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L’ordre des peuples (NCS)

jeudi 25 mai 2017, par Amitié entre les peuples

L’ordre des peuples (NCS)

Extrait

Parallèlement à l’étude de l’oligarchie, la notion de peuple réapparaît sous plusieurs contenus. Le peuple est une notion polysémique. Et cette polysémie est non dite car enjeu de pouvoir. Nommer n’est pas neutre !

Le peuple au singulier n’est pas l’apanage des seuls juristes internationalistes qui d’ailleurs en parlent au pluriel (comme le MRAP à propos de l’amitié entre les peuples). En fait, le peuple est polysémique mais dans la bataille idéologique ce sont les sens à contenu englobant la classe dominante qui sont massivement adoptés. Ce qui pose problème. Quand, par exemple, ATTAC dit « les peuples d’abord pas la finance » la question se pose : de quel peuple s’agit-il ? Le peuple englobant la finance ou le peuple excluant la finance. Poser la question c’est d’emblée signaler un manque.

Ce manque est l’effet de la domination d’une acception communautaire du peuple, d’un peuple-totalité qui en général intègre soit la classe dominante ou l’une de ses fractions (finance, créanciers), soit l’oligarchie. L’autre sens se rapporte au « petit peuple » jadis ou aujourd’hui aux « classes populaires » donc à un en-bas lui aussi en minorité, ce qui permet d’enclencher à l’occasion des politiques compassionnelles qui respectent l’ordre social dominant.

Diverses études, notamment celles qui s’intéressent au populisme [10], s’attachent à faire ressortir les contenus précis du « peuple » posé de façon générale, notamment dans le discours des « politiques ». Il y a en effet divers peuples sous le peuple générique qui varie en fonction des locuteurs. Chacun remplit une fonction différente pour les mobilisations politiques. Contre la finance – par exemple – ce sera un peuple tantôt démocratique tantôt social. En rapport avec l’étude des thèmes populistes [11] il s’agira de dévoiler par l’analyse sémantique des discours quel type de « peuple » est réellement mobilisé, par qui et contre qui. L’orientation du discours sera tantôt à contenu ethnique ou nationaliste tantôt à contenu social et démocratique. Mais on trouve des mélanges plus complexes qui nécessitent des analyses plus fouillées. Ce qui nous importe ici, c’est que ce champ de la science politique a permis de dégager plusieurs peuples.

Ni le peuple à contenu social variable ni le peuple ethnique (à contenu culturel identitaire) n’ont totalement disparu du paysage politique. Ils ont quand même été supplanté peu à peu depuis la Révolution française de 1789 par le peuple démocratique ou peuple souverain. Ce peuple souverain ou démocratique n’a pas eu toujours le même format dans l’histoire. Lié à la propriété du temps de la démocratie censitaire, il s’est progressivement gonflé au gré des conquêtes du mouvement ouvrier [12] et féministe. Le droit de vote et d’éligibilité constitue le saut qualitatif le plus important pour les démocraties représentatives.

Le sens commun échange volontiers les notions de « peuple » et « nation » comme si les deux cercles se recoupaient or il est à noter que le peuple souverain ne recoupe pas toujours ou partout le peuple-nation, la communauté nationale. D’une part il existe une citoyenneté pluri-nationale [13] ; d’autre part une citoyenneté est possible dans un cadre national classique pour les résidents extra communautaires exclus du champs de la communauté nationale . On aurait alors un peuple démocratique plus large que le peuple-nation.

Ces distinctions n’invalident pas la nation comprise non pas comme peuple mais comme dynamique historique et comme cadre territorial que ce soit pour l’exercice de la citoyenneté (même si ce n’est pas le seul) ou que ce soit pour le déploiement des services publics nationaux avec péréquation tarifaire ce qui renvoie à un Etat social fort. La citoyenneté élargie dans le cadre d’un Etat social solide dispose d’autres vertus que celle de la participation citoyenne des résidents. Cette combinaison favorise une forte cohésion sociale capable de construire, si elle s’établit sur une longue durée, une République toujours inachevée (selon la thèse de Christian Picquet). La Res publica ne concerne pas que l’accès aux biens communs ou aux services publics et au-delà la perspective d’une forte limitation des inégalités sociales source de cohésion sociale. Elle a aussi un volet culturel. Quid alors des plus petites communautés, des communautés infra-nationales ? La réponse est différente pour les communautés exogènes (immigration en cours d’installation) ou les communautés régionales (minorités nationales). Entre le modèle multiculturaliste anglosaxon et le modèle assimilationniste promu par l’extrême-droite et au-delà il existe une orientation républicaine fondée sur l’intégration et l’interculturalité. L’interculturel n’est pas uniquement de nature politique mais il passe beaucoup par la citoyenneté [14], celle qui permet aux cultures différentes de vivre ensemble.

Peuple-nation et peuple-ethnie peuvent faire l’objet d’un usage nationaliste et xénophobe. Le discours d’intégration se double alors d’une politique d’exclusion de fractions du peuple : des Rroms, des musulmans, des arabes, des juifs. Les catégories visées varient selon les périodes historiques. Dans tous les cas, la préférence nationale (ou ethnique) fait alors l’impasse sur la préférence sociale. La nation n’est alors plus seulement le double cadre déjà évoqué pour une défense d’une part de l’exercice de la démocratie contre l’oligarchie et d’autre part du déploiement des services publics et de l’Etat social dispensateur d’un bien commun.

L’autre variante xénophobe défend un peuple ethno-national ou la référence identitaire est primordiale . Ici c’est la vielle subculture chrétienne qui est menacée par l’invasion musulmane. La nation est pour les partisans de la nation ethnique un « corps » homogène, une « communauté nationale et historique » sans clivage interne mais menacée par l’immigration du sud plus que par les étrangers en général.

Factuellement, le peuple a fait une réapparition en force en 2005 lors des débats sur le projet de Traité Constitutionnel Européen (TCE) essentiellement sous trois grands contenus : démocratique, social et laïque. C’est à cette époque que Raoul Marc Jennar développe le thème de la « trahison des élites » par rapport aux peuples souverains et aux peuples-classe (sans que ce terme soit employé). Plus récemment, avec les « révolutions arabes », le peuple est aussi invoqué sous plusieurs aspects qui peuvent se mélanger : peuple démocratique repoussant une dictature, peuple souverain contre les diktats de l’impérialisme, peuple-classe enfin pour imposer un Etat social conséquent. Il est à noter ici qu’il faut une certaine écoute, et même une analyse attentive du discours pour saisir qu’il s’agit du peuple-classe. On comprend souvent grâce à l’évocation d’une opposition à une minorité d’en-haut (élite, oligarchie, bourgeoisie, caste dominante) qu’il ne s’agit pas du peuple-nation qui lui intègre en-haut la classe dominante mais refuse les non-nationaux.
Historiquement, le peuple entendu comme « Tiers-Etat » a décliné mais le « bas- peuple » s’est maintenu avant d’être supplanté plus tard par « la classe ouvrière ».

La Révolution de 1789 a eu un effet de voilage socio-économique. Elle a mis en avant un peuple-nation ou plus largement un peuple souverain. Cette démocratie censitaire excluait le petit peuple des libertés politiques mais aussi des avantages sociaux que possédaient les « gros » [15] . Le peuple pouvait alors alors être considérés comme « bas-peuple », et même d’une « populace » [16]. La perception d’un peuple socio-économique large – sorte de gros « Tiers Etat – a été peu à peu effacée après la Révolution française . Il subsistait la référence à la plèbe qui ne pouvait cependant rivaliser face à la classe dominante.

Aujourd’hui les « petites gens » ce sont soit les couches sociales modestes et même pauvres soit les prolétaires au sens de ceux qui épuisent leur revenu dans le mois. Il s’agit ici d’un sens ou le prolétaire est face au marché dans un rapport de solvabilité (ou non) et non du prolétaire qui est dans un rapport de vente de sa force de travail pour vivre à un capitaliste. Dans le premier cas on se trouve dans la sphère de la circulation marchande et dans l’autre dans la sphère de la production. Les deux notions peuvent se compléter ou être disjointe. En effet, le marxisme montant a largement relativisé le poids du peuple au profit d’une classe ouvrière seule capable de détruire la domination de la classe capitaliste dominante. Pourtant La paysannerie pourtant importante et l’artisanat étaient des couches sociales trop soumises ou trop « incertaines » . Elles n’entraient pas dans ce qui pourrait être appelé un vaste peuple-classe qui serait opposé au capital.

Christian DELARUE

in

Classe dominante et oligarchie contre peuple souverain et peuple-classe | Nouveaux Cahiers du socialisme (NCS)
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