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La marche des beurs, 30 ans après… M Belkouch

lundi 9 septembre 2013, par Amitié entre les peuples

La marche des beurs, 30 ans après…

Mounir Belkouch sur AgoraVox juillet 2013

A l’automne 1983, après de graves émeutes suite à des violences policières, une quinzaine d’habitants du quartier des Minguettes dont le curé Christian Delorme et le pasteur Jean Costil entamèrent une longueMarche pour l’égalité et contre le racisme qui, rebaptisée Marche des beurs, par les médias, draina près de 100 000 personnes dans la liesse et l’espoir à Paris le 3 décembre 1983 et dont une délégation fut reçue à l’Elysée. Mais ce formidable élan, ayant marqué son temps, laisse néanmoins beaucoup d’amertume et encore aujourd’hui n’aura en rien freiné la réalité des discriminations et la crise des banlieues.

Cet événement appartient-il vraiment à une époque révolue, où les revendications de la Marche de 1983 n’ont toujours pas eu de temps à trouver un écho ? Quel bilan dresse la troisième génération ?

Rappel historique des faits

Marche qui débute le 15 octobre 1983 à Marseille, c’est la première manifestation nationale contre le racisme de la « deuxième génération d’immigrés ». Véritable « coup de gueule » des jeunes de banlieues de cette génération. Mobilisés ils entendent porter haut et fort leur revendication sur le plan social et politique. Les slogans « black-blanc-beur » sont scandés par une foule unissant jeunes, vieux, immigrés et français dans une démarche collective et revendicatrice. Dans ce contexte, les marcheurs revendiquent leur appartenance à la société française et, face aux crimes racistes et à la violence policière, ils exigent la reconnaissance de leurs droits de citoyens. Ils militent notamment pour une reconnaissance de leur identité et de leur volonté d’intégration. D’une certaine manière la France découvre alors, la diversité et le nouveau visage de sa jeunesse.

Rappelons que cette marche a eu lieu dans un contexte où la montée du Front national au cours desannées 1980 était notable avec 10% des suffrages aux municipales. Cette percée a contribué d’ailleurs, à cette époque, à restaurer l’association entre une identité nationale en crise et le « problème » de l’immigration. De fait, les mécanismes de rejet s’accentuent, dans les années 80, où montent racisme et xénophobie. Il existe un racisme à la fois viscéral et sociétal, qui est de loin exploité par le FN, son fond de commerce. Force est de constater que cette association et tendance perdurent aujourd’hui.

Le mouvement prend de l’ampleur au fur et à mesure de la Marche. Face à cette mobilisation, les partis politiques de gauche tout comme les associations appellent leurs militants. Plusieurs associations et organisations syndicales ont apporté leur soutien. À Paris le 3 décembre, la marche s’achève par un défilé réunissant près de 100 000 personnes. Une délégation reçue à l’Elysée rencontre le président de la République François Mitterrand qui accorde alors une carte de séjour et de travail valable pour dix ans. Tout un symbole ! C’est une victoire pour ce mouvement même si cela ne faisait pas partie de leur revendication. La Marche des Beurs marquera assurément le début d’un tournant : la France a pris conscience de sa dimension multiculturelle.

Une seconde marche a été organisée en 1984 par un collectif issu de celle de 1983, « Convergences 1984 », dont la porte-parole était Farida Belghoul. Rassemblant à Paris un nombre de manifestants plus faible que l’année précédente, elle était soutenue activement par la presse, mais elle a été marquée par la tentative de récupération par la gauche au pouvoir via SOS Racisme. Une partie de la France scanda cette année là le slogan de SOS-Racisme « Touche pas à mon pote ». Il s’en suivra une frustration profonde chez les acteurs de la marche, qui se sentent « récupérés », par le « rouleau compresseur SOS Racisme ». Outre bien plus politisé, ce dernier est très structuré et dispose de moyens financiers et humains conséquents. Le mouvement beur finit affaibli et les marcheurs retomberont eux dans l’anonymat.

La Marche pour l’égalité des droits et contre le racisme de 1983 portait des revendications, et force et de constater qu’elles persistent encore de nos jours, et que les nouvelles générations de l’immigration peinent à faire entendre. Il est reproché aux communautés musulmanes de ne pas « s’intégrer ». La réalité sociale est telle aujourd’hui qu’on ne peut ignorer l’identité plurielle de la France et les immigrés qui la composent. Ces derniers éprouvent encore des difficultés à faire reconnaître leurs droits. Ces « citoyens » doivent encore s’intégrer, prouver (souvent après plusieurs générations) qu’ils sont à même de faire vraiment partie de « l’unité nationale ».

Un jeune de banlieue né en France, il est Français. Pourquoi parler d’intégration alors qu’il a passé toute sa vie en France ? Est-ce vraiment là l’objectif de la France : assimiler apparence, origine, culture et religion ?

Jeunesse et banlieues : la fracture ouverte

Les principes républicains occultent à tord le fait que la manière dont les individus ont été éduqués, leur langue maternelle, leur religion, et plus largement leur histoire familiale, étaient pour eux des éléments, très importants, constitutifs de leur identité. Aujourd’hui, le manque de « reconnaissance », voire le rejet, vis à vis de cette capacité spécifique d’une partie desconcitoyens à « faire société » en se référant à leurs propres traditions n’est pas sans conséquence. De fait, aujourd’hui beaucoup des jeunes d’origine maghrébine et africaine sub-saharienne intériorisent le fait qu’ils ne pourront jamais devenir des « français à part entière ». Dans ces conditions, on observe une accentuation et une dispersion des inégalités sociales qui engendrent un profond sentiment d’injustice et alimentent dans le même temps une forte demande de reconnaissance de la part des enfants d’immigrés, notamment dans les banlieues. De fait, en 30 ans, la situation sociale des banlieues continua de se dégrader laissant place à de ghettos géographiques, sociaux, ethniques. C’est dans ces territoires qu’on ne peut que déplorer l’existence d’une jeunesse confrontée au chômage, à la précarité et à l’échec scolaire. Paradoxalement, c’est dans ces quartiers populaires, qu’il y a un besoin criant de services publics et de programmes socio- éducatifs. La lutte contre l’exclusion et les discriminations : logement, emploi, sexisme, racisme et... « islamophobie » sont des combats qu’il faut encore mener en France, pays qui peine à garantir son grand principe républicain d’égalité pour tous. En situation de désespérancesociale, de décrochage scolaire, le malaise identitaire des jeunes dans ces quartiers n’est que plus grand. Ces jeunes sont en « repli communautaire », en marge de la société. On assiste à une montée de la violence et délinquance dans ces quartiers sensibles qui deviennent des zones de non droit. Nous ne souhaitons pas une république universaliste et individualiste avec les risques d’une accentuation desrivalités interethniques, d’une institutionnalisation des différences et d’une multiplication desdiscriminations. Il est donc d’autant plus urgent de lutter, sans relâche, contre les propos antimusulmans et toutes les inégalités dans la sphère publique. C’est un devoir moral de repartir à la conquête de ces territoires en voie de perdition.

Un regard négatif sur l’immigration

Les questions d’immigration réapparaissent dans les interrogations sociologiques en France. A cet égard, il faut bien le dire, les attitudes hostiles envers l’immigration, la communauté musulmane et envers toute forme de solidarité avec les immigrants se multiplient. On ne peut nier que la couverture médiatique de l’immigration contribue pour beaucoup à en véhiculer une image aussi négative. En effet, elle légitime bien trop souvent un discours général associant la délinquance, l’immigration, et les violences urbaines. Si l’on ne peut ignorer la surdélinquance des jeunes issus de l’immigration dans les zones urbaines sensibles, il faut néanmoins admettre que cela n’est pas une fatalité. Les pouvoirs publics ne doivent pas se résigner mais apporter des solutions concrètes et durables par une politique de la ville ambitieuse et audacieuse. A noter que la réflexion sur la diversité culturelle, issue de l’immigration maghrébine, est limitée et récente en France et elle fait toujours débat. Pourtant si l’on y regarde d’un peu plus près, l’immigration ne représente pas une charge pour les dépenses publiques, comme l’explique l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), dans son rapport annuel sur les Perspectives des migrations internationales. De toute évidence, le vieillissement démographique nécessite le recours à une main-d’œuvre étrangère, Les discours tendant à stigmatiser le coût et l’utilité de l’immigration ne peuvent donc qu’être critiqués et remis en question.

D’un racisme antiarabe à un racisme antimusulman

Depuis une dizaine d’années on a progressivement cessé d’identifier les personnes issues de l’immigration maghrébine et leurs descendants en termes ethniques (les « Maghrébins », voire les « Arabes ») pour les identifier en termes religieux : les « musulmans ». Cela traduit-il la visibilité sociale accrue des musulmans en France ? Rien n’est moins sûr. Pour ma part, elle témoigne ni plus ni moins de l’intégration et de l’enracinement réussis des Français de confession musulmane. Même si des difficultés sont présentes dans les quartiers populaires. Ces derniers ont clairement été délaissés, paupérisés et marginalisés. Certains observateurs avancent que la demande d’intégration revêt une forme communautaire. C’est au contraire l’inégalité de traitement entre les immigrés et les nationaux qui favorisent une organisation communautarisée de la société. Dans ces conditions, les immigrés sont bien souvent enclins à chercher dans leur culture les ressources qu’ils ne trouvent pas dans leur société d’accueil et à les entretenir. En tous les cas, le malaise est bien profond et les vétérans de la marche ont, encore aujourd’hui, le sentiment du basculement de la France en trente ans d’un racisme antiarabe à un racisme antimusulman. Ressenti largement partagé par la « troisième génération d’immigrés ». De fait, l’islamophobie envers les enfants d’immigrés, qui sont français, à part entière, se fait plus violente et de manière décomplexée. L’islamophobie s’explique, en partie, par une ignorance, une peur et une frustration semblables à celles qui engendrent le racisme contre les Roms et les immigrés en général. Dans le même temps, les enquêtes menées par l’Agence des droits fondamentaux de l’UE démontrent que les musulmans font l’objet de discriminations sur les marchés du travail et du logement et dans le système éducatif. Les jeunes hommes musulmans, en particulier, se heurtent à de tels obstacles. De manière générale, l’islam en Occident est craint pour ne pas dire pointer du doigt. Les amalgames et les préjugés sont des raccourcis faciles et suite aux attentats du 11 septembre 2001, l’Islam et les musulmans ont largement été attaqué et associé à la violence et à l’intolérance. Il subsiste notamment une surenchère sur le thème du danger de l’islam qui nourrit en profondeur tous les populismes et les partis d’extrême droite. Non, l’islam n’est pas une religion encline à l’intégrisme et au repli identitaire. Elle est bien au contraire, parfaitement conciliable avec l’exercice de la citoyenneté.

Laïcité et identité nationale en question

L’histoire montre en tout cas que les notions d’identité nationale et de laïcité ont pu, à gauche comme à droite, servir d’étendard aux discours politiques en période électorale. Il subsiste encore aujourd’hui une difficulté à gérer la diversité culturelle et religieuse malgré le cadre légal commun. La classe politique française est cruellement en manque de vision et de projets politiques. Par conséquent on préfère alimenter les peurs, les polémiques et les clivages par des manœuvres politiciennes pour éviter de prendre de vraies responsabilités en période de crise. De fait, depuis plusieurs années, à gauche comme à droite, le principe de laïcité est devenu un cheval de Troie pour faire passer des mesures stigmatisantes et discriminatoires à l’égard des musulmans et des musulmanes. Une laïcité dévoyée, instrumentalisée, dénaturée, excluante, puisqu’elle porte atteinte aux véritables fondements de la loi de 1905 : la séparation de l’église et de l’état, la non-ingérence de l’état dans les cultes, la protection de la liberté de conscience et de la liberté de culte de chacun, et l’égalité de tous les citoyens sans distinction de religion. Il appartient donc au gouvernement français de faire appliquer les principes de laïcité de manière égalitaire pour tous. Dans un souci de faire respecter au quotidien une laïcité d’inclusion favorisant le maintien du vivre ensemble.

Loin d’avoir disparu de la scène sociale, l’action collective et la contestation se manifestent aujourd’hui autour des mêmes enjeux. Le cycle politique et social des immigrés et de leurs enfants se répète pour inlassablement faire reconnaître leurs droits et citoyenneté. A présent, de nombreux jeunes appartenant à la troisième génération issue de l’immigration militent sur le terrain associatif et politique en s’affirmant « français musulmans » et estiment que la reconnaissance publique de leur foi est indissociable de leur citoyenneté. Ils ont la fierté de leur origine tout en revendiquant leur culture musulmane. Il ne fait aucun doute de la volonté d’adaptation de la grande majorité des musulmans vivant en France. Des millions de croyants de la deuxième religion de France n’aspirent qu’à une chose : vivre leur religion dans le cadre desvaleurs de la République. Cela passe également par faire face au populisme et à dénoncer « l’islamisation » des questions sociales en France. La plupart de ces français musulmans ne s’opposent pas aux principes démocratiques et à l’égalité entre les citoyens mais revendiquent, à juste titre, que ces principes s’appliquent à tous équitablement, en prenant leur singularité en considération.

Actualisation de nos politiques publiques d’intégration et de prévention.

Il est encourageant et on ne peut le nier, d’observer que les dynamiques sociales sont à l’œuvre en France, favorisées tant par le contexte de promotion de la diversité (Charte de la diversité en entreprise) que par les politiques de lutte contre les discriminations. Il faut faire davantage dans un souci d’équité et de réconciliation nationale. La question qui se pose aujourd’hui à notre pays est comment réconcilier tout les citoyens et restaurer l’Etat de droit dans les « quartiers abandonnés de la République » ? Un grand chantier à finalité éducative et sociale, prenant pleinement en compte la réalité multiculturelle de notre pays doit s’engager avec pragmatisme. Dans ces conditions, une réorientation de la politique de la ville dans les quartiers de relégation et les zones urbaines sensibles est primordiale. Elle se doit de renouer avec la mise en place d’une véritable police de proximité. Par ailleurs, il serait pertinent d’ouvrir une réflexion sans tabou sur les relations entre la police et les minorités ethniques (peut-on faire l’économiedes contrôles d’identités à répétition, expérimenter de nouvelles formes d’interventions policières dans les quartiers difficiles. Par exemple, la police pourrait mener des actions de type médiation à finalité pacificatrice et éducative (civilité, comportement, etc.). L’idée plus générale est de rétablir la confiance desjeunes « issus de l’immigration » avec les différentes institutions de la République (police, justice, école, organismes sociaux etc.). S’il faut agir avec la plus grande fermeté et détermination pour enrayer lesdésordres urbains (criminalité, trafics de drogues, violences…) et garantir la sécurité de tous, il faut nécessairement que cette politique sécuritaire légitime se double dans le même temps d’un volet à finalité sociale et éducative dans les quartiers sensibles. Aussi la mise en œuvre.de ces interventions éducatives et sociales spécifiques en direction de la jeunesse et des familles doit être adaptée à la réalité sociologique des quartiers en difficulté. En amont, il faut mener des actions de prévention contre le décrochage scolaire qui mène bien souvent à la rue et aux comportements délictueux. L’Etat aurait tout à gagner à promouvoir des démarches d’« empowerment ». Ces dernières, qui visent à développer « la capacité à agir » des publics défavorisés de ces quartiers, ont rencontré un fort succès dans de nombreux pays pour améliorer la cohésion sociale. Les parents ne doivent plus être stigmatisés en les qualifiant systématiquement de démissionnaires mais bien aidés face à leur désarroi. De fait, ils se sentent bien souvent isolés et impuissants face à l’échec scolaire, la violence, et la délinquance qui rongent les quartiers. Pour y faire face, le « travail social communautaire » qui a largement été développé dans le monde anglo-saxon a fait preuve d’efficacité et constitue à bien des égards une solution de choix. Loin de favoriser le communautarisme, il est au contraire un levier qui donne une capacité collective à prendre des initiatives qui seront bénéfiques à tous. Notamment pour lutter plus efficacement contre la délinquance des jeunes dans les quartiers sensibles. Les particularismes culturels ont donc en rôle essentiel à jouer. Faire advenir une société interculturelle est bien plus complexe que de laisser se développer une société communautaire mais cela est une impérieuse nécessité pour un vivre-ensemble durable.

Il est essentiel que les responsables politiques prennent clairement position en faveur de la tolérance et contre les logiques d’exclusion, de haine et de violence. C’est également, dans cette période de tensions et de stigmatisation des étrangers et de leurs enfants, qu’il est urgent de réaffirmer que notre idéal de société est fondé sur le vivre ensemble. L’Etat, les entreprises publiques et les partis politiques doivent montrer l’exemple en donnant leur place aux Français issus de l’immigration. Il faut nécessairement trouver des solutions durables aux problèmes sociaux en s’attaquant aux causes profondes. Face aux problématiques que traverse notre société, il est temps d’affirmer que la France ne sera jamais aussi forte qu’en étant fidèle à ses principes républicain d’égalité et de fraternité.

Trente ans plus tard, c’est le producteur des Petits Mouchoirs, Hugo Sélignac, qui a choisi d’adapter laMarche des beurs de 1983 pour le grand écran, en confiant la réalisation au réalisateur belge Nabil Ben Yadir. Nul doute que la Marche se poursuit.

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