociale.

L’imbrication ou le croisement signifie que l’on considère les deux façons de voir la conflictualité sociale mais que celle-ci est variable selon les auteur-es.
Voir addendum

Christian DELARUE
Militant pour une alternative sociale globale

3 - Irène TAMBA in Le peuple existe-t-il ? Ed Sciences Humaines 2012
Sous la direction de Michel Wieviorka

4 - De feu Georges LABICA lire Le grand Hornu La Brèche

Autres sources à lire - outre Irène TaMBA - sur peuple-classe :
 « Par le peuple, Pour le peuple. Le populisme et les démocraties » par Yves Mény et Yves Surel (Paris, Fayard, 2000, Coll Espace du politique) - ouvrage qui fait la distinction entre peuple-nation et peuple-classe .

 Annie Geffroy fait aussi référence à la notion de peuple-classe au sens de « désignant social » dans son article « Le peuple selon Robespierre » (in « Permanences de la Révolution - pour un autre bicentenaire » (Ouvrage collectif éditions La Brèche PEC 1989).

XX

CLASSISME : Ordre des classes sociales.

Le classisme se définit au-dela de la simple discrimination ou du simple mépris de classe car il est aussi une large politique globale de la (ou des) classe(s) dominante(s) tant en interne (politique d’austérité dans le cadre national contre les 99%) qu’en externe (impérialisme multiforme contre d’autres nations)

J’ai pu lire (sur le Figaro) cette suite : « Classisme », « paupérophobie », « Pauvrophobie », « pauvrisme », « ptochophobie », « misérophobie »… Comment nommer la discrimination pour précarité sociale ? Mais le « classisme » comme domination de classe ou politique de classe ne se contente pas de viser les pauvres et les miséreux. Elle ne se contente pas non plus de discriminer. Le classisme c’est plus que cela !

Il s’agit d’un dispositif d’ensemble, un dispositif de domination de la classe dominante (au singulier ou « bicéphale »), souvent vue comme située dans le 1% d’en-haut. Elle serait classe dominante objectivement - soit classe en soi - et subjectivement - soit classe pour soi. Et cela se manifesterait par des politiques, dans et hors entreprise, d’inégalités économiques et sociales accrues. Des politiques d’accroissement du temps de travail tant hebdomadaire qu’en fin de carrière avec recul de l’âge de départ avec droits pleins.

Addendum :
Le en-bas non riche peut connaitre plusieurs niveaux outre l’affrontement de classe de type prolétariat exploité - patron exploiteur qui perdure : Face au marché dans la sphère de la circulation marchande on a pu isoler récemment une « sous-bourgeoisie » aisée au-dessus des 80% d’en-bas et sous le 1% riche d’en-haut.
Les 2/3 d’en-bas (moins de 2300€ net) ou les 80% d’en-bas sont alors celles et ceux qui épuisent la totalité de leur revenu mensuel en fin de mois voire bien avant pour les plus modestes. Et quand ils épargnent ce sont alors des sommes faibles à côté des riches et destinées à ce qu’on nomme l’épargne réglementée.
La sous-bourgeoisie aisée épargne mais elle ne dispose pas nécessairement d’un patrimoine immobilier. Faut distinguer en son sein : Elle est globalement aisée mais pas riche . La sous-bourgeoisie est aussi diverse en terme d’inscription dans un rapport social de classe car elle peut être salariée ou indépendante ou patronale et défendre alors des revendications différentes. La CGT des cadres (UGICT) défend un encadrement certes ambigu car il est a la fois chargé de la mise en oeuvre de la logique capitaliste (pour les cadres non techniques et plus managers) et relativement bien payé pour cela (en principe) mais il subit lui aussi, comme le prolétariat de base, l’exploitation de la force de travail par la classe dominante capitaliste : intensification du travail, tendance lourde à travailler plus de 35 heures par semaine, etc.

Précédents textes sur le sujet
1) Revue Mouvements : Classe dominante et oligarchie contre peuple souverain et peuple-classe.
https://mouvements.info/classe-dominante-et-oligarchie-contre-peuple-souverain-et-peuple-classe/

2) CADTM : Penser l’oligarchie, la classe dominante et le peuple-classe.
https://www.cadtm.org/Penser-l-oligarchie-la-classe-dominante-et-le-peuple-classe