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Laïcité : bien commun indispensable à l’égalité, l’émancipation et l’universalisme - C Léoni

lundi 14 avril 2014, par Amitié entre les peuples

Laïcité : bien commun indispensable à l’égalité, l’émancipation et l’universalisme

Cindy Léoni Présidente de SOS Racisme

Publié sur Huffigton Post le 17/10/2013 10h32

A première vue, les questions que pose l’affaire Baby Loup peuvent sembler principalement techniques. Pourtant, ce jugement concerne les fondements des principes permettant de « vivre ensemble » plutôt que« côte à côte ». C’est parce que notre antiracisme n’est pas celui de la condescendance mais bien celui de l’exigence d’émancipation que l’« affaire » Baby Loup a retenu toute notre attention.
Dans les quartiers populaires, nous nous souvenons des propos de Nicolas Sarkozy, alors Ministre de l’Intérieur, sous-entendant qu’il y aurait la police pour les centres villes de France, et les religieux pour les quartiers populaires. Nous dénonçons le comportement de « dames patronnesses » de trop nombreux politiques mais également de commentateurs qui, pétris de complexes néocoloniaux et/ou de condescendance sociale se livrent à une interprétation simpliste.

A l’extrême droite, on entreprend même de saper habilement la laïcité. La nouvelle tactique du Front National consiste à se proclamer « dernier parti laïque », profitant des méconnaissances de ce concept pour reformuler de façon plus pernicieuse son discours de haine. La proximité du FN avec l’organisation Riposte laïque illustre cette méthode, expérimentée dans la promotion des « apéros saucisson pinard » et dans la comparaison des prières rue Myrha avec l’occupation.

Pourtant les membres de l’extrême droite ont défilé à de multiples reprises aux cotés des intégristes religieux notamment contre le mariage pour tous. Expliquer et dénoncer ces détournements de valeurs est absolument nécessaire. Nous n’abandonnerons pas l’une des pierres angulaires de la République française à l’extrême droite.

Par ailleurs, l’hypothèse d’un « retour au religieux » dans le monde populaire et plus particulièrement chez les personnes de culture musulmane, laisse peu de place à la complexité. La réalité que nous rencontrons au quotidien est bien plus riche d’enseignements. Le grippage de l’ascenseur social républicain, la faiblesse de la lutte publique contre le racisme et les discriminations, la désertion des quartiers populaires par les services publics ainsi que l’asphyxie des réseaux associatifs et solidaires des quartiers ont pour conséquence une affirmation d’existence dans la société. Cela passe aussi par l’appropriation de symboles offrant une visibilité forte, en compensation à celle que la République tarde tant à accorder.

Certains déclarent que l’affaire Baby Loup porte sur les symboles culturels et non les symboles cultuels. Dans ce cas, les exemples de contradictions ne manquent pas. Personne n’a accusé les prud’hommes de « bermuda phobie » lorsqu’ils affirmaient l’impossibilité pour un salarié d’une entreprise privée sans contact avec le public, de choisir sa tenue vestimentaire.

Nous n’avons pas davantage constaté de levées de boucliers pour « tresso-phobie » lorsque SOS Racisme soutenait quasiment seul Monsieur Abou Traore contre son employeur, Air France, qui lui refuse depuis deux ans d’embarquer à bord en tant que steward en raison de ses tresses collées, ni aucun cri d’indignité lorsque son seul recours pour travailler a été de s’affubler d’une perruque.

L’enjeu n’est pas ici le rapport au foulard, mais la définition des espaces dans lesquels l’influence des normes religieuses et sociales est tenue à distance. C’est d’autant plus nécessaire qu’elles restent libres de se déployer dans le reste de la société. L’équilibre ne peut exister si la laïcité est fragilisée, car elle est la condition qui permet la vie commune de ceux que les affiliations religieuses tendent à séparer par ailleurs.

La jurisprudence Baby Loup révèle alors deux carences majeures dans notre pays. La première c’est l’absence de service public de la petite enfance qui porte plus particulièrement préjudice aux familles les moins aisées.

La seconde est l’insuffisante protection par l’Etat du tissu associatif et solidaire, agissant lui-même pour faire face au manque de solution pour la petite enfance. De plus, les pouvoirs publics ne sauraient laisser ces acteurs sociaux seuls, aux prises avec toutes les tentatives politiques de déstabilisation de la République. Tous ceux qui s’expriment sur cette question doivent avoir à l’esprit ce triste constat. La jurisprudence Baby Loup met en difficulté des personnes courageuses, qui malgré les obstacles, se mobilisent dans les quartiers populaires.

Toutes ces confusions font qu’aujourd’hui en France il parait plus facile d’ouvrir une crèche confessionnelle qu’une crèche laïque.

Oui, il y a en France, sans même parler de la situation en Alsace-Moselle, des restes de la domination de l’église catholique sur la société civile française. Certains considèrent que l’existence de cette brèche résiduelle dans la laïcité invite à s’y engouffrer pour l’agrandir aux cris joyeux de la liberté retrouvée. Nous refusons de compter les points entre tous les conservateurs et les tentatives successives de mise en échec du modèle laïc.

La situation actuelle nous rappelle que la construction de la laïcité n’est pas un processus abouti ni aisé et que -comme la République- il ne s’agit pas d’un principe figé mais d’un principe dynamique sans cesse renouvelé.

Nous estimons qu’il est de la responsabilité des pouvoirs publics d’intervenir activement pour combler les apories du droit lorsque la protection des libertés de tous, contre celle de quelques uns, est en jeu.

La laïcité n’est pas une tendance. C’est tout le contraire. Elle est une maison commune. La neutralité des adultes exerçant dans l’éducation des enfants de la République ne peut être envisagée comme une violence à l’égard des options religieuses et spirituelles des salariés de la petite enfance. La neutralité des adultes est une condition indispensable du vivre ensemble et du rôle plus général de l’école publique consistant à former les citoyens de demain, libre de leurs choix politiques, et libérés des héritages imposés dans la plus privée des sphères : la famille.

Ainsi, il semble inconcevable de demander à des associations, souvent fragiles financièrement, d’engager des juristes professionnels pour rédiger et mettre à jour un règlement intérieur afin de limiter le risque d’approximation. D’ailleurs que pourrait-on y inscrire de plus que « le principe de la liberté de conscience et de religion de chacun des membres du personnel ne peut faire obstacle au respect du principe de laïcité et de neutralité qui s’appliquent dans l’ensemble des activités développées par Baby Loup » ? Si cet extrait du règlement intérieur est trop vague, alors nous considérons qu’en cas d’imprécision c’est le principe de laïcité qui doit prévaloir.

Enfin, nous soulignons également que le risque est de voir refluer les financements publics accordés aux associations, qui agissent au service du public, en lieu et place de l’Etat. De l’issue de l’affaire Baby Loup dépendent la préservation des libertés individuelles ainsi que la protection des associations et des services publics. Loin d’être des enjeux secondaires, il s’agit des principaux leviers efficaces pour lutter contre les logiques de fragmentation et de ségrégation dans la société française.

Parce que la laïcité est indissociable de notre combat pour l’égalité, l’émancipation et l’universalisme, nous viendrons soutenir ce jeudi la directrice de la crèche Baby loup.

http://www.huffingtonpost.fr/cindy-leoni/baby-loup-laicite-bien-commun_b_4113333.html