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La « Théorie critique », 90 ans après sa naissance.

vendredi 4 janvier 2013, par Amitié entre les peuples

La Théorie critique aujourd’hui

Emmanuel Renault, Yves Sintomer

Créé officiellement le 3 février 1923 à Francfort, l’Institut de Recherche Sociale (Institut für Sozialforschung) eut tout d’abord pour objectif d’accueillir les travaux théoriques d’inspiration marxiste auxquels l’université allemande fermait ses portes. Ce n’est qu’avec l’accession de Horkheimer à sa tête, en 1930, que l’Institut se consacra à un programme de recherche original, caractérisé d’une part par une volonté de redéploiement philosophique du marxisme, d’autre part par la mise en place de projets interdisciplinaires dans lesquels la critique de l’économie politique n’occupait plus la place centrale. C’est cette problématique initiale et ses reformulations postérieures que l’on nomme aujourd’hui « Théorie critique », alors que les chercheurs qui furent membres de l’Institut (Horkheimer, Fromm, Marcuse, Adorno, Habermas, Honneth...), collaborateurs proches (Kracauer, Benjamin, Wellmer...) ou inspirés par ses travaux sont regroupés sous l’appellation d’Ecole de Francfort. La pertinence de cette appellation a souvent été contestée1. Les options des fondateurs (Horkheimer, Marcuse, Adorno et Benjamin) ne furent jamais identiques et elles subirent des évolutions notables et divergentes. Est-il possible de considérer la génération qui leur succéda (Habermas, Wellmer) comme un prolongement de la première Théorie critique et, si tel est le cas, faut-il la considérer comme un nouveau développement de la même Ecole ou comme la constitution d’une seconde Ecole ? Faut-il parler d’une troisième génération (Honneth, Fraser, Benhabib) ? Plus généralement, existe-t-il une ou plusieurs Ecole(s) de Francfort ? Dans la première hypothèse, son unité doit-elle être conçue comme un projet clairement défini ou comme un processus graduel de transformation ? Dans la seconde hypothèse, quelle est la nature de la problématique commune et des paradigmes distinctifs ?

Sans vouloir contourner ces problèmes, on peut émettre l’hypothèse que la Théorie critique telle qu’elle est formulée par Horkheimer définit tout à la fois un programme de recherche et une attitude théorique fondamentale2. Théorie traditionnelle et théorie critique énonce la substance de cette dernière : « Cette attitude que nous appellerons critique est caractérisée [...] par une méfiance totale à l’égard des normes de conduite que la vie sociale, telle qu’elle est organisée, fournie à l’individu. » Le refus d’un repli de la pensée sur une métaphysique spéculative se couple avec le rejet d’une orientation positiviste prétendant analyser le social sans prendre parti. Ce double positionnement est cohérent avec une vision de l’activité intellectuelle qui insère celle-ci dans le développement historique plutôt que de la placer dans une position surplombante. De façon spécifique, la profession du théoricien critique renvoie alors à un « combat » plus large « dont sa pensée est l’un des facteurs », et non à « la pensée en tant qu’activité indépendante qui pourrait être isolée de ce combat » [Horkheimer, 1974, p. 38, 49].

1 Sur ces questions et sur le développement de l’Ecole de Francfort, voir M. Jay [1977], P.-L. Assoun [1987], R. Wiggershaus [1993] et C. Bouchindhomme [1996].

http://www.sintomer.net/publi_sc/documents/sint-TheorieCritique_intro_001.pdf