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Le Mur colonial israélien en Cisjordanie et ses conséquences C Léostic (AFPS)

vendredi 10 mai 2013, par Amitié entre les peuples

Le Mur colonial israélien en Cisjordanie et ses conséquences

Claude Léostic, samedi 10 avril 2004

Alors que la Ligne Verte qui marque la démar­cation entre les ter­ri­toires pales­tinien et israélien à l’issue de la guerre de 1967 fait environ 350km, le Mur colonial d’Apartheid et d’annexion qu’Israël érige en Cis­jor­danie devait s’étendre sur730 km du nord (où la construction a com­mencé à Salem près de Jénine dès juin2002) au sud (au delà de Bethléem et Hébron).

Si l’on compare même super­fi­ciel­lement les cartes de l’automne 2002 aux pré­cé­dentes, qu’elles soient celles du gou­ver­nement Sharon ou celles que les orga­ni­sa­tions pales­ti­niennes tra­çaient à partir des ordres d’expulsion, on constate immé­dia­tement que le tracé ori­ginel, qui ne s’éloignait pas trop consi­dé­ra­blement de la Ligne Verte, en est main­tenant très loin par endroits.

Le nouveau tracé, imposé à Sharon par la pression des colons, agréé par le par­lement israélien le 1÷10÷2003, amène le Mur, qui s’insinue à 6 km en ter­ri­toire pales­tinien à Jayyous près de Qal­qilyia, jusqu’à 22 km à l’intérieur de la Cis­jor­danie, pour inclure les colonies de peu­plement d’Ariel ou Emmanuel non loin de Salfit, au sud ouest de Naplouse. La Knesset a voté aussi l’autorisation au gou­ver­nement Sharon de modifier à nouveau le tracé.

En février 2004, sous pression inter­na­tionale et à grand renfort de publicité média­tique, le général Sharon a fait démolir une portion minime du Mur dans le dis­trict de Tulkarem.

Le village de Baqa Al Sharqiya qui comme plus de 40 loca­lités pales­ti­niennes était coupé de la Cis­jor­danie, enclavé depuis des mois, empri­sonné par deux por­tails dont l’ouverture spo­ra­dique était l’occasion d’humiliations sys­té­ma­tiques, s’est vu « réuni » à son envi­ron­nement. Mais qu’on ne s’y trompe pas ! Dans le même temps le gou­ver­nement israélien a fait construire un autre mur, de 8 m de hauteur aussi, à l’ouest cette fois du village qui se retrouve ainsi séparé des autres vil­lages pales­ti­niens d’Israël avec qui les liens sociaux com­mer­ciaux et fami­liaux n’avaient jamais été coupés, Ligne Verte ou pas.

Dans le projet actuel, le Mur, qui s’étale sur 70 à 100 m selon les lieux, devrait faire 650km de long, avec des por­tails d’accès espacés, dans une zone devenue mili­taire fermée.

150 km ont été construits à ce jour, de l’ouest de Jénine au sud de Qal­qilyia, une autre portion s’introduisant dans Jérusalem-​​ est, tandis que la construction isole Ramallah par le sud et Bethléem. Des « bar­rières inté­rieures » doivent s’ajouter au Mur.

48 colonies de peu­plement juives sont déjà incluses dans les ter­ri­toires confisqués, annexés de facto au ter­ri­toire israélien, au mépris des conven­tions inter­na­tio­nales. A terme, 98% des 400 000 colons implantés en Cis­jor­danie pourront ainsi être en ter­ri­toire annexé par Israël.

La colo­ni­sation n’a pas de prix pour le gou­ver­nement Sharon et il ne regarde pas à la dépense : actuel­lement le coût du km construit, plu­sieurs fois révisé à la hausse, s’élève à 2 mil­lions de dollars.

Les conséquences sont gravissimes pour les Palestiniens :.

L’annexion du territoire

50% de la Cis­jor­danie se voit actuel­lement annexée, les gou­ver­norats du nord de Jénine, Tul­karem et Qal­qilyia sont à ce jour par­ti­cu­liè­rement frappés.

875000 per­sonnes seront direc­tement tou­chées par le Mur, que ce soit par expulsion, confis­cation des terres, impos­si­bilité de se déplacer ou enclavement.

1402 familles ont été expulsées de juin 2002 à fin août 2003. Nombre des habi­tants de Tul­karem et Qal­qilyia sont déjà des réfugiés, parfois 2 fois chassés de chez eux par la colo­ni­sation israé­lienne, et plu­sieurs familles sont à nouveau contraintes à partir.

Environ 263000 per­sonnes -12000 familles, 42 villages-​​ sont enclavées, dont plus de115000 se trouvent empri­sonnées entre le Mur et la Ligne Verte dans le dis­trict de Tul­karem, alors que 100 com­mu­nautés se voient coupées de leurs terres agri­coles. Le village d’Azzun, près de Qal­qilyia est ainsi tota­lement enclavé, afin de pro­téger les 6 colonies israé­liennes que le Mur permet de rat­tacher à Israël et dont l’une déverse ses eaux usées et jette ses ordures dans la cour du collège de garçons d’Azzun.

Qalqilya, cas malheureusement exemplaire

Qal­qilyia, près de la ligne verte, 50000 âmes dont 80% de réfugiés.La terre , fertile, y est peau de chagrin, d’abord amputée de 30 hec­tares pour construire une route de sécurité israé­lienne en96. 10 ha de plus ont été confisqués en 97, pour un camp mili­taire cette fois. En 2002 les auto­rités israé­liennes créent une zone tampon à visée mili­taire au sud de la ville et inter­disent aux fer­miers de Qal­qilya l’accès à leurs champs, tirant sur les témé­raires ou déses­pérés qui ten­taient quand même de s’y rendre. C’est en confis­quant « seulement » 12 ha sup­plé­men­taires qu’Israëlen isole en fait 200 des autres terres de Qal­qilyia, en août 2002.

Quant à Jéru­salem, Le Mur en construction isole de facto 200000 Pales­ti­niens de Jérusalem-​​est du reste de la Cisjordanie.

Les déplacements impossibles

Les « ghettos » sont quasi inac­ces­sibles. De plus des routes sont coupées par leMur, ce qui rend les dépla­ce­ments qua­siment impos­sibles dans de nom­breuses régions. S’il existe des por­tails pour franchir le Mur, leur ouverture est aléa­toire et le passage impré­vi­sible. Hormis les dif­fi­cultés majeures à vivre côté Cis­jor­danie et dans la zone « tampon », zone mili­taire fermée, ceci induit aussi la fin du travail migrant vers Israël et l’isolement total de nom­breuses communes.

Les destruction des biens

Le tracé du Mur et la zone tampon qui vise à le pro­téger ont entraîné la des­truction de dizaines de pro­priété privées et publiques dont de nom­breuses maisons d’habitation.

Ainsi le 24 février 2004 encore, à Abu Dis à Jérusalem-​​est la maison de J. Shqierat a été démolie, 3 autres vont l’être 6 l’ont déjà été et 10 sont menacées.

Dans le village de Nazlat’isa près de Qal­qilyia, le cata­clysme a frappé en en août 2003. Le marché a été tota­lement détruit par les troupes israé­liennes : plus de 218 bâti­ments, com­merces et maisons ont été rasés.

A Azzun,(15OO habi­tants dont 6 familles de réfugiés) 24 maisons sont en voie de démo­lition. Chaque ville, chaque village ou hameau peut dire la même histoire.

L’accès aux services

Les mul­tiples bar­rages, bou­clages et couvre-​​feux qui ont visé à mettre à genoux les Pales­ti­niens depuis le début de l’Intifada Al-​​Aqsa en sep­tembre 2000 ont eu des consé­quences graves sur des secteurs-​​ clé de leur vie.

La conti­nuation de la spo­liation et l’accentuation de la colo­ni­sation que repré­sente ce Mur, aggravent consi­dé­ra­blement la situation.

L’accès aux soins médicaux, déjà très limité, devient quasi impos­sible dans le dis­trict de Qal­qilyia par exemple et l’hôpital de l’UNWRA fait état d’une dété­rio­ration grave de la situation sani­taire. Ceci concerne notamment les réfugiés du nord de la Cis­jor­danie dont c’est l’hôpital de référence.

L’Unwra observe déjà une baisse de 52% du suivi post natal des femmes et cela s’aggrave du fait de l’impossibilité d’accéder à l’hôpital. De manière générale beaucoup de femmes accouchent main­tenant chez elles.

Le directeur de l’hôpital de l’UNWRA signale aussi l’augmentation des maladies liées à la pau­vreté (50% d’anémie chez les enfants par exemple) ou au stress (diabète, maladie car­diaques, dépression etc.). L’hôpital est par ailleurs le seul en Cis­jor­danie à pro­diguer des soins par la radiothérapie.

Mais le Mur peut être plus direc­tement mortel : en février 2004 un enfant est mort, le transport à l’hôpital bloqué par le passage d’un portail que les mili­taires israé­liens n’ont pas voulu ouvrir à temps.

De même, l’accès à l’éducation devient de plus en plus dif­ficile dans les régions frappées par le Mur.

On estime que dans les 3 gou­ver­norats du nord 7400 élèves vont être direc­tement touchés. Dans le dis­trict de Jénine il existe de nom­breux hameaux qui envoient leurs enfants dans l’école de Tura. Com­plè­tement enclavée, les enfants ne pourront plus y accéder.

A Abu Dis le Mur coupe la route qui conduit à l’Université Al Qods.

A Qal­qilyia, une nou­velle école pri­maire venait d’être construite. Aujourd’hui le Mur la domine, un mirador au-​​dessus de la cour. D’après le maire, Maron Zaron, il faudra évacuer, on ne peut laisser les enfants sous le feu des soldats israé­liens qui tirent au hasard pour les dis­suader d’approcher du Mur. Quant à l’Université AlQods de Qal­qilyia, 50% de ses 1400 étudiants et 30 de ses 50ensei­gnants résident à l’extérieur de la ville et ont des dif­fi­cultés consi­dé­rables à atteindre le campus.

Près de Ramallah, Beit Ur Fuqa, petit village de 750 habi­tants se voit imposer le Mur à l’intérieur, dans la partie rési­den­tielle. En consé­quence 8 maison n’ont plus accès à la route qui mène à l’école.

Ras Atiya, 1400 âmes, près de Qal­qilyia, a une école mixte qui reçoit 450élèves, que le Mur touche main­tenant au nord et à l’est et qui est gra­vement per­turbée par cette pré­sence mais aussi par les travaux, les explo­sions ayant fissuré les murs.

L’accès aux services généraux est également très problématique.

La poste n’existe pra­ti­quement pas, ou ne passe pas, les ser­vices muni­cipaux ne fonc­tionnent souvent plus, le terrain de cer­taines décharges d’ordures est aussi annexé et arasé, le réseau élec­trique est démoli dans plu­sieurs villages.

Les structures sociales en danger

Paral­lè­lement les atteintes aux libertés indi­vi­duelles des Pales­ti­niens dans les régions du Mur sont mul­tiples. Les liens sociaux sont mis en danger, la structure com­mu­nau­taire, les liens fami­liaux aussi.

Comme à Abu Dis où le Mur sec­tionne des quar­tiers pales­ti­niens, de nom­breuses familles sont ainsi séparées à l’intérieur de la Cis­jor­danie, cer­taines empri­sonnées du mauvais côté du Mur, d’autres enclavées, et d’autres défi­ni­ti­vement coupées de leurs proches dans les vil­lages en ter­ri­toire israélien, annexés en 48 ou 67.

Ainsi, à Baqa Al Sharqyia, Youssef Bawaqneh ne verra plus ses enfants qui vivent dans les vil­lages tout proches et désormais inac­ces­sibles de l’autre côté dumur occidental.

« Les biens des absents »

On peut également craindre un remise en cause de la pro­priété. En effet une vieille loi ottomane conservée par l’occupant bri­tan­nique et reprise à leur compte par les colo­ni­sa­teurs israé­liens impose de cultiver ses terres, de faire usage de ses biens. Au bout de 3 ans d’ « absence », le bien tombe dans le domaine public.

C’est par ce biais mal­honnête que, après la Nakba qui a jeté dans l’exil plus de700 000 Pales­ti­niens en 1948, Israël s’est approprié terres et demeures, au pré­texte qu’ils n’avaient plus de pro­prié­taires présents.

C’est aussi ainsi que nombre de Pales­ti­niens qui pos­sèdent un logement à Jéru­salem s’en voient dépos­sédés s’ils ne l’occupent pas. Les familles se séparent parfois pour cela, comme chez Sahana, les enfants bal­lottés, l’un des époux restant à Hébron par exemple et l’autre à Jéru­salem, afin de pouvoir en garder l’identité.

La famille de Samah, des réfugiés de 48 Jéru­sa­lé­mites depuis deux géné­ra­tions, possède un appar­tement dans la vielle ville. La dif­fi­culté de la vie sous occu­pation les a amenés à n’y être que rarement et à construire une autre maison dans un quartier péri­phé­rique, hors de limites admi­nis­tra­tives de Jéru­salem. L’autre jour les soldats ont investi la maison, constaté un frigo vide, des lits non uti­lisés et ont dit à la famille que leur vie n’étant mani­fes­tement pas là, ils n’auraient plus le droit d’y être. Leur identité de Jéru­sa­lé­mites, qui apporte des avan­tages maté­riels, mais surtout qui affirme la réalité pales­ti­nienne de Jéru­salem, est menacée.

Une autre loi, juive, dit aussi que des terres nues sur les­quelles on a planté des arbres vous appar­tiennent au bout de 2 ans. C’est ainsi qu’a jailli de terre la colonie d’Har Homa, au nord de Bethléem en I998. Sur la belle colline pales­ti­nienne d’Abu Ghneim, les arbres cen­te­naires avaient belle santé. Mais des colons juifs une nuit en ont fait un désert. Ils ont coupé les arbres. Sur la terre « nue », ils ont posé une caravane et puis planté d’autres arbres, pro­tégés par des milices armées. Quelque mois plus tard, malgré la lutte acharnée non vio­lente des Pales­ti­niens, la terre était juive, la colonie poussait comme un cham­pignon. Der­rière des rangées de bar­belés la colline était laide et perdue.

C’est pourquoi, dans les vil­lages près du Mur, les fer­miers dorment souvent dans leurs champs. Bien sûr c’est pour pouvoir y accéder sans les tra­cas­series, les humi­lia­tions quo­ti­diennes du passage du portail et la perte de temps et de forces, mais c’est aussi pour s’assurer qu’on ne viendra pas les en dépos­séder. La vie fami­liale de bien des familles, comme celle de Abu Mohannad près de Jayyouz en est d’autant perturbée.

L’agriculture menacée

C’est tout un mode de vie tra­di­tionnel et rural qui est ainsi en danger, à l’image des oli­viers pales­ti­niens arrachés par les bull­dozers de l’armée israélienne.

Car les consé­quence de la construction de ce mur colonial sur l’agriculture sont incommensurables.

Si elle vit d’un peu d’industrie (cible aussi de des­truction, plu­sieurs petites entre­prises ont été rasées dans les dis­tricts de Qal­qilyia et Tul­karem) la Palestine n’en reste pas moins essen­tiel­lement rurale et agricole. L’agriculture repré­sente 7% du PIB en Palestine où 90% des terres cultivées sont en Cis­jor­danie. 20% de la popu­lation active tra­vaille dans le secteur agricole, dans de petites exploi­ta­tions fami­liales. A Qal­qilyia, 2000 tra­vailleurs agri­coles font vivre 15000 personnes.

La construction du Mur entraîne la confis­cation de mil­liers d’hectares de terres publiques et privées. Ainsi 650000 dunums (65000ha) sont empri­sonnés entre le Mur et la Ligne Verte tandis que plus de 7000 sont confisqués par l’édification du Mur à Jérusalem-​​est.

A Beit Surik, petit village au sud est de Ramallah, 35 ha confisqués en isolent610. Village bien connu pour sa pro­duction de fruits, il se voit amputé de presque toute sa terre culti­vable. Qafin, dans le dis­trict de Tul­karem, 9000habi­tants, a été spolié de 70% de ses terres en 1948, puis encore en 1967. LeMur à ce jour en a confisqué 600 ha sup­plé­men­taires, spo­liant 770 familles. Le village ne possède plus que 30 ha. De même Salfit où l’arasement va bon train va perdre presque toutes ses terres agri­coles et sera découpée en plu­sieurs régions séparées. 45% des terres du dis­trict de Qal­qilyia sont confisquées.

Pour faire place nette pour le Mur et le no-man’s land de la zone de pro­tection,des hec­tares de cultures ont été rasés, des mil­liers d’arbres arrachés, oli­viers ou agrumes, 80000 qui s’ajoutent aux cen­taines de mil­liers depuis le début de l’Intafada. A Qafin, 12000, à Beit Sira, hameau près de Ramallah, 100 en une seule journée en janvier. Le maire de Jayyouz qui pos­sédait 950 oli­viers en a perdu 900, souvent mul­ti­cen­te­naires. Des dizaines de serres ont également été détruites ou ont dû être aban­données. Quant aux animaux, environ 10000 n’ont plus accès aux pâturages.

Les fer­miers ont besoin d’un permis pour passer les por­tails à pied. D’autres existent pour les véhi­cules non moto­risés, éloignés des vil­lages. Les por­tails sup­posés s’ouvrir pour per­mettre aux paysans d’aller aux champs sont souvent fermés. Souvent, comme dans le dis­trict de Jénine, les paysans ne tentent d’accéder à leurs terres que le samedi, quand les bull­dozers et les soldats qui les pro­tègent sont absents.

QALQILYIA

A Qal­qilyia les por­tails sont ouverts 15 mn 3 fois par jour. Les fer­miers n’y vont pas le matin, il fait encore nuit, c’est trop dan­gereux de s’exposer aux tirs de l’armée. A midi quand ils peuvent ils sortent mais doivent rentrer à I6h, c’est bien peu pour entre­tenir les terres. Sans compter que les soldats passent souvent les 15 mn à contrôler les permis et puis, le temps échu, referment le passage.

Les fer­miers ne peuvent plus accéder à leurs champs, les récoltes meurent, faute de soin et d’arrosage. En octobre 2003, le pro­prié­taire d’une ferme de volailles a ainsi perdu 7000 poulets parce que ni lui ni les tra­vailleurs agri­coles qu’il emploie n’ont eu de permis pour accéder à la ferme afin de nourrir et abreuver les animaux et brancher l’air conditionné.

A cette catas­trophe directe s’ajoute la dif­fi­culté d’écouler la pro­duction des vil­lages désormais coupés des marchés. Par exemple Jayyous, l’un des vil­lages les plus direc­tement menacés par le Mur, écoulait tra­di­tion­nel­lement sa pro­duction à Naplouse. Il est actuel­lement impos­sible pour les fer­miers et maraî­chers de Jayyouz qui ont gardé quelques terres d’accéder à Naplouse. De même les pêches et prunes que Beit Surik n’auront plus de débouché.

L’enjeu de l’eau

Rare dans tout le Proche-​​Orient, l’eau est un enjeu majeur de la colo­ni­sation israé­lienne en Palestine, notamment en Cis­jor­danie. Contrôler et confisquer les réserves en eau est la poli­tique sys­té­ma­tique des gou­ver­ne­ments israé­liens qui se sont succédés.

Une nappe phréa­tique très impor­tante, le bassin aquifère occi­dental, s’étend sous les 3 gou­ver­norats du Nord , 80% des puits sont dans celui de Tulkarem.

QALQILYA

Qal­qilyia est l’une des régions agri­coles pro­duc­trices de fruits sous laquelle repose la plus grande nappe phréa­tique de la région. La ville a vu déjà son accès à l’eau quasi détruit pendant l’invasion de 1965, station d’épuration et cana­li­sa­tions détruites. Le mur aujourd’hui en confisque une tren­taine dans la région, privant Qal­qilya de près de 20% de son appro­vi­sion­nement en eau et les oli­viers cen­te­naires d’irrigation. Tant pour les cultures que la consom­mation humaine, les puits y sont nom­breux et indis­pen­sables et …sous le contrôle mili­taire strict d’Israël qui en a interdit tout nouveau depuis 67. Dans la pre­mière phase le Mur en confisque ou détruit une cin­quan­taine de même que des citernes : 36 puits confisqués et 14 qui sont ou seront démolis, 34 dans le dis­trict de Qal­qilya, 7 à Jayyouz, 14 passés entre le Mur et la Ligne Verte, etc. S’y ajoute l’interdiction du captage dans le dis­trict de Tul­karem et la des­truction des cana­li­sa­tions dont 35 km ont été détruits pendant la pre­mière phase de construction du Mur, sans compter l’interdiction de creuser des puits ou d’en réhabiliter.

Attil, Farun, Habla, Rummana, Qafin…6.705.000 m3 d’eau par an sont ainsi confisqués. Des puits dont l’eau ne convient qu’à l’agriculture sont main­tenant uti­lisés pour la consom­mation alimentaire.

Dans le même temps, 9 puits viennent d’être creusés dans le dis­trict de Qal­qilyia pour les colonies israéliennes.

Pro­blème sup­plé­men­taire, l’augmentation énorme du prix de l’eau. Pour faire face à la pénurie due, non à l’absence d’eau, mais à sa confis­cation ou l’inaccessibilité des sources, les Pales­ti­niens doivent recourir à l’achat d’eau fournie par des camions citernes, vendue par la com­pagnie israé­lienne qui en a le monopole. La rareté de l’eau, la loi du marché et surtout les dif­fi­cultés consi­dé­rables d’accès aux vil­lages et hameaux pour les camions ont fait flamber le prix de l’eau, 80% depuis le début de l’Intifada.

L’eau et le Mur *

Avec le Jourdain, la nappe phréa­tique occi­dentale est la plus grande res­source en eau de la Palestine historique.

Dès le début des années 30 et la mise en place du projet colonial sio­niste, l’importance de l’eau s’est révélée vitale. Les lieux d’implantation des colonies juives avant 48 en témoignent.

Avec l’établissement de l’Etat d’Israël, les projets à l’échelle nationale incluaient le détour­nement des sources autour du Lac de Tibé­riade et l’appropriation de la nappe phréa­tique occidentale.

Après 67, l’occupation a permis à Israël d’en avoir le contrôle. En inter­disant le creu­sement de puits en Cis­jor­danie, située sur la partie haute de la nappe, les auto­rités israé­liennes favo­ri­saient les puits creusés dans la partie basse, Israël. Il s’agit d’une stra­tégie bien pensée, indé­pen­dante des déve­lop­pe­ments politiques.

Dans toutes les négo­cia­tions y compris avec les Egyp­tiens en 78, les res­pon­sables israé­liens de la défense, de l’agriculture et des infra­struc­tures et les experts de l’eau ont eu une approche concertée.

Pendant les négo­cia­tions d’Oslo, les Israé­liens ont pré­senté une carte qui super­posait les limites orien­tales d’Israël à celles de la nappe, y incluant de facto une partie de la Cisjordanie.

Depuis Oslo la poli­tique israé­lienne est la même. Un seul puits pales­tinien a été autorisé. Les puits creusés « illé­ga­lement » dans le nord, vers Jénine ou Tul­karem ont été démolis. Par contre ceux creusés dans le bassin oriental, la vallée du Jourdain, Jéricho ont échappé à la des­truction, prouvant à contrario l’importance qu’Israël attache au bassin occidental.

Le contrôle des res­sources en eau est aussi lié à la colo­ni­sation par les implan­ta­tions « illé­gales » qui outre qu’elles aident au contrôle mili­taire du ter­ri­toire pales­tinien assure aussi la main mise sur l’eau par et pour Israël. Ainsi toutes les infra­struc­tures indus­trielles des colonies dans la région d’Ariel, près de Salfit, sont connectées au réseau israélien, alors qu’elles puisent dans la nappe occi­dentale, dès lors contrôlée de facto par Israël.

Les infra­struc­tures ne cor­res­pondent pas au besoin des colonies actuelles-​​ Burkan par exemple-​​, mais dans une logique expan­sion­niste ce sont des inves­tis­se­ments à long terme qui met­tront dans20 à 30 ans tout le bassin aquifère sous contrôle israélien. Toutes les données hydro­lo­giques israé­liennes mettent en évidence que le bassin occi­dental est intégré dans la cycle hydro­lo­giqueisraélien. Il est d’ailleurs inclus dans le budget national israélien pour l’eau.

Le Mur n’est donc pas une sur­prise pour un hydrau­licien, c’est la mise en place de la poli­tique israé­lienne de contrôle des res­sources vitales de la nappe phréa­tique occidentale.

Pour assurer ce contrôle, le Mur crée des faits établis sur le terrain, pour appuyer les négo­cia­tions à venir. L’utilisation de l’eau est liée à l’agriculture des terres fer­tiles en surface. Inac­ces­sibles à cause du Mur, ces terres vont s’assécher et se sté­ri­liser en quelques saisons ce qui fera qu’on ne les uti­lisera plus. Il sera alors impos­sible aux Pales­ti­niens de demander l’accès à l’eau pour des terres « inuti­lisées », dans toute négo­ciation. Israël comme à son habitude uti­lisera cet argument pour délé­gi­timer les reven­di­ca­tions palestiniennes.

Les com­mu­nautés agri­coles et leur mode de vie sont menacés. Les terres devront être aban­données. Il faudra aller ailleurs en Cis­jor­danie chercher du travail. Cela per­mettra à Israël d’imposer de fait une dimi­nution de la popu­lation et, le travail étant rare en Cis­jor­danie, de se pro­curer une force de travail pales­ti­nienne bon marché.

Le Mur n’est pas une « bar­rière de sécurité ». Le tracé de la pre­mière phase au nord, qui se superpose à une réalité hydro­lo­gique et non géo­gra­phique, est bien la preuve qu’il fait partie de la poli­tique d’annexion par Israël de la terre et de l’eau palestiniennes.

*d’après un article pour le Pengon d’AbdelRahman Tamimi, directeur du PHG(Pales­tinian Hydrology Group), ancien négo­ciateur pales­tinien à Oslo, pour les ques­tions de l’eau.

Le Mur s’ajoute main­tenant aux check-​​points, bou­clages et zones mili­taires exis­tants pour faire de l’eau, indis­pen­sable à la vie, un produit trop rare et trop cher.

Ces dif­fi­cultés contri­buent à dété­riorer davantage la situation sani­taire qui devient pré­oc­cu­pante en Cis­jor­danie de même qu’elle étrangle encore plus l’agriculture très lar­gement dépen­dante de l’irrigation. Comme le dit Abdel Rahman Tamimi, à travers le contrôle total des res­sources en eau de la Palestine, le Mur et son tracé c’est la mise en pra­tique de la théorie de l’étape finale de la colonisation.

L’économie mori­bonde

Cette situation induit bien sûr des pro­blèmes écono­miques graves. Déjà cri­tique, avec des cen­taines de mil­lions de dollars de pertes depuis le début de Intifada (dont 150 mil­lions dus à la des­truction des arbres), la situation empire encore du fait du Mur.

Les 3 gou­ver­norats du Nord qui, selon la banque mon­diale, repré­sentent environ 45% de la pro­duction agricole de la Cis­jor­danie et 80% des res­sources en eau sont par­ti­cu­liè­rement touchés. A Jayyouz, 400 des 550 familles dépendent uni­quement de l’agriculture.

Le PARC estime les pertes de pro­duction à 2200 litres d’huile par saison,100000 tonnes de légumes et 50 tonnes de fruits.

Hormis la perte énorme de revenu des fer­miers, les villes voient fondre des res­sources com­mer­ciales et même fis­cales comme Naplouse qui ne perçoit plus les taxes ($150000) des fer­miers de Jayyouz. Les trans­por­teurs et tous les tra­vailleurs liés à l’activité des marchés sont aussi durement touchés.

Le com­merce aussi est en chute libre. A Qal­qilyia 30% des acti­vités com­mer­ciales ont du cesser, 600 magasins ont fermé. Dans le dis­trict de Jénine, à Tura, 150 affaires ont fait faillite.

Le taux de chômage a fait un bond. De 17% il est passé à 70% à Qal­qilyia par exemple, où le revenu mensuel moyen d’une famille est tombé de 1000$ à60 environ. 70% de la popu­lation vit de l’aide huma­ni­taire . A Qafin où plus per­sonne n’a de permis pour aller en Israël le chômage atteint aussi 70%.

Les fer­miers peuvent dans cer­tains cas obtenir des com­pen­sa­tions pour leurs terres. La plupart refusent pour ne pas recon­naître la spo­liation. Quant aux rares fer­miers qui acceptent ils se voient pro­poser 10% de la valeur réelle de la terre.

Le but du gouvernement Sharon

Cette « bar­rière de sécurité » ne dupe per­sonne. Il s’agit bel et bien du plan que Sharon, élu en 2001, pré­sentait déjà : « achever ce qui ne l’a pas été en 48 », soit la colo­ni­sation totale de la Palestine, pour s’en appro­prier le ter­ri­toire et le trans­former en Grand Israël.

Ce « mur » mul­ti­forme qui spolie un peuple de sa terre, de ses moyens de sub­sis­tance ances­traux, de sa vie et de son his­toire, vise à faire une réalité du mythe scan­daleux d’ « une terre sans peuple pour un peuple sans terre ». A la fal­si­fi­cation his­to­rique d’alors se superpose l’idéologie colo­niale et aussi une supré­matie de la force brute, celle qui veut imposer un exode, un exil de plus à un peuple déjà dépossédé et qui se bat quasi seul pour imposer ses droits nationaux. La recon­nais­sance de son identité, acquise de longue lutte, et sa survie même sont à nouveau en question.

Ce « mur » infâme a pour objectif essentiel, hormis l’appropriation du ter­ri­toire, des res­sources -des terres et de l’eau-, d’éradiquer l’existence pales­ti­nienne. En les enfermant, en les affamant sur de larges por­tions du tout petit ter­ri­toire qui ne leur a pas déjà été confisqué par la force mili­taire, le gou­ver­nement du général Sharon veut amener à l’exode des mil­liers de Pales­ti­niens. A Qal­qilyia, 4000 per­sonnes pour ne pas mourir ont du se résoudre à partir.

Par la sépa­ration uni­la­térale puis par l’étranglement de la ban­tous­ta­ni­sation et la dépor­tation directe ou le départ inévi­table, par l’ apar­theid ou l’épuration eth­nique, Sharon commet un crime majeur de plus contre le peuple palestinien.

La résistance

Pour les Pales­ti­niens dans les régions les plus tou­chées par la construction duMur, résister c’est d’abord continuer à vivre, tenter de pour­suivre son existence.

C’est la résistance passive de toute la société.

Indi­vi­duel­lement, c’est aller à l’école, ou l’université, ensei­gnants et étudiants, quitte à passer des heures d’attente aux por­tails, comme on en passe déjà depuis3 ans aux check-​​points et autres bar­rages. C’est aller à pied, en famille ou seule parfois quand ce sont les vieilles femmes qui ont eu seules le permis de passer, aux champs pour tenter de pré­server les cultures et les bêtes.

C’est cette capacité à tenir (sumud en arabe) et à rester debout malgré la las­situde et le désespoir, qui a déjà de facto vaincu les plans de Sharon qui n’a pas réussi à les mettre à genoux. C’est reven­diquer ses droits et sa dignité, c’est aller s’asseoir sur la terre qu’on va vous prendre par la force mili­taire. C’est main­tenir ses tra­di­tions et sa solidarité.

Cette soli­darité qui s’exprime aussi col­lec­ti­vement, que ce soit la soli­darité fami­liale ou vil­la­geoise, l’entraide maté­rielle et morale, c’est elle qui permet concrè­tement de tenir.

Mais c’est également la soli­darité orga­nisée. Ce sont les asso­cia­tions telle l’Union des Fer­miers Pales­ti­niens, les ONG qui font le maillage de la société rurale pales­ti­nienne, que ce soit les volon­taires des comités agri­coles (PARC, UAWC) ou les béné­voles de la santé (UPMRC, HWC, Croissant Rouge Pales­tinien) qui bravent les dif­fi­cultés pour apporter de l’aide aux popu­la­tions sinis­trées par leMur (construction de routes alter­na­tives pour les fer­miers, transport obstiné des blessés, malades, soi­gnants et médi­ca­ments), en accord souvent avec la soli­darité inter­na­tionale des ONG de la santé notamment.

C’est enfin la résis­tance active non vio­lente. Des mani­fes­ta­tions sont orga­nisées depuis des mois, pour s’opposer aux bull­dozers israé­liens pro­tégés par les soldats voire les chars de l’armée de Sharon.

A Jayyouz, les mili­tants se lèvent par dizaines pour se placer devant les des­truc­teurs depuis plus d’un an.

A l’occasion de la cam­pagne de soli­darité avec les Pales­ti­niens orga­nisée par leGIPP et d’autres orga­ni­sa­tions en décembre 2003, de nom­breuses mani­fes­ta­tions ont ras­semblé des Inter­na­tionaux et des Pales­ti­niens autour des vil­la­geois pour dénoncer la des­truction par le Mur du monde palestinien.

A Salfit en janvier 2004 une semaine de mobi­li­sation a eu lieu, avec les étudiants de l’Université d’Al Qods et les habi­tants de la ville.

Aujourd’hui c’est à Beit Surik que la soli­darité mili­tante active apparaît aussi. Des dizaines de vil­la­geois d’autres vil­lages, des étudiants, des Inter­na­tionaux, de l’ISM surtout, des mili­tants anti­co­lo­nia­listes israé­liens se couchent devant les machines de guerre qui vont déra­ciner les « arbres romains » (les oli­viers mil­lé­naires qui ont vu passer Rome) et araser les hec­tares de terre fertile palestinienne.

Mais la machine de guerre israé­lienne est bien rodée. Gaz inca­pa­ci­tants, dits lacry­mo­gènes, gre­nades sonores, ter­ribles à bout portant, balles dites en caou­tchouc ( un cœur de métal mortel recouvert de caou­tchouc), balles réelles. L’armée israé­lienne d’occupation a l’habitude de blesser et de tuer, ici comme ailleurs. A Beit Surik et Biddu au nord ouest de Jéru­salem, 3 morts ont déjà payé le prix de la lutte non vio­lente contre le Mur. Les blessés ne se comptent plus, qu’ils aient inhalé des gaz toxiques, été vio­lemment frappés ou blessés par balles.

S’y ajoute une tac­tique habile de dis­sé­mi­nation des forces des mili­tants pales­ti­niens et des anti­co­lo­nia­listes qui les sou­tiennent : par la mul­ti­pli­cation des endroits d’intervention des bull­dozers comme à Biddu et Beit Surik, les des­truc­tions ont paru s’arrêter alors que les soldats s’étaient déplacés plus loin, sur plu­sieurs lieux, pour affaiblir la résis­tance en en mor­celant les actions.

Malgré cela , les mili­tants qui s’opposent au Mur conti­nuent à se mobi­liser. Le 23 février2004, partout en Palestine occupée, avec les Ongs et les partis poli­tiques, mou­vement national et isla­mique ensemble, des mil­liers de gens se sont ras­semblés en un « jour de colère » : 4000 à Beit Surik dont plu­sieurs dizaines d’Israéliens,4000 à Ramallah, 3000 à Tul­karem, 1000 à Salfit, Abu Dis et AlRam (au nord de Jéru­salem), des mil­liers à Qal­qilyia et à Bethléem une foule d’habitants, de réfugiés du camp d’Aida, direc­tement menacé par le Mur, et d ’étudiants. Cependant, dans de nom­breux endroits l’armée israé­lienne a réussi à empêcher les mani­fes­ta­tions, comme dans le nord, à Jenine et autour.

Les Pales­ti­niens d’Israël et de Gaza se sont aussi très lar­gement mobi­lisés. A Gaza, cible sys­té­ma­tique du ter­ro­risme d’état israélien, ils savent ce qu’est un « mur », ils ont sont pri­son­niers depuis long­temps déjà.

Tous en appellent à la soli­darité inter­na­tionale une fois encore. L’Autorité Nationale Pales­ti­nienne aussi qui, comme beaucoup d’acteurs de la vie poli­tique et sociale en Palestine occupée, avait tardé à prendre la mesure de l’objectif de Sharon, mais qui se mobilise depuis long­temps main­tenant pour obtenir les sou­tiens internationaux.

La Cour de Justice Inter­na­tionale à la demande de l’assemblée générale des Nations Unies se penche à La Haye sur la légalité du mur, ce qui irrite pro­fon­dément le gou­ver­nement Sharon qui en connaît par­fai­tement l’illégalité. Le droit inter­na­tional interdit à l’occupant d’annexer du ter­ri­toire occupé, de déplacer des popu­la­tions occupées et d’infliger des puni­tions collectives.

Le droit interdit le Mur, en fait ! Imposons en l’arrêt et la démolition.

http://www.france-palestine.org/Le-Mur-colonial-israelien-en