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Le peuple est polyphonique certes, mais pas introuvable. C Delarue

jeudi 19 juillet 2012, par Amitié entre les peuples

Le peuple est polyphonique certes, mais pas introuvable.

Comme Pierre Rosanvallon (1) je vois le peuple « polyphonique » mais, par contre, pas du tout introuvable. Pour le « trouver » il est nécessaire de le penser sous plusieurs formats, plusieurs contenus, plusieurs sens. C’est ce qu’il ne faut pas lâcher si l’on se place dans une perspective critique mais aussi politique d’alternative systémique (et non dans un cadre neutre ou de simple alternance).

Il n’y a pas un peuple mais divers peuples, sauf lorsque l’on parle du peuple qui surgit sur la scène de l’histoire et qui crée l’évènement. Gus Massiah évoque souvent ce peuple dans son sens subjectif et actif . L’histoire récente lui donne raison mais l’histoire française de l’ élection présidentielle 2012 montre aussi qu’il a eu des peuples en soi, des peuples auxquels des acteurs s’adressent.

Deux grandes catégories de « peuple » sont donc pensables : d’une part ceux objet de discours adressés par les candidats aux élections mais aussi ceux des acteurs sociaux réactionnaires (parole à peuple-ethnique catho-laique du terroir ) ou progressistes comme ATTAC, le CADTM ou la Fondation Copernic (ici plutôt au sens de peuple-classe) ; d’autre part ceux qui ont détrôné les dictateurs arabes.

Les révolutions arabes ont en effet montré des peuples « pour soi », des peuples actifs pour leur émancipation (politique si ce n’est sociale). Aux sociologues et analystes de préciser la composition sociale des ces peuples en lutte, de dire aussi leurs revendications. Ce fut d’ailleurs largement fait. Un auteur a pu parler par exemple pour l’Egypte d’un choix possible entre trois révolutions : permanente (du peuple-classe), détournée (par les islamistes), confisquée (par l’armée).

Dans un texte tiré de la leçon inaugurale prononcée lors des 26es Rencontres de Pétrarque 2011, organisées autour du thème : le peuple a-t-il un avenir ?.Pierre Rosanvallon « invite à rendre la démocratie polyphonique, car le peuple ne parle pas d’une seule voix ». L’année 2011-2012 a été marquée par ce que Politis a appelé à juste titre « le retour du peuple » . De Jean-Luc Mélenchon à Mar. Le Pen en passant par Nicolas Sarkozy le peuple a effectivement eu des formats et des contenus différents.

Parler à un peuple ethnique français ancestral c’est tenir un discours différent que celui adressé au peuple nation d’ après 1789 et c’est encore plus différent de celui adressé au peuple-classe, les fameux 97 à 99% d’en-bas qui intègrent les résidents étrangers qui n’ont pas (encore) le droit de vote.

Dans chaque catégorie de peuple ordinairement référencé pour l’aide à l’analyse il peut y avoir encore des distinctions plus fines à faire. Mais le propre d’une catégorisation pertinente est de montrer des cohérences qui permettent d’ordonner un réel complexe voir chaotique ou instrumentalisé. A qui s’adressait N Sarkozy avant le second tour lorsqu’il lançait « mes chers compatriotes » ? Pourtant la notion de citoyen est suffisamment abstraite et interclassante pour la droite. Son compatriote était une adresse aux membres et surtout aux proches du FN. Pour un discours adressé au peuple démocratique, aux citoyens, il requiert analyse concrète du contexte ou des habitudes du locuteur. A quel citoyen s’adresse-t-il ordinairement ? Change-t-il (ou elle) son discours devant des altermondialistes après avoir dialogué avec des grands patrons ?

C’est qu’il y a ainsi que le dit Pierre Rosanvallon « un écart entre l’évidence d’un principe, la souveraineté du peuple, le pouvoir au peuple, et le caractère problématique de ce peuple comme sujet social et politique ». Il ajoute « Le problème est en effet que c’est une puissance indéterminée ». C’est bien pour cela que les discours politiques des partis ou des associations joue sur différents registres pour qu’une version soit mobilisée et pas une autre. Ce qui signifie que si le peuple est certes problématique, il n’est pas introuvable.

Il est discuté ici une partie d’un texte de Pierre Rosanvallon mais avec peu de références à la démocratie électorale, donc sans évoquer « le peuple électoral a fondement arithmétique », sans croire que « le fait majoritaire est »un pouvoir du dernier mot« , ni que la démocratie actuelle a la capacité de dégager un intérêt général ou un bien commun à tous. D’une certaine manière cette position entérine une forme de désillusion qui peut se trouver qualifiée de populiste. En fait, l’aspect démocratique n’est pas oublié mais pensé dans une perspective, un autre contexte ou un saut qualitatif dans la démocratisation permet de penser sérieusement à une alterdémocratie. Autrement dit, avant la démocratie élective, il y a la démocratie de mobilisation. Pierre Rosanvallon tend à effacer ou relativiser cette étape pour se placer directement dans la phase électorale. On fait ici l’hypothèse que plus on pense implicitement la démocratie dans le cadre de l’alternance institutionnelle et systèmique plus on évacue la »rue« au profit des »urnes".

Le peuple en soi ou peuple sociologique : Dans la vie ordinaire des démocraties, les acteurs s’adressent à un type de peuple prédéterminé sociologiquement voire abstraitement. P Rosanvallon dit : « le travail de la représentation démocratique va impliquer la constitution d’un peuple fictif ». Un peuple issu d’une « vision politique et d’une élaboration intellectuelle ». Il s’agit quand même d’un peuple. Et pour les acteurs de mobilisation il va s’agir de faire advenir ce peuple-là et pas un autre.

Le peuple pour soi ou le peuple mobilisé.« Quand on fait référence à Michelet, à Vallès, ou à tous ceux qui ont été les chantres du peuple dans l’histoire ou dans la littérature, ils ne parlent pas simplement d’un fait sociologique. Sous leur plume, le peuple est d’abord une force historique active. Parler du peuple c’est pour eux faire référence à une foule qui avance dans la rue, à un groupe qui intervient pour rompre l’ordre des choses. C’est toujours parler d’une action qui est en train de se faire, d’une révolution qui est en train de s’opérer et pas simplement d’un groupe social. C’est pour eux un peuple-évènement, une force qui infléchit le cours de l’histoire, un concept qui se fait chair dans l’action et s’abîme en elle. »

Christian DELARUE

Penser le populisme
par Pierre Rosanvallon [27-09-2011]

http://www.laviedesidees.fr/spip.php?page=print&id_article=1635