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LES DÉCLASSÉS DE LA SNCF - FILPAC CGT

lundi 21 septembre 2015, par Amitié entre les peuples

LES DÉCLASSÉS DE LA SNCF - FILPAC CGT
samedi 21 mars 2015

Le cliché est jauni. Silhouette élancée, pantalon à pattes d’éléphant bleu ciel, veste cintrée et « les cheveux comme les Beatles », Mohamed Alja pose sur un quai de la gare du Havre, à côté d’une locomotive. Il a 23 ans, prend ses fonctions à la SNCF, il est heureux. Nous sommes en 1973. « C’était quelque chose de travailler en France à l’époque. On s’imaginait un avenir, c’était bien.

 » A64 ans désormais, le retraité de nationalité marocaine paraît plus vieux que son âge. Son sourire est fatigué, son ton aigre-doux : « J’étais content à la SNCF, mais malheureux de ne pas monter en grade. »« Tout en bas de l’échelle, pas comme François ou Philippe. » Voilà où il a végété.

Dix ans après son départ en préretraite, il n’a plus vraiment ses repèresdans la station ferroviaire normande : les voies où les trains étaient formés et où il manœuvrait pour positionner les locomotives dans le sens du départ, accrocher ou décrocher des wagons, vérifier le matériel, sont recouvertes d’herbes folles. Leurs rails sont rouillés, devenus inutiles depuis que les TER ont une commande à l’avant et à l’arrière, et que le nombre de voitures est fixe. Il tient néanmoins à faire le tour du propriétaire mais se heurte à une grille qui empêche les intrusions sur les voies. Bloqué dans son élan. A l’image de sa vie professionnelle.

Mohamed Alja est l’un des quelque 2 000 Marocains recrutés par la compagnie ferroviaire dans les années 1970 et fait partie des 832 cheminots marocains ou d’origine marocaine, aujourd’hui à la retraite ou proches de l’être, qui assignent leur employeur devant les prud’hommes de Paris pour discrimination tout au long de leur carrière. Chaque demandeur fait valoir un préjudice évalué à 400 000 euros, en moyenne. Si la justice leur donnait raison, la SNCF pourrait être condamnée à débourser 350 millions d’euros, environ. « Ce procès est de ceux qui peuvent marquer une étape vers l’égalité des droits des travailleurs étrangers. Il est de la même ampleur que les grands procès pour discrimination engagés par les anciens combattants et les anciens mineurs marocains », jauge maître Olivier de Boissieu, un conseil des « chibanis » (cheveux blancs, en arabe), surnom donné à ces employés immigrés.

Pendant les « trente glorieuses », l’entreprise publique a besoin d’une force de travail bon marché et disciplinée pour construire et entretenir les voies, composer les trains. Alors, comme les Charbonnages de France, Renault ou Simca à la même époque, la SNCF envoie ses recruteurs trouver ces perles rares dans les campagnes du royaume chérifien.

Mohamed Beddidi, originaire de Taourirt, au nord-est du pays, s’en souvient bien : « Ils regardaient si nos mains étaient dures pour savoir si on était habitués à travailler. On tirait sur un élastique pour évaluer notre force puis, en guise de test psychomoteur, on devait trouver, le plus vite possible,le bon socle pour une prise à quatre fiches. » Un test sanguin, un autre d’urine et un examen de la vue plus tard, lui aussi a gagné son ticket pour la France. A 21 ans, en 1973, il est affecté au secteur de la gare Saint-Lazare. Il sait lire et écrire le français, ce qui n’était pas requis. La direction des chemins de fer n’avait pas imaginé que ces jeunes hommes souhaiteraient s’extirper de leur condition d’exécutants. « Surtout, elle espérait qu’ils repartiraient vite », explique Dominique Malvaud, délégué SUD-Rail.

La SNCF a signé avec eux un contrat à durée indéterminée de droit privé « pour travailleur étranger ». Dans le jargon du rail, on les appelle les « PS25 ». Ils sont cheminots mais ne peuvent pas accéder au statut administratif de « cadre permanent » ou « agent au statut », plus avantageux et accessible aux seuls Français (et, depuis peu, aux ressortissants de l’Union européenne) de moins de 30 ans.

Conséquence de cette « clause de nationalité » : ils ne cotisent pas aux mêmes caisses de santé et de prévoyance, n’ont pas le même déroulement de carrière et ne partent pas à la retraite au même âge, ni avec le même taux de pension. Pourtant, le travail effectué sur les voies est le même. Le contrat des PS25 prévoit d’ailleurs que « le travailleur étranger a droit au même régime de travail que les ouvriers français », qu’il doit « recevoir à travail égal une rémunération égale à celle de l’ouvrier français de même catégorie ».

Or, « les Marocains ont subi des discriminations continues dans le déroulement de leur carrière et jusqu’à la retraite », explique maître Clélie de Lesquen, leur second conseil. C’est ce qu’elle s’apprête à démontrer devant les prud’hommes de Paris : « On a 4 m3de documents qui en attestent. » L’affaire, hors norme, recouvre un large éventail de situations particulières. La moitié des demandeurs a acquis, au fil du temps, la nationalité française. Certains d’entre eux, 113 exactement, ont alors pu entrer au cadre permanent, grâce à une extension provisoire de l’âge limite à 40 puis 45 ans.

Pour ajouter à la complexité, « le statut de contractuel a été interprété à géométrie variable selon les établissements. A Dunkerque, les Marocains sont tous restés en bas de l’échelle quand ils ont pu, comme à Lyon, accéder à des examens et évoluer un peu », résume Abdelkadder Bendali, Marocain et professeur de droit, qui accompagne depuis 2009 les chibanis.

« J’ai moisi à la manœuvre »

Leur combat débute en 2001. A l’époque, les plus anciens ont pu, en accord avec la SNCF, partir à la retraite de manière anticipée à 55 ans, sans avoir cotisé tous leurs trimestres. Au terme de décennies de travail éprouvant, le montant de leur pension s’élevait à 350 euros environ. « Cette réaction tardive s’explique : tant qu’ils étaient dans la force de l’âge, ils ne pensaient pas à l’avenir, et donc à la retraite. L’important était de ramener de l’argent, estime Smaïn Laacher, professeur de sociologie à l’université de Strasbourgqui a travaillé sur la condition des chibanis. Elle est aussi liée au contexte historique : quand ils ont été embauchés, il n’était nullement question de lutte contre les discriminations et les inégalités sociales. C’est devenu un sujet majeur au tournant du siècle. »

Après un premier passage non concluant, en 2004, devant le tribunal administratif de Parispour demander la suppression de la clause de nationalité qui les prive d’accès au statut de cadre permanent, 67 contractuels ont assigné,en 2005 et à titre individuel, la SNCF pour discrimination devant le conseil des prud’hommes de Paris. En dix ans, les rangs ont considérablement grossi, même si une dizaine de demandeurs sont morts depuis le début de la procédure.

Après d’interminables renvois, 19 audiences de plaidoirie se sont tenues d’avril 2012 à décembre 2014. Chaque fois, les requérants, si nombreux qu’ils ne pouvaient tous entrer dans la salle exiguë, repartaient un peu plus usés, déçus par une justice accusée de « traîner jusqu’à ce qu’on ait clamsé ». Car jamais les conseillers prud’homaux, qui ne sont pas des juges mais deux représentants du salariat et deux du patronat, ne sont parvenus à dégager une majorité pour trancher le litige. Ils ont systématiquement renvoyé chaque audience en départage. Face à cette incapacité à décider, le dossier est désormais entre les mains de magistrats professionnels.

A partir du 23 mars, quatorze audiences de départage, regroupant chacune plusieurs dizaines de demandeurs, sont programmées sur quatre jours. Un marathon. « Etant donné la complexité de cette affaire, exceptionnelle en raison de son ancienneté, du nombre de demandes individuelles déposées qui ne soulèvent pas toutes des points de droit identiques, et des enjeux financiers, deux magistrats du tribunal de grande instance ont été détachés pour s’en occuper », explique Jean-Baptiste Acchiardi, vice-président chargé du secrétariat général du tribunal de grande instance de Paris. Ils rendront leur jugement en juillet ou plus probablement en septembre.

« C’est long, c’est long », répète Mohamed Alja, en grillant une cigarette sur le pont qui enjambe les voies au Havre. Lui a déposé son dossier en 2010. Il en veut à son employeur de l’avoir « coincé à cause de [sa] nationalité ». Il a été PS25 toute sa carrière. « J’ai moisi à la manœuvre, alors que j’avais les capacités de faire mieux. » Sa maîtrise de la langue française aurait pu lui permettre de dépasser legrade de pointeur, celui qui rédige le bulletin de composition des trains, auquel il est resté englué plus de vingt ans. « J’ai demandé à passer des examens. Je n’ai eu ce droit qu’une fois. Après, plus rien. » C’était à la fin des années 1970, quand la SNCF a finalement autorisé les contractuels à accéder aux examens de premier niveau, ouvrant la voie à un déroulement de carrière. « Parmi les cadres permanents qui ont eu cet examen la même année que moi, deux ont fini directeurs de gare… »

Si un contractuel et un agent au statut débutent leur vie professionnelle au même niveau de qualification, le A, leurs chemins se séparent vite. Un PS25 est, sauf exception, cantonné au « collège exécution » (classes A à C) jusqu’à la retraite. Un agent au statut peut, lui, par des examens ou à la faveur d’un système de notation, gravir les autres échelons pour atteindre le « collège maîtrise » (D et E), voire « cadre » (F, G, H). Seuls 2 % environ des « cadrespermanents » achèvent leur carrière au collège exécution, d’après les bilans sociaux de la SNCF de ces dernières années. Tous les autres grimpent.

Une différence d’évolution que Belaid Guelida, 64 ans, a constatée depuis longtemps. Voilà quarante ans qu’il accroche et décroche les wagons de fret dans les gares de triage de Belfort, Montbéliard et, désormais, Lyon : « Les jeunes au statut que je forme ne supportent pas longtemps ce travail difficile. Alors ils partent assez vite. Car eux ont une carrière bien tracée. Nous, on reste ici, couverts de graisse, à faire le boulot à toute heure, par tous les temps. Comme des mulets. » Lui partira à la retraite dans deux ans, à la classe C.

« Il n’y en a pas un qui tienne debout »

Installé sur une banquette de son salon oriental, dans son appartement SNCF de Versailles-Chantiers avec vue imprenable sur le ballet des Transiliens, Mohamed Lainouni, 64 ans, affiche sous sa moustache blanche un sourire satisfait. En mars 2013, il a été élevé à la maîtrise, qualification D, ainsi que l’autorise, depuis 2004, la SNCF pour les PS25 en fin de carrière. Le Graal du contractuel qu’il a obtenu parce qu’il occupait de faitun poste de chef d’équipe aux 3 × 8. « Je suis au taquet, je peux pas aller plus loin. Ça arrive tard, mais c’est mieux que rien, car ça joue sur ma fiche de paie. »

Responsable des travaux sur les voies, il a jusqu’à soixante personnes sous ses ordres. Ses homologues, deux agents au statut, ont 36 et 52 ans. Et encore une belle carrière devant eux. Sa propre fille, née française et entrée en contrat de qualification à 19 ans à la SNCF avant de devenir cadre permanent, a déjà atteint la classe C au bout de treize ans d’ancienneté. « Quand vous voyez par rapport à moi… » Ou à son copain, Mohamed Elmansouri, 65 ans, venu parler justice en mangeant des gâteaux, ce dimanche après-midi. Lui n’est passé à la classe B qu’en 2006. « Et je suis rentré en 1974 ! », s’époumone-t-il, indigné. « Il a fallu qu’on attende 1982 pour pouvoir circuler gratuitement sur le réseau comme les cadres permanents. Avant cette date, on n’avait ce droit que sur le trajet domicile-travail. » Les contractuels à la retraite n’ont pu conserver leur passe qu’à partir de 2004. Un avantage que les familles des PS25 ont, elles aussi, acquiscette année-là.

A un peu plus d’un an de la retraite, ces deux sexagénaires devenus français trop tard pour entrer au cadre permanent paraissent encore robustes. Et pourtant. « Vous avez bien vu au tribunal, il n’y en a pas un qui n’ait pas mal quelque part, pas un qui tienne debout », s’exclame Mohamed Lainouni, qui boite. Malgré des problèmes de vue et d’audition, Mohamed Elmansouri continue de travailler cinq nuits par semaine, sur les voies. Une carrière à changer les traverses, poser les rails, étaler le ballast. « On est HS », soupire Mohamed Lainouni. « Et on vient bosser même quand on est malade, sinon on voit notre salaire fondre à cause des trois jours de carence, précise son alter ego. Les cadres permanents n’ont pas de carence, et en plus ils ont les soins gratuits, pas nous. » Voir des plus jeunes disposant du statut terminer leur carrière avant lui, avec une retraite plus confortable, l’écœure.

« Un cadre permanent parti à la retraite à 55 ans et ne justifiant que de trente années de service a une pension supérieure de 50 % en moyenne à celle d’un contractuel justifiant de quarante ans de service », a calculé le professeur Bendali. Un agent au statut peut se retirer dès 55 ans, à condition d’avoir vingt-cinq ans d’ancienneté. Longtemps, il lui a suffi de cotiser 150 trimestres (163 désormais) pour toucher une pension à taux plein, équivalent à 75 % des revenus perçus lors des six derniers mois de sa carrière. Un contractuel ayant cotisé de 39,5 ans à 41 ans (selon l’évolution de la législation) touche, lui, 50 % du salaire mensuel calculé sur ses vingt-cinq meilleures années de travail. Et comme les Marocains ont été embauchés quand ils avaient la vingtaine, ils cessent leur vie professionnelle à 65 ans en moyenne. En dépit de la pénibilité de leur travail.

Mohamed Beddidi est parvenu à s’extirper de cette condition. Il fait partie des 113 demandeurs devenus cadres permanents. C’était en juillet 1993, l’année où il a obtenu la nationalité française, celle de ses 40 ans. Embauché à la SNCF à 21 ans, il a vite souhaité gravir les échelons. La compagnie le bloquait dans son évolution ? Il s’est frayé un chemin. « J’avais de la volonté malgré les obstacles », explique-t-il tranquillement en sirotant un café, gare Saint-Lazare. Dès que, en 1979, l’entreprise a ouvert les examens de début de carrière aux contractuels, il les a passés, avec brio. En 1985, il a même obtenu de sa direction l’autorisation de se présenter à une épreuve réservée exclusivement aux cadres permanents et qui l’a propulsé à la qualification E. Une incongruité puisque cette classe n’existe pas pour les PS25. « Ils ne pensaient pas que je l’aurais », sourit-il. Mais quand il est passé au statut, huit ans plus tard, son ancienneté à ce poste d’encadrement a été effacée.

Parmi les PS25 devenus cadres permanents, la plupart ont eu encore moins de chance : « Ils perdaient leur ancienneté dans l’entreprise, et ils étaient presque toujours rétrogradés à la classe A, tout en continuant à exercer les mêmes responsabilités », explique Me de Lesquen. Un quasi-retour à la case départ. Certes, l’accès au statut s’accompagnait d’avantages comme l’intégration à un système de notation permettant un avancement de carrière plus rapide et, bien sûr, la possibilité de liquider sa retraite à 55 ans. Mais cette régression a entraîné des différences de déroulement de carrière et de pension de retraite entre les cadres permanents nés français et ceux d’origine marocaine.

Ultime cas de figure, et pas des moins absurdes : les Marocains embauchés directement au statut de cadre permanent. Un partenariat entre la SNCF et l’Office national des chemins de fer du Maroc conclu en 1974 permettait en effet de transgresser la clause de nationalité, que la SNCF agite pourtant comme argument-clé pour justifier les différences de traitement entre salariés. A l’instar de Mostapha Rharib, 60 ans et toujours en activité, ces Marocains – dont quatorze figurent parmi les demandeurs – sont donc des agents au statut… sauf en matière de retraite. « J’ai le même déroulement de carrière que les cheminots français, mais la SNCF refuse que je cotise à son régime de retraite spécial, expose-t-il. Je suis au régime général. » Et ce bien qu’il soit français depuis ses 41 ans. Alors que ses collègues cadres permanents de son âge coulent déjà des jours tranquilles depuis cinq ans, lui a encore deux années de travail à accomplir pour partir avec une pension à taux plein. Il ne décolère pas.

La famille Elanzouli non plus. Le père, Jilali, est décédé en février 2005 des suites d’une longue maladie. Saadia, son épouse, ne touche la pension de réversion que depuis juin 2014, date à laquelle Jilali aurait pu prendre sa retraite. Petite femme pudique et accueillante de 56 ans, au visage encadré d’un voile turquoise, elle admet qu’avec encore deux enfants à charge au moment du décès de son mari, « il y a eu des périodes difficiles ». « Heureusement, mes aînés m’ont aidée. » Les 420 euros qu’elle perçoit depuis dix mois, soit 54 % de la retraite de base dont aurait pu bénéficier son mari après ses trente et un ans de service, complètent son salaire d’employée de maison de retraite. Ils arrivent un peu tard. « Pourquoi ma mère n’a-t-elle touché en dix ans que le dernier salaire et les congés de mon père, quand une veuve de cadre permanent perçoit immédiatement la pension de réversion de son mari ? », s’interroge Sofiane, 37 ans.

Cet ancien agent au statut, entré à la SNCF en 2000, a été « dégoûté » par l’« indifférence » de la SNCF lors du décès de son père. « J’ai démissionné quelques mois plus tard. Je savais qu’il n’y aurait jamais de reconnaissance », dit-il en regardant le cadre accroché au mur dans l’appartement de sa mère, à Versailles-Chantiers, où pend la médaille d’honneur que son père a reçue pour ses 25 ans de services. Saadia et ses quatre enfants ont décidé, en tant qu’ayants droit, de poursuivre le combat contre la SNCF que Jilali Elanzouli avait commencéen 2001, parmi les premiers. « Nous ne le faisons pas pour l’argent, mais pour sa mémoire et son honneur. » Dans la procédure, 49 dossiers sont portés par les familles.

« Des choux et des carottes »

Il revient à la SNCF de faire la preuve qu’il n’y a pas eu discrimination. L’entreprise, qui« réserve ce qu’elle a à dire pour la justice », rappelle toutefois la « posture ferme »qu’elle a adoptée dans ce dossier depuis 2005 : « La SNCF est une entreprise publique avec des règles du travail spécifiques selon que l’on est au statut, comme des fonctionnaires, ou que l’on est un contractuel, en CDI. » Autrement dit, pour reprendre les propos de son avocat Me Jean-Luc Hirsch lors de la dernière audience de plaidoiries, en décembre 2014, « on ne peut pas comparer des choux et des carottes ». Niremettre en cause la clause de nationalité devant les prud’hommes, puisque cela relève du tribunal administratif, qui a déjà donné tort aux Marocains sur ce point. Fin 2014, le défenseur de la compagnie, qui ne reconnaît aucune discrimination, avait demandé que les requérants soient « déboutés intégralement » des faits qu’ils reprochent à l’entreprise publique.

Pour Me de Boissieu, ce n’est pas la clause de nationalité qui est ici pointée du doigt mais le fait que « la SNCF n’a pas respecté le principe d’égalité de traitement entre des salariés placés dans une situation identique. Un principe inscrit, notamment, dans le code du travail ». Selon Me de Lesquen, « la SNCF sait de longue date qu’il y a des discriminations continues ». Elle en veut pour preuve les récentes améliorations portées à la condition des contractuels comme la révision, en 2012, de leur système de protection sociale, devenu un hybride entre le régime général et le régime des cadres permanents. Mais, surtout, elle cite le procès-verbal d’une commission mixte paritaire tenue à la SNCF en 2006.

Le directeur des relations sociales de l’époque, Jean-Yves Mareau, déclarait ceci aux syndicats : « L’incorporation au cadre permanent des agents SNCF étrangers actuellement contractuels, résultant d’une suppression de la clause de nationalité, se traduirait par une dépense annuelle supplémentaire pour l’entreprise de 70 millions d’euros, qui représente approximativement le montant d’une négociation salariale annuelle. » Voilà qui pourrait expliquer pourquoi les fédérations syndicales n’ont jamais soutenu le combat des contractuels, minoritaires dans l’entreprise… Seuls quelques délégués de SUD-Rail ou FO ont, à titre individuel, défendu leur cause.

La SNCF dit ne pas encore savoir si elle fera appel en cas de condamnation devant les prud’hommes. « Cela dépendra de comment la décision sera motivée en droit », fait-elle savoir. Les ministères des transports et du travail indiquent suivre ce dossier de « très près ». Quant aux chibanis, ils attendent depuis quatorze ans le dénouement de cette affaire. S’ils perdent, ils feront appel. Déterminés à aller jusqu’au bout, en cassation et même devant la Cour européenne des droits de l’homme s’il le faut, fidèles à ce proverbe marocain : « La route est longue mais l’âne continue toujours à marcher. » Mais combien seront-ils encore en vie au bout du chemin ?

Alexandra Bogaert, Le Monde

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